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Full text of "Archives de l'art français"

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HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


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ARCHIVES  DE  L'ART  FRANÇAIS 

RECUEIL   DE    DOCUMENTS  INÉDITS 

PUBLIÉS    PAR    LA 

SOCIÉTÉ    DE    L'HISTOIRE     DE     L'ART     FRANÇAIS 

NOUVELLE  PÉRIODE 
TOME  V 


CORRESPONDANCE 

DE 

NICOLAS   POUSSIN 

PUBLIÉE  D'APRÈS   LES  ORIGINAUX 

PAR 

CH.  JOUANNY 


PARIS 
JEAN    SCHEMIT 

LIBRAIRE   DE  LA  SOCIÉTÉ    DE    l'hISTOIRE    DE    l'aRT    FRANÇAIS 
52,    RUE    LAFFITTK 
*  I9II 


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»r    OCT  9   ^'  ém 


A    MONSIEUR    CH.-V.     LANGLOIS 

HOMMAGE  TRÈS  RECONNAISSANT 


INTRODUCTION 


I. 

Le  texte  de  cette  édition  est  celui  des 
manuscrits  autographes,  alors  que  Tédition 
de  Quatremère  de  Quincy  (1824)  eut  pour 
base  une  copie,  conservée  depuis  à  la  biblio- 
thèque de  l'Institut.  Cette  copie  ne  donnait  pas 
quelques  phrases  et  post-scriptum  oubliés; 
elle  présentait  quelques  autres  erreurs,  no- 
tamment des  noms  propres  mal  lus%  mais 
elle  eût  constitué  une  publication  encore 
satisfaisante  si  l'éditeur  ne  lui  avait  imposé 
des  modifications  innombrables.  Celles  qui 
sont  relatives  à  la  lecture  plus  facile  du  texte 
(coupure  des  phrases  trop  longues,  conjonc- 
tions peu  utiles  supprimées,  accords  gram- 
maticaux rétablis,  concordance  des  temps 
des  verbes,  etc.)  sont  excusables  et  peu  nui- 

I.  Exemple  :  i5  oct.  1645,  le  cardinal  Floijfe  pour  le  car- 
dinal Sfor!j[e. 

1911  a 


ÎV  INTRODUCTION. 

l'amitié;  le  6  août  lôSg,  souvent  donne  sûre- 
ment; le  20  novembre  1644,  son  tour  est 
écrit  son  atour;  le  26  mai  1642,  les  entendus 
s'appellent  les  connaisseurs;  le  11  juin  1641, 
une  promesse  de  ne  vous  pas  faire  tort  devient 
celle  de  seconder  vos  efforts,  etc. 

Nous  aurions  mauvaise  grâce  à  insister 
sur  des  erreurs  dont  Ph.  de  Chennevières 
n'a  pu  s'empêcher  d'écrire,  malgré  toute  sa 
courtoisie  : 

Il  n'est  pas  un  tour  ny-italien,  mi-français,  il  n'est 
pas  une  phrase  un  peu  brève  et  fière  qui  n'aient  été 
soumis  à  la  plus  énervante  castration  ;  rien  d'insolite 
et  de  charmant  qui  n'ait  été  défloré,  qui  ait  échappé 
au  ciseau,  qui  n'ait  passé  par  la  grammaire.  En 
somme,  c'est  un  livre  à  refaire  et  des  plus  urgents. 
[Peintres provinciaux,  1854,  t.  III,  p.  i23.) 

IL 

Dans  sa  monographie  de  Poussin,  M.  Paul 
Desjardins  a  démontré  lui  aussi,  p.  7,  l'in- 
suffisance de  l'édition  de  Quatremère  de 
Quincy.  Ces  indications  nous  inspirèrent  le 
désir  du  présent  travail,  que  nous  commen- 
çâmes à  la  fin  de  1907,  quand  M.  Paul  Des- 
jardins, consulté  sur  l'utilité  que  présenterait 
une  nouvelle  publication,  nous  eut  répondu 
d'une  façon  très  encourageante.  Nous  pour- 
suivions  parallèlement   la   préparation    du 


INTRODUCTION. 


travail  et  la  recherche  des  moyens  de  publi- 
cation, lorsqu'en  janvier  1910  nous  fûmes 
mis  en  relation  avec  M.  Henry  Lemonnier, 
dont  le  bienveillant  appui  nous  procura  l'hon- 
neur de  placer  notre  édition  sous  les  aus- 
pices de  la  Société  de  THistoire  de  l'Art 
français,  dont  il  était  alors  président.  Celle-ci 
possédait  le  dossier  réuni  par  le  regretté  Ph. 
de  Ghennevières  en  vue  d'une  édition  des 
lettres  de  Poussin,  autour  de  laquelle,  comme 
il  le  dit  lui-même,  il  a  «  piétiné  toute  sa  vie  ». 
Ce  dossier,  classé  antérieurement  par  M.  Le- 
chevallier-Ghevignard,  nous  fut  remis  en  sep- 
tembre 1910.  Notre  texte  était  dressé  et  les 
notes  rédigées,  mais  les  copies  prises  par 
M.  de  Ghennevières  nous  apportèrent  une 
vérification  indispensable  et  en  particulier 
une  copie  plus  exacte  de  treize  lettres  en 
italien  publiées  avec  quelques  arrangements 
dans  le  recueil  de  Bottari. 

III. 

Les  originaux  actuellement  connus  de 
lettres  de  Poussin,  —  minime  portion  de  ce 
qu'a  dû  écrire  un  correspondant  aussi  régu- 
lier dans  ses  relations,  —  forment  deux 
groupes  : 

1°  Gent  trente-six  lettres  et  six  comptes 
de  Poussin  à  M.   de  Ghantelou,  écrits  de 


VI  INTRODUCTION. 

1639  à  i665,  sont  réunis  en  un  superbe  ma- 
nuscrit conservé  à  la  Bibliothèque  nationale 
de  Paris  (ms.  fr.  12347). 

2°  Dix-huit  lettres  de  Poussin,  adressées 
pour  la  plupart  à  Cassiano  del  Pozzo,  sont 
disséminées  dans  diverses  collections  parti- 
culières ou  dans  quelques  dépôts  publics. 

Occupons-nous  d'abord  du  premier  groupe, 
celui  qui  est  la  base  de  l'étude  de  Poussin, 
c'est-à-dire  des  lettres  à  M.  de  Ghantelou. 

Lettres  à  M.  de  Chantelou  (ms.  12347). 

Elles  étaient,  par  héritage,  entre  les  mains 
de  M.  Favry  de  Chanteloup,  petit-neveu  du 
destinataire,  quand,  en  1754  ou  1755,  une 
copie  en  fut  exécutée  sous  la  direction  d'un 
ami  intime,  M.  Duchesne,  prévôt  des  bâti- 
ments du  roi.  Les  originaux  passèrent  pro- 
bablement à  M.  de  Selle,  héritier  et  neveu 
de  M.  Favry  de  Chanteloup,  et,  vers  1796, 
on  les  perdit  de  vue  et  on  les  réputa  perdus  ^ 

Cette  croyance  donnait  une  valeur  de 
quasi-original  à  la  copie  de  1755.  Aussi,  dès 
que  l'architecte  Dufourny  l'eut  acquise,  pro- 
jeta-t-il  de  la  publier.  La  mort  l'en  empêcha, 
mais  l'Académie  des  beaux-arts  acquit  de 

I.  Voir  Ph.  de  Chennevières,  La  peinture  française, 
p.  307. 


INTRODUCTION.  VII 

ses  héritiers  cette  copie  de  1755  et  chargea 
son  secrétaire  perpétuel,  Quatremère  de 
Quincy,  de  la  donner  au  public.  Ce  fut  l'édi- 
tion de  1824,  chez  Didot.  La  copie  de  1755 
est  restée  depuis  à  la  bibliothèque  de  l'Ins- 
titut, avec  quelques  notes  que  Dufourny 
avaient  réunies  en  vue  de  l'édition  qu'il 
méditait  et  la  copie  que  Quatremère  de 
Quincy  (ou  son  collaborateur,  M.  Langlès) 
remit  à  l'imprimeur  de  1824. 

On  comprend  que  cette  édition  ait  joui 
d'une  grande  autorité.  Il  aurait  fallu  pou- 
voir se  reportera  la  copie  de  1755  pour  cons- 
tater que  celle-ci  différait  à  chaque  phrase 
du  texte  imprimé  en  1824,  mais  le  public 
l'ignorait  à  peu  près.  Il  accordait  à  une  copie 
arrangée,  embellie  à  la  mode  des  préjugés 
littéraires  du  temps,  cette  confiance  que  mé- 
ritent seuls  les  originaux  imprimés  textuel- 
lement. 

La  publication  de  1824  faisait  loi  depuis 
trente  ans  quand  le  hasard  fit  retrouver  les 
originaux  envoyés  à  M.  de  Ghantelou.  Ils 
furent  acquis  par  la  Bibliothèque  impériale, 
le  i3  janvier  1857,  sous  le  n°  5o62,  pour  la 
somme  de  5, 000  francs,  de  M.  Emile  Dela- 
palme,  5,  rue  Neuve-Saint- Augustin^.  A  par- 

I.  Nous  devons  ces  détails  à  la  parfaite  obligeance  de 
M.  H.  Omont,  membre  de  l'Institut,  conservateur  des 


VIII  INTRODUCTION. 

tir  de  cette  acquisition,  qui  forma  le  ms. 
fr.  12347,  i^  suffit  d'ouvrir  ce  volume  auto- 
graphe pour  juger  l'édition  de  1824.  Une 
nouvelle  publication  s'imposait  et,  dès  le 
28  mars  1857,  M.  de  Chennevières  obtenait 
l'autorisation  ministérielle  de  l'entreprendre. 

Il  y  travailla  toute  sa  vie,  et  l'édition  ma- 
gistrale qu'il  élaborait  eût  comporté,  en  plus 
du  texte  des  lettres,  un  chapitre  de  recherches 
là  où  les  commentateurs  ordinaires  se  con- 
tenteraient, —  à  tort,  —  de  quelques  lignes. 
Plusieurs  de  ces  chapitres  formèrent  la 
meilleure  part  du  remarquable  Essai  sur  la 
peinture  française  publié  en  1894;  mais  l'édi- 
tion restait  à  faire,  et  voici  plus  d'un  demi- 
siècle  que  sa  nécessité  est  reconnue. 

Signalons  un  détail  important  :  quand  la 
copie  de  1755  fut  exécutée,  l'original  de  plu- 
sieurs lettres  était  perdu,  notamment  celui 
des  premières  et  de  quelques-unes  des  der- 
nières :  la  copie  de  quelques  fragments  en  a 
été  conservée  par  le  scrupuleux  Félibien. 
D'autres  lettres  se  perdirent  entre  1755  et 
1857  :  mais  le  texte  nous  en  est  conservé 
dans  la  copie  de  1755,  actuellement  à  la 
bibliothèque  de  l'Institut.  Ces  deux  sources 
méritent  toute  créance  :  quand  on  compare 

manuscrits.  —  La  plupart  des  ventes  de  cette  nature  se 
font  par  l'intermédiaire  de  notaires. 


INTRODUCTION.  IX 

leur  texte  avec  la  partie  des  originaux  qui 
nous  est  conservée,  on  constate  que  les  diver- 
gences ne  consistent  qu'en  rajeunissements 
orthographiques,  sans  réelle  importance. 

Lettres  à  Cassiano  del  Pono. 

Ce  second  groupe,  —  beaucoup  moins 
nombreux  que  le  précédent,  —  comprend  en 
majeure  partie  les  lettres  écrites  en  italien 
par  Poussin  pendant  son  séjour  à  Paris  (jan- 
vier 1 641 -septembre  1642)  à  son  illustre  pro- 
tecteur Cassiano  del  Pozzo.  Les  originaux, 
longtemps  conservés  dans  la  maison  Albani, 
furent  enfin  achetés  par  Dufourny  (qui  pos- 
sédait aussi  la  copie  de  1755  des  lettres  à 
Chantelou),  mais,  au  lieu  d'être  acquis  par 
l'Académie  des  beaux-arts,  ils  furent  vendus 
et  dispersés  en  1828,  après  le  décès  de  Du- 
fourny. 

L'Académie  les  avait  négligées  parce 
qu'elles  n'étaient  plus  inédites,  comme  le 
furent  jusqu'en  1824  les  lettres  à  Chantelou. 
En  effet,  Bottari  avait  publié  en  lySy,  dans 
les  Lettere  pittortche,  vingt-quatre  lettres  de 
Poussin  à  Cassiano  del  Pozzo.  Depuis  1828, 
époque  de  la  dispersion  des  originaux,  l'ef- 
fort devait  consister  à  retrouver  leur  trace 
et  à  établir  la  fidélité  de  la  publication  de 
Bottari.  Le  rôle  de  M.  de  Chennevières  con- 


INTRODUCTION. 


sista  surtout  dans  cette  recherche  et,  grâce 
à  lui,  nous  savons  où  sont  les  originaux  de 
quinze  lettres. 

C'est  la  copie  de  ces  originaux,  due  à 
M.  de  Chennevières,  qui  figure  dans  cette 
publication.  Pour  les  lettres  dont  l'original 
est  encore  à  retrouver,  nous  avons  dû  nous 
en  tenir  au  texte  de  Bottari,  qui  d'ailleurs 
est  un  texte  presque  authentique,  à  l'excep- 
tion de  corrections  grammaticales  sans  grande 
importance  pour  le  fond. 

IV. 

En  dehors  de  ces  deux  groupes  déjà  con- 
nus :  lettres  à  Chantelou  et  à  del  Pozzo, 
notre  effort  s'est  porté  sur  la  recherche  de 
lettres  encore  inédites  de  Poussin.  Nous 
avouerons  que  notre  butin  a  été  bien  maigre  : 
une  lettre  à  Cass.  del  Pozzo  du  14  juin  1641, 
conservée  à  la  bibliothèque  de  Nantes,  et  la 
lettre  du  20  décembre  1641,  également  à  G. 
del  Pozzo,  dont  nous  devons  le  texte  à  l'obli- 
geance de  M.  le  comte  Allard  du  Ghollet, 
qui  possède  l'original  dans  sa  belle  collec- 
tion d'autographes.  Si  l'ancienne  biblio- 
thèque Barberini  ne  possède  rien  de  la  main 
de  l'artiste,  qui  vécut  quarante  ans  en  rela- 
tions respectueuses  avec  la  maison  princière 
dont  elle  garde  le  nom,  on  ne  se  résoudra 


INTRODUCTION.  XI 

pas  de  sitôt  à  croire  qu'il  ne  subsiste  plus 
aucune  ligne  de  Poussin,  dans  cette  Italie 
où  il  vécut  près  d'un  demi-siècle,  à  l'époque 
de  sa  production  et  de  sa  renommée.  Nous 
ne  pourrions  trop  encourager  les  chercheurs 
à  explorer  les  dépôts  de  manuscrits  italiens. 
Même  si  l'on  ne  trouvait  que  des  glanes, 
elles  auraient  leur  valeur,  puisque  les  lettres 
que  nous  possédons  ne  font  allusion  qu'à 
un  petit  nombre  de  tableaux  de  Poussin.  En 
un  mol,  la  part  italienne  d'information  sur 
Poussin  reste  encore  peu  connue  et  mérite- 
rait de  séduire  les  chercheurs*. 

La  partie  inédite  de  cette  publication  se 
compose  de  : 

1°  Les  lettres  à  Cass.  del  Po{{o  du  14  juin 
1641  (bibliothèque  de  Nantes)  et  du  20  dé- 
cembre 1641  (collection  de  M.  le  comte  Al- 
lard  du  Chollet). 

2°  Des  sommaires  de  quelques  lignes  que 
Chantelou  avait  écrits  sur  les  originaux  de 
presque  toutes  les  lettres  reçues  de  Poussin. 

I.  Nous  exprimerons  ici  nos  remerciements  respectueux 
à  Mgr  Duchesne,  membre  de  l'Académie  française  et  de 
l'Académie  des  inscriptions,  directeur  de  l'École  française 
de  Rome,  qui  a  bien  voulu  s'intéresser  à  la  présente  publi- 
cation, et  à  M.  Louis  Châtelain,  membre  de  l'École,  qui 
a  eu  la  complaisance  de  vérifier  s'il  existait  au  dos  de  la 
Mort  de  Germanicus,  à  la  galerie  Barberini,  une  lettre  de 
Poussin.  Cette  affirmation  de  Dufourny  ne  s'est  plus  trou- 
vée exacte. 


XII  INTRODUCTION. 

Le  copiste  de  1755  les  ayant  négligés,  l'édi- 
tion de  1824  les  ignorait  complètement.  Ces 
indications  résument  les  lettres,  et  souvent 
elles  les  éclaircissent,  en  désignant  nette- 
ment le  nom  ou  le  fait  auquel  Poussin  s'est 
contenté  de  faire  allusion. 

3°  Six  comptes  écrits  de  la  main  de  Pous- 
sin et  adressés  par  lui  à  Chantelou  pour 
l'informer  de  l'emploi  de  l'argent  que  celui-ci 
lui  avait  confié  pour  le  prix  de  ses  œuvres 
et  pour  diverses  acquisitions.  Ces  comptes, 
qui  figurent  au  ms.  12847,  avaient  été  négli- 
gés, comme  les  sommaires,  par  le  copiste 
de  1755  (ms.  12347,  P-  9^5  m?  1^85  161,  192, 
246). 

4°  Les  lettres  à  Chantelou  des  7  novembre 
1641,  27  octobre  1643  (post-scriptum),  7  jan- 
vier 1649  ^^i  sont  dans  le  ms.  12847  ^^  que 
le  copiste  de  1755  avait  oubliées. 

V. 

Une  publication,  surtout  rectificative,  ne 
pouvait  être  trop  scrupuleuse  dans  la  repro- 
duction du  texte  tel  que  Poussin  l'avait  écrit. 
Toutes  les  abréviations  ont  été  respectées, 
bien  que  beaucoup  ne  se  justifient  que 
parce  que  Poussin  arrive  à  la  fin  de  la  ligne. 
Nous  nous  sommes  borné  à  rétablir  les 
accents.    Nous    n'avons   pas    même   voulu 


INTRODUCTION.  XIII 


moderniser  la  ponctuation  :  parfois,  en 
effet,  une  variante  de  ponctuation  peut  rat- 
tacher un  membre  de  phrase  à  celui  qui 
précède,  alors  que,  dans  la  pensée  de  l'au- 
teur, il  se  rattache  à  celui  qui  suit  (ou  réci- 
proquement). Poussin  ponctue  fort  peu  et 
fort  mal,  c'est  vrai  ;  souvent,  il  semble  em- 
ployer la  virgule  et  le  point  l'un  pour  l'autre. 
Là  où  cette  insuffisance  de  la  ponctuation 
crée  une  équivoque,  nous  l'avons  laissée 
subsister,  puisque  les  éléments  font  défaut 
pour  la  trancher.  Le  souci  de  la  lecture 
facile  nous  a  fait  ajouter  un  tiret  vertical  là 
où  le  sens  exigeait  un  point  sans  contesta- 
tion possible,  et  où  Poussin  l'avait  oublié. 

La  division  en  alinéas  est  exactement  celle 
du  texte  original. 

Les  mots  écrits  par  Poussin,  puis  rayés 
par  lui,  sont  rétablis,  mais  placés  entre  cro- 
chets. Les  mots  écrits  deux  fois,  les  mots 
écrits  en  marge  sont  indiqués  en  note.  Les 
mots  oubliés  et  écrits  en  surligne  quand 
Poussin  s'est  relu  sont  désignés  par  une 
petite  s  italique  :  *. 

Il  est  souvent  difficile  de  savoir  quand 
Poussin  a  voulu  écrire  une  majuscule,  parce 
que  certaines  lettres  initiales  (C,  M,  /,  R) 
sont  chez  lui  presque  toujours  majuscules, 
d'autres  presque  toujours  minuscules  (/,  d, 


IIV  INTRODUCTION. 

p).  Nous  avons  conservé  toutes  les  particu- 
larités qui  paraissaient  voulues.  D'ailleurs, 
l'orthographe  de  tous  les  noms  propres  a  été 
rigoureusement  reproduite  telle  que  Pous- 
sin Tavait  écrite,  bien  que  sa  négligence  aille 
jusqu'à  écrire,  très  lisiblement,  Rochelieu 
pour  Richelieu. 

Nous  terminerons  par  un  hommage  bien 
mérité  à  la  mémoire  de  M.  de  Chennevières, 
qui  était  plus  digne  que  personne  de  mener 
à  bien  une  édition  définitive  des  lettres  de 
Poussin.  Nous  associerons  à  son  nom  la 
Société  de  l'Histoire  de  l'Art  français,  qui 
a  bien  voulu  agréer  notre  travail,  ainsi  que 
MM.  Paul  Desjardins,  Henry  Lemonnier, 
Alfred  Rébelliau,  Paul  Bonnefon,  Maurice 
Tourneux,  André  Fontaine  et  Pierre  Mar- 
cel :  nous  les  prions  d'accepter  le  témoi- 
gnage de  notre  respectueuse  reconnaissance. 

Gh.  J. 


OUVRAGES 

CITÉS   LE    PLUS    FRÉQUEMMENT    DANS    LES    NOTES. 

Quatremère  de  Quincy,  Lettres  de  Nicolas  Poussin,  Paris, 

1824. 

André  Félibien,  Entretiens  sur  les  vies  et  les  ouvrages  des 
plus  excellents  peintres,  Paris,  1666,  in-40. 

Giovanni- Pietro  Bellori,  Le  Vite  de'  pittori,  scultori  et 
architetti  moderni,  Roma,  per  il  success.  al  Mascardi, 
1672,  in-40,  xii-462  p.,  pi. 

—  La  Vie  de  Poussin  a  été  traduite  par  M.  Georges 
Rémond,  Paris,  bibl.  de  l'Occident,  igoS. 

Bottari,  Lettere  pittoriche,  7  vol.,  Rome,  1757,  t.  I  et  II. 
Traduction  française  par  Jay,  en  1817. 

Smith,  A  catalogue  raisonné  of  the  works  of  the  most  emi- 
nent  Dutch,  Flemish  and  French  Painters,  London, 
1842,  in-80,  t.  VIII. 

H.  Chardon,  Les  frères  Fréart  de  Chantelou,  Le  Mans, 

1867. 

Ph.  de  Chennevières,  Essai  sur  l'histoire  de  la  peinture 
française,  Paris,  1894. 

Bonnaffé,  Dictionnaire  des  amateurs,  Paris,  1884. 

Henry  Lemonnier,  L'art  au  temps  de  Richelieu  et  de  Ma\a- 
rin,  Paris,  1893. 

Paul  Desjardins,  Poussin  (collection  des  Grands  Artistes), 
Paris,  1904. 

V.  Advielle,  Recherches  sur  Nicolas  Poussin  et  sa  famille, 
Paris,  1902. 


XVI  OUVRAGES   CITÉS. 

A.  Bertolotti,  Artisti  francesi  in  Roma  net  secoli  XV, 
XVI  e  XVII,  Mantova,  1886. 

Correspondance  de  Gueffier,  chargé  d'affaires  à  Rome 
(mss.  inédits,  Paris,  Bibl.  nat.,  Cinq-Cents  Colbert  356 
et  suiv.). 

Correspondance  de  Board,  secrétaire  de  Fontenay-Mareuil 
(id.,  fonds  Dupuy  343). 


CORRESPONDANCE 

DE 

NICOLAS    POUSSIN 


1.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo'. 
(Bottari,  t.  I,  p.  273.) 

Al  Sig.  Commendatore  Cassiano  del  Po\\o. 

Potrebbe  essere,  che  ella  mi  stimasse  importune,  et 
impertinente,  poichè  dopo  aver  ricevute  tante  cortesie 
di  casa  sua,  quasi  ogni  volta,  che  io  le  scrivo,  devo 
dimandarne  qualche  ricompensa.  Ma  judicando,  che 
quel  che  Ella  mi  ha  fatto,  è  stato,  perché  elP  è  dotata 
di  buona,  nobile,  e  pietosa  natura,  mi  sono  assicu- 
rato  ancora  questa  volta  di  scriverle  questa  présente, 
non  potendo  io  medesimo  venire  a  salutarla  per  amor 
d'un'  incomodità,  che  m'è  intervenuta,  per  suppli- 
carla  di  tutte  le  mie  forze  d'ajutarmi  in  qualche  cosa, 
avendone  di  bisogno  tanto,  perché  la  più  parte  del 
tempo  io  sono  infermo,  quanto  che  io  non  ho  nes- 
suna  entrata  per  vivere,  che  il  lavoro  délie  mie  mani. 

I.  Ce  texte  n'est  connu,  comme  celui  de  plusieurs  autres 
lettres,  que  par  la  copie  insérée  par  Bottari  dans  ses  Lettere 
pittoriche,  t.  I,  p.  273.  La  note  de  Bottari  est  curieuse  :  «  Cette 
lettre  seule  est  de  la  main  du  Poussin  et  paraît  un  billet  écrit 
de  Rome.  Pour  réponse  il  eut  40  écus.  »  —  Elle  donnerait  à 
penser  que  Bottari  n'a  publié  ses  lettres  de  Poussin  que  d'après 
des  copies,  —  sauf  celle-là  qui  lui  serait  venue  en  original. 
[Note  de  Ph.  de  Chennevières.] 

1911  I 


2  CORRESPONDANCE  [lÔSg 

Ho  disegnato  l'elefante,  del  quale  (perché  m'  è  paruto, 
ehe  V.  S.  Illma  n'aveva  qualche  desiderio)  gliene 
farô  un  présente;  essendo  dipinto  con  un  Annibale 
montato  su,  armato  ail'  antica.  Per  i  suoi  disegni,  ci 
penso  ogni  di,  e  presto  ne  finirô  qualcheduno. 
Il  più  umile  servo  de'  suoi 

PUSSINO, 

Au  Seig^  Commandeur  Cassiano  del  Po\\o^ . 

Il  se  pourrait  que  Votre  Seigneurie'  m'estimât 
importun  et  indiscret  puisque,  après  avoir  reçu  tant 
de  politesses  de  sa  maison^,  presque  chaque  fois  que 
je  lui  écris,  j'ai  à  lui  demander  quelque  récompense. 
Mais  jugeant  que  ce  qu'elle  m'a  fait  est  l'effet  d'une 
nature  bonne,  noble  et  secourable,  je  me  suis  enhardi 
encore  cette  fois  à  lui  écrire  la  présente,  ne  pouvant 
moi-même  venir  la  saluer  à  cause  d'une  incommo- 
dité qui  m'est  survenue,  pour  la  supplier  de  toutes 
mes  forces  de  m'aider  en  quelque  chose,  en  ayant 
tant  besoin ■*,  car  la  plupart  du  temps  je  suis  malade, 
encore  que  je  n'aie  nul  moyen  de  vivre  que  le  travail 
de  mes  mains.  J'ai  dessiné  l'éléphant,  dont  je  lui 
ferai  présent  (parce  qu'il  m'a  paru  que  V.  S.  IIH^  en 

1.  Cassiano  del  Pozzo,  l'illustre  protecteur  de  Poussin,  1584- 
1657.  —  Voir,  sur  C.  del  Pozzo  :  J.  Dumesnil,  Histoire  des 
plus  célèbres  amateurs  italiens,  Paris,  i853,  p.  467  et  suiv.  Et 
surtout  :  Lumbroso,  Notifie  sulla  vita  di  Cassiano  del  Po^^^o, 
Turin,  1875. 

2.  Nous  écrirons  dorénavant  en  abrégé,  comme  Poussin  :  V.  S. 

3.  Selon  Baldinucci,  Poussin  «  avait  l'habitude  de  se  dire 
l'élève  dans  son  art  de  la  maison  et  du  musée  du  Chevalier 
del  Pozzo  ». 

4.  La  nature  de  cette  lettre,  qui  est  une  demande  de  secours, 
la  rattache  aux  débuts  difficiles  de  Poussin  à  Rome,  où  il 
arriva  enfin  en  1624. 


lÔSg]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  3 

avait  quelque  envie);  étant  peint  avec  un  Annibal 

monté  dessus,  armé  à  l'antique.  Pour  vos  dessins', 

j'y  pense  chaque  jour,  et  bientôt  j'en  finirai  quelqu'un. 

Le  plus  humble  de  vos  serviteurs, 

Poussin. 

2.  —  Fragment  a  Stella*. 

a  II  fit  encore  dans  le  même  temps  [vers  1637]  deux 
Tableaux,  l'un  pour  la  Fleur,  Peintre',  où  il  repré- 
senta Pan  et  Syringue^  ;  et  l'autre  pour  le  sieur 
Stella'*,  où  l'on  voit  Armide  qui  emporte  Regnaud^. 

1.  Cassiano  del  Pozzo  était  grand  amateur  de  dessins  : 
«  ...  entre  une  infinité  de  rares  dessins  qu'il  nous  fit  voir  et 
dont  il  avait  fait  une  recherche  toute  particulière...  »  (Félibien, 
Entretiens  sur  les  vies,  etc.,  éd.  1705,  t.  II,  p.  Sg). 

2.  L'original  de  cette  lettre  est  perdu,  comme  celui  de  toutes 
celles  adressées  à  Stella.  Ces  fragments  nous  ont  été  conservés 
par  les  citations  Félibien,  éd.  1706,  p.  19.  —  La  comparaison 
des  citations  de  Félibien  avec  l'original,  quand  il  existe 
encore,  établit  la  fidélité  de  la  reproduction,  à  quelques 
rajeunissements  près  dans  la  forme. 

3.  Nicolas-Guillaume,  dit  La  Fleur,  mort  en  i663.  Il  était 
alors  logé  au  Louvre  et  prenait  le  titre  de  «  peintre  du  roi  ». 
Son  surnom  lui  venait  du  genre  qu'il  affectionnait.  En  i638,  il 
travaillait  à  Rome,  et  c'est  alors  sans  doute  que  Poussin  le 
connut  (voir  Rob.  Dumesnil,  Le  peintre  graveur  français,  t.  IV, 
p.  II). 

4.  Pan  et  Syrinx,  actuellement  au  Musée  de  Dresde. 

5.  Jacques  Stella,  né  à  Lyon  en  1596,  mort  à  Paris  le  20  avril 
1657.  Il  arriva  à  Rome  en  1623,  c'est-à-dire  un  an  avant  Pous- 
sin, et  y  devint  pour  toujours  «  son  très  tendre  ami  »  (Bellori, 
p.  17).  Ph.  de  Chennevières  {La  peinture  française,  p.  273)  a 
délicatement  retracé  l'attachement  inaltérable  que  Poussin 
témoigna  à  la  famille  de  Stella,  après  la  mort  de  Jacques,  et 
la  piété  dont  cette  «  honnête  tribu  de  Lyonnais  fidèles  »  le  paya 
de  retour.  C'étaient  des  peintres  et  graveurs  estimés.  Le  por- 
trait de  Condé,  qui  figure  dans  le  trophée  de  M.  le  Prince  à 
Chantilly,  est  de  Stella  (peut-être  Poussin,  par  Chantelou,  un 
moment  secrétaire  du  duc  d'Enghein,  n'est-il  pas  étranger  à 
cette  commande?). 

6.  Actuellement  au  Musée  de  Berlin  (n"  288  du  Catalogue  de 
Smith). 


4  CORRESPONDANCE  [iÔBq 

Le  premier  est  présentement  dans  le  cabinet  du  che- 
valier de  Lorraine \  et  l'autre  dans  celui  de  Mr  de 
Boisfranc^,  Lors  que  le  Poussin  envoya  celui  du  sieur 
Stella,  il  lui  écrivit  le  soin  qu'il  avoit  pris  à  le  bien 
faire. 

«  Je  l'ai  peint,  dit-il,  de  la  manière  que  vous  verrez, 
d'autant  que  le  sujet  est  de  soi  mol,  à  la  différence  de 
celui  de  M.  de  la  Vrillière',  qui  est  d'une  manière 
plus  sévère,  comme  il  est  raisonnable,  considérant  le 
sujet  qui  est  héroïque.  » 

Le  Poussin  avoit  de  grands  égards  à  traiter  diffé- 
remment tous  les  sujets  qu'il  représentoit,  non  seule- 
ment par  les  différentes  expressions,  mais  encore  par 
les  diverses  manières  de  peindre  les  unes  plus  déli- 
cates, les  autres  plus  fortes.  C'est  pourquoi  il  étoit 
bien  aise  qu'on  connût  dans  ses  ouvrages  le  soin  qu'il 
prenoit.  Aussi  dans  la  même  Lettre,  en  parlant  au 
Sieur  Stella  du  Tableau  de  la  Manne* ^  qui  est 
aujourd'hui  dans  le  Cabinet  du  Roi,  et  auquel  il  tra- 
vailloit  alors  : 

«  J'ai  trouvé,  dit-il,  une  certaine  distribution  pour 

1.  Joachim  de  Seiglière  de  Boisfranc,  conseiller  du  Roi, 
surintendant  de  la  maison  de  Monsieur.  M.  Bonnaffé  (p.  28) 
dit  qu'il  possédait  deux  tableaux  de  Poussin  :  Renaud  empor- 
tant Armide  et  l'Adoration  des  Mages  (au  Louvre,  n'  423). 

2.  Philippe,  dit  le  Chevalier  de  Lorraine,  favori  de  Monsieur; 
personnage  équivoque,  mais  qui  se  connaissait  en  tableaux  et 
possédait  plusieurs  Poussin  [le  Passage  de  la  mer  Ronge,  le 
Veau  d'or,  un  Paysage  avec  un  grand  chemin,  Pan  et  Syrinx 
peint  pour  La  Fleur). 

3.  Louis  Phélypeaux,  duc  de  la  Vrillière  (1599-1681),  secré- 
taire d'État.  Il  «  aimoit  extrêmement  la  peinture  et  a  laissé  un 
cabinet  où  l'on  voit  un  grand  nombre  d'excellents  tableaux  » 
(Sauvai).  Poussin  peignit  pour  lui  Camille  et  le  maître  d'école 
(au  Louvre,  n°  436). 

4.  Les  Israélites  recueillant  la  manne  (au  Louvre,  n"  420). 
Poussin  l'envoya  à  Chantelou  en  avril  1639. 


l63g]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  5 

le  Tableau  de  M.  de  Chantelou\  et  certaines  atti- 
tudes naturelles,  qui  font  voir  dans  le  peuple  Juif  la 
misère  et  la  faim  où  il  étoit  réduit,  et  aussi  la  joye  et 
l'allégresse  où  il  se  trouve;  l'admiration  dont  il  est 
touché,  le  respect  et  la  révérence  qu'il  a  pour  son 
Législateur,  avec  un  mélange  de  femmes,  d'enfans  et 
d'hommes  d'âge  et  de  tempéramens  difîérens;  choses, 
comme  Je  croi,  qui  ne  déplairont  pas  à  ceux  qui  les 
sauront  bien  lire.  » 

3.  —  M.  DE  Noyers  a  Poussin. 
(Ms.  12347,  fol.  3«.) 

'  [  Coppie  de  lettre  de  Monseigneur*  à  M.  Poussin .  M.  de 
Noyers  le  convie  de  venir  en  France,  luy  mande 
les  conditions  que  le  Roy  lui  fera.] 

Monsieur, 
Aussy  tost  que  le  Roy  meust  faict  l'honneur  de  me 

1.  Paul-Fréart  de  Chantelou,  célèbre  par  l'amitié  de  Poussin, 
l'heureux  destinataire  des  lettres  du  ms.  12347;  ^^  ^^  Mans,  le 
25  mars  1609  (le  plus  jeune  de  ces  trois  frères,  toujours  ferme- 
ment unis),  mort  en  1694  (date  incertaine).  Ph.  de  Chenne- 
vières  a  tracé  de  lui  un  joli  portrait  {La  peinture  française, 
p.  i5o). 

2.  L'original  est  perdu  (il  était  sans  doute  dans  les  papiers 
de  Poussin).  Nous  publions  la  copie  du  ms.  12347,  1^^  Chan- 
telou avait  eu  la  précaution  de  se  faire  donner,  sans  doute 
avant  que  le  secrétaire  de  M.  de  Noyers  n'envoie  l'original. 
Félibien,  qui  avait  eu  communication  des  pièces  de  l'actuel 
ms.  12347,  1'^  publiée,  t.  II,  p.  33o. 

3.  Nous  donnons,  entre  crochets,  le  sommaire  que  Paul 
Fréart  de  Chantelou  a  écrit  sur  la  plupart  des  lettres  de  son 
illustre  correspondant.  Ces  sommaires  sont  inédits. 

4.  François  Sublet  de  Noyers,  né  vers  1578,  d'une  famille  de 
finance.  Il  fut  d'abord  employé  dans  les  finances,  puis  chargé 
des  fortifications,  secrétaire  d'Etat  à  la  Guerre  en  i636,  surin- 
tendant des  Bâtiments,  le  16  septembre  i638,  disgracié  le 
10  avril  1643,  mort  le   20  octobre  1645.  Nous  préparons  une 


6  CORRESPONDANCE  [l63g 

donner  la  charge  de  Surintendant  de  ses  bâtiments,  il 
me  vint  en  pensée  de  me  servir  de  l'authorité  qu'elle 
me  done  po""  remettre  en  honeur  les  arts  et  les 
sciences;  et  comme  j'ay  un  amour  tout  particulier 
po""  la  peinture  \  je  fis  desseing  de  la  caresser  comme 
une  maistresse  bien  aimée,  et  de  luy  doner  les  pri- 
mices  de  mes  soings.  Vous  l'avés  sceu  par  vos  amys 
qui  sont  de  deçà  2,  et  comme  je  les  priay  de  vous 
escrire  de  ma  part  que  je  demandois  justice  à  l'Italie, 
et  que  du  moins  elle  nous  fist  restitution  de  ce  que 
elle  nous  retenoit  depuis  tant  d'années,  attendant  que, 
pour  un'entière  satisfaction,  elle  nous  donat  encores 
quelqun  de  ses  nourissons.  Vous  entendes  bien  que 
par  là  je  repetois  Monsieur  le  Poussin  et  quelquautre 
excellent  Peintre  Italiam  et  affin  de  faire  conoistre 
aux  uns  et  aux  autres  l'estime  que  le  Roy  fesoit  de 
vostre  personne  et  des  autres  homes  rares  et  vertueux 
comme  vous,  je  vous  fis  escrire,  ce  que  je  vous  con- 
firme par  celle-cy,  qui  vous  servira  de  première  assu- 
rance de  la  Promesse  que  l'on  vous  faict  jusques  à  ce 
qu'à  votre  arrivée  je  vous  mette  en  main  les  brevets 
et  les  expéditions  du  Roy  :  que  je  vous  enverray 
mille  escus  pour  les  frais  de  votre  voyage;  que  je 
vous  feray  doner  mille  escus  de  gaiges  pour  chacun 
an,  un  logement  commode  dans  la  maison  du  Roy, 

étude  sur  ce  collaborateur  de  Richelieu,  qui  fut  le  protecteur 
de  Poussin.  Selon  Sauvai,  les  Chantelou  étaient  neveux  de 
M.  de  Noyers. 

1.  On  sait  cependant  que  M.  de  Noyers  a  été  accusé  d'avoir 
fait  détruire,  par  scrupule  de  conscience,  la  fameuse  Léda  de 
Michel-Ange,  qui  était  conservée  au  château  de  Fontainebleau, 
dont  il  avait  la  garde  (voir  Roger  de  Piles,  Vie  des  peintres,  en 

1699)- 

2.  Les  peintres  Stella,  Lemaire,  Errard,  etc.,  suppose  avec 
raison  H.  Chardon. 


l639]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  7 

soit  au  Louvre,  à  Paris,  ou  à  Fontainebleau,  à  votre 
choix;  que  Je  vous  le  feray  meubler  honestement 
pour  la  première  foys  que  vous  y  logerez,  sy  vous  le 
voulez,  cela  estant  à  votre  choix  ;  que  vous  ne  peindrés 
point  en  Platfonds  ny  en  voûtes,  et  que  vous  ne  serez 
obligé  que  pour  cinq  années  ainsy  que  vous  le  desi- 
rez, bien  que  j'espère  que,  lorsque  vous  aurés  respi- 
ray  l'air  de  la  patrie,  difficilement  le  quitterez-vous. 
Vous  voyez  maintenant  clair  dans  les  conditions 
que  l'on  vous  a  proposées,  et  que  vous  avés  désirées. 
Il  reste  à  vous  en  dire  une  seuUe  que  je  vous  impose, 
qui  est  que  vous  ne  peindrez  pour  personne  que  par 
ma  permission;  car  je  vous  faits  venir  pour  le  Roy 
non  pour  les  particulliers,  ce  que  je  ne  vous  dis  pas 
pour  vous  exclure  de  les  servir;  mais  j'entends  que 
ce  ne  soit  que  par  mon  ordre.  Après  cela,  venés  gaie- 
ment et  vous  assurés  que  vous  trouvères  icy  plus  de 
contentement  que  vous  ne  vous  en  pouvés  imaginer. 

De  Noyers. 
De  Ruel',  ce  14*  Janvier  lôSg. 

A  Monsieur  Poussin. 

4.  —  Louis  XIII  a  Poussin. 

(Félibien,  p.  22.) 

Cher  et  bien  amé.  Nous  ayant  été  fait  rapport  par 
aucuns  de  nos  plus  spécieux  serviteurs  de  l'estime 
que  vous  vous  êtes  aquise,  et  du  rang  que  vous  tenez 
parmi  les  plus  fameux  et  les  plus  excellents  Peintres 
de  toute  l'Italie,  et  désirant,  à  l'imitation  de  nos  Pré- 

I.  Ruelj  la  maison  de  campagne  de  Richelieu,  à  côté  de  qui 
se  tenait  M.  de  Noyers.  Jean  Le  Maire  y  avait  peint  une  pers- 
pective de  l'Arc  de  Constantin,  dont  on  peut  voir  la  gravure 
dans  Champier  et  Sandoz,  Le  Palais-Royal,  t.  I,  p.  33. 


8  CORRESPONDANCE  [l63g 

décesseurs,  contribuer  autant  qu'il  nous  sera  possible 
à  l'ornement  et  décoration  de  nos  Maisons  Royales, 
en  appelant  auprès  de  nous  ceux  qui  excellent  dans 
les  Arts,  et  dont  la  suffisance  se  fait  remarquer  dans 
les  lieux  où  ils  semblent  les. plus  chéris,  Nous  vous 
faisons  cette  Lettre  pour  vous  dire  que  Nous  vous 
avons  choisi  et  retenu  pour  l'un  de  nos  Peintres 
ordinaires,  et  que  nous  voulons  dorénavant  vous 
employer  en  cette  qualité.  A  cet  effet,  nôtre  intention 
est  que  la  présente  reçue,  vous  ayez  à  vous  disposer 
de  venir  par  deçà,  où  les  services  que  vous  nous  ren- 
drez seront  aussi  considérez,  que  vos  œuvres  et  vôtre 
mérite  le  sont  dans  les  lieux  où  vous  êtes,  en  don- 
nant ordre  au  Sieur  de  Noyers  Conseiller  en  nôtre 
Conseil  d'État,  Secrétaire  de  nos  Commandemens, 
et  Surintendant  de  nos  Bâtimens,  de  vous  faire  plus 
particulièrement  entendre  le  cas  que  nous  faisons  de 
vous,  et  le  bien  et  avantage  que  nous  avons  résolu  de 
vous  faire.  Nous  n'ajouterons  rien  à  la  présente  que 
pour  prier  Dieu  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 
Donné  à  Fontainebleau  le  i5.  Janvier  i63g. 

5.  —  Poussin    a    Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  I.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  ' . 

[i  5  janvier  i63g. 
Parle  du  tableau  de  la  Manne  qu'il  va  acheuer  et 
de  la  résolution  de  venir  en  France^.] 

1.  Nous  reproduirons  toujours  le  texte  exact  de  la  suscrip- 
tion,  sauf  la  répétition  du  mot  Monsieur.  On  sait  en  effet 
qu'on  écrivait  d'abord  sur  une  ligne  :  A  Monsieur,  puis  à  la 
ligne  en  dessous  :  Monsieur  Un  Tel. 

2.  Partout  où  Chantelou  a  écrit  le  sommaire  des  lettres 
(généralement  au  dos),  nous  le  reproduisons,  en  tête  du  texte, 
et  imprimé  dans  ce  caractère  spécial. 


1639]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  9 

Monsieur,  Plust  à  dieu  n'auoir  point  de  si  légitimes 
escuses  à  vous  faire  comme  les  miennes.  Peu  de 
temps  après  auoir  fet  résolution  de  finir  vostre 
tableau,  mesme  y  aïant  desjà  fet  quelques  figures,  un 
mal  de  vesie  auquel  je  suis  subiect,  de  quatre  ans  en 
sa,  m'a  trauaillé  de  manière  que,  dès  lors  jusques  à 
présent,  j'ay  esté  entre  les  mains  des  Médecins  et  Chi- 
rurgiens, tourmenté  comme  un  danné;  mais,  grâce  à 
dieu,  je  me  porte  mieux,  et  espère  que  la  santé  me 
retournera  comme  deuant.  Mais  il  faut  que  je  die, 
que  la  mélanquolie  que  je  me  suis  prinse  de  ne 
pouuoir  suivre  la  bonne  volonté  que  j'auois  d'acheuer 
vostre  tableau,  m'a  fet  plus  de  mal  que  nulle  autre 
chose  ;  et  pensant  tousiours  à  la  promesse  que  je  vous 
auois  fette,  m'en  voyant  empesché,  j'ay  voulu  déses- 
pérer. Mais  maintenant  je  me  sens  tourner  le  désir 
plus  grand  que  jamais  de  vous  seruir.  Je  m'en  vas 
donc  pousuiure,  sans  perdre  une  heure  de  temps. 
Pour  la  résolution  que  Monseigneur  de  Noyers 
désire  scauoir  de  moy,  il  ne  faut  point  s'immaginer 
que  je  n'ayes  esté  en  grandisime  doute  de  ce  que  je 
deuois  respondre  ;  car  après  auoir  demeuré  l'espace  de 
quinze  ans  entiers  en  ce  pais  icy,  assés  heureuse- 
ment, mesmement  m'y  estans  marié',  en  espérâse  di 
mourir,  j'avois  conclu  en  moy  mesme  de  suiure  le 
dire  Italien  :  Chi  sta  bene  non  si  moua.  Mais  après 
auoir  repceu  une  seconde  lettre  de  la  main  du  sei- 
gneur Le  Maire^,  en  la  fin  de  laquelle  il  y  a  une  jointe 

1.  Poussin  avait  épousé  Anne-Marie  Dughet,  fille  aînée  du 
peintre  de  ce  nom,  le  9  août  i63o,  à  l'église  San  Lorenzo  in 
Lucina  (folio  178  du  registre  des  mariages). 

2.  Il  y  eut  alors  trois  peintres  du  nom  de  Lemaire.  Il  s'agit 
ici  du  plus  connu  :  Jean  Le  Maire,  dit  le  gros  Lemaire,  ou 
encore  Le  Maire  Poussin,  à  cause  de  son  amitié  avec  notre 
artiste.  Né  à  Dammartin,  1597,  '^  séjourna  vingt  ans  à  Rome, 


10  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

de  vostre  main  qui  dit  :  je  me  suis  trouué  à  la  closture 
de  cette  lettre  de  laquelle  j'ay  donné  une  partie  de  la 
matière,  et  cœt.;  qui  a  assés  serui  à  m'esbranler, 
mesmement  à  me  résoudre  de  prendre  le  parti  que  l'on 
m'offre,  principalement  pour  ce  que  j'aurai  par  delà 
melieure  commodité  de  vous  seruir  (monsieur)  à  qui 
je  seray  toute  ma  vie  estroitement  obligé 
de  Rome  Ce  i5  janvier  i638*.        Nicolas  Poussin. 

i6i3-i633,  se  signala  en  France  par  ses  travaux  décoratifs  au 
château  de  Ruel  pour  Richelieu;  retourna  à  Rome,  en  1642,  en 
compagnie  de  Poussin;  mort  en  i655.  —  Voir  :  Sauvai,  Anti- 
quités de  Paris,  t.  II,  p.  207;  Félibien,  t.  II,  p.  659. 

I .  Bien  que  Poussin  ait  daté  très  lisiblement  sa  lettre  du  i5  jan- 
vier i638,  pourquoi  a-t-on  toujours  été  unanime  à  l'inscrire 
à  la  date  du  i5  janvier  i63g? 

1°  H.  Chardon  {Les  Fréart,  p.  33)  résume  ainsi  les  raisons 
de  fait,  toutes  trois  justifiées  : 

a)  En  janvier  i638,  Poussin  n'avait  pas  quinze  ans  «  entiers  » 
de  séjour  en  Italie,  puisqu'il  y  était  arrivé  en  1624. 

b)  En  janvier  i638,  le  tableau  de  la  Manne  ne  peut  guère  être 
presque  fini,  puisqu'il  ne  sera  envoyé  que  le  28  avril  1639. 

c)  En  janvier  i638,  Poussin  ne  pourrait  pas  être  appelé  en 
France  par  M.  de  Noyers  qui  n'obtiendra  la  surintendance  des 
Bâtiments  que  le  16  septembre  i638. 

2"  Les  raisons  tirées  de  l'examen  du  ms.  12341,  bien  que  peu 
décisives,  n'infirment  pas  les  précédentes  : 

a)  La  remarque  de  H.  Chardon  que  cette  date  :  i638,  est 
d'une  autre  encre  que  le  reste  de  la  lettre,  paraît  exacte,  mais 
elle  ne  porte  guère,  parce  que  Poussin  a  pu  écrire  la  lettre  le 
i3  ou  le  14  janvier,  par  exemple,  et  ne  la  dater  que  le  jour  du 
départ  de  l'ordinaire,  le  i5. 

c)  Les  indications  manuscrites  de  Chantelou  sont  insuffi- 
santes. A  côté  de  l'adresse,  il  a  écrit,  sans  doute  à  des  époques 
différentes,  deux  mentions  :  l'une  porte  nettement  :  M.  Pous- 
sin XV  janvier  i638,  et  dans  l'autre  :  i5  janvier  i638,  le 
8  a  ensuite  été  surchargé  d'un  9. 

3°  D'ailleurs,  l'autorité  de  Félibien,  qui  connaissait  en  détail 
toutes  ces  lettres,  et  bien  d'autres,  confirme  pleinement  la  date 
de  1639  :  «  ...  il  eût  de  la  peine  à  se  résoudre  de  venir  à  Paris, 
comme  j'ai  vu  par  une  de  ses  lettres  (du  i5  janvier  lôSg),  où  il 
témoigne  à  M.  de  Chantelou,  qu'il  ne  désire  point  quitter 
Rome,  mais  d'y  servir  le  Roi,  M.  le  Cardinal  et  M.  de  Noyers 


1639]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  II 

Monsieur,  je  vous  suplie  que  si  se  présentoit  la 
moindre  difficulté  en  l'accomplissement  de  nostre 
affaire  de  la  laisser  aler  à  qui  la  désire  plus  que  moy. 
Car  à  la  fin  tout  autant  peu-je  seruir  icy  le  Roy, 
Monseigneur  le  Cardinal,  Monsigneur  de  Noyers  et 
vous,  comme  delà  ausibien.  Ce  qui  me  fait  pro- 
metre  est,  en  grande  partie,  pour  monstrer  que  je 
suis  obéissans.  Mais  cependant  je  metray  ma  vie  et 
ma  santé  en  compromis,  pour  la  grande  difficulté  que 
il  y  a  à  voyager  maintenant;  outre  que  je  suis  mal 
sain  :  mais  enfin  je  remetteray  le  tout  entre  les  mains 
de  Dieu  et  des  vostres.  J'atens  vostre  réponse. 

6.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  5.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  saigraitaire  de 
Monseigneur  de  Noyers,  en  Court. 

[Cette  lettre  parle  du  tableau  de  la  Manne.] 
Monsieur,  je  ne  scaurois  par  où  commencer  à  vous 
témoigner  comme  je  me  sens  vostre  obligé.  Je  ne 
pourois  jamais  l'exprimer,  quand  bien  ce  seroit  mon 
mestier  que  de  bien  dire.  Cela  est  cause  que  je 
désire  extrêmement  d'estre  plus  proche  de  vous, 
affin  d'auoir  plus  de  commodité  de  vous  faire  voir[s] 
mes  resentiments.  Mais  je  me  consoleray  cependans 
que  la  nécessité  me  retient  icy  à  m'employer  à  un 

en  tout  ce  qui  lui  sera  commandé  :  ce  ne  fût  qu'après  avoir 
reçu  la  lettre  (des  14  et  i5  de  janvier  iGSg)  de  M.  de  Noyers 
et  celle  du  Roi  qu'il  écrivit  à  M.  de  Chantelou  qu'il  se  dispo- 
soit  pour  partir  l'automne  suivant  »  (Félibien,  p.  21).  L'erreur 
de  Poussin  est  d'ailleurs  des  plus  explicables  :  la  nouvelle 
année  (1639)  n'avait  encore  que  quinze  jours,  et  l'habitude  lui 
a  fait  écrire  l'ancien  millésime  (i638). 


12  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

eschantillion  de  ce  que  je  voudrois  faire  pour  vous, 
et  ne  diray  autre  sinon  qu'après  auoir  eu  la  lettre  du 
Roy  et  celle  de  Monseigneur  de  Noyiers,  je  n'ay 
pensé  à  autre  chose  qu'à  me  partir  et  obéir  promte- 
ment;  mais  à  mon  grant  regret,  je  suis  contreint 
d'atendre  à  l'automne  prochain.  Que  si  dieu  me  le 
permet,  je  me  metray  en  chemin,  pour  jouir  du 
bonheur  de  voir[s]  et  seruir  mon  Roy  et  mes  bien- 
facteurs;  et  vous  supliant  (monsieur)  de  me  continuer 
vostre  bienueillance,  je  demeureray  éternellement 
Vostre  très  humble 
seruiteur 

Poussin. 
de  Rome  Ce  disneuf  de  feburier 

1639. 
Il  vous  plaira  m'ordonner  à  qui 
je  doibs  conseigner  vostre  tableau  de  la  Manne 
affin  de  vous  le  faire  tenir  assurément. 
Il  sera  fini  pour  la  mie-caresme^ 

7.  —  Poussin  a  Jean  Le  Maire. 

(Ms.  12347,  fol.  72.) 

A  Monsieur  Le  Maire^  Peintre  de  Sa  Magesté^  aux 
Tuilleries^  près  le  grand pauillion,  à  Paris^. 

Monsieur, 
J'ay  repceu  la  lettre  du  Roy  avec  celle  de  Monsei- 

1.  En  1639,  Pâques  fut  le  24  avril  et  la  mi-carême  le  4. 

2.  L'original  présente  des  corrections  orthographiques,  d'une 
encre  plus  noire  que  le  texte  de  Poussin  :  accents,  apos- 
trophes, Vh  du  mot  honneur,  deçà  pour  desa,  etc.  Ces  correc- 
tions, bien  inutiles,  datent  peut-être  de  la  copie  de  1755. 

3.  La  correspondance  de  Poussin  avec  Jean  Lemaire  (le  gros 
Lemaire)  et  les  tableaux  qu'il  lui  avait  faits  furent  détruits 
dans  un  incendie  du  pavillon  des  Tuileries,  où  il  demeurait 
(Gault  de  Saint-Germain,  trad.  des  Mesures  de  VAntitioûs, 
p.  5). 


l63g]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  l3 

gneur  de  Noyers,  celle  de  monsieur  de  Chanteloup 
et  la  vostre.  L'une  et  l'autre  m'ont  fait  cognoistres 
apertement  le  bon  prédicament  auquel  vous  m'aués 
mis  enuers  tous;  et  véritablem»  l'onneur,  les  caresses 
et  les  offres  que  l'on  me  fet  sont  trop  grands  pour  le 
peu  de  mérite  que  j'ay.  Mais  puisque  dieu  et  la  bonne 
fortune  *  le  veut  ainsi,  l'on  ne  me  sauroit  tant  faire  de 
bien  que  je  ne  l'endure.  Je  me  suis  donc  résolu  de 
me  partir  d'icy,  comme  vous  scaués,  pour  aler  seruir 
mon  prinse.  Ce  que  j'aurois  fet  incontinent  le  beau 
temps  venu  ;  mais  après  auoir  considéré  dilligem- 
ment  toutes  mes  afferes,  J'ay  trouué  qu'il  m'est 
impossible  de  faire  mon  voyage  plus  tost  que  à 
l'automne  prochain.  Veu,  outre  mes  autres  affaires, 
que  j'ai  trois  ou  quatre  tableaux  commensés,  sans 
parler  de  celui  de  monsieur  de  Chanteloup,  lesquels 
il  faus  que  je  finisse,  estant  tous  pour  des  personnes 
de  considération  desquels  je  veus  sortir  honneste- 
ment,  comme  de  tous  mes  amis  de  par  desà  désirant 
d'en  cSserver  l'amitié  et  bienueillance.  J'en  escriray 
à  Monsieur  de  Noyers;  mais  je  vous  suplie  de  le 
prier  encore,  vous,  d'auoir  un  peu  de  pasience,  et  de 
considérer  que  la  délibération  mienne  et  ses  com- 
mandemens  sont  venus  comme  à  l'impourueu,  estans 
desià  engagé  dans  les  présentes  affaires. 

Je  vous  suplie  au  reste  de  me  dire  comme  il  vous 
semble  que  je  m'aye  à  gouuerner  enuers  monsieur  de 
Chanteloup,  touchans  son  tableau.  Il  sera  fini  pour  la 
mi-Caresme  :  il  contient,  sans  le  paisage,  trente  sis  ou 
quarante  figures,  et  est,  entre  vous  et  moy,  un 
tableau  de  cinq  cents  escus  comme  de  sinq  cents  tes- 
tons. De  sorte  me  trouuans  son  obligé  maintenant  je 
désirerois  le  recognoistre;  mais  de  luy  en  faire  un 
présent,  vous  jugerés  bien  que  ce  seroint  des  libéra- 


14  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

lités  qui  me  seroint  mal  séantes.  J'ay  donc  résolu  de 
le  traicter  comme  homme  à  qui  je  suis  obligé  :  et 
puis  quand  je  seray  de  par  delà,  je  scauroy  forbien  le 
recognoistre  mieus  *.  Acommodés  donc  l'affaire  avec 
luy  comme  il  vous  semblera  à  propos.  J'en  désirerois 
enquore  deus  cens  esqus  d'ici,  fesant  conte  de  luy  en 
donner  cent  et  plus  :  toutefois  qu'il  face  ce  qui  lui 

y  plairai  Car  quand  je  luy  escriray,  je  ne  luy  parleray 

d'autre  chose,  sinon  que  son  tableau  est  fini,  et  qu'il 
ordonne  ce  que  j'en  auray  à  faire,  et  à  *  qui  je  le  dois 
conseigner,  pour  luy  faire  tenir.  Vous  me  fériés  ausi 
un  grand  plaisir,  si  vous  pouuiés  scauoir  à  quoy  l'on 
me  veut  employer  et  quel  desein  a  Monsieur  de 
Noyers  de  faire  rechercher  de  ce  pays  icy  tant  de 
peintres,  sculteurs  et  architectes  :  mais  je  ne  voudrois 
pas  qun  autre  que  vous  seut  ma  curiosité. 

Les  choses  que  vous  me  demandés,  comme  l'azur 
et  les  autre  choses,  je  vous  les  porteray,  dieu  aidans. 
En  la  lettre  que  Monsieur  de  Nouyers  m'a  escrite 
touchans  mes  conditions,  il  en  a  oublié  une  qui  est 
principale  :  car  outre  le  voyage  et  les  gages,  il  ne  me 
parle  point  du  payement  de  mes  oeuures.  Je  croy 
bien  qu'il  enten  aisi;  mais  estant  resté  en  doubte,  je 

\  n'oserois  en  parler  que  à  vous  seul.  C'est  pouquoy 

je  vous  prie  de  tout  mon  coeur  de  m'escrire  segrète- 
ment,  comme  vous  croyés  qui  l'entends.  Du  reste 
toute  mon  afîere'va  bien;  mais  quand  j'ay  eu  pensé 
au  choix  que  me  donne  le  dit  Monseigneur  de 
Noyiers^  d'habiter  à  Fontainebleau  ou  à  Paris,  j'ay 

1.  Phrase  ajoutée,  en  très  fin,  dans  la  marge. 

2.  Dans  les  deux  cas,  Poussin  avait  d'abord  écrit,  peu  lisible- 
ment d'ailleurs,  Lavrillière,  puis  il  effaça  et  surchargea  par  : 
Noyiers. 


1639]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  l5 

choisi  la  demeure  de  la  ville  et  non  point  des  champs, 
où  principalement  vous  demeurés  :  car  sans  vous, 
cher  ami,  Je  vivrois  déconsolé.  C'est  pouquoy  vous 
prirés  de  ma  part-Nostre  dit  seigneur,  qu'il  luy  plaise 
me  faire  ordonner  quelque  pauure  trou,  pourueu  que 
se  soit  auprès  de  vous. 

Du  reste,  je  m'en  vas  mettre  la  main  à  la  plume 
pour  remersier  Monsieur  de  Noyers  et  nostre  bon 
ami  monsieur  de  Chantelou  pour  qui  je  trauaille  auec 
grand  amour  et  soing  et  crois,  dieu  aydans,  qu'il  sera 
content  de  mon  fet. 

Je  vous  suis  au  reste  obligé  pour  toute  ma  vie. 

de  Rome  ce  disneuf 
de  feburier  i63g.  Poussin. 

Deux  ou  trois  mois  deuant  que  de  partir,  je  vous 
escriray  de  plusieur  chose,  et  qui  je  méneray  quand  et 
moy,  car  plusieurs  s'offrent. 

J'escriray  ausi  à  monseigneur  de  Noyers  pour  tou- 
cher un  peu  de  quibus  pour  mon  voyage.  Du  reste 
commandés  icy  que  vous  serés  serui. 

Dieu  vous  maintiene  en  vostre  prospérité 
jusques  à  ce  que  vous  en  soyés  las'. 

Vous  deués  auertir  Monseigneur  de  Noyers  pour* 
son*honneur*touchans  les  peintres  Italiens  que  l'on 
mande  pour  aler  en  France,  qu'il  ni  en  face  point 
aler  de  moins  suffisants  que  les  François  qui  y  sont, 
car  j'ay  bien  peur  que  les  bons  ni  aillent  pas,  mais 
quelques  ignorants  autour  desquels  les  François 
s'abusent  très  grossièrement,  et  dieu  voille  que  aulîeu 

I.  Écrit  à  la  façon  d'un  distique,  avec  beaucoup  de  marge  à 
gauche. 


-h 


l6  CORRESPONDANCE  [l63g 

di  faire  cognoistre  la  vray  peinture,  il  n'ariue  tout  le 
contraire. 

Ce  que  je  dis  c'est  en  homme  de  bien 
car  je  cognois  for  bien  ce  qu'il  y  a  en  leur  sac. 

8.  —  Poussin  a  M.  de  Noyers. 

(Ms.  12847,  fol.  9.) 

A  Monseigneur  de  Noyiers^ 
Conseiller  du  Roy  en  son  Conseil  d^ Estât  et  priûé, 
secrétaire  de  ses  commandements  et  superintendant 
de  ses  maisons  royales;  en  Court*. 

Mon  seigneur 
Après  auoir  considéré  l'exelence  de  vos  vertus  et 
vostre  grande  qualité,  j'étois  pour  implorer  l'ayde  de 
quelque  homme  biendisant,  n'osant  de  moymesme, 
pour  le  grand  respect  que  je  vous  porte,  vous  escrire 
la  présente,  ainsi  mal  polie  et  rude  comme  elle  est 
mais  à  la  fin  j'ay  pensé  que  ce  n'est  pas  ce  que  vous 
attendes  de  moy  qui  fais  profession  des  choses 
muettes  ;  outre  que  j'ai  pensé  ausi  que  en  l'appareil  des 
magnifiques  tables  *  des  grands  Seigneurs,  quelque- 
fois entre  les  délicates  viandes,  se  peuuent  bien  entre- 
mesler  quelque  fruits  Rustiques  et  agrestes,  non  pour 
autre  que  pour  leur  forme  strauagante.  Les  susdites 
choses  (et  la  confianse  que  j'ay  en  vostre  bénignité) 
m'ont  poussé  à  vous  escrire  ce  peu  de  mots,  non  que 
par  iceus  je  puisse  faire  entendre  les  extrêmes  obli- 

I.  La  lettre  est  très  bien  écrite,  comme  il  convient  pour  un 
destinataire  de  cette  importance. 


IÔBq]  de   NICOLAS   POUSSIN.  I7 

gâtions  que  je  doibs  à  vostre  Infinie  bonté,  car  elles 
sont  telles,  que  je  n'ay  jamais  osé  désirer  les  biens 
que  je  repçois  de  vostre  libérale  main,  ny  mesme  osé 
espérer  à  tant  d'honneur  que  de  me  voir  fait  digne 
par  vostre  grâce  de  seruir  au  plus  grand  et  plus  juste  ^ 
Roy  de  la  terre,  mais  puisque  il  a  plu  à  vostre  bonté 
de  me  faire  cet  honneur,  je  tascheray  au  moins  à  ne 
diminuer  en  rien  la  bonne  oppinion  en  laquelle  vous 
m'aués,  et  quand  et  quand  je  tascheray  à  me  mons- 
trer  ausy  obéissant  comme  mon  debuoir  le  requert 
en  fesant  toutte  sorte  de  dilligence  pour  me  mettre  en 
chemin  de  vous  aler  servir,  espérant,  s'il  plaist  à 
dieu,  que  se  sera  l'automne  qui  vient;  et  nuse  manqué 
de  partir  Incontinent^,  si  se  neust  esté  pour  ne  pas 
perdre  la  bienueillanse  de  tant  d'honnête  gens  qui  à 
mon  absense  mesme  peuuent  tenir  la  protextion  de 
ce  que  j'ay  de  plus  cher  en  ce  monde,  vous  me  con- 
cederés  donc  (Monseigneur)  encore  cette  grâce,  s'il 
vous  plaist,  de  demeurer  icy  ce  peu  de  temps,  pour 
pouuoir  donner  satisfaction  à  mes  amis.  Que  s'il 
vous  plaist  d'ordonner  autrement  pourueu  que  j'en 
aye  le  moindre  signe  du  monde  je  n'auray  égart  à 
autre  chose  qu'à  vous  obéir  comme  à  mon  maistre  et 
bienfacteur  deuant  qui  je  m'incline  déuotieusement 
et  prie  dieu  de  tout  mon  cœur  qu'il  luy  plaise  vous 
élargir  toutes  les  biens  désirables. 

Le  plus  humble  de  tous 
vos  humbles  seruiteurs 

Poussin 

de  Rome  ce  vintiesme  de  feburier  1639. 

1.  Allusion  au  surnom  du  roi  :  Louis  XIII  le  Juste. 

2.  Au  début  des  mots,  Poussin  écrit  souvent  la  lettre  I  par 
une  majuscule. 

1911  2 


l8  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

9.  —  Poussin  a  M.  de  Noyers. 
(Copie  de  l'Institut,  lettre  17 1.) 

Mon  seigneur 
la  libéralité  de  sa  Majesté,  et  votre  bénignité  et  bien- 
veillance en  mon  endroit,  ont  de  la  proportion  seu- 
lement entre  vous,  et  non  pas  avec  un  si  débile  sujet 
comme  je  suis.  Mais  quoy  outre  ^  les  nouvelles  obli- 
gations si  je  me  trouve  dès  ma  naissance  estre  esclave 
de  lui  que  doije  faire  pour  reconnoître  les  bénifices 
de  l'autre,  Certes,  Monseigneur,  si  ce  n'étoit  que  le 
servage  que  nous  devons  à  nos  Rois  est  une  liberté  de 
nos  droits  vous  promettrés  destre  plus  vosire,  puisque 
déjà  vous  m'avez  donnés.  Mais  en  ceci  ce  qui  est  de 
votre  Roy  vous  estant  commun,  jespère  bientôt  davoir 
Ihonneur  de  vous  servir  et  honnorer  de  toutes  mes 
forces,  mais  pour  maintenant,  je  ne  sçaurois  sinon 
humblement  vous  remercier  de  ce  qu'il  vous  a  plû  de 
me  faire  expédier  une  lettre  de  change  de  mille  écus 
pour  mon  voyage  des  quels  la  plus  grande  partie 
jespère  recevoir  à  Paris  s'il  plaira  à  votre  bénignité 
n'en  voulant  toucher  icy  sinon  un  peu,  pour  subve- 
nir aux  choses  qui  me  seront  plus  nécessaires  je  me 
hâterai  donc  le  plus  qu'il  me  sera  possible  de  vous 
aller  servir  car  maintenant  il  ne  reste  ici  que  ce  qui 


1.  L'original  de  cette  lettre  manque.  Nous  ne  la  connaissons 
que  par  la  copie  de  1755,  aujourd'hui  à  l'Institut  (copie  d'ail- 
leurs très  fidèle).  Elle  y  est  insérée  avant  celle  du  3o  mai  1641. 
Nous  l'avons  changée  de  place,  à  l'exemple  de  Quatremère  de 
Quincy,  qui  l'a  rétablie  à  la  place  chronologique  qui  lui  con- 
vient. 

2.  Mots  douteux  :  outre  ou  autre. 


i63g]  DE  NICOLAS  POUSSIN.  19 

est  de  plus  matériel  l'esprit  étant  déjà  transporté  chez 
vous  à  vous  faire  humble  révérence 

Votre  esclave 
Poussin. 

10.  —  Poussin  a  Ghantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  "•) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Saicraitaire  de 
Monseigneur  de  Noyers^  en  Court*. 

[M.  Poussin  ig  mars  i63g. 

Mande  qu'il  est  résolu  de  venir  en  France^ 
que  le  tableau  de  la  Manne  est  fini.] 

Monsieur,  Il  ne  faut  point  doubter  que  je  n'aye 
assés  de  subiet  de  me  fier  en  vous,  et  de  croire  tout 
ensemble  que  vous  estes  celuy  qui  mi  a  obligé  le  plus. 
C'est  pourquoy  je  remais  toutte  mon  affaire  entre 
vos  mains,  et  suis  délibéré  de  prendre  le  moins  que 
je  pouray  de  l'argent  qu'il  a  plu  à  Sa  Maiesté  et  à 
Monseigneur  de  Noyers  de 'me  faire  tenir  icy  pour 
mon  voyage;  et  ni  euse  point  touché  du  tout,  si  ce 
n'estoit  que  desià  l'ordre  m'en  est  venu  par  une  lettre 
de  change  que  j'ay  repceue  avec  les  vostres.  Deuant 
donc  que  je  me  parte  d'icy,  je  vous  feray  sauoir  au 
net  ce  que  j'auray  repçeu  et  mon  intention  touchans 
le  reste,  vous  asseurans  que  ce  que  j'en  fais  n'est 
pour  le  respect  d'aucun  guaing  mais  pour  vous  témoi- 
gner la  confianse  que  j'ay  en  vous. 

Je  vous  ai  desià  fait  scauoir  que  vostre  tableau 

I.  L'écriture  hâtive  de  cette  lettre  (peut-être  expédiée  au 
moment  du  départ  du  courrier)  contraste  avec  l'aspect  appliqué 
de  la  précédente. 


20  CORRESPONDANCE  [l63g 

estoit  fini  et  que  je  n'atendois  autre  que  vostre  ordre 
affin  de  vous  le  faire  tenir  promtement  et  assurément. 

Vostre  plus  obligé  seruiteur 

Poussin 

de  Rome,  ce  disneuf  de  marts  1639. 

11.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  i3.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  Commis  de  Monseigneur 
de  Noyers  en  Court. 

[28^  avril  i63g.  Cette  lettre  accompagnoit  le  ta- 
bleau de  la  Manne. 
M.  Poussin.  28  avril  m'enuoyant  la  Manne.] 

Monsieur, 

J'atendray  que  dieu  me  face  la  grase  d'estre  auprès 
de  vous  pour  recognoistre  les  obligations  que  je  vous 
dois,  non  avec  des  paroles,  mais  par  effet,  si  vous 
m'en  jugerés  digne.  Pour  maintenant  je  ne  vous 
importuneray  point  de  long  discours  ;  je  vous  adui- 
seray  seuUement  que  je  vous  enuoye  vostre  tableau  de 
la  manne,  par  bertholin.  Courrier  de  Lyon  :  Je  l'ay 
enchâssé  dilligemment,  et  croy  que  vous  le  recepurés 
bien  conditioné.  Je  l'ay  accompagné  d'un  autre  d'un 
autre  petit  que  j'envoyeà  Monsieur  Debonaire\  por- 
temanteau, n'ayans  jusques  à  présent  eu  autre  occa- 
sion pour  luy  faire  tenir  que  la  présente.  Vous  luy 
permetterés  donc  de  prendre  car  il  est  sien. 

Quand  vous  aurés  repceu  le  vostre,  je  vous  suplie, 
si  vous  le  trouués  bon,  de  l'orner  d'un  peu  de  cor- 
niche, car  il  en  a  besoin,  affin  que  en  le  considérans 

1.  Le  nom  est  assez  peu  lisible. 


lÔSp]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  21 

en  toute  ses  parties  les  rayons  de  l'œil  soient  retenus 
et  non  point  espars  au  dehors  en'  recepuant  les 
espèses  *  des  autres  obiects  voisins  qui  venant  pesle- 
mesle,  avec  les  choses  dépeintes  confondent  le  Jour. 

Il  seroit  fort  à  propos  que  laditte  corniche  fut 
dorée  d'or  mat  tout  simplement,  car  il  s'unit  très- 
doucement  avec  les  couleurs  sans  les  offenser*. 

Au  reste,  si  vous  vous  souuiendrés  de  la  première 
lettre  que  je  vous  escris,  touchans  les  mouuement 
des  figures  que  je  vous  prometois  di  faire,  et  que  tout 
ensemble  vous  considériés  le^  tableau,  je  crois  que 
facillement  vous  recognoistrés  quelles  sont  celles  qui 
languisent,  qui  admire,  celles  qui  ont  pitié,  qui  font 
action  de  charité,  de  grande  nécessité,  de  désir  de  se 
repestre  de  cSsolation,  et  autres,  car  les  sept  première 
figure  à  main  gauche  vous  diront  tout  ce  qui  est  icy 
escrit  et  tout  le  reste  est  de  la  mesme  estoflfe  :  lises 
l'istoire  et  le  tableau,  afin  de  cognoistre  si  chasque 
chose  est  apropriée  au  subiect. 

Et  si,  après  l'auoir  considéré  plus  d'une  fois  vous 
en  aurés  quelque  satisfaction,  mandés  le  moy  s'il 
vous  plaist,  sans  rien  déguiser,  affin  que  je  me 
réiouisse  de  vous  auoir  contenté  pour  la  première 
fois  que  j'ay  eu  l'onneur  de  vous  seruir.  Si  non  nous 
nous  obligons  à  toute  sorte  d'amende,  vous  supplians 
de  considérer  enquore  *  que  l'esprit  est  pront  et  la 
cher  débile. 


1.  Poussin  écrivant  les  e  souvent  comme  des  o,  on  peut  sou- 
tenir qu'il  a  écrit,  non  pas  en,  mais  ou. 

2.  «  M.  Poussin  prie  toujours  qu'à  ses  tableaux  l'on  ne  mette 
que  des  bordures  bien  simples  et  sans  or  bruni  »,  dira  Chan- 
telou  au  Bernin,  en  i665  (Ph.  de  Chennevières,  La  peinture 
française,  p.  270). 

3.  Peut-être  ce. 


K 


22  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

J'ay  escrit  à  monsieur  Le  Maire  de  l'ocasion  prin- 
cipale qui  me  retient  icy  pour  cet  été;  je  vous  suplie 
donc  (Monsieur)  avec  lui  de  faire  mes  escuses  enuers 
Monseigneur  de  Noyers  ^  affin  que,  mettant  cette  cor- 
toisie  avec  les  autres  que  je  resois  journellem*  de 
vou!5,  je  sois  toutte  ma  vie  le  plus  obligé  à  vous  seruir 

qui  soit  *  au  Mode 

Poussin 

de  Rome  ce  vingthuitiesme 

d'apvril  1639. 

J'écriray  à  Monsieur  Stella  que  je  croy  qui  est  à 

lion  qu'incontinent  ariué  le  tableau  il  vous  le  fase 

tenir. 

Deuant  que  de  le  publier  il  seroit 

fort  à  propos  de  l'orner  un  peu. 

Il  doit  estre  colloque  fort 

peu  au  dessus  de  l'œil  mais 

au  contraire. 

12.  —  Poussin  a  Jean  Le  Maire. 

(Ms.  12347,  fo^-  ^^•) 

A  Monsieur  Le  Maire^  peintre  du  Roy 
aux  Tuilleries,  à  Paris. 

[M.  Poussin  à  M.  Le  Maire  6  aoust  1 63g . 
Il  luy  parle  de  l'enuoy  du  tableau  de  la  Manne.  Il 
a  peur  qu'on  juge  de  ce  qu'il  sait  d^un  si  petit  ouurage  ^ . 

1.  La  nouvelle  de  la  venue  prochaine  de  Poussin  était  déjà 
publique  :  le  17  avril  lôSg,  Bourdelot  écrit  à  Cass.  del  Pozzo, 
«  que  l'on  tient  pour  tout  assuré  qu'il  vient  ici  aux  gages  du 
roi.  Quelques-uns  même  parlent  de  Claude  le  Lorrain  »  (Lum- 
broso,  Notifie  sulla  vita  di  Cassiano  del  Po^:{0,  Turin,  1875). 

2.  Ce  tableau  mesure  2  mètres  de  long  et  o"49  de  hauteur; 
les  figures  ont  o"52  de  taille. 


lÔ'ig]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  23 

Est  en  perplexité  du  voyage  de  France  à  cause  de  ses 
incommodités.] 

Monsieur  Comme  touttes  vos  lettres  ont  acous- 
tumé  de  m'apporter  un  extrême  contentement,  la 
dernière  pareillement  m'a  réiouy  autant  que  pas  une 
autre;  car  par  icelle,  oultre  que  j'entens  la  bonne 
santé  où  vous  estes,  la  nouuelle  de  l'arivée  du  tableau 
de  Monsieur  de  Chantelou  m'a  osté  de  la  grande 
peine  où  j'étois;  d'autans  que  par  le  long  chemin  et 
dangereus  comme  il  est  maintenant,  je  *  doutois  *  que  * 
il  ni  fut  arrivé  quelque  mauuais  encombre.  Mais 
puisque  il  est  paruenu  entre  vos  mains  sein  et  sauf, 
j'estime  que  ce  m'est  un  bon  hoeur;  d'autans  que 
monsieur  de  Chantelou  ne  le  verra  point  qu'il  ne  soit 
en  bonne  posture,  comme  je  croy  que  vous  luy 
mettrés.  Et  si  lui  sera  agréable,  se  me  sera  un  des 
plus  grand  contentements  qui  me  puisse  ariuer. 
Néanmoins  que  et  vous  et  luy  je  vous  prie  de  consi- 
dérer que  en  de  si  petits  espaces  il  est  impossible  de 
faire  et  observer  se  que  l'on  sait,  et  que  à  la  fin  ce  ne 
peut  être  autre  que  comme  une  idée  de  chose  plus 
grande;  qu'il  accepte  donc  tel  qu'il  est  en  atendans 
mieus. 

Vous  me  solicités  de  partir  cet  automne  sans  y 
manquer;  je  vous  assure  que  le  retarder  icy  dauan- 
tage  ne  me  tourneroit  pas  à  conte  comme  l'on  dit 
icy  parce  que  j'ay  renoncé  à  toute  mes  pratiques; 
et  mesme  depuis  que  je  me  résolus  de  partir  jusque  à 
maintenant,  j'ay  eu  l'esprit  for  peu  en  repos,  mais  au 
contraire  casi  perpétuellement  agité,  pensant  tous  les 
jours  à  mille  chose,  lesquelles  par  ce  nouveau  chan- 
gement me  pouroint  entreuenir.  Ne  vous  emerueillés 
point  de  ce  que  je  vous  escrits,  car  j'ay  estime  d'auoir 


24  CORRESPONDANCE  [iÔSq 

fet  une  grande  folie  d'auoir  donné  ma  parole  et  de 
m'estre  obligé  dans  une  indisposition  telle  que  est  la 
miene  en  un  temps  où  j'aurois  plus  besoin  de  repos 
que  de  nouuelles  fatigues,  laisser  et  abandonner  la 
paix  et  la  douceur  de  ma  petite  maison  \  pour  des 
choses  imagineres  lesquelles  me  succéderont  peut- 
estre  tout  au  rebours.  Toute  ces  choses  icy  m'ont 
passé  et  passent  tous  les  jours  avec  un  milion  d'autre 
plus  poignâtes  par  l'entendement,  et  néanmoins  je 
conclus  tousiours  d'une  manière,  c'est  assauoir  que 
je  me  partiray,  que  j'iray  à  la  première  commodité, 
et  suis  en  même  estât  que  si  l'on  me  vouloit  fendre 
par  la  moitié  et  me  séparer  en  deux.  Il  est  vray  que 
j'ay  grande  volonté  de  mettre  en  effet  ma  promesse; 
mais  d'un  autre  costé  je  me  trouve  retenu  et  empesché 
de  certains  mal  heurs  qui  semblent  proprement  qui 
me  veillent  empêcher  d'acomplir  mon  desein.  Mon 
misérable  mal  de  carnosité  n'est  point  guari,  et  j'ay 
poeur  qu'il  faudra  retomber  entre  les  mains  des  bou- 
reaux  de  chirurgiens  devant  que  de  me  partir  car  de 
se  acheminer  par  un  long  voyage  et  fâcheux  auec 
telle  maladie,  se  seroit  aler  chercher  son  malheur 
auec  la  chandelle.  Je  feray  donc  ce  que  il  sera  en  ma 
puissance  pour  guarir  et  me  partir.  Du  reste  face  dieu 
ce  qui  me  doit  ariver  m'arivera. 

Je  ne  vous  escrirai  d'autre  pour  maintenant,  mais 
souuent  je  vous  feray  scavoir  ma  disposition 

Votre  très  obligé  seruiteur 
Poussin 
De  Rome  ce  sisiesme  de 

Aust  1639. 

I.  Sur  la  maison  de  Poussin  à  Rome  (n°  9,  via  Sixtina,  selon 
la  tradition),  —  ou  plutôt  ses  maisons  successives,  —  voir  : 
Ph.  de  Chennevières,  La  peinture  française^  p.  ii6,  et  Emilia 
Pattison,  L'art ,  1882,  p.  121. 


1639]  de  nicolas  poussin.  25 

13.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  '?•) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Premier  commis  de 
Monseigneur  de  Noyers^  En  Court  ^. 

[i3  septembre  i63g. 

Il  mande  que  ses  incommodités  s'opposent  au  des- 
sein qu'il  auoitfait  de  venir  en  France.] 
Monsieur 

Je*  ne  scay  de  qui  je  me  doibs  plaindre  le  plustost 
ou  de  moymesme  ou  de  la  mauuaise  fortune.  Si  j'ay 
duré  de  me  mettre  en  deuoir  d'obéir  promptement  à 
mes  supérieurs,  c'est  moy  qui  ay  tort,  mais  si 
m'effosque  d'accomplir  ma  promesse,  jen  suis  empes- 
ché  par  des  extrêmes  incommodités  corporelles,  doije 
dire  que  c'est  la  fortune  ou  que  c'est  dieu  qui  ne  le 
veut  pas  permettre?  Il  y  a  desià  une  bonne  espase  de 
temps  que  j'auois  délibéré  de  vous  aduertir  que  mon 
incommodité  ordinaire  me  retournoit  plus  que  jamais, 
mais  la  crainte  de  vous  fâcher,  et  l'espérance,  qui 
tousiours  me  trompe,  que  j'auois  de  quelque  amen- 
dement m'ont  retenu  jusques  à  maintenant  que  suis 
forcé  de  vous  aduertir  qu'il  faut  par  nécessité  (après 
auoir  renonsé  à  toutes  mes  pratiques  et  auoir  accom- 
modé toute  mes  affaires  délibéré  de  me  partir)  tom- 
ber derechef  je  n'oseroin  dire  entre  les  mains  des 
Médecins,  mais  des  Boureaux,  qui  d'un  petit  mal 
m'ont  conduit  jusques  à  un  terme  qui  me  donne  fort 
à  craindre  de  ma  personne. 


I.  A  ce  moment,  Richelieu,  qui  jugeait  Chantelou  «  entendu 
et  diligent  »  (Avenel,  Corr.,  t.  VI,  p.  5o3),  avait  pensé  à  l'en- 
voyer en  mission  à  Cologne,  où  Marie  de  Médicis  se  mourait. 


20  CORRESPONDANCE  [iÔBq 

Je  VOUS  supplie  donc  (Monsieur)  à  qui  je  suis  tant 
obligé)  de  faire  que  Monseigneur  de  Noyers  sache 
Testât  où  je  suis,  affin  que  comme  j'espère,  il  m'es- 
cuse  et  aye  quelque  côpassiô  de  ma  disgrâce;  car  je 
n'oserois  croire  qu'il  nust  du  regret  d'entendre  la 
mort  de  son  humble  subiect  au  lieu  de  son  ariuée. 

Votre  très  obligé  à  vous 

seruir 

Poussin 
De  Rome  ce  tresiesme  de  septembre 

1639. 

14.  —  M.  DE  Noyers  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  21.) 

[De  Monsigneur  12  octobre  i63g.] 

Pour  Monsieur  de  Chantelou,  Commis  de  Monsei- 
gneur de  Noyers,  Secrétaire  d'Estat\ 

Du  12e  Octobre  1639,  à  Lion^. 

Monsigneur  le  Cardinal  auoit  bien  raison  de  me 
presser  de  vous  enuoier  en  Piedmont,  car  je  voy  bien 
que  sans  voz  soins  la  citadelle  de  Turin  nous  eust 

1.  A  côté,  d'une  autre  écriture  plus  noire  :  Pour  Paul  Fréavd 
de  Chantelou  gouverneur  de  Chasteau  du  loir  et  M"  dhostel  du 
Roy.  Cette  mention  n'a  pu  être  écrite  qu'après  le  2o"mars  i656, 
date  du  mariage  de  Chantelou  avec  M'""  de  Montmort,  qui  lui 
apportait  ce  gouvernement  qu'elle  tenait  en  survivance  de  son 
premier  mari.  Ces  lignes  sont  sans  doute  des  héritiers  de 
M.  de  Noyers  (mort  le  20  octobre  1645),  quand  ils  procédèrent 
au  tri  de  ses  papiers. 

2.  Les  affaires  de  Piémont  occupaient  fort  Richelieu.  La 
duchesse  régente  de  Savoie  venait  de  se  rencontrer  à  Gre- 
noble, le  25  septembre  lôSg,  avec  Louis  XIII,  son  frère.  Ses 
beaux-frères  révoltés,  Maurice  et  Thomas  de  Savoie,  alliés  des 
Espagnols,  avaient  pris  Turin,  sauf  la  citadelle,  dont  la  mise 
en  état  de  défense  avait  été  l'un  des  gros  soucis  de  M.  de 
Noyers,  secrétaire  d'État  à  la  Guerre  depuis  i636. 


1639]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  27 

faict  un  affronta  Je  prie  Dieu  de  ce  que  vous  y  aués 
si  utillement  seruy,  et  ie  le  prie  de  vous  y  conseruer 
en  bonne  santé,  afin  quaiant  satisfaict  à  ce  qui  vous  a 
esté  ordonné  nous  nous  puissions  reuoir  pour  ne 
nous  pas  séparer  si  facillement  que  nous  auons  faict 
Jusques  icy. 

Je  seray  bien  aise  quà  la  première  occasion  vous 
m'enuoyiez  un  estât  par  le  menu  de  tous  les  ouurages 
et  trauaux  que  vous  auez  entrepris,  ce  qui  est  faict,  et 
ce  qui  reste  à  faire. 

Le  pauvre  mons""  de  Chambray*  a  besoin  d'estre 
encouragé  et  ie  n'en  voy  point  de  meilleur  moien  que 
de  l'asseurer  qu'il  reuiendra  avec  vous,  pourueu  qu'il 
aye  faict  ce  qui  luy  a  esté  commandé/^. 

Je  vous  remercie  de  l'espitre  de  Lentulus  que  ie 
desirois  d'auoir  il  y  a  fort  longtemps/. 

Mais  quoy  oublierons  nous  tout  à  faict  la  vertu,  ne 
parlerons  nous  plus  de  M.  le  Poussain,  et  du  sculp- 
teur qui  debuoit  venir  auec  lui/"*. 

1.  La  phrase  du  début  est  soulignée  par  M.  de  Noyers. 

2.  Roland  Fréart  de  Chambray,  né  au  Mans  le  i3  juillet 
1606,  mort  le  11  décembre  1676.  Il  entra  dans  les  ordres,  mais 
s'occupa  toute  sa  vie  de  questions  de  géométrie,  de  perspec- 
tive et  d'art.  Entre  i63o  et  i636,  il  avait  fait  un  premier  voyage 
à  Rome  et  s'y  était  lié  avec  Charles  Errard.  Il  y  revint,  avec 
M.  de  Chantelou,  en  1641. 

3.  Comme  les  secrétaires  ponctuaient  peu  ou  mal,  de  Noyers, 
en  relisant  les  lettres,  séparait  les  phrases  par  de  grandes 
barres,  que  nous  reproduisons. 

4.  C'était  le  sculpteur  renommé  François  Duquesnoy,  né 
en  1594,  mort  à  Livourne  le  i3  juillet  1643.  Poussin  était 
très  lié  avec  lui;  vers  i63o  :  «  Il  vivait  dans  une  même  maison, 
en  compagnie  de  Francesco  Fiammingo,  sculpteur,  l'un  et 
l'autre  très  désireux  de  progresser  dans  leur  art,  et  pour  cela 
s'appliquant  ensemble  très  attentivement  aux  choses  antiques  » 
(Bellori,  trad.  Rémond,  p.  9).  Voir,  sur  les  conditions  du 
voyage  de  Duquesnoy  :  Jay,  Recueil  de  lettres  sur  la  peinture  et 
la  sculpture,  p.  33o,  et  L  Abecedario  de  Mariette,  t.  II,  p.  140. 


28  CORRESPONDANCE  [l639 

Ne  scauriez  vous  en  descouurir  quelqu'un  tandis 
que  vous  estes  par  delà,  et  tâcher  à  le  desbaucher  et 
le  ramener  auec  vous.  Ce  seroit  une  bonne  récom- 
pense de  vostre  absence  qui  mest  insupportable  comme 
d'une  personne  que  ie  chéris  comme  moy  mesme/. 

De  Noyers. 

Je  commence  à  me  bien  porter 
grâces  à  dieu  et  à  prendre  l'air 
depuis  trois  iours,  et  par  mesme 
moien  mes  forces. 

15.  —  Poussin  a  de  Noyers. 

(Ms.  12347,  fol.  21.) 

A  Monseigneur  de  Noyers,  Conseillier  du  Roy  en 
ces  Conseils  d'estat  et  priué,  Saigraitaire  de  ces 
Commandements  et  Superintendant  de  ces  Maisons 
Roy  ailes.  En  court  \ 

[i63g  1 3  décembre. 

Lettres^  à  M.  de  Noyers  sur  ce  qu'il  estoit  appelle 
pour  venir  en  France  seruir  le  Roy.] 

Le  deuoir  de  la  reuerense  que  je  proffesse  enuers 
vous  (Monseigneur)  m'oblige  à  vous  notifier  la 
cause  de  mon  retardement.  J'étois  bien  résolu  de 
vous  aler  seruir,  et  extrêment  honnoré  d'en  auoir  les 
occasions;  mais  la  mauuaise  fortune  s'est  opposée 
auec  violence  contre  l'exécution  de  mon  deuoir  et 


1.  Comme  pour  les  autres  lettres  à  M.  de  Noyers,  l'écriture 
est  plus  espacée  et  plus  appliquée,  plus  lisible  aussi. 

2.  Chantelou  a  écrit  très  lisiblement  lettres.  Ce  pluriel 
s'explique  parce  que  la  lettre  suivante  est  aussi  du  i5  décembre 
1639. 


IÔSq]  de    NICOLAS   POUSSIN.  29 

l'espéranse  que  J'auois  de  melieurement  en^  mes  indis- 
positions m'a  abusé,  car  je  suis  réduit  en  tel  estât  que 
je  suis  forsé  de  changer  de  deseing  et  de  suplier 
vostre  bonté  de  me  dispenser  de  mon  veu,  puis  que 
en  peu  de  temps  je  suis  devenu  inutile,  ne  m'ayant 
demeuré  que  le  regret  de  viure.  J'aurois  trop  de  pré- 
somption de  ne  vous  pas  prier  de  cette  faueur  auant 
que  de  la  mériter,  je  veus  biencognoistre  [cognoistre] 
ce  que  je  demande  non  de  mon  mérite  mais  de  vostre 
bénévolence;  en  cette  manière,  je  recepuray  la  grase 
et  vous  la  gloire.  Cependans  (Monseigneur)  je  vous 
offre  l'immuable  promtitude  de  ma  bonne  volonté, 
puisque  le  Ciel  ne  me  consède  autre  faculté  conue- 
nable  à  la  satisfaction  de  mes  obligations. 

Le  plus  humble  de  tous  vos 
seruiteurs 

Poussin 

De  Rome  ce  iSième  décembre 

1639. 

16.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12847,  fol-  23.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  commis  de 
Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

{M.  Le  Poussin  1 5  décembre  1 63g . 
Il  cherche  à  se  dégager 
de  venir  en  France^.] 
Monsieur  Ily  a  desià  quelque  temps  que  me  trouuant 

1.  Mot  très  surchargé  :  Poussin  avait  peut-être  écrit  d'abord  : 
isir  (sortir). 

2.  Le   fragment  de  la  lettre  originale  que  portait  le  som- 


3o  CORRESPONDANCE  [iÔBq 

gesné  par  mes  continuelles  incommodités  du  moyen 
de  faire  le  voyage  de  France  auquel  je  me  suis  obligé 
par  les  belles  occasions  que  par  vostre  courtoisie 
m'en  avoint  esté  donnés,  je  ne  manquai  pas  de  vous 
en  aduertir  et  vous  suplier  très  affectueusement  avec  le 
Sieur  Le  Maire  de  le  faire  scauoir  à  Monseigneur  de 
Noyers  affin  qu'il  sceut  la  cause  de  mon  retarde- 
ment; mais  soit  le  peu  de  conte  que  vous  faittes  d'un 
qui  vous  est  inutile  seruiteur  ou  le  peu  de  satisfac- 
tion que  vous  aués  eu  au  service  de  mes  débiles 
forses  vous  ont  rendu,  ou  autre,  jusques  à  maintenant 
je  n'ay  eu  aucune  réponse.  Mais  (Monsieur)  je  vous 
supplie,  sans  reguarder  au  mérite  d'exerser  enuers 
moy  vostre  courtoisie  :  se  sera  un  effet  de  vostre 
naturelle  inclination  et  un  office  de  vostre  bénéuo- 
lense  ne  dédaigner  point  mes  prières  qui  sont  accom- 
pagnés de  tant  d'obligations,  d'autans  que  la  seruitu 
que  je  vous  doibs  s'exerce  autant  à  vous  demander 
des  faneurs,  comme  le  satisfaire  à  tant  d'obligations 
auquelles  je  m'efforseray  tousiours  de  correspondre, 
conserués-moy  en  vos  bonne  grâce  et  consolés-moy 
auec  la  bonne  fin  de  ce  présent  négose 

Vostre  trèsobligé 

Poussin 
de  Rome  Ce  i5me  décembre 
1639. 

maire  écrit  par  Chantelou  est  déchiré  dans  le  ms.  12347. 
Nous  n'avons  plus  que  :  Jl  cherc...,  et  la  suite  est  prise  dans  la 
copie  de  1755,  à  l'Institut. 


1640]  de  nicolas  poussin.  3l 

17.  —  *  Instruction  pour 
M.    De    Ghantelou    sen 

ALLANT    A    ROME^. 

(Ms.  12347,  fol.  25.) 

Du  8^  may  1640  à  NantueiP. 

Le  Roy  enuoye  mons.  de  Ghantelou  à  Rome  pour 
en  ramener  le  s»"  Poussin  peintre  et  le  s""  François 
sculpteur./^ 

Son  principal  soin  doit  donc  estre  de  les  persuader 
en  sorte  qu'il  puisse  avoir  l'effect  de  son  voiage./ 

Pour  ce  il  se  seruira,  premièrement  de  sa  bonne 
conduitte.  puis  de  la  faueur  de  ceus  ausquels  il  a  des 
lettres  du  Roy,  de  S.  E.  et  de  moy./^ 

Lesd.  Si's  Poussin  et  François  s'estans  laissés 
entendre  que  la  principalle  cause  de  leurs  retarde- 
mens  estois  l'apréhention  qu'ils  avoient  des  change- 
mens  et  inconstances  de  la  france,  et  qu'après  auoir 
quitté  leurs  habitudes  de  Rome,  si  monsieur  de 
Noyers  qui  les  affectionne  venoit  à  leur  manquer  ils 
se  trouveroient  tout  à  coup  frustrez  de  leurs  espé- 

1.  Cette  mention  est  écrite  au  dos  du  folio  25  et  ensuite  : 
Pour  Paul  Fréard  de  Ghantelou  gouuerneur  de  la  ville  et  chas- 
teau  de  Chasteau  du  loir  et  3/tre  d'hostel  ordinaire  du  Roy. 
Voir  note  i,  p.  26. 

2.  Le  jour  même  où  M.  de  Noyers  écrivait  cette  lettre  à 
Ghantelou,  Richelieu  écrivait,  de  Nanteuil  également,  à  Maza- 
rin  :  «  Le  roy  envoyant  en  Italie  le  s'  de  Ghantelou,  commis 
de  M.  de  Noyers,  pour  faire  recherche  des  plus  excellents 
peintres,  sculpteurs,  architectes  et  autres  fameux  artisans,  et 
les  faire  venir  en  France,  je  conjure  Monsieur  Mazarin  de  luy 
vouloir  donner  des  lettres  pour  ses  amis  de  Rome,  afin  d'as- 
sister le  dict  Ghantelou  et  faciliter  l'exécution  du  commande- 
ment que  S.  M.  luy  a  faict  sur  ce  sujet  »  (Avenel,  t.  VI,  p.  691). 

3.  Nanteuil-lès-Meaux,  château  du  duc  d'Halluin,  fils  du 
maréchal  de  Schomberg. 

4.  Voir  p.  27,  note  3. 


k 


32  CORRESPONDANCE  [164O 

rances  et  des  appointemens  qui  leur  ont  esté  promis 
par  les  lettres  de  Sa  Ma*^.  Pour  a  quoy  obuier 
M.  Lumague^  donnera  a  M.  de  Chantelou  une  lettre 
^  par  laquelle  il  leur  respondra  des  mille  écus  qui  leur 
sont  promis  par- chacune  année,  durant  les  trois 
années  qu'ils  font  estât  de  séjourner  en  france,  si  tant 
est  que  le  bon  traictement  quils  y  receuront  ne  les 
oblige  a  y  demeurer  toutte  leur  vie./ 

Que  si  lesd.  s»"»  Poussin  et  François  prévenus  par 
les  artiffices  des  Espagnols  ou  de  quelques  autres 
mal  affectionnez  à  la  france,  refusoient  absolument 
d'y  venir  au  retour  dud.  S""  de  Chantelou  il  tachera 
d'en  attirer  d'autres  au  seruice  de  Sa  Maiesté,  qui 
soient,  sinon  esgaux  à  la  vertu  de  ceux-là,  au  moins 
qui  en  aprochent  le  plus  près  que  faire  se  pourra,  se 
seruant  de  l'argent  destiné  pour  lesd.  s"  Poussin  et 
François  pour  ceux  qu'il  choisira  en  leur  place./ 

S'il  rencontroit  dans  le  cours  de  son  voiage  quelque 
peinture  ou  sculpture  qui  méritast,  soit  par  l'excel- 
lence de  l'ouurage,  soit  par  le  bon  marché,  d'être 
achaiptées  et  enuoyées  en  France,  l'on  laisse  à  sa  dis- 
crétion d'en  user  selon  qu'il  estimera  pour  le  mieux  2./ 

Il  y  a  desia  longtemps  que  les  Pères  Jésuistes  de 
S'  Louis'  croyent  que  les  mesures  des  tableaux  de 

I.  Lumaga,  ou  Lumague,  ou  Lumagne,  notable  banquier 
d'origine  génoise;  il  servit  la  politique  de  Richelieu,  puis  de 
Mazarin.  Colbert  aurait  d'abord  travaillé  chez  lui,  et  ce  serait 
Lumagne  qui  l'aurait  donné  à  Mazarin  (voir  P.  Clément,  Hist. 
de  Colbert^  p.  79).  Poussin  peignit  pour  lui  le  célèbre  paysage 
de  Diogène.  Ce  banquier  est  souvent  cité  dans  les  correspon- 
dances de  Richelieu  et  de  Peiresc. 

2  Tout  ce  paragraphe  est  souligné  par  M.  de  Noyers  et  mar- 
qué en  marge  d'un  trait  vertical,  comme  particulièrement 
important. 

3.  M.  de  Noyers  était  un  dévot  personnage,  fort  lié  avec  les 
Jésuites.  Il  s'agit  ici  des  Jésuites  dont  la  nouvelle  église  avait 
été  commencée,  rue  Saint-Antoine,  en  1627. 


1640]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  33 

leur  grand  autel  ont  esté  enuoyez  à  Rome,  c'est 
pourquoy  Mons.  de  Chantelou  ne  manquera  pas  de 
les  porter  avec  luy.  et  le  faire  exécuter  au  plustost 
par  le  peintre  quil  en  jugera  le  plus  capable,  estans  à 
Rome./ 
Il  aura  soin  de  sa  santé  sur  touttes  choses. 

De  Noyers. 

18.  —  Pour  Mess^  de  Chantelou. 
A  Rome. 

(Ms,  12347,  fo^-  27O 

[Monsigneur  i3  Aoust  1640.] 

D'Amiens  ce  i3«  Aoust  1640. 

Je  ne  voulus  point  hier  vous  rien  mander  de  la 
prise  d'Arras^  tant  parce  que  je  n'en  auois  pas  le 
loisir  que  parce  que  le  discours  en  estant  long  jaimois 
mieux  vous  en  enuoier  la  relation  imprimée  que  vous 
ferés  voir  par  delà  que  de  ne  faire  qu'effleurer  une 
affaire  qui  mérite  un  si  grand  discours./ 

Serués  vous  de  cett'  occasion  po""  emporter  l'esprit  de 
Mons»^  le  Poussin  et  luy  dictes  que  sil  n'aime  sa  patrie 
qu'au  moins  il  deffere  a  une  nation  qui  faict  aujour-       >- 
d'huy  la  meilleure  part  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leur en  l'Europe./ 

Je  ne  veux  pas  seulement  vous  faire  l'ouuerture  qui 
m'a  esté  fait  par  un  Italiain  qui  est  de  faire  sentir  à 
M^  le  Poussin  que  les  Roys  ont  les  mains  bien  longues 
et  quil  sera  bien  difficile  d'empescher  qu'un  grand 
Roy  comme  le  nostre  n'ait  quelques  sentiments  de 
l'iniure  qu'il  reçoit  d'un  homme  nai  son  subiect,  et 
qui  luy  manque  de  parole./ 

I.  La  ville  d'Arras  fut  assiégée  le  i3  juin  1640.  Elle  capitula 
le  9  août. 

1911  3 


< 


34  CORRESPONDANCE  [164O 

Que  lorsqu'il  pensera  auoir  triomphé  de  la  France 
il  y  a  danger  quil  ne  s'en  trouve  abbatu  et  improuis- 
tement  accablé.  Cette  manière  de  procéder  est  si  con- 
traire au  mien  et  à  mon  génie  que  je  ne  la  couche  icy 
que  po»"  n'obmettre  rien  des  ouuertures  qui  me  sont 
faites  po""  faire  seruir  le  Roy  mais  uzès  en  a  nostre 
mode  qui  dict  tousiours  nihil  invita  Mineruâ. 

Vous  aués  faictune  grande  aquisition  dans  l'amitié 
de  Mons''  le  Cavallier  del  Potzo  qui  est  icy  en  un' 
estime  singulière  et  tient  lieu  du  chef  des  vertueux. 
J'estime  ce  trésor  par  luymesme  non  par  les  assis- 
tances que  vous  espérés  tirer  de  luy  po"^  vaincre  la 
dureté  de  M""  le  Poussin./  Je  serai  prou  satisfaict  de 
vostre  voiage  si  vous  en  ramenez  M.  le  Flamend 
Duquesnoi  car  comme  je  le  vous  mandois  hier  S.  E. 
le  souhaitte  avec  un'  incroiable  passion. 

Laduis  qui  vous  a  esté  doné  d'apporter  en  France 
les  creux  des  plus  beaux  basreliefs  de  Rome  '  ne  peult 
n'estre  très  utile^.  Po""  ceux  de  la  colonne  de  Traian  si 
la  chose  est  de  grand  prix  non  seulement  po'  avoir 

1.  M.  de  Chambray,  frère  de  Chantelou  et  alors  à  Rome  avec 
lui,  écrira  lui-niême,  dans  la  préface  du  Parallèle  de  l'archi- 
tecture antique  et  de  la  moderne  : 

«  Nous  apportasmes  une  grande  diligence  à  faire  former  et 
ramasser  tout  ce  que  le  temps  et  l'occasion  de  nostre  voyage 
nous  pût  fournir  des  plus  excellents  antiques,  tant  d'architec- 
ture que  de  sculpture,  dont  les  principales  pièces  estoient  deux 
grands  chapiteaux,  l'un  d'une  colonne  et  l'autre  d'un  des 
pilastres  angulaires  du  dedans  de  la  Rotonde  [le  Panthéon],  que 
nous  choisismes,  comme  les  plus  beaux  modèles  Corinthiens 
qui  soient  restez  de  l'antiquité  :  deux  médailles  d'onze  palmes 
de  diamètre  tirées  de  l'Arc  de  triomphe  de  Constantin,  soixante- 
dix  bas-reliefs  de  la  colonne  Trajane  et  beaucoup  d'autres 
histoires  particulières;  quelques-uns  desquels  furent  mis  en 
bronze  dès  l'année  suivante  :  d'autres  furent  employez  en 
matière  d'imitation  au  compartiment  de  la  voûte  de  la  grande 
gallerie  du  Louvre,  auquel  M.  Le  Poussin  les  introduisit  ingé- 
nieusement et  avec  beaucoup  d'adresse.  » 

2.  Phrase  soulignée  par  M,  de  Noyers. 


1640]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  35 

les  ds.  creux  mais  aussy  po^  les  apporter  en  france 
vous  pourrés  vous  dispenser  de  ces  soingz  si  le  coust 
venoit  a  en  estre  médiocre  Vous  ne  scauriés  auoir 
trop  de  belles  choses  utiles  comme  celle  la. 

Continués  vos  cortèges  ainsy  que  vous  aués  bien 
commencé  Voicy  la  troisième  depuis  que  vous  estes 
à  Rome.  Dieu  vous  y  conserue  et  vous  en  ramène  en 
bone  santé.  J'ay  escript  à  M.  lambassad.^  et  à  M.  guef- 
fier^.  Vous  receurés  avec  cellecy  un  compliment  à 
M.  le  C^i  Bicchy  ^  que  vous  assurerésde  mon  obéissance 

De  Noyers. 

19.  —  [Lettre  de  Monseigneur  durant  tire*  voyage 

de  Rome^.] 

(Ms.  12347,  f^o'-  29-) 

Po^  Mes  Cousins  de  Chantelou^. 

De  Chaulnes^  Ce  i5me  Septemb  1640. 
Je  recoi  présentement  la  vostre  du  i5«du  passé  qui 

1.  F'rançois  du  Val,  marquis  de  Fontenay-Mareuil,  né  vers 
1594,  mort  le  25  octobre  i665;  ambassadeur  à  Rome  de  1640  à 
1649,  à  deux  reprises,  séparées  par  la  courte  ambassade  de 
Saint-Chamont. 

2.  Gueffier,  chargé  d'affaires  de  France  à  Rome.  Il  faisait 
l'intérim  quand  on  n'envoyait  pas  d'ambassadeur,  ce  qui  arri- 
vait assez  souvent.  Il  écrit,  le  23  avril  1645,  qu'il  y  a  «  tantôt 
cinquante  ans  »  qu'il  est  au  service  du  roi  (voir  :  Bibl.  nat., 
mss.,  sa  Correspondance  diplomatique,  Cinq-Cents  Colbert  356 
et  suiv.). 

3.  Le  cardinal  Bichi,  l'homme  de  confiance  de  la  politique 
française  dans  le  dédale  des  intrigues  politiques  d'Italie.  «  E  car- 
dinale affezionato  in  tutto  suo  potere  alla  corona  di  Francia  », 
dit  l'ambassadeur  vénitien. 

4.  Lecture  douteuse.  {Notre  voyage,  celui  de  Paul  et  Roland 
Fréart.) 

5.  Cette  lettre  est  tout  entière  de  la  main  de  M.  de  Noyers.  Les 
précédentes,  sauf  la  signature,  sont  de  la  main  d'un  secrétaire. 

6.  Sans  doute  de  la  main  du  fils  de  M.  de  Noyers.  Voir  note  i, 
p.  26. 

7.  Chaulnes  (auj.  dans  la  Somme),  duché-pairie  instituée  en 


A- 


A 


36  CORRESPONDANCE  [164O 

m'a  apporté  dautant  plus  de  joie  que  je  l'avois  impa- 
tiemment attendue./ 

Elle  me  cause  des  mouvements  différents  selon  les 
heureux  succès  ou  les  offendicules  que  vous  trouués 
en  vostre  chemin,  la  mortiffication  du  changement  de 
M"^  du  Quesnoy  m'a  esté  sensible  comme  un'  amer- 
tume mortelle  et  j'advoue  que  c'est  une  mauldite 
nation  que  l'Espagnole  qui  porte  sa  rage  contre  la 
vertu  mesme  et  ne  peult  souffrir  que  la  mesprisant 
elle  soit  receullie  des  aultres.  En  vérité  c'est  une 
gente  infâme  et  qui  mériteroit  d'estre  reléguée  dans 
un  angle  du  Cabo  de  Finisterras  séparée  du  com- 
merce de  tout  le  reste  des  humains.  Ce  que  je  crai- 
gnois  est  arrivé  en  vérité  et  ce  que  j'aimois  le  plus 
m'est  eschapé  des  mains  lorsque  je  croiois  le  mieux 
estreindre.  Il  fault  que  ce  soit  dieu  qui  accoit^  ces 
flots  car  il  ny  a  point  de  respect  humain  qui  y  ante- 
mestre  la  main  2./ 

Ce  pourroit  il  faire  que  vous  emportassiés  Mons^ 
de  Cortone^.  Mais  je  n'espère  plus  rien  après  cette 
perte  ^. 

Il  me  semble  que  nous  serons  tousiours  malheu- 
reux et  que  vous   reviendrés   les   mains  vuides  ou 

1621  pour  le  frère  de  Luynes  (Honoré  d'Albert  d'Ailly,  seigneur 
de  Cadenet,  duc  et  maréchal  de  Ghaulnes)  qui  assiégeait 
Arras. 

1.  «  Accoiser,  vieux  mot  qui  signifiait  adoucir,  apaiser  » 
{Dictionnaire  de  Furetière). 

2.  Lecture  douteuse. 

3.  Pietro  Berettini,  dit  Da  Cortona  (i"  nov.  iBgG-iG  mai 
1669);  peintre  célèbre  pour  sa  facilité  comme  décorateur  de 
palais,  qualité  que  Poussin  devait  juger  assez  sévèrement.  Il 
décora,  notamment,  les  voûtes  de  l'immense  salle  du  palais 
Barberini. 

4.  Lecture  très  douteuse  :  le  mot  est  surchargé  d'encre; 
c'est  perte,  peine  ou  pièce. 


1640]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  Sy 

pleines  de  vent  comme  ceus  qui  aiant  esté  riches  en 
resuant  se  trouvent  misérables  de  pauureté  à  leur 
reueil.  J'avois  desia  faict  l'appartement  et  l'emmeu- 
blem^  de  Mr.  du  Quesnoy  et  je  le  considerois  desia 
dans  les  miracles  de  ses  mains  l'aimant  et  l'admirant 
esgalement,  de  sorte  que  je  me  sents  comme  tombé 
en  veufuage,  priué  avant  la  possession,  Cependant 
po""  ne  pas  désespérer  de  ntre  bone  fortune  faites 
vostre  possible  pour  ce  brave  Cortone  et  poi"  Mons""  le 
Poussin,  et  comme  je  voi  que  vostre  sesiour  à  Rome 
donc  lieu  à  nos  ennemys  de  faire  des  contremines  à 
tout  ce  que  vous  entreprenés  je  suis  d'aduis  que  vous 
résoluiés  ce  que  vous  pourrés  soit  po""  l'un  soit  po"" 
l'aultre  et  que  vous  laissiés  des  ordres  secrets  con- 
certés avec  ceus  qui  auront  assés  de  ceur  pour  venir 
en  France  po""  les  faire  partir  quand  et  comment  vous 
le  résouldrés  avec  eux  si  vous  pouviés  leur  faire 
prendre  de  l'argent  po""  les  obliger  à  venir  et  ni  plus 
manquer  comme  les  aultres  j'estime  que  la  voie  ni 
seroit  pas  mauuaise  car  aultrement  tout  nous  escha- 
pera  des  mains./  Voicy  la  saison  du  retour  de  vos 
quartiers  car  passé  Octob.  il  faict  assés  fascheux  et 
par  rue  et  par  Tibre.  Reuenés  donc  au  nom  de  Dieu 
et  reuenés  en  la  bonne  santé  que  vous  souhaite  le 

meilleur  de  vos  amys 

De  Noyers 

Monsr  de  la  Tuillerie'  m'a  parlé  d'un  M"^  Pribre^ 

1.  Gaspard  Coignet  de  la  Tuilerie,  l'un  des  ambassadeurs  de 
France  sous  Richelieu  (notamment  à  Venise  et  en  Hollande). 
«  C'est  un  homme  d'une  grande  vertu  et  dans  une  haute 
estime...  ».  Bourdelot  à  C.  del  Pozzo,  10  oct.  lôSy  (cité  dans 
Lumbroso,  Noti:{ie  sulla  vita  di  Cass.  del  Po^:(o,  p.  226).  Son 
cabinet  de  livres,  médailles  et  bronzes  était  réputé.  —  Voir  : 
Archives  de  l'Art  français^  t.  V,  p.  84. 

2.  «  Je  ne  sais  quel  est  l'artiste  recommandé  par  M.  de  la 


38  CORRESPONDANCE  [164O 

de  Boulogne  allieuo  d'un  grand  peintre  qui  vist 
encores  M"^  Pribre  est  françois  et  l'on  le  dict  appro- 
chant de  la  perfection  de  son  maistre.  Il  croit  que 
nous  le  pourrions  avoir.  Il  me  semble  quil  y  a  du 
Rhin  au  nom  de  ce  bon  maistre./ 

Noubliés  pas  de  me  faire  venir  les  Conciles  géné- 
raux il  follio/  en  blanc  car  je  les  ferai  relier  pardeça 
demandés  aussi  a  quelqu'  habile  Père  jésuite  s'il  y  a 
quelques  excellents  liures  à  Rome  qui  soient  rares 
par  deçà  et  en  ce  cas  acheptés  les  moy,  noubliés  pas 
un  Baronius.  Car  je  n'en  ay  point. 

Il  sera  sans  d«  relié./ 

De  Noyers. 

M.  de  Chantelou  (Rome). 

20.  —  Mazarin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  3i.) 

A  Thurin  ce  4  décembre  1640. 
Monsieur,  Cette  dépesche  m'auoit  esté  fort  particu- 
lièrement recommandée  par  Monsieur  de  Noyers  et 
je  mestois  seruy  pour  cet  efîect  de  l'occasion  d'un 
Courier  extraordinaire  affin  qu'elle  vous  fust  rendue 
auec  seureté  et  auec  plus  de  diligence,  mais  n'ayant 
peu  ariuer  assez  a  temps  a  rome  mon  secrétaire  me  la 
renuoye  et  m'escript  qu'il  vous  a  consigné  auant 
votre  départ  quelques  bagatelles  pour  moy  lesquelles 
je  vous  prie  de  remettre  à  M""  Burlamachy  à  Lion  et 
en  cas  que  vous  soyez  plus  aduancez  de  les  vouloir 

Thuillerie.  Son  indication  me  paraît  se  rapporter  à  aucun  des 
Boulongne,  ni  au  Bolognèse  qui  est  Italien,  ni  aux  artistes  fran- 
y  çais  alors  en  Italie,  Perrier,  Blanchet,  Pierre  Mignard,  Pierre 
Puget,  élève  du  Cortone,  Claude  le  Lorrain,  etc.  »  (H.  Char- 
don, p.  41). 


1640]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  Sç 

donner  au  s^  Charles  qui  fait  mes  atfaires  à  Paris.  Je 
prendray  par  aduance  cette  occasion  pour  vous  remer- 
cier du  soing  que  vous  en  avés  voulu  prendre,  en 
attendant  que  moy  mesme  je  le  puisse  faire  comme  je 
lespère  dans  quelque  temps  et  vous  asseure  que 
je  suis 

Monsieur 

Vostre  très  affectionné 
serviteur  Masarini 

A  Turin  ^  ce  4  Xbre 
1640. 

M.  de  Chanteloue. 

Je  vous  supplie  dans  le  récit  que  vous  fairés  de  ce 
que  vous  aués  remarqué  à  Rome  a  Monsieur  de 
Noyers  de  ne  pas  oublier  de  luy  faire  mes  excuses  si 
le  désir  et  la  passion  que  iay  pour  que  vous  fussiez 
bien  seruy  de  delà  n'a  pas  esté  au  point  que  ie  Teusse 
souhaité  et  avec  cette  occasion  je  m'asseure  que  vous 
l'asseurerés  de  mon  trèshumble  seruice. 

Vous  trouuerés  bon  que  je  vous  prie  aussy  de  faire 
mes  baizemains  à  M^  Pouzin  et  luy  dire  que  iay  impa- 
tience destre  à  la  Court  po""  lembrasser  et  me  reiouir 
de  la  bonne  résolution  quil  a  prise'. 

1.  Mazarin,  ambassadeur  extraordinaire  en  Piémont,  venait 
de  faire  signer  l'avant-veille  (2  déc.  1640)  le  traité  de  réconci- 
liation entre  la  régente  de  Savoie  et  ses  beaux-frères,  révoltés 
à  l'instigation  de  l'Espagne.  Cette  pacification  mettait  le  comble 
à  sa  faveur  auprès  de  Richelieu  et  du  roi,  et  le  chapeau  de 
cardinal  lui  fut  conféré  un  an  après,  le  16  décembre  1641. 

2.  «  L'inventaire  de  la  galerie  du  cardinal  Mazarin,  dressé 
après  sa  mort,  contient  la  mention  de  trois  tableaux  du  Pous- 
sin :  Quatre  enfants  nus  et  deux  chiens,  Apollon  et  une  Muse, 
Endymion  et  le  char  du  soleil  »  (de  Cosnac,  Les  richesses  du 
palais  Mai^arin).  C'était  relativement  très  peu  pour  une  gale- 
rie aussi  riche. 


40  correspondance  [164i 

21.  —  Poussin  a  Carl.  Ant.  del  Pozzo. 

(Bellori,  i"  éd-,  1672,  p.  424I.) 

Al  Sîg.  Commen.  Carlo  Antonio  del  Po\\Oy  Roma. 

Confidandomi  nell'  ordinaria  humanita,  che  V.  S. 
Illustrissima  hà  vsato  sempre  verso  di  me,  hô  cre- 
duto  essere  douere  raccontarle  il  buon  successo  del 
mio  viaggio,  lo  stato,  e'I  luogo,  doue  mi  trouo,  affin- 
chè  vn  mio  padrone,  come  lei,  sappia  doue  coman- 
darmi.  Hô  con  sanità  fatto  il  viaggio  di  Roma  a  Fon- 
tanableô,  oue  fui  raccolto  honoratissimamente  nel 
palazzo  da  vn  gentilhuomo  perciô  ordinato  dal  Si- 
gnore  di  Noyers,  e  trattato  lo  spatio  di  tre  giorni 
splendidamente.  Poi  in  vna  carrozza  dal  detto  Signore 
fui  condotto  a  Parigi,  doue  subito  arriuato  feci  rin- 
contro  al  detto  Signore  di  Noyers,  il  quale  humana- 
mente  mi  abbracciô,  testificando  l'allegrezza  del  mio 
arriuo.  La  sera  fui  condotto  per  ordine  suo,  nel 
luogo,  ch'  egli  haueua  determinato,  per  la  mia 
dimora  :  egli  è  vn  palazzetto,  che  bisogna  dir  cosi, 
in  mezzo  del  giardino  délie  Tuilleries,  contiene  noue 
stanze  in  tre  piani,  senza  gli  appartamenti  da  basso 
separati,  cioè  vna  cucina,  luogo  del  Guardiano,  vna 
stalla,  vn  luogo  da  rinchiudere  il  verno  i  gelsomini, 
con  trè  altri  luoghi  comodi  per  moite  cose  necessa- 
rie.  V'è  di  più  vn  bello,  e  gran  giardino  pieno  di 
alberi  à  frutto,  e  diuersissimi  fiori,  ed  herbe,  con  tre 
fontanelle,  ed  vn  pozzo,  oltre  vn  bel  cortile,  doue 
sono  altri  alberi  fruttiferi,  hô  le  vedute,  che  scuo- 
prono  da  tutte  le  parti,  e  credo  l'estate  sia  vn  para- 

I.  Publiée  aussi  dans  Bottari,  t.  II,  p.  387. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  4I 

diso.  Entrando  in  questo  luogo,  trouai  tutto  il  piano 
di  mezzo  accommodato,  e  mobilato  nobilmente,  con 
tutte  le  prouisioni  di  cose  necessarie  sino  al  legno, 
ed  vna  botte  di  buon  vino  vecchio  di  due  anni;  e  lo 
spatio  di  tre  giorni  fui  ben  trattato  aile  spese  del  Re 
con  li  miei  amici.  Il  di  seguente  fui  condotto  dal 
detto  Signor  Noyers  ail'  Eminentissimo,  il  quale  con 
vna  benignità  straordinaria,  mi  abbracciô,  e  piglian- 
domi  per  la  mano  mostrô  di  hauer  gran  gusto  di 
vedermi.  Di  là  à  tre  giorni  fui  menato  à  S.  Germano; 
affinchè  il  Signore  di  Noyers  mi  appresentasse  al  Rè, 
ma  trouandosi  indisposto,  la  mattina  seguente  fui 
introdotto  dal  Signore  le  Grand  fauorito  del  Rè,  che 
come  benigno  Principe  ed  humanissimo,  si  degnô  di 
accarezzarmi,  e  stette  vna  mezz'  hora  à  domandarmi 
di  moite  cose,  e  voltandosi  verso  li  suoi  Cortegiani, 
disse  Voila  Vouet  bien  atrapé.  Dope  egli  stesso  mi 
ordino  di  fare  li  quadri  grandi  délie  sue  Cappelle  di 
Fontanableo,  e  San  Germano.  Tornato  che  fui  à  casa 
mia,  mi  furono  portati  in  vna  bella  borza  di  velluto 
torchino  due  mila  scudi  in  oro  délia  stampa  nuoua, 
mille  scudi  per  le  mie  gages,  e  mille  per  il  viaggio, 
oltre  tutte  le  spese.  E  vero  che  li  quatrini  sono  in 
questo  paese  molto  necessarij,  perche  ogni  cosa  vi  è 
caro  straordinariamente.  Adesso  fo  li  pensieri  di 
moite  opère,  che  s'hanno  da  fare,  e  credo  che  si  met- 
terà  mano  à  qualche  opéra  di  tapezzaria  :  délie  prime 
che  io  metterô  in  luce,  ardirô  di  mandargliene  qualche 
cosa,  non  altrimente  che  per  tributo  délia  mia  ser- 
vitù,  che  le  deuo,  e  subito  che  le  balle  nostre  saranno 
arriuate,  spero  bene  compartire  il  tempo  in  maniera, 
che  vna  parte  l'impiegherô  al  seruigio  del  Signor 
Caualiere  suo  fratello.  Si  sono  mandate  le  copie  in 


42  CORRESPONDANCE  [164I 

Piemonte  di  quelle  liste  de'  libri  di  Pirro  Ligorio. 
lo  le  raccomando  li  miei  pochi  interessi,  e  la  mia 
casa,  mentr'  ella  si  è  voluta  degnare  di  curarsene 
nella  mia  assenza,  la  quale  non  sarà  lunga,  se  io 
posso.  La  supplico,  che  essendo  nata  per  fauorirmi, 
ella  voglia  riceuere  queste  mie  molestie  con  quella 
generosità,  che  è  sua  propria,  contentandosi  che  io 
le  corrisponda  con  l'affetto  délia  mia  diuotione.  Il 
Signore  le  doni  lunga,  e  felice  vita,  mentre  à  lei  mi 
dedico  humilmente. 

Parigi  li  6,  Gennaro  1641. 

Niccolô  PussiNO. 

Au  Seig^  Commandeur  Carlo  Antonio^  del  Po\\o^ 
à  Rome. 

Me  confiant  à  l'ordinaire  humanité  dontV.  S.  111™^ 
a  toujours  usé  envers  moi,  j'ai  cru  qu'il  était  de  mon 
devoir  de  lui  raconter  le  bon  succès  de  mon  voyage, 
l'état  et  le  lieu  où  je  me  trouve,  afin  que  mon  patron, 
comme  vous  l'êtes,  sache  oii  me  donner  ses  ordres. 
J'ai  fait  en  bonne  santé  le  voyage  de  Rome  à  Fontai- 
^  nebleau,  où  je  fus  accueilli  très  honorablement  au 
palais  par  un  gentilhomme,  commis  à  cet  effet  par 
M.  de  Noyers^,  et  traité  l'espace  de  trois  jours  splen- 
didement. Puis,  en  un  carrosse  du  dit  Seigneur,  je 

1.  Ce  Carlo  Antonio,  né  le  28  novembre  1606,  est  le  frère  de 
Cassiano  del  Pozzo,  l'illustre  protecteur  de  Poussin.  Bottari 
fait  de  lui  un  archevêque  de  Pise,  erreur  reproduite  par  Jay 
et  par  Quatremère  de  Quincy.  «  Le  chevalier  del  Pozzo  était 
fils  d'Antonio  Cassiano.  Celui-ci  était  fils  d'un  premier  prési- 
dent du  Piémont  et  cousin  de  l'archevêque  Carlo  Antonio  » 
(Ughelli,  Italia  Sacra,  t.  III,  p.  591). 

2.  M.  de  Noyers  avait,  dans  ses  attributions,  la  garde  du 
château  de  Fontainebleau  (voir  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'Hist. 
de  Paris,  t.  XII,  p.  358). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  48 

fus  conduit  à  Paris,  où  aussitôt  arrivé*  je  fis  visite 
audit  M.  de  Noyers,  lequel  m'embrassa  cordiale- 
ment, attestant  sa  joie  de  mon  arrivée.  Le  soir  je  fus 
conduit  par  son  ordre  au  lieu  qu'il  avait  déterminé 
pour  ma  demeure.  C'est  un  petit  palais,  car  il  faut 
l'appeler  ainsi,  au  milieu  du  jardin  des  Tuilleries^. 
Il  contient  neuf  chambres  en  trois  étages,  sans  les 
appartements  du  bas  qui  sont  séparés,  à  savoir  une 
cuisine,  un  endroit  pour  le  gardien,  une  écurie,  un 
endroit  pour  renfermer  l'hiver  les  jasmins,  et  trois 
autres  endroits  commodes  pour  nombre  de  choses 
nécessaires.  Il  y  a  de  plus  un  beau  et  grand  jardin 
plein  d'arbres  à  fruits,  de  fleurs  et  de  légumes  les 
plus  variés,  avec  trois  petites  fontaines  et  un  puits, 
outre  une  belle  cour,  où  sont  d'autres  arbres  fruitiers. 
J'ai  des  vues  découvertes  de  tous  les  côtés,  et  je  crois 
que  l'été  c'est  un  Paradis.  En  entrant  dans  ce  lieu  je 
trouvai  tout  l'étage  du  milieu  préparé  et  meublé 
noblement,  avec  toutes  les  provisions  des  choses 
nécessaires  jusqu'au  bois  à  brûler  et  une  pièce  de 
bon  vin  vieux  de  deux  ans;  et  l'espace  de  trois  jours 
j'ai  été  bien  traité,  aux  frais  du  Roi,  avec  mes  amis'. 
Le  jour  suivant,  je  fus  conduit  par  le  dit   M.  de 

1.  L'arrivée  de  Poussin  eut  les  honneurs  de  la  Galette  de 
Renaudot  (p.  848)  :  «  De  Paris,  le  22  décembre  1640.  Le  17  du 
courant  arriva  en  cette  ville  le  sieur  le  Poussin,  excellent 
peintre  que  le  Roy  a  fait  venir  de  Rome,  et  fut  receu  par  le 
sieur  de  Noyers  Secrétaire  d'Estat  et  Surintendant  des  basti- 
mens  de  Sa  Majesté,  et  ensuite  par  son  Eminence,  avec  des 
caresses  proportionnées  à  la  grandeur  du  mérite  et  de  la  répu- 
tation qu'il  s'est  acquis  en  son  art.  » 

2.  Sur  la  maison  des  Tuileries,  voir  les  recherches  de  Ph. 
de  Chennevières,  La  peinture  française,  p.  i53.  C'est  le  pavil- 
lon de  la  Cloche,  ainsi  nommé  de  la  forme  du  toit. 

3.  Les  artistes  secondaires  que  Poussin  amène  avec  lui  et 
qu'il  appellera  souvent  la  brigade. 


44  CORRESPONDANCE  [164I 

Noyers  à  l'Eminentissime,  qui,  avec  une  bienveil- 
lance extraordinaire,  m'embrassa,  et  me  prenant  par 
la  main,  témoigna  d'avoir  grand  plaisir  à  me  voir, 
A  trois  jours  de  là  je  fus  mené  à  Saint-Germain,  pour 
être  présenté  au  Roi  par  M""  de  Noyers,  mais  comme  il 
se  trouva  indisposé,  le  matin  suivant,  je  fus  introduit 
par  M.  le  Grand',  favori  du  Roi,  qui  en  Prince  bon  et 
très  affable,  daigna  me  caresser^,  et  resta  une  demi- 
heure  à  me  demander  beaucoup  de  choses;  et  se 
>  tournant  vers  ses  courtisans,  il  dit  :  «  Voilà  Vouet^ 
bien  attrapé  ».  Ensuite  lui-même  m'ordonna  de  faire 
les  grands  tableaux  de  ses  chapelles  de  Fontainebleau 
et  de  Saint-Germain.  Retourné  en  ma  maison,  on  me 
porta,  en  une  belle  bourse  de  velours  turquin,  deux 
mille  écus  d'or^  à  la  frappe  nouvelle'^,  mille  écus 
pour  mes  gages  et  mille  pour  le  voyage,  en  plus  de 

1.  Cinq-Mars  avait  prêté  serment,  comme  grand  écuyer,  le 
i5  novembre  lôSg.  M.  de  Noyers  paraît  avoir  été  assez  lié  avec 
lui,  et  Cinq-Mars  demanda  quelquefois  son  intervention  dans 
ses  «  brouilleries  »  avec  le  roi  (voir  Avenel,  Le  dernier  épi- 
sode de  la  vie  de  Richelieu,  p.  29).  —  Cinq-Mars  était  alors 
dans  une  de  ses  «  brouilleries  »  avec  Louis  XIII,  qui,  le  5  jan- 
vier 1641,  se  plaignait  de  lui  à  Richelieu.  Ils  ne  se  réconci- 
lièrent que  le  i3. 

2.  Cette  bonté  persistera.  D'après  le  Dictionnaire  des  beaux- 
arts,  de  Lacombe  (éd.  de  1759,  p.  699)  :  «  Un  jour  que  cet 
artiste  [Poussin]  venait  à  Fontainebleau,  Sa  Majesté  envoya 
ses  carrosses  au  devant,  et  lui  fit  l'honneur  d'aller  jusqu'à  la 
porte  de  sa  chambre  pour  le  recevoir.  » 

3.  Simon  Vouet  (1590-1649)  fut,  en  effet,  déchu,  à  partir  de 
,         cette  date,  d'une  faveur  éclatante  dont  il  jouissait  depuis  1627, 

quand  le  roi  le  rappela  d'Italie,  après  un  séjour  de  quinze  ans. 
Il  va  prendre  d'ailleurs  sa  revanche  dans  les  cabales  qui  vont 
bientôt  se  dresser  contre  Poussin. 

4.  L'écu  d'argent  de  60  sols  (voir  Caillet,  L'administration 
sous  Richelieu,  p.  524). 

5.  La  frappe  de  ï638,  faite  par  Varin,  sous  la  direction  de 
M.  de  Noyers,  était  en  effet  fort  belle  (voir  Bonnaffé,  p.  74). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  ^5 

toutes  mes  dépenses.  Il  est  vrai  que  les  quatrains^  sont 
en  ce  pays  bien  nécessaires,  parce  que  toute  chose  y 
est  chère  extraordinairement.  A  cette  heure,  je  fais 
les  croquis  de  beaucoup  d'ouvrages  qu'il  me  faut 
faire,  et  je  crois  qu'il  faudra  mettre  la  main  à  quelque 
œuvre  de  tapisserie^.  Des  premiers  travaux  que  je 
mettrai  au  jour,  je  m'efforcerai  de  vous  envoyer 
quelque  chose,  simplement  comme  tribut  de  l'obéis- 
sance que  je  vous  dois,  et  aussitôt  que  nos  bagages 
seront  arrivés,  j'espère  bien  partager  le  temps  de 
manière  que  j'en  emploie  une  partie  au  service  de 
M.  le  Chevalier  votre  frère.  Les  copies  de  ces  listes  de 
livres  de  Pirro  Ligorio^  ont  été  envoyées  en  Piémont. 
Je  recommande  à  V.  S.  mes  petits  intérêts  et  ma  mai- 
son, puisqu'elle  a  bien  voulu  daigner  en  prendre 
soin  en  mon  absence,  laquelle  ne  sera  pas  longue,  si 
je  puis.  Je  supplie  V.  S.,  qui  semble  née  pour  me 


> 


1.  «  Quatrain,  se  dit  aussi  d'une  ancienne  monnaie  qui 
valait  un  liard.  On  dit  encore,  à  l'imitation  des  Italiens,  je 
n'ai  pas  un  quatrain,  pour  dire  je  n'ai  point  d'argent.  »  Dict. 
de  Furetière. 

2.  II   s'agissait   d'égaler  les    fameux  Ara:(p   du    Vatican    : 

«  Huit  histoires  du  Vieux  Testament  pour  autant  de  tapisse-         v, 
ries  des  chambres  royales,  à  l'imitation  des  autres  de  Raphaël  » 
(Bellori,  trad.  Rémond,  p.  24). 

3.  «  Pirro  (Pyrrhus)  Ligorio  s'est  fait  à  la  fois  connaître 
comme  architecte,  comme  antiquaire  et  comme  faussaire. 
Mommsen  a  démontré  qu'il  forgeait  de  toutes  pièces  des  ins- 
criptions qu'il  publiait  ensuite  comme  antiques  »  (note  de 
M.  Eugène  Mûntz,  p.  594  du  t.  V  de  la  Corresp.  de  Peiresc). 

«  Dans  ces  livres  étaient  dessinées  toutes  les  antiquités  de 
Rome  avec  leur  description;  et  les  dessins  étaient  des  origi- 
naux de  la  main  du  Ligorio.  Aujourd'hui,  ils  sont  dans  la 
Bibliothèque  royale  de  Turin,  et  une  belle  copie  des  mêmes 
livres  est  dans  la  bibliothèque  Vaticane  »  (note  de  Bottari). 
M.  de  Chennevières  suppose  que  cette  copie  est  sans  doute 
celle  faite  à  Turin,  en  1641,  pour  les  del  Pozzo,  par  l'entre- 
mise de  Poussin. 


46  CORRESPONDANCE  [1641 

favoriser,  qu'elle  veuille  souffrir  mes  importunités 
avec  cette  générosité  qui  lui  est  propre,  trouvant  bon 
que  j'y  réponde  par  l'affection  de  mon  dévouement. 
Que  le  Seigneur  lui  donne  une  longue  et  heureuse 
vie  à  laquelle  je  me  consacre  humblement. 
Paris,  le  6  janvier  1641. 

Nicolas  Poussin. 

22.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo^ 

Al  Ill^°  et  iR"">  Sig^'^  e  Prôn  mio 
Oss^°  Il  Sig^  Caualier  del  Poi\o 
a  i  Chiavari 

In  Roma. 

La  molta  riuerenza  che  porto  a  VS  :  l\V^^  e  Reuer»» 
richiede,  che  notifichi  il  nostro  saluo  arriuo  in  Parigi, 
e  come  doppo  essere  stati  riceuuti  dal  Sig:  de  Noyers 
molto  amorevolmente,  il  di  seguente  mi  appresentô 
al  Cardinal  di  Richelieu  il  quai  mi  fece  carezze 
straordinarie  e  pochi  giorni  doppo  fui  menato  nella 
villa  del  detto  Sig^^  a  fine  che  il  di  seguente  egli 
m'introducesse  dal  Re  ma  l'altra  mattina  rètrouan- 
dosi  indisfosto  ordinô  al  Sig.  de  Chantelou  di  con- 
durmi  a  S.  Germano  doue  essendo  arriuati  fui  di  là 
a  poco  tempo  condotto  dal  Re  per  il  Sigr»^  le  Grand 

I.  Nous  donnons  le  texte  que  M.  Lafenestre  a  copié  sur  l'ori- 
ginal pour  M.  de  Chennevières  en  1879.  Cette  lettre,  publiée 
par  Bottari  (t.  I,  p.  274),  est  le  n"  1629  de  la  vente  Fillon. 
M.  Victor  Advielle  la  signale  en  quelques  lignes,  p.  127, 
comme  vendue  2o5  francs,  mais  sa  notice  renferme  deux 
erreurs  :  M.  de  Nogent,  au  lieu  de  M.  de  Noyers,  et  le  i"  jan- 
vier au  lieu  du  7.  Nous  reconnaissons  cependant  que  nous  ne 
donnons  la  date  du  7  que  d'après  Bottari,  car  la  copie  Lafe- 
nestre, comme  on  peut  le  constater,  ne  présente  pas  de  quan- 
tième. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  47 

suo  fauorito.  La  modestia  mi  prohibisce  di  dire  in 
che  maniera  fui  riceuuto  da  sua  Maestà  finalmente 
tornassimo  à  Ruel  doue  essendo  un  lungo  spatio  di 
tempo  in  caméra  del  d»  Sig""  de  Noyers  egli  m'intra- 
tenne  di  moite  cose  è  particolarmente  di  Roma  délie 
persone  le  più  notabile  ricordandosi  del  nome  di  VS. 
Ill'"a  e  R«>a  ne  lodo  sommamente  la  virtù  è  mostro 
apertamente  di  hauere  à  gloria  particolare  di  scruirla 
a  ogni  occasione  perô  sarebbe  buono  di  hauer  noti- 
tia  dalle  cose  sue  di  Piemonte  à  fine  che  quanto 
prima  vi  si  ponesse  quel  ordine  neccessario  alla  lor 
conseruatione.  Il  Sig"^  de  Chantelou  hauendogli  rac- 
contato  le  cortesie  délie  quali  lei  us6  verso  di  lui  e 
del  fratello  haueuano  disposto  l'animo  del  d*»  Sig*"^ 
nô  solamente  a  questo  puoco  che  lei  desidera  ma  io 
credo  che  VS.  111™^  e  R'"'»  riceuerà  altri  segni  délia 
sua  affett"'^  si  è  mandato  una  copia  délia  lista  dei 
libri  di  Pirro  Ligorio  aTorino  se  n'aspetta  la  risposta. 

Noi  aspettamo  le  nostre  Balle  è  subito  arriuate  non 
mancherô  di  metter  mano  al  quadretto  del  suo  Bat- 
tesimo  non  hauendo  al  mondo  maggior  gusto  come 
d'hauere  l'occasione  di  rendergli  qualche  deuoto  ser- 
vitio  pregando  humil'e  d'hauer  sempre  nella  sua 
prottetione  li  miei  interessi  e  di  credere  che  mentre 
saro  conservato  nella  sua  affett»^  io  mi  stimaro  feli- 
cissimo  et  obligato  eternamente  a  pregare  il  Sig*^ 
Iddio  per  Augumento  délia  sua  félicita  mentre  le 
baggio  humilissimamente  le  mani. 

DI  VS.  Ill«a  e  Reu«n« 
humiliss»"»  Ser^e 

Nicolo  PoussiNo. 

di  Parigi  il  di 

Gennaio  1641. 


48  CORRESPONDANCE  [164I 

^  no  mi  seruiro  di  questa  lettera  di  cambio  di  3oo 
scudi  ne  farô  auuisato  il  Sig""  Lomago'^. 

A  l'Ill""^  et  Rev^""  Seig\  mon  Maître  très  honoré, 
le  Seig^  Chevalier  del  Po:{:{o,  aux  Chiava?n  à  Rome. 

Le   grand   respect   que  je  porte  à  V.  S.  IIH^  et 
Rever"»^  exige  que  je  vous  fasse  savoir  notre  heu- 
reuse arrivée  à  Paris,  et  comment  après  avoir  été 
reçus  par  le  Seigf  de  Noyers  très  affectueusement,  le 
jour  suivant  il  me  présenta  au  Cardinal  de  Richelieu, 
lequel  me  fit  des  caresses  extraordinaires;  et  peu  de 
jours  après,  je  fus  mené  au  château  du  dit  Seig»",  afin 
qu'il  me  présentât  le  jour  suivant  au  Roi,  mais,  cet 
autre   matin,  se  trouvant  indisposé,  il   ordonna   à 
M.  de  Chantelou  de  me  conduire  à  Saint-Germain, 
où  étant  arrivé,  je  fus  presque  aussitôt  conduit  au 
Roi  par  Monsieur  le  Grand,  son  favori.  La  modestie 
me  défend  de  dire  de  quelle  manière  je  fus  reçu  par 
Sa  Majesté.  Finalement  nous  retournâmes  à  Ruel, 
où   étant   restés  un   long  espace  de  temps  dans  la 
chambre  du  dit  Seig^  de  Noyers,  il  m'entretînt  de 
beaucoup  de  choses,  et  particulièrement  de  Rome, 
et  de  ses  personnages  les  plus  considérables.  Se  rap- 
pelant le  nom  de  V.  S,  HW^  et  R™",  il  loua  souverai- 
nement votre  mérite   et   montra  ouvertement   qu'il 
tiendrait  à  gloire  particulière  de  vous  servir  en  toute 
occasion.  C'est  pourquoi  il  serait  bon  d'avoir  une 
note  de  vos  affaires  de  Piémont,  afin  d'y  mettre  aus- 
sitôt l'ordre  nécessaire  à  leur  conservation.  Le  seig^ 

1.  Au  bas  de  la  page. 

2.  La  copie  Lafenestre,  la  seule  où  figure  ce  post-scriptum, 
donne  Somago.  Il  semble  cependant  qu'il  ne  puisse  s'agir  que 
du  banquier  Lumagne  (voir  p.  32,  note  i). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  49 

de  Chantelou,  lui  ayant  raconté  les  politesses  dont 
vous  aviez  usé  envers  lui  et  son  frère*,  avait  disposé 
l'esprit  du  dit  Seig"",  non  seulement  à  ce  peu  que  vous 
désirez,  mais  je  crois  que  V.  S.  Ill""*  et  R""*  recevra 
d'autres  marques  de  son  affection.  On  a  envoyé  à 
Turin  une  copie  de  la  liste  des  livres  de  Pirro  Ligo- 
rio,  et  on  en  attend  la  réponse. 

Nous  attendons  nos  bagages,  dès  leur  arrivée,  je 
ne  manquerai  pas  de  mettre  la  main  au  petit  tableau 
de  votre  Baptême,  n'ayant  au  monde  de  plus  grand 
plaisir  que  d'avoir  l'occasion  de  vous  rendre  quelque 
fidèle  service,  vous  priant  humblement  d'avoir  tou- 
jours mes  intérêts  sous  votre  protection,  et  de  croire 
que  tant  que  vous  me  conserverez  votre  affection,  je 
m'estimerai  très  heureux  et  éternellement  tenu  de 
prier  le  Seigr  Dieu  pour  l'accroissement  de  votre 
bonheur,  cependant  que  je  vous  baise  très  humble- 
ment les  mains. 

De  V.  S.  Ill°"  et  R«»« 
le  très  humble  Ser"^ 

Nicolas  Poussin. 

de  Paris  le  7  janvier  1641. 

Je  ne  me  servirai  pas  de  cette  lettre  de  change  de 
3oo  écus  et  je  n'en  aviserai  pas  le  Seig""  Lomago. 

I.  «  Je  veux  encore  adjouter  icy  et  tesmoigner  au  public, 
pour  mon  frère  de  Chantelou  et  pour  moy,  les  obligations  par- 
ticulières que  nous  avons  à  la  courtoisie  de  M.  le  cavalier  del 
Pozzo,  l'esprit  le  mieux  fait,  le  cœur  le  plus  noble,  et  en  vérité 
le  plus  galant  homme  que  nous  ayons  abordé  dans  l'Italie,  le 
quel,  parmy  un  grand  nombre  de  régals  dont  il  nous  combla 
à  Rome  au  voyage  que  nous  y  fîmes  en  l'année  1640,  nous  fit 
présent  de  ce  rare  manuscrit  avec  les  desseins  du  Poussin  » 
(Roland  Fréart  de  Chambray,  Préface  du  Traité  de  la  peinture 
de  Léonard  de  Vinci,  i65i). 

1911  4 


5o  CORRESPONDANCE  [164I 

23.  —  Poussin    a    Cass.    del    Pozzo. 

(Paris,  Bibl.  nat.,  ms.  n.  a.  fr.  20809,  ^^^'  22'.) 

Air  ///«o  et  i?ev«»o  Sig'^^  et  Pron 
mio  Oss^°  Il  Sig^  Cavalier 
del  Poi\o 

In  Roma. 
Illf°  e  Revpf  Sig""  mio 
Jo  so  l'huomo  del  mondo  il  più  confuso  quando 
considère  che  tutte  le  lettere  che  io  inuio  a  VS:  Ill'y^ 
non  sono  piene  se  non  ô  di  demande  ô  di  rendimenti 
di  gratie  ricevute,  non  dimeno  mentre  lei  mi  hà 
honorato  délia  sua  benevolenza  sino  adesso  di  nuouo 
me  gli  racommando  ringratiandola  infinitamente  di 
quelle  gratie  che  hà  usato  verso  di  mia  casa  confes- 
sando  che  in  questo  mondo  non  hô  altro  Padrone  di 
lei  è  l'assicuro  che  mi  dolgo  délia  mia  poca  habiltà  à 

servirla 

D.I.V.S:  IllT?et  RTf 

Devotiss«°  Serrp 

Nicolô  PoussiNO. 
Di  Parigi  il  di  Primo 

marto  1641. 

I.  L'original  de  ce  billet  a  été  publié  par  Ph.  de  Chenne- 
vières  dans  les  Archives  de  l'Art  français,  t.  V,  m,  Documents, 
p,  I  et  2.  «  C'est  M.  Ant.-Aug.  Renouard  qui  a  bien  voulu 
nous  autoriser  à  le  publier.  Cette  précieuse  feuille  lui  fut  rap- 
portée de  Rome  vers  1824  ou  1825  par  M.  Jules  Renouard,  son 
fils.  L'autographe  irrécusable  du  Poussin  était  destiné  à  ser- 
vir de  point  de  comparaison  de  l'écriture  authentique  du 
maître  avec  celle  d'un  bien  curieux  manuscrit  du  Traité  de  la 
\^  Peinture  de  Léonard,  manuscrit  possédé  par  M.  Renouard  le 
père.  »  Depuis  ces  lignes  de  Ph.  de  Chennevières,  l'acquisi- 
tion par  la  Bibliothèque  nationale  du  ms.  12847  (^^^7)  ^^  P^*"" 
met  plus  une  affirmation  aussi  catégorique.  En  contraste  avec 
l'écriture  vraiment    irrécusable   du    ms.    12347,    ^^    billet    du 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  5l 

A  mon  III^^  et  Rev"^^  Seig^^  mon  Patron 
très  honoré^  le  Seig^  Cavalier  del  Po\:{o,  à  Rome. 

Mon  IlHe  et  Rev"*  Seig"", 
Je  suis  l'homme  du  monde  le  plus  confus  quand  je 
considère  que  toutes  les  lettres  que  j'envoie  à  V.  S. 
Ill'"e  ne  sont  pleines  que  de  demandes  ou  de  remer- 
ciements pour  des  grâces  reçues.  Néanmoins,  tandis 
que  vous  m'avez  honoré  de  votre  bienveillance  jus- 
qu'à présent,  de  nouveau  je  me  recommande  à  vous, 
en  vous  remerciant  infiniment  de  ces  grâces  dont 
vous  avez  usé  à  l'égard  de  ma  maison,  en  confessant 
que  en  ce  monde  je  n'ai  pas  d'autre  Patron  que  vous 
et  je  vous  assure  que  je  me  lamente  de  mon  peu  d'ha- 
bileté à  vous  servir 

De  V.  S.  ni"»*'  et  R"» 

le  très  dévoué  Ser»", 

Nicolas  Poussin. 
de  Paris  le  premier  mars  1641. 

24.  —  Noyers  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  32  '.) 

[Monseigneur  ig^  mars  1641.] 

De  Ruel  ce  19*  Mars  1641. 

Si  Mons'  le  Poussin  est  bien  aise  que  touttes  ces 
raretés  soient  arriuées  à  bon  port  je  vous  prie  de  luy 
dire  que  certainem'  je  le  suis  plus  que  luy  car  sa  satis- 
faction m'est  plus  chère  que  la  miene  propre. 


Continuez  à  faire  tout  desbaler  et  ranger  car  il  ne 

1"  mars  1641  présente  des  boucles,  des  parafes  et  une  aisance 
presque  élégante  qui  dénotent  une  main  différente  de  celle  de 
Poussin. 
I.  Lettre  tout  entière  de  la  main  de  M.  de  Noyers. 


52  CORRESPONDANCE  [1641 

fault  pas  négliger  à  la  françoise  les  derniers  pas  qui 
CGuronent  l'ouurage. 


J'ay   signé    le    billet  que  vous   m'aués   enuoié   po^ 

Monf  Du  Quesnoy  flamend  et  po""  M""  Blondeau. 

Ne  précipités  pas  vostre  retour  parce  que  j'aime 

mieux  estre  priué  d'un  bien  qui  se  peult  recouurer 

que  de  ce  qui  ne  reuient  plus. 

De  Noyers. 

25.  —  Brevet  de  Louis  XIII  a  Poussin. 
(Bellori,  éd.  de  1672,  p.  426.) 

Aviourd'huy  vingtiesme  Mars  1641.  Le  Roy  estant 
à  Sainct  Germain  en  Laye  voulant  tesmoigner  l'es- 
time particulière  que  Sa  Maiestè  faict  de  la  persone 
du  Sieur  Poussin,  qu'elle  a  fait  venir  d'Italie  sur  la 
cognoissance  particulière  qu'elle  a  du  haut  degré 
d'excellence  auquel  il  est  paruenu  dans  l'art  de  la 
peinture,  non  seulement  par  les  longues  estudes  qu'il 
a  faictes  de  toutes  les  sciences  nécessaires  à  la  per- 
fection d'iceluy,  mais  aussi  à  cause  des  dispositions 
naturelles,  et  des  talents  que  Dieu  lui  a  donné  pour 
les  arts.  Sa  Maiestè  l'a  choisy  et  retenu  pour  son 
premier  Peintre  ordinaire,  et  en  cette  qualité  luy  a 
donné  la  direction  générale  de  tous  les  ouurages  de 
peinture  et  d'ornemens  qu'elle  fera  cy  après  faire 
pour  l'embellissement  de  ses  Maisons  Royalles,  vou- 
lant que  tous  ses  autres  peintres  ne  puissent  faire 
aucuns  ouurages  pour  Sa  Maiestè  sans  en  auoir  fait 
veoir  les  desseins  et  receu  sur  iceux  les  aduis  et 
conseils  dudit  Sieur  Poussin,  et  pour  luy  donner 
moyen  de  s'entretenir  à  son  seruice  :  Sa  Maiestè  luy 
a  accordé  la  somme  de  trois  milles  Hures  de  gage 
par  chacun  an,  qui  sera  d'oresnauant  payée  par  les 


1641]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  53 

Trésoriers  de  ses  bastimens,  chacun  en  l'année  de 
son  exercice,  ainsi  que  de  coustume,  et  qu'elle  luy  a 
esté  payée  pour  la  présente  année.  Et  pour  cet  effect 
sera  laditte  somme  de  trois  milles  liures  doresnauant 
couchée,  et  employée  soubs  le  nom  dudit  Sieur  Pous- 
sin, dans  les  Estats  des  dits  offices  de  ses  bastimens, 
Côme  aussi  Sa  ditte  Maiestè  a  accordé  au  Sieur  Pous- 
sin la  maison,  lardin  qui  est  dans  le  milieu  de  son 
lardin  de  Tuilleries,  ou  a  demeuré  cy  deuant  le  feu 
Sieur  Menou  pour  y  loger  et  en  iouir  sa  vie  durant, 
corne  a  faict  ledit  Sieur  Menou.  En  tesmoignage  de 
quoy  Sa  Maiestè  m'a  commandé  d'expédier  audit 
Sieur  Poussin  le  présent  breuet  qu'elle  a  vouleu 
signer  de  sa  main  et  faict  contresigner  par  moy  son 
Conseiller  et  Secrétaire  d'estat,  et  de  ses  commande- 
mens  et  finances,  et  Surintendant  et  ordonnateur 
gênerai  de  ses  bastimens. 
LOVIS. 

SUBLET. 

26.  —  Poussin  a  M.  de  Noyers. 

(Ms.  12347,  fo'-  34O 

A  Monseigneur  de  Nqyer^  Conseillier  du  Roy  en  ces 
Conseils  d'estat  et  priiié  Saicraitaire  de  ses  corn- 
tnandemens  de  surintendance  de  ces  maisons 
Royales^  à  Ruel. 

[M.  Poussin  10  auril  1641. 

Il  desdie  à  M.  de  Noyers  le  dessein  du  frontispice 
de  Virgile^.] 
Monseigneur 

Puis  qu'il  vous  a  pieu  me  commander  de  faire  le 

I.  «  Apollon  qui  couronne  de  laurier  Virgile  pour  la  poésie 
héroïque  de  l'Enéide  ;  voici  un  enfant  qui  tient  le  titre  du  livre 


$4  CORRESPONDANCE  [1641 

desaing  du  front  du  Hure  de  Virgille  et  estans  le  pre- 
mier que  j'ay  fait  pour  mettre  en  lumière  je  viens 
auec  simple  et  deuotieus  silence  vous  le  dédier  tel 
qu'il  est,  estans  assuré  que  comme  quelquefois  les 
muettes  Images  apendues  à  un  temple  par  les  hommes 
les  ^  ne  sont  pas  moins  agréables  à  dieu  que  les  psalmes 
éïoquens  chantés  par  les  prebtres  Ainsi  j'espère  que 
vostre  bénignité  trouuerra  ausi  agréables  mes  tacites 
Images  comme  lui  sont  les  facondes  Louanges  de  qui 

les  scait  faire. 

m'inclinant  je  vous  fais 

tresprofonde  révérence 

me  confessant  vostre 

esclaue 

Le  poussin. 
de  Paris  ^  ce  disieme  apuril  1641. 

27.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^'  36.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  monseigneur  de  Noyer,  à  Ruel. 

[M.  Poussin  10^  auril  i64i-] 

Monsieur  Ces  jours  passés 

j'auois  délibéré  d'aler  à  ruel  pour  remersier  Monsei- 
gneur de  la  grâce  qu'il  a  fette  à  moy  et  à  mon  cher 
ami  Salomon  Girard,  mais  ayant  commencé  à  mettre 

et  les  roseaux  de  la  flûte,  qui  s'entendent  pour  les  églogues 
pastorales,  et  ensemble  la  faux,  symbole  de  la  moisson,  celle-ci 
pour  la  Géorgique  »  (Bellori,  trad.  Rémond,  p.  27). 

1.  Les,  pour  lais,  opposé  à  prêtres  (interprétation  due  à 
M.  André  Fontaine). 

2.  Le  coin  gauche  de  la  feuille  présente,  au  ms.  12347,  une 
déchirure  :  on  ne  lit  plus  que  les  deux  dernières  lettres  du 
mot  Paris. 


1641]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  55 

au  net  le  dessaing  pour  le  Virgille  j'ai  mieus  aimé  le 
poursuiure  croyans  par  ce  moyen  me  rendre  plus 
agréable  à  mondit  Seigneur,  et  comme  cet  le  premier 
que  j'ay  fet  pour  mettre  en  lumière  j'ay  osé  luy 
dédier.  Je  vous  supplie  luy  faire  trouuer  bon  la  bonne 
inclination  que  vous  aués  pour  vostre  serviteur,  m'as- 
sure de  cette  grâce  vous  assurant  (Monsieur)  que  si 
journellement  je  resois  de  vous  de  nouuelles  faneurs 
et  si  mon  peu  de  pouuoir  ni  peut  correspondre  au 
moins  ma  bonne  affection  est  deuenue  si  grande 
qu'elle  ne  pourra  jamais  être  surmontée  d'aucune 
autre. 

Le  plus  humble 

de  tous  vos  seruiteurs 

Poussin. 
De  paris  ce  disième  apuril  1641. 

28.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol-  38.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[10^  auril  1641. 

Po'^  accompagner  le  dessein  du  Virgille.] 
Monsieur  Comme  j'estois  prest 

de  porter  les  deus  présentes  lettres  en  la  maison  de 
messieurs  vos  frères  pour  vous  la  faire  tenir  avec  le 
présent  dessein  j'ay  repceu  une  de  vos  lettres  auec 
un  breuet  du  roy  lequel  m'a  raui  et  confôdu  tout 
ensemble  et  demeure  muet  de  me  voir  aïsi  fauorisé 
de  Monseigneur  et  de  vous 

Je  vous  en  demeure 
éternellement  obligé 

*  Si  l'on  ne  trouue  a  propos  que 

I.  Dans  le  ms.,  le  post-scriptum  se  trouve  inséré  dans  l'es- 


56  CORRESPONDANCE  [1641 

la    teste  ^    du    poète    soit    auec 

la    barbe    jen    ferai    une    autre 

selon   la    medaigle    antique    afin 

de  contenter  ceus  qui  trouuent  a 

redire  partout 

Vostre  très  humble 

seruiteur 

Poussin. 

29.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Naylor2.) 

Al  111"^°  et  R^'^  Sigf^  et  Prdn 
mio  oss^°  il  sig.  caualier  del  Po\\o^  in  Roma. 

111™°  Sigf  mio 
Son  spesso  consolato  con  le  sue  amorevoliss'ne 
lettere.  due  n'ho  ricevute  in  un  sol  giorno,  quelle 
del  25  di  Gennaro,  e  del  i3  di  Marzo,  per  l'una  e 
l'altra  conosco  quant'  è  grande  l'affetto  di  V.  S.  IIH* 
verso  il  suo  ser'e  e  li  sui.  Mi  consolarei  davantaggio 
s'io  potessi  altro  che  con  la  divozione  mostrare  i 
miei  risentimenti.  E  vero  che  ho  occasione  di  mos- 
trare almeno  con  la  prontezza  quanto  son  desiderozo 
di  seruirla  particolamente  nel  operetta  che  Ici  mi 
lascio  da  fare  del  Battessimo  di  Christo  ma  la  mia 
buona  uolontà  interrotta  per  l'importunità  di  quelli 

pace  très  large  qui  sépare  la  fin  de  la  lettre  de  la  signature. 
Notre  format  nous  oblige  à  donner  aux  post-scriptum  la  place 
qu'ils  occupent  dans  les  lettres  aujourd'hui. 

1.  Teste  surchargeant_^g-Mre,  que  Poussin  avait  d'abord  écrit, 
puis  a  rayé. 

2.  L'original  appartenait  à  la  collection  F.  Naylor  quand 
M.  Thibaudeau  envoya,  en  1879,  à  M.  de  Chennevières,  la 
copie  «  mot  pour  mot  »  dont  nous  donnons  le  texte.  Bottari 
l'avait  publiée,  t.  I,  p.  276. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  Sj 

che  mi  soprastanno  quali  non  mi  lasciano  un  ora  di 
tempo  libero  tuttavia  quest'  istate  credo  darci  com- 
pimento,  la  fini)  di  abbozzare  totto  che  fù  arrivata 
cominciando  anco  quella  del  Sig'  Gio  :  Stefano.  L'uno 
e  l'altro  se  dio  piace  invierô  insieme  pigliando  l'occa- 
sione  ch'io  troverô  più  a  proposito.  Potrebbe  essere 
che  per  il  mezzo  del  Nunzio  nuovo  VS.  111™^  mi  por- 
gesse  qualche  indrizzo  per  sicuramente  fargli  tenere 
é  quelle  é  qualch'  altra  gentilezza,  s'io  la  potrô  fare, 
o  ricuperare.  Mi  commandi  la  prego,  in  tutte  quelle 
cose  che  sei  conosce  che  la  posso  servire  come  devo. 
raccommandandomi  la  prego  di  tutto  il  mio  affetto 
di  continuare  la  tutella  che  sei  ha  preso  délia  mia 
casa  e  bagiandogli  le  mani  gli  faccio  humiliss'na 
riuerenza 

DI  VS  Ill'na  R«a 
Hummo  Serre 

Nicole  PoussiNO. 
Di  Parigi  il  18  Aprile  1641. 

Au  Seig^  III^^  et  i,  mon  Patron  très  honoré^ 
le  Seig^  Cavalier  del  Po^^o,  à  Rome. 

Mon  IlHe  Seigf 
Je  suis  souvent  consolé  par  vos  lettres  pleines  d'af- 
fection :  j'en  ai  reçu  deux  en  un  seul  jour,  celle  du 
25  janvier  et  celle  du  i3  mars.  Je  reconnais,  par  l'une 
et  l'autre,  combien  est  grande  l'affection  de  V.  S. 
111™^  pour  son  Ser""  et  les  siens.  Je  me  consolerais 
davantage  si  je  pouvais  lui  montrer  mes  sentiments 
autrement  que  par  mon  dévouement.  Il  est  vrai  que 
j'ai  l'occasion  de  lui  montrer  au  moins  par  ma 
promptitude  combien  je  suis  désireux  de  la  servir, 
particulièrement  dans  le  petit  ouvrage  qu'elle   m'a 


58  CORRESPONDANCE  [164I 

laissé  à  faire,  du  Baptême  du  Christ;  mais  ma 
bonne  volonté  est  interrompue  par  l'importunité 
de  mes  supérieurs,  lesquels  ne  me  laissent  pas 
une  heure  de  temps  libre  :  toutefois  cet  été  je  crois 
bien  le  mener  à  fin.  J'ai  fini  de  l'ébaucher  dès 
que  j'ai  été  arrivé,  et  j'ai  commencé  aussi  celui  du 
Seigr  Giov.  Stefano^  S'il  plaît  à  Dieu,  j'enverrai  l'un 
et  l'autre  ensemble,  saisissant  l'occasion  que  je  trou- 
verai la  plus  à  propos.  Il  se  pourrait  que  par  le 
moyen  du  nouveau  Nonce^,  V.  S.  Ill'"''  me  donnât 
quelque  adresse  pour  les  lui  faire  tenir  sûrement,  et 
les  tableaux,  et  toute  autre  fantaisie,  si  je  peux  la  lui 
faire  ou  la  lui  procurer.  Qu'elle  me  commande,  je 
l'en  prie,  pour  toutes  les  choses  où  elle  sait  que  je  la 
peux  servir  comme  je  le  dois.  Je  la  prie  de  tout  mon 
cœur  de  continuer  la  tutelle  qu'elle  a  prise  de  ma 
maison,  et,  lui  baisant  les  mains,  je  lui  fais  la  plus 
humble  révérence, 

De  V.  S.  Ill-ne  et  R«« 
le  très  humble  serviteur 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  le  i8  Avril  1641. 


1.  Giovanni-Stefano  Roccatagliata.  Gabriel  Naudé  écrit  à 
Cass.  del  Pozzo,  le  18  avril  1642,  qu'il  a  fait  à  Poussin  «  une 
relation  particulière  sur  ce  que  l'Ill.  Seig'  Carlo  Antonio  [del 
Pozzo]  et  le  seigneur  Stefano  promettaient  de  faire,  pour  que 
ses  intérêts  fussent  bien  gouvernés  »  (texte  italien  dans  Lum- 
broso,  Notifie  sulla  vita  di  Cass.  del  Po:^jo).  Roccatagliata  fut 
l'exécuteur  testamentaire  de  Carlo  Antonio.  Il  mourut  en  i652 
{Ibid.,  p.  148). 

2.  Il  s'agit  du  Génois  Girolamo  Grimaldi,  qui  sera  fait  car- 
dinal en  1643,  à  la  recommandation  de  Louis  XIII.  Richelieu 
écrit  au  cardinal  Bichi,  le  25  octobre  1640  :  «  Aussitôt  que  le 
nonce  Grimaldi  sera  arrivé...  » 


1641]  de  nicolas  poussin.  5g 

30.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  39.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
commis  de  Monseigneur  de  Noyier,  à  Ruel. 

[M.  Poussin  i3^  auril  1641  *• 

Il  remercie  d'un  muid  de  vin.] 
Monsieur  et  patron 

Mardi  dernier  après  auoir  eu  l'onneur  de  vous 
acompagner  à  Meudon  et  auoir  esté  joieusement,  à 
mon  retour  je  trouuoi  que  l'on  desendoit  en  ma  caue 
un  mui  de  vin  que  vous  m'auiés  mandé.  Comme 
c'est  vostre  coustume  de  faire  regorger  ma  maison 
de  biens  et  de  faueurs.  Mercredi  j'eus  une  de  vos 
gracieuses  lettres  par  laquelle  je  vis  que  particulière- 
ment vous  désiriés  scauoirce  qu'il  me  sembloit  dudit 
vin.  Je  l'ay  esséié  avec  mes  amis  aimans  le  piot,  nous 
l'auons  tous  trouué  trèsbon,  et  m'assure,  quand  il 
sera  rassis,  que  l'on  le  trouuera  ecceient.  Du  reste 
nous  vous  seruirons,  car  nous  en  boirons  à  vostre 
santé,  quand  nous  aurons  soif,  sans  i'espargner;  car 
ausi  bien  je  vois  que  le  prouerbe  est  véritable  qui 
dit  :  qui  chapons  mange,  chapon  luy  vient.  Mesme- 
ment  hier  Monsieur  de  CostSse  m'enuoya  un  pasté  \- 
de  cerf  si  grand  que  l'on  voit  bien  que  le  pâtisier 
n'en  a  retenu  sinon  les  cornes.  Je  vous  assure  (Mon- 

I.  La  date  de  cette  lettre  est  douteuse.  Poussin  a  écrit  très 
lisiblement  ;  ce  tantiesme  dauril.  Aussi  la  copie  de  l'Institut 
porte-t-elle  :  ce  trantieme  avril.  Mais,  en  tête  du  sommaire, 
Chantelou  a  écrit  une  date  qui  peut  se  lire  i3  avril  ou  peut- 
être  même  /  7  avril.  En  avril  1641,  les  mardis  étaient  les  5, 
12,  19  et  26. 


60  CORRESPONDANCE  [164I 

sieur)  que  deshormais  je  ne  manqueray  pas,  à  com- 
mencer par  le  dimanche,  à  me  resiouir  comme  je  fis 
le  dimanche  passé,  affin  que  la  sepmaine  ensuivâte 
soit  comme  l'on  dit  que  toutte  l'année  est  au  pais  de 
Cocagne.  Je  vous  suis  le  plus  obligé  homme  du 
monde  comme  ausi  je  vous  suis  le  plus  deuotieus 
seruiteur  de  tous  vos  seruiteurs 

Poussin. 
De  vostre  maison  du  Jardin 

des  Tuilleries  ce  tantiesme  d'auril  1641. 

31.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Copie  de  l'Institut,  i5"  lettre  1.) 

de  Paris  ce  dixième  May  1641 
Monsieur  Le  sieur  Adam^ 

étant  fort  désireux  de  s'employer  au  service  de  sa 
Majesté  et  de  Monseigneur  de  Noyers  m'a  prié  de 
vous  supplier  de  vous  souvenir  de  lui  et  de  son  loge- 
ment devant  que  vous  vous  parties  d'ici  pour  que 
mon  dit  Seigneur  vous  en  a  chargé.  Il  c'est  délibéré 
de  vous  aller  saluer  à  Ruel  d'autant  que  hier  il  ne 
peut  avoir  l'honneur  d'en  traiter  avec  vous  il  vous 
dira  de  bouche  plusieurs  choses  touchant  la  menui- 
serie qu'il  aura  à  faire,  je  vous  supplie  très  humble- 
ment de  l'entendre  et  de  donner  ordre  tel  que  l'on 
puisse  commencer  et  continuer  à  travailler  à  la  ditte 
menuiserie  de  la  Galerie  ce  que  nous  en  fesons  lui  et 
moi  n'est  que  pour  vous  faire  souvenir  de  ce  que  vous 
souhaiteriés  ainsi  comme  nous  croyons 

Votre  plus  humble  serviteur 
Signé  :  Poussin. 

1.  Original  perdu  entre  la  confection  de  la  copie  de  l'Insti- 
tut (1754  ou  1755)  et  l'achat  par  l'Etat  du  ms.  12347  ('^^7)- 

2.  Sur  Adam,  cf.  lettre  du  21  septembre  1642. 


1641]  de  nicolas  poussin.  61 

32.  —  Poussin  a  Ghantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  i6'  lettre»,) 

Après  avoir  mûrement  pensé  à  la  proposition  que 
vous  me  fîtes  hier  d'aller  à  Dangu^  et  de  la  à  Chan- 
tilli  j'ai  trouvé  qu'il  étoit  impossible  d'employer  en 
ce  voyage  moins  de  cinq  ou  six  jours  si  d'avanture 
l'on  ne  vouloit  faire  de  très  longues  journées  auquel 
travail  outre  la  saison  qui  est  chaude  j'aurois  peur  ne 
pouvoir  pas  résister  sans  mettre  ma  santé  en  com- 
promisse, il  y  a  tant  de  temps  que  je  suis  sedenterre 
que  je  doute  que  ce  travail  immodéré^  ne  m'incom- 
mode beaucoup  le  recevant  sans  m'y  être  acoutumé 
premièrement  peu  à  peu. 

Vous  savés  bien  ce  qui  arriva  au  venir  d'Italie  ici 
pour  avoir  témérairement  entrepris  de  vous  suivre  à 
cheval  vous  qui  êtes  d'ici  il  y  a  longtemps  endurci 
de  cette  manière  d'exercices,  jai  aussi  diligemment 
fait  le  calcul  des  choses  que  jai  à  faire  en  l'espace  de 
trois  semaines  et  trouvé  que  je  n'ai  pas  une  seule 
heure  de  temps  à  perdre  ains  au  contraire  je  ne  m'as- 
sure pas  d'avoir  en  ce  temps  là  accompli  se  quil  faut 
que  je  fasse.  Je  vous  suplie  si  cest  une  chose  qui  soit 

1.  Original  perdu;  cette  lettre  n'est  connue,  comme  la  pré- 
cédente, que  par  la  fidèle  copie  de  1755,  à  la  bibliothèque  de 
l'Institut. 

2.  Dangu,  à  une  lieue  de  Gisors,  auj.  arr.  des  Andelys. 
C'était  la  maison  de  campagne  de  M.  de  Noyers,  qui  l'embel- 
lira, s'y  retirera  et  y  mourra  le  20  octobre  1645.  Le  23  mai  T 
1641,  Louis  XIII  quitta  Saint-Germain  pour  aller  en  Picardie, 
coucha  le  24  à  Dangu  et  continua  par  Gournay,  Aumale  et 
Abbeville. 

3.  «  Tous   les  jours  étoient  pour  lui  des  jours  d'étude,  et 

tous  les  momens  qu'il  employoit  à  peindre  ou  à  dessiner  lui         j^ 
tenoient  lieu  de  divertissement.  Il  étudioit  en  quelque  lieu 
qu'il  fût  »  (Félibien,  p.  n). 


62  CORRESPONDANCE  [1641 

si  nécessaire  au  moins  de  me  permettre  d'y  aller  com- 
modément et  à  petites  journées  mêmement  Je  put 
vous  aller  trouver  sii  vous  plaist  y  aller  devant  si  ce 
nut  été  la  grande  hâte  que  jai  de  finir  aujourd'hui  les 
dessins  que  vous  vîtes  hier  commencer.  Je  vous  aurois 
été  avertir  des  choses  mêmes  qui  sont  contenues  en 
ces  quatre  lignes  auquelles  je  vous  de  donner  de 
bouche  un  mot  de  réponse.  Je  suis  et  serei  toute 

ma  vie 

Monsieur 

Votre  très  humble  et  très  affectionné 

serviteur 

Signé  :  Poussin. 

33.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12847,  fol.  41.) 

A  Monsieur  De  Chantelou, 
commis  de  monseigneur  De  Noyers  en  Court. 

[M.  Poussin  3o^  may  1641. 

Il  mande  que  les  portraits  du  Roy  et  de  S.  E.  que 
j'auois  enuoyés  à  M.  le  Cheualier  du  Puys  ont  esté 
gastés;  recommande  Langelon;  qu'il  trauaille  au  des- 
sein de  la  Bible  et  au  tableau  de  S^  Germain.] 

Monsieur  Depuis  que  vous 

vous  este  parti  de  cette  ville  j'ai  reçeu  une  lettre  de 
monsieur  le  Cheualier  du  puis  parlaquelle  il  témoigne 
assés  combien  vous  l'aués  obligé,  par  le  présent  que 
vous  lui  aués  fet  des  portraits  de  nostre  Roy  trescres- 
tien  et  de  Son  Eminense.  Il  les  repceut  assés  mal 
conditionnés,  d'autans  que  la  casette  fut  ouverte  par 
ceux  de  la  poste,  et  lesdits  portrais  remis  si  négli- 
geamment  et  si  mal  roulés,  que  auec  grandissime 
peine  Ion  les  a  peu  restaurer  parce  que  les  toiles  s'es- 
toint  attachées  auec  la  peinture  en  telle  façon  que 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  63 

particulièrement  le  champ  et  les  cheueus  ont  esté 
ruinés;  lerreur  auroit  peu  estre  commis  à  paris  pre- 
mièrement là  où  elle  demoura  huit  jours  et  puis  de 
là  ceus  de  lion  et  de  Rome  [mesme]  en  auront  fet  de 
mesme.  J'ay  bien  voulu  vous  en  aduertir  affin  que  à 
l'aduenir,  quand  vous  vous  délibérerés  de  mander 
quelque  chose  à  vos  amis  vous  ne  vous  fiés  pas  à  des 
personnes  qui  ne  portent  respect  [ni]  au  nom  de 
monseigneur  de  Noyers,  nonplus  que  si  lesdites 
choses  avoint  esté  enuoyées  par  une  personne  des 
plus  ordinaires. 

Le  seigneur  Francesco  Angeloni*  atend  la  résolu- 
tion qui  touche  la  dédicasse  de  son  liure  d'autant 
plus  ardamment  que  pourceque  l'on  sait  à  la  Cour 
de  Rome  l'occasion  qui  l'empesche  de  le  publier  et 
chascun  est  attendans  ce  que  une  si  longue  dillation 
pourra  enfanter;  il  désireroit  fort  que  l'affaire  ce 
conclus  au  plus  tost,  car  autrement  il  luy  conuiendra 
prendre  un  nouveau  parti  pour  publier  laditte  oeuure. 
J'ay  entendu  qu'il  importeroit  autour  de  mille  escus, 
mais  Je  crois  que  deus  cens  pistoles  accommoderoint 
toutte  son  aff"ere.  Je  vous  suplie  (Monsieur)  d'en 
escrire  un  mot,  affin  que  ce  galant  homme  là  soit 
hors  de  peine.  Je  vous  suplie  ausi  de  me  faire  scauoir 
(s'il  m'est  permis)  si  vous  continués  à  faire  designer 
le  sieur  Errard^  comme  le  sieur  Jouan  Angelo  Gani- 

1.  Le  sieur  Angeloni,  savant  antiquaire  romain,  oncle  de  ce 
Bellori  qui  écrira  Le  Vite  de'  Pittori,  etc.,  et  notamment  celle 
de  Poussin.  Il  aimait  fort  la  peinture  et  fut  un  grand  collection- 
neur de  dessins  et  de  gravures.  Le  livre  dont  il  s'agit  est  une 
Historia  Augusta  da  Giulio  Cesare  a  Costantino,  qu'il  réussit 
enfin  à  dédier  à  Louis  XIII  et  qu'il  publia  à  Rome. 

2.  Le  peintre  Charles  Errard,  1615-1689,  fils  d'un  artiste  de 
Nantes;  il  fit  deux  séjours  à  Rome  et  peignit  au  retour  la  gale- 
rie de  Dangu  pour  M.  de  Noyers.  Il  fut  le  collaborateur  de 
M.  de  Chambray  dans  ses  ouvrages  sur  la  peinture.  En  1661, 


64  CORRESPONDANCE  [1641 

nio'  qui  vous  baise  les  mains.  Quant  pour  moy,  je 
travaille  continuellement  au  tableau  de  S'  Germain. 
J'ay  ordonné  le  compartiment  de  la  galerie ^  j'en  ay 
donné  les  profiles  et  modénatures.  Nous  ne  trouuons 
autre  sculpteur  que  monsieur  perlan' pour  modeler 
et  se  qui  sera  nécessaire,  mais  l'on  le  guiddera  le 
mieus  que  l'on  poura,  affin  qu'il  puisse  seconder  nos 
intentions.  Sependant  que  l'on  fera  le  second  pont, 
je  ferais  les  cartons  de  dessus  les  fenestres,  affin  que 
incontinent  le  stuc  fini,  l'on  i  dépeigne  ce  qui  est 
nécessaire. 

J'ay  espéranse  que  l'œuure  se  fera  tost  et  à  peu  de 
fres;  je  crois  ausi  qu'elle  ne  sera  pas  ingrate;  quand 
il  i  en  aura  une  partie  d'accomplie  je  vous  escriray 
de  l'effet  qu'elle  fera  et  bien[tost]  je  vous  enuoiray  le 
pensement  du  frontispice  de  la  grande  bible.  Je  vous 
escriray  déshormais  de  toute  mes  actions  affin  que 
vous  voyes  si  j'atendray  dilligemment  à  m'employer 
aux  choses  que  Monseigneur  [a]  atend  de  moy.  J'ay 
esté  auiourd'hui  avec  Monsieur  de  Chambrai  et  le 
sieur  Le  Clerc  au  nouiciat  des  Jésuites*,  pour  voir 

il  occupait  une  situation  prépondérante  qu'il  eut  le  bon  sens 
de  céder  plus  tard  à  Le  Brun,  en  échange  de  la  direction  de 
l'École  française  de  Rome. 

1.  Jean-Angelo  Caninio,  né  à  Rome  en  1609,  mort  en  1666, 
disciple  du  Dominiquin.  «  Il  s'étoit  beaucoup  attaché  à  dessi- 
ner des  monuments  antiques...  C'étoit  un  homme  sage  et  qui, 
faisant  son  unique  occupation  de  l'étude,  étoit  fort  retiré.  »  Il 
a  notamment  gravé  le  portrait  de  ÏAngeloni  (Mariette,  Abeced., 
t.  II,  p.  299). 

2.  La  grande  galerie  du  Louvre  (voir  Ph.  de  Chennevières, 
La  peinture  française,  p.  176). 

3.  Henry  Perlan,  de  Paris,  baptisé  le  4  avril  1697;  sculpteur 
et  excellent  fondeur  en  bronze;  ami  intime  de  Jacques  Sara- 
zin;  mort  en  1662.  —  Quatremère  de  Quincy,  dans  l'édition  de 
1824,  l'a  confondu  avec  Thibaut  Poissan  (voir  Jal,  p.  955). 

4.  Il  ne  faut  pas  confondre  le  Noviciat  des  Jésuites  avec  leur 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  65 

ce  que  l'on  pouroit  faire  pour  amender  le  bas  relief 
que  l'on  a  fet  des  armes  de  monseigneur.  J'i  aporterei 
ce  qui  sera  de  mon  possible,  et  joindrai  mes  petites 
forces  avec  celles  dudit  Clerc  s'il  en  sera  besoin  affin 
que  ledit  monseigneur  reste  serui.  Nous  vous  en 
enuerrons  quelque  pensement.  Sependans  je  vous 
supHe  de  mecontinuerl'honneur  de  vos  bonne  grâce, 
affin  que  je  viue  contens,  prians  dieu  qu'il  vous 
rende,  Monsieur,  le  plus  heureus  de  tous  les  hommes, 
Vostre  plus  humble  et  obligé  seruiteur, 

Le  poussin. 
de  paris  ce  trentiesme  may  1641. 

34.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo'. 

Al  111"'°  et  R"'^  Sig'^  e  Prdn  mio 

055™°  il   Sig'^^   Caualier  del  Poi\o 

in  Roma. 

Ill'no  e  R-n^  Sig''  mio 
Deuo  esser  molto  contento  mentre  V.  S.  111°»»  et 
R™a  mi  porge  inditio  délia  continuatione  della  sua 
beneuolenza  ma  puô  bene  anco  congetturare  da  i  suoi 
fauori  la  nécessita  délie  mie  obbligationi  dalle  quali 
non  potro  mai  soUeuarmi.  Mi  dolgo  del  insolenza 
delli  ministri  della  posta  di  hauer  ardito  di  aprire  la 
cassetta  oue  erano  i  retratti  mandati  a  lei  dal  Sig»'  de 

église  de  la  rue  Saint-Antoine.  L'église  du  Noviciat,  dont  M.  de 
Noyers  avait  été  le  fondateur,  était  toute  voisine  de  Saint-Sul- 
pice,  entre  les  rues  du  Pot-de-Fer,  du  chevalier  Honoré,  de 
Mézières  et  Cassette.  On  la  voit  dans  le  plan  de  Paris  par 
Gomboust,  en  i652,  et  dans  une  gravure  d'Israël  Sylvestre 
[Ga:^ette  des  beaux-arts,  i"  mars  1877,  p.  3io). 

I.  Cette  lettre  inédite  est  dans  le  dossier  Ph.  de  Chenne- 
vières,  sans  mention  de  l'endroit  où  se  trouve  l'original. 

ign  5 


66  CORRESPONDANCE  [1^41 

Noyers,  per  l'auenire  quando  sarà  di  bisogno  di  man- 
darlei  qualche  cosa  ni  si  darà  meglior  ordine.  ne  ho 
scritto  al  Sig^  de  Chantalou  il  quale  se  uorrà  ne 
potrà  fare  que  gli  risentimenti  che  bisogna.  Jo  credo 
che  V.  S.  IIW^  restara  seruita  intorno  al  suo  negotio 
di  Piemonte  perche  sento  che  questi  Sig"  hanno 
preso  la  sua  causa  in  affettione.  credo  che  presto  lei 
ne  hauera  qualche  buona  nuoua.  mené  rallegrerô 
sommamente  dessa  se  tal  cosa  riesce  al  suo  gusto. 
non  diro  altro  per  adesso  se  non  che  priego  il  Sig"" 
Iddio  di  conseruare  a  me  la  sua  amoreuole  prottet- 
tione  e  di  concedere  a  lei  ogni  contentenzza  deside- 
rabile  mentre  col  fine  confermandoli  il  dono  che  l'ho 
fatto  gia  molto  tempo  di  me  medesimo  gli  faccio 
affettuossiss™^  riuerenza. 

Di  V.  S.  lU»»^  et  R«°a  /  hum»»  S'^ 

Nicolô  Poussin. 
di  Parigi  3i  maggio  1641. 

A  r Illustrissime  et  Reverendissime  mon  Seigneur  et 
Maître^  le  très  honoré  Seigneur  Cavalier  del  Po^^o^ 
à  Rome  ^ . 

Mon  Ill«ne  et  Rév™e  Seigneur, 
Je  dois  être  bien  heureux  de  la  nouvelle  marque 
que  me  donne  V.  S.  Ill"«  et  Révœe  de  la  continuation 
de  sa  bienveillance,  et  elle  doit  bien  aussi  juger  par 
ses  faveurs  combien  il  me  sera  impossible  de  m'ac- 
quitter  jamais  de  mes  obligations  envers  elle.  J'ai 
bien  de  l'ennui  de  l'insolence  qu'ont  eue  les  employés 
de  la  poste  d'oser  ouvrir  la  petite  caisse  où  étaient  les 
portraits  que  vous  envoyait  M.  de  Noyers.  A  l'avenir, 
quand  il  sera  besoin  de  vous  envoyer  quelque  chose, 

I.  Traduction  de  Ph.  de  Chennevières. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  67 

on  y  donnera  meilleur  ordre.  J'en  ai  écrit  à  M.  de 
Chantelou,  lequel  s'il  le  veut,  pourra  en  faire  les 
réclamations  qu'il  faut.  Je  crois  que  V.  S.  Ill"'^  sera 
bien  servie  pour  ce  qui  regarde  son  affaire  de  Pié- 
mont^, parce  que  je  vois  que  ces  Messieurs  ont  pris 
ses  intérêts  à  cœur.  Je  crois  que  bientôt  elle  en  aura 
quelque  bonne  nouvelle.  Je  m'en  réjouirai  infiniment 
si  cette  affaire  réussit  à  son  souhait.  Je  n'ai  plus  rien 
à  dire  quant  à  présent,  si  ce  n'est  que  je  prie  Dieu  de 
me  conserver  votre  aimable  protection,  et  de  vous 
accorder  tous  les  contentements  que  vous  pouvez 
désirer,  et  vous  renouvelant  jusqu'à  la  fin  le  don  que 
je  vous  ai  fait  depuis  si  longtemps  de  moi-même,  je 
vous  fais  mes  plus  affectueuses  révérences. 

De  Votre  S.  Ill'"^  et  Revn^,  le  très  humble  serviteur, 

Nicolas  Poussin. 
de  Paris,  le  3i  mai  1641. 

35.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  43''0 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers. 

[M.  Poussin  I i^juin  1641. 

Cette  lettre  contient  les  raisons  pour  M.  le  Cheua- 
lier  du  Puys  pour  l'abaye  q'  contestoit^  contre  l'abbé 
Mondin*.  Elle  est  fort  persuadante.] 

Monsieur  Vous  m'aués  honnoré 

1.  Allusion  à  la  demande  que  Cassiano  del  Pozzo  faisait  de 
l'abbaye  de  Cavour.  Les  lettres  suivantes  expliquent  l'affaire 
et  relatent  son  succès. 

2.  Lettre  écrite  en  fin  et  assez  mal. 

3.  Lecture  douteuse  :  M.  de  Chennevières  lirait  convoitoit. 

4.  L'abbé  Mondin,  Piémontais,  était  l'un  des  négociateurs 
de   Richelieu   en   Piémont  en   1639.  Il   s'attacha  plus  tard   à 


V 


68  CORRESPONDANCE  [164I 

de  trois  de  vos  lettres  dont  les  deus  dernières  sont 
datées  du  deus  et  cinquiesme  juin.  Par  la  première 
j'ay  admiré  la  vertu  et  grande  hardiesse  de  Mon- 
sieur Gasion'.  Mais  la  souuenanse  que  vous  aués  de 
l'affaire  de  Monsieur  le  Cheualier  du  puis  oblige  tout 
le  monde  à  croire  que  vous  estes  le  gentilhomme  du 
monde  le  plus  porté  à  faire  du  bien  et  faire  des 
grâces  au  jens  de  mérite.  Véritablement  il  ne  scauroit 
vous  ariuerunplus  beau  subiect,  pour  exercer  vostre 
vertu  et  montrer  vostre  crédit  que  celui-cy.  Tout 
freschement  j'en  ay  repceu  des  lettres  par  lesquelles 
il  me  prie  de  vous  faire  souuenir  de  sa  juste  cause  et 
de  le  fauoriser.  Vous  aurés,  je  crois,  entendu  ses 
raisons  et  s'il  plaisoit  à  Monseigneur  les  considérer. 
Je  crois  qu'il  luy  sembleroit  chose  peu  conuenable 
que  une  grâce  fette  du  Pape  de  mouvement  propre  à 
un  seruiteur  effectif  du  Cardinal  Son  Nepueu^,  et  qui 
mérita  de  le  seruir  dès  le  commencement  du  pontifi- 
cat, n'ayans  eu  jusques  à  présent  aucune  récompense 

Mazarin,  dont  il  obtint  de  bons  bénéfices  et  un  canonicat  à 
Notre-Dame.  «  C'est  un  homme  qui  est  fin  et  rusé  »,  dit  Guy 
Patin,  «  qui  se  connoît  à  tout,  grand  mercadan  à  troquer, 
acheter,  vendre  et  revendre  ».  Voir  L.  de  Laborde,  Le  palais 
Mazarin,  p.  198. 

1.  L'intrépide  Gassion,  1609-1647.  —  M.  de  Chennevières 
signale  ici  qu'il  s'agit  de  l'audacieuse  prise  de  la  petite  place 
de  Lillers,  par  Gassion,  au  commencement  du  siège  d'Aire 
(fin  de  mai  1641).  Cf.  Mercure  français,  t.  XXIV,  p.  61-62. 
M.  de  Chantelou  était  alors  en  mission  près  de  Gassion  (voir 
H.  Chardon,  p.  43). 

2.  On  peut  dire  que  la  vie  de  Poussin,  depuis  son  arrivée  à 
Rome,  en  1624,  s'est  déroulée  dans  la  clientèle  des  Barbcrini. 
Leur  puissance  venait  du  long  pontificat  d'Urbain  VIII  (Maf- 
feo  Barberini,  né  en  i568,  élu  le  ig  juillet  1623,  mort  le  29  juil- 
let 1644).  Le  plus  illustre  des  neveux  du  pape  était  l'aîné,  Fran- 
cesco  Barberini  (1597-1679),  envoyé  en  mission  en  France  et 
en  Espagne  pour  essayer  de  régler  l'affaire  de  la  Valteline 
(1625-1626),  vice-chancelier  de  la  cour  de  Rome,  fondateur  de 
la  célèbre  bibliothèque  Barberine. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  69 

sinon  bien  petite,  et  ne  trouuant  aucun  empesche- 
ment  alla  grâce  repceiie,  estans  subiec  originaire  de 
Sauoye;  avec  Tauoir  eu  un  frère  qui  seruit  person- 
nellement le  Duc  de  Sauoye,  Mari  de  Madame  \ 
sependans  qu'il  vécut  et  en  paix  et  en  guerre  où  il 
perdit  la  vie,  oultre  qu'il  seruit  à  Rome  les  ambassa- 
deurs de  Sauoie  de  1611.  Jusques  à  présent  et  tout 
ensemble  et  en  mesme  temps  s'est  tousiours  monstre 
très  déuot  des  Ministres  de  la  France  et  de  nostre 
Nation  jusques  à  un  tel  signe  que  au  commencement 
du  Pontificat  après  auoir  esté  apellé  au  seruice  du 
Palais  il  se  trouua  quelqun  qui  procura  qu'il  en  fust 
esclus,  disant  qu'il  estoit  trop  françois,  et  qu'il  n'es- 
toit  pas  conuenable  de  mettre  auprès  d'un  Nepueu 
de  Pape  une  personne  qui  fust  tant  intrinsèque  à 
Nostre  Nation  et  bien  veu  des  ministres  d'icelle;  d'où 
il  manqua  peu  qu'il  n'en  repceut  quelque  afront;  à 
cause  de  quoy  il  semble  que  se  soit  une  chose  bien 
dure  et  peu  conuenable,  que  une  grâce  ainsi  bien 
qualifiée  ne  puisse  subsister.  Mais  doiue  sedder  à  un 
Abé  lequel,  oultrequ'il  est  assés  honnestementpouruu 
par  les  grâces  qu'il  a  repceùes  en  Piémont,  mais 
encore  ici  il  peut  en  receuoir  de  Sa  Maiesté,  à  toutte 
heure,  par  le  moyen  de  Son  Eminence,  tout  ce  que 
ses  espérances  peuvent  apéter,  parceque  il  est  en  un 
pais  où  les  vacanses  sont  opulentes  et  infinies,  pour 
en  pouuoir  estre  pourueu  quand  il  plaira  à  Sa  Maiesté. 
Mais  si  l'on  oste  audit  Cheualier  du  puis  ceque  si 
Justement  il  lui  preuient,  quand  et  d'où  a  il  à  espé- 
rer récompense,  estans  les  occasions  de  «  vacanse  « 
rares  en  Piémont?  Et  de  celles-là  moins,  auxquelles 

I.  Christine  de  France  (i6o6-i663),  sœur  de  Louis  XIII,  régente 
depuis  la  mort  de  Victor-Amédée  I",  le  7  octobre  iGSy. 


70  CORRESPONDANCE  [164I 

il  se  trouue  conioint  l'utilité,  avec  un  tiltre  honno- 
rable,  comme  est  celuy  de  l'Abaie  de  Cavore\  estans 
le  pontificat  passé,  tant  outre  que,  de  beaucoup  de 
centinaire  d'anés  en  çà^,  l'on  n'a  point  de  mémoire 
d'un  plus  long,  luy  oste  l'espérance  d'un  tel  bien  à 
venir,  et  si  il  pospose  le  présent,  il  est  obligé  à  ainsi 
faire,  parceque  s'il  méprise  une  grâce  à  luy  fette,  si 
plainne  d'afection  et  de  bonne  volonté  du  Pape, 
lequel,  après  l'auoir  honnoré,  joint  des  paroles  telles 
qu'il  en  demeure  obligé  plus  que  par  le  don  de  l'abaie. 
Sa  Sainteté  mesme  pouroit  auoir  un  juste  prétexte  de 
ne  penser  jamais  plus  à  luy  faire  aucune  grâce.  Je 
vous  assure  (Monsieur)  que  si  ledit  Cheualier  du  puis, 
vostre  très  affectionné,  estime  laditte  Abaye,  il  estime 
d'autans  plus  sa  réputation,  laquelle  est  en  ce  cas  ici 
si  fort  engagée  qui  ne  se  peut  plus  dens  les  fets  du 
succès  de  fortune.  Employés  vous  donc.  Monsieur, 
pour  l'amour  d'un  si  honneste  homme  et  pour  une  si 
juste  cause;  prenés  la  protection  d'un  Cheualier  qui 
toutte  sa  vie  a  esté  si  deuot  seruiteur  de  Sa  Maiesté 
et  de  nostre  Nation.  C'est  bien  une  vérité  que  le  plus 
grand  obstacle  qui  l'empesche  la  jouisanse  de  la  pro- 
vision de  la  ditte  abaie  ne  viene  que  des  recomman- 
dations d'ici  fettes  contre  luy. 

S'il  plaira  à  Monseigneurluy  donner  quelque  aide, 
il  conuiendra  faire  que  les  ministres  auquels  l'on 

1.  Cavore,  petite  ville  piémontaise,  l'une  de  celles  que  les 
Français  occupèrent  sous  Louis  XIII,  à  douze  kilomètres  de 
Pignerol. 

2.  Depuis  beaucoup  de  siècles.  —  En  effet,  Urbain  VIII  (élu 
en  1623)  régnait  depuis  dix-huit  ans  :  il  fallait  remonter  jus- 
qu'à Innocent  III  pour  trouver  un  pontificat  aussi  prolongé 
{1198-1216). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  7I 

désignera  d'escrire  à  Turin  pour  le  seruise  dudit 
Cheualier  et  recommandations  de  ces  interês,  tant 
pour  l'abaye  que  pour  quelque  peu  de  stables  qu'il  y 
a,  lisent  apelle  [à  un]  un  sien  parent  qu'il  a  fet  son 
procureur  en  laditte  ville  de  Turin,  dit  il  Signor  Fran- 
cesco  Maria  Borgarello,  du  quel  on  aura  tousiours 
cognoisance  par  le  moyen  des  pères  Jésuites  dudit 
lieu^,  que  celuy-là  selon  le  besoin  aura  soin  de  tout 
ce  qu'il  sera  nécessaire. 

Par  la  vostre  du  cinquiesme  Juin  vous  me  fettes 
scauoir  ce  que  Monseigneur  a  délibéré  de  faire  pour 
l'Ageloin.  Je  luy  escriray  promptement. 

Je  vous  remercie  très  affectueusement  des  faneurs 
que  journellement  vous  me  fettes,  et  de  ce  qu'il  vous 
plaist  me  mettre  en  bonne  opinion  enuers  Son  Emi- 
nense.  Je  tascherai,  monsieur,  à  ne  vous  pas  fere 
tort.  Je  vous  suplie  ausi  de  me  continuer  es  grâces  de 
Monseigneur  de  Noyers,  afin  que  les  obligations  que 
Je  vous  dois  n'en  aye  point  de  pareille. 

Il  est  ariué  en  cette  ville  un  jeune  homme  peintre 
que  vous  aués  désiré  voir  à  Rome  :  c'est  celui  qui  a 
dépeint  une  chapelle  en  l'église  du  peuple,  là  où  sont 
dépeints  certains  ornemens  de  grisaille  dont  la  ma- 
nière vous  plut  assés;  il  travaille  fort  bien  à  fres, 
comme  vous  en  aurés  veu  la  preuve;  il  m'est  venu 
voir,  et  c'est  offert  de  seruir  en  ce  qu'il  sera  bon;  s'il 
vous  plaist,  nous  l'arrêterons  pour  trauailler  aux 
ornements  de  la  galerie;  il  compose,  il  est  inuentif  et 


I.  Cassiano  del  Pozzo  était  né  dans  la  maison  qui  fait  face 
au  collège  des  Jésuites  de  Turin,  en  iSSg  ou  i5cp  (Lumbroso, 
op.  cit.,  p.  i35).  —  M.  de  Noyers  était,  on  le  sait,  fort  lié  avec 
les  Jésuites. 


7»  CORRESPONDANCE  [1641 

collore  compétentement  bien;  en  somme,  c'est  bien 
nostre  cas.  L'on  dit  que  Monsieur  Harmen^  est  par 
le  chemin. 

Je  suis  vostre  très  obligé 
et  humble  seruiteur 

Le  poussin. 
Du  Jardin  des  Tuilleries  ce  unziesme  Juin 

1641. 
Mon  beau  frère '^  vous  fet  très  humble  réuérense  et 
toutte  la  brigate^. 

36.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bibl.  de  Nantes,  ms.  166*.) 

AU'  III'^^  et  i?"??  Sig[^,  Oniss'^o 

Il  Sig!.  Ahhatte  di   Cauore, 

In  Roma. 

111™°  Sigf  Abbate 
Hô  riceuuto  le  lettere  di  VS  111""^  del  28  Aprile  è 

1.  Herman  van  Swanewelt,  de  l'Académie  royale  en  i65i. — 
«  Il  existe  des  gravures  de  Swanvelt,  d'après  les  dessins  de 
Poussin  pour  l'Adonis  de  Marino  »  (G.  Rémond,  p.  8).  C'était 
aussi  un  peintre  dont  les  sujets  devaient  plaire  à  Poussin, 
puisqu'on  lit  dans  l'inventaire  des  tableaux  vendus  en  Angle- 
terre en  1788  :  «  Hermann  Svanefeld,  Vue  de  Campo-Vaccino 
et  les  Bergers,  vendus  réunis  i5o  guinées  »  (Champier  et  San- 
doz,  Le  Palais-Royal,  t.  I,  p.  517). 

2.  Le  peintre  Gaspard  Dughet,  dit  le  Guaspre  (i6i3-25  mai 
1675). 

3.  Ce  post-scriptum  est  écrit  en  marge  et  verticalement. 

4.  Cette  lettre,  inédite,  appartient  à  la  bibliothèque  de  Nantes, 
fonds  Labouchère,  fol.  166.  Elle  est  accompagnée  d'une  lettre  en 
anglais,  sans  date,  par  laquelle  le  vendeur,  Thomas  Thorpe,  con- 
firme que  la  lettre  en  question  est  bien  un  original  et  non  une 
copie.  —  Nous  rapprocherions  de  cette  lettre  ce  que  dit  Castellan 
dans  la  Vie  de  N.  Poussin  (en  tête  de  l'œuvre  gravé  par  Landon) 
lorsqu'il  suppose  «  que  les  lettres  du  Poussin,  imprimées  dans 


164 1]  DE   NICOLAS    POUSSIN.  jS 

del  i5  di  maggio  c5  quelle  del  Sig.  Carlo  Antonio 
suo  fratello  ma  nô  posso  rispondere  aile  sue  fine  al 
altro  ordinario  solamente  diro  à  lei  per  non  mancare 
à  quanto  mi  commanda  che  sono  pochi  giorni  hebbe 
una  lettera  del  Sig""  de  Chantalou  che  contiene  queste 
parole  (per  risposta  di  una  mia  per  la  qualé  la  sup- 
plicauo  afféttuosamente  il  ricordarsi  délia  giustissima 
causa  causa  di  V.  S.  Ill™=>).  Je  noublie  pas  en  lafere 
de  monsieur  le  Chchevallier  du  Puis  de  la  quelle 
monsieur  de  Noyier  à  desia  parlé  à  monsignour  le 
Cardinal  qui  luy  a  dit  se  souuenier  fort  bien  dauoir 
escript  à  Roma  [aen]  en  fauéur  de  labbe  Mondin  sa 
partie  et  den  auoir  fait  escripre  au  nom  du  Roy  par 
M.  de  Chauigny^  a  la  recommandation  de  Madame, 
cela  est  fascheux.  neammoings  ie  ne  pers  pas  espe- 
ranse  encores  que  par  disgrâce  M.  de  la  court^  qui 
estoit  intime  à  mi  de  monsigneur  Ambassadeur 
auprès  de  Madame  de  Sauoye  à  qui  il  en  vouloit 
escripre  soit  mort  depuis  quinze  iours 
questo  è  quanto  io  posso  farli  sapere.  subito  riceuute 

l'ouvrage  italien  intitulé  :  Lettere  pittoriche,  et  dont  M.  Du- 
fourny,  membre  de  l'Institut,  possède  les  originaux,  sont  de 
la  main  du  Gaspre,  qui  servait  de  secrétaire  au  Poussin.  Parmi 
ces  lettres,  il  y  en  a  d'autographes,  dont  une,  entre  autres,  est 
fort  curieuse,  en  ce  qu'elle  est  commencée  en  italien  de  la 
main  du  Gaspre,  continuée  en  français  de  celle  du  Poussin, 
finie  comme  les  autres  en  italien  et  signée  Nicolo  Poussino  ». 
Cette  lettre  est  cependant  tout  entière  écrite  de  la  même 
main,  qui  n'est  pas  celle  de  Poussin,  mais  celle  qui  a  écrit  le 
billet  du  i"  mars  1641.  —  Nous  remercions  MM.  J.  Barou, 
proviseur  du  lycée,  et  Giraud-Mangin,  conservateur  de  la 
bibliothèque,  à  Nantes,  qui  ont  eu  l'obligeance  de  vérifier  le 
texte  italien  de  cette  lettre. 

1.  Léon  Bouthillier,  comte  de  Chavigny  et  de  Busançois 
(28  mars  1608-11  oct.  i652);  secrétaire  d'Etat  en  i632  et  asso- 
cié à  son  père  dans  la  confiance  de  Richelieu  et  la  conduite 
des  affaires. 

2.  M.  de  la  Cour,  conseiller  du  roi  en  ses  conseils,  ambassa- 
deur ordinaire  du  roi  à  Turin,  en  1640. 


74  CORRESPONDANCE  ['^41 

le  sue  lettere  ultime  hô  scritto  al  ditto  Sig.^  de  Chan- 
talou  di  far  quanto  sarà  à  lui  possibilé  per  amor  di 
VS:  incitandolo  il  mégliô  ch'  ho  potuto  cô  quelle 
giustissime  ragioni  che  lei  si  è  degnata  di  confidarmi 
spero  presto  hauérne  qualche  risposta  è  subito  scri- 
uero  il  tutto  l'ringratio  cô  ogni  affetto  délia  continua- 
tione  del  suo  amore  uerso  di  me  è  priego  Iddio  di 
tutto  core  di  felicitar  le  sue  impresé. 

DI.  VS:  IlWfe  Rt? 
Humrao  Ser" 

Nicolô  Poussin. 

Di  Parigi  questo  14  Giugno  1641 

Commessi  errore  nel  dire  che  la  lettere  che  lei 
hebbe  con  li  ritratti  fusse  di  monsigneur  de  Noyers 
ma  ella  era  di  mosieur  de  Chantalou. 

A  rill'^''  et  R""^  Seig", 
le  très  honoré  Seig^  Abbé  de  Cavore,  à  Rome. 

IlHe  Seig"-  Abbé, 
J'ai  reçu  les  lettres  de  V.  S.  Ill'ns  du  28  avril  et  du 
1 5  mai,  avec  celles  du  Seig.  Carlo  Antonio  votre  frère 
mais  je  ne  puis  répondre  aux  vôtres  avant  l'autre 
ordinaire;  je  vous  dirai  seulement,  pour  ne  pas  man- 
quer à  ce  que  vous  me  demandez,  qu'il  y  a  quelques 
jours  j'eus  une  lettre  du  Seig''  de  Chantalou  qui  con- 
tient ces  mots  (en  réponse  à  une  de  mes  lettres  par 
laquelle  je  le  suppliais  affectueusement  de  se  souvenir 
delacausesi  justedeV.  S.  111™^).  Je  noublie  pas,  etc.... 
...  Voilà  tout  ce  que  je  peux  vous  faire  savoir.  Dès 
que  j'eus  reçu  vos  dernières  lettres,  j'ai  écrit  au  dit 
Seig"^  de  Chantalou  de  faire  tout  ce  qui  lui  sera  pos- 
sible, pour  l'amour  de  V.  S.,  l'incitant  le  mieux  que 
j'ai  pu  avec  toutes  ces  raisons  si  justes  que  vous  avez 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  jS 

daigné  me  confier.  J'espère  avoir  rapidement  quelque 
réponse  et  je  vous  écrirai  tout  de  suite.  Je  vous  remer- 
cie en  toute  affection  de  la  continuation  de  votre 
affection  à  mon  égard,  et  je  prie  Dieu  de  tout  cœur 
de  faire  aboutir  vos  entreprises. 
De  V.  S.  Ill™«  et  R-^^ 
Le  très  humble  ser"^ 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  ce  14  Juin  1641. 

J'ai  commis  une  erreur  en  disant  que  la  lettre  que 
vous  eûtes  avec  les  portraits  était  de  Mgr  de  Noyers, 
mais  elle  était  de  M.  de  Chantelou. 

37.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  45.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers,  en  Court. 

[M.  Poussin  16  juin  1641. 

Il  parle  de  la  dédicace  du  Liure  de  Langelon. 
Des  armes  de  Mgr  au  Nouitiat,  désire  quelles  ne 
soient  pas  de  manière  gotique. 

Souhaite  d'auoir  quelque  beau  sujet  po^  le  tableau  du 
Nouitiat.] 

Monsieur  Par  la  vostre  du 

cinquiesme  juing,  vous  me  fettes  scauoir  que  mon- 
seigneur estoit  demeuré  d'accord  de  donner  deus 
cents  pistoles  à  paris  à  quelqun  qui  eust  la  charge  de 
les  recepuoir,  et  si  je  voulois  mander  à  qui  il  les  fau- 
droit  déliurer  que  cela  se  feroit  incontinent.  J'ay  parlé 
à  Monsieur  Passar^  Auditeur  des  Contes  et  l'ai  prié 

I.  «  ...  Monsieur  Michel  Passait,  Maître  de  la  Chambre  des 
Comptes,...  Nicolas  s'employait  volontiers  à  satisfaire  le  noble 
génie  de  ce  Seigneur,  très  amoureux  de  la  peinture,  et  infini- 
ment érudit  en  cet  art  »  (Bellori,  trad.  Rémond,  p.  5i).  —  Pas- 


»76  CORRESPONDANCE  [164I 

de  m'aider  en  la  conduitte  de  la  présente  affaire. 
Nous  auons  donc  parlé  à  Monsieur  Lumagne  pour 
la  remise  des  dittes  pistoles;  il  dit  qu'il  les  fera  tenir 
à  Rome,  à  huit  pour  cent,  pour  l'amour  dudit  Pas- 
sar.  Vous  en  ordonnerés  maintenans  comme  il  vous 
plaira;  mais  il  seroit  nécessaire  de  scauoir  si  le  Hure 
se  desdie  au  Roy  ou  à  Monseigneur  Le  Cardinal 
Rochelieu,  pour  ceque  la  Lettre  dédicatoire  pour  le 
Roy  est  assés  belle,  mais  l'autre  se  pouroit  amender 
et  conviendroit  que  ledit  Angelon  s'efforsast  d'en 
composer  une  autre  d'un  stille  plus  releué. 

Il  seroit  nécessaire  d'escrire  à  Monsieur  le  Chan- 
cellier\  affin  qu'il  mist  son  seau  au  priuilège  du  Hure. 

Il  faudroit  scauoir  combien  d'exemplaire  l'on 
veut,  et  si  l'on  les  veut  reliés  ou  non,  mais  l'on  ne  les 
relie  pas  bien  à  Rome.  Le  jeune  homme  flamen  dont 
troptost  je  vous  auois  fait  la  feste,  a  esté,  je  m'as- 
sure, desconseillé  de  quelque  homme  de  bien  de  ne 
s'arester  point  ici;  il  cest  donc  délibéré  de  partir 
pour  s'en  aler  en  son  pais.  Nous  aurons  patiense. 

Monsieur  Errard,  voyans  que  vous  auiés  escrit  au 
Signeur  Jan  Ange  et  fat  les  offres  que  vous  lui  auiés 
fettes,  et  n'ayans  pas  (comme  je  crois)  encore  repceu 
les  vostres,  ni  ne  sachans  rien  de  l'ordre  que  lui 
auiés  mandé,  doubtoit  que  vous  ne  fusiés  pas  assés 
satisfait  des  deseins  qu'il  vous  auoit  enuoyés,  c'est 

sard,  maître  des  comptes,  puis  général  des  finances,  demeu- 
rait à  Paris,  quai  de  la  Mégisserie,  et  possédait  deux  tableaux 
de  Poussin  :  Orion  aveuglé  par  Diane  et  Camille  che^  les  Fa- 
lisques,  dont  M.  de  la  Vrillière  avait  une  réplique  en  grand. 

I.  Pierre  Séguier,  1588-1672,  chancelier  depuis  décembre  i635. 
C'est  à  la  sollicitation  du  chancelier  Séguier  que  Poussin  sera 
accompagné,  dans  son  retour  de  Paris  à  Rome  (1642),  de 
Charles  Le  Brun. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  77 

pourquoy  il  en  désiroit  scauoir  quelque  chose,  et 
que  si  vous  auiés  ces  petites  fatigues  agréables,  il 
s'estimoit  estre  bien  fortuné  et  tascheroit  de  plus  en 
plus  à  vous  satisferre  et  auroit  l'esprit  en  repos. 
Depuis  j'ai  repseu  une  lettre  de  lui  datée  du 
8esme  may,  là  où  il  confesse  assés  les  grandes  obli- 
gations qu'il  vous  doibt,  et  la  bonne  volonté  qu'il  a 
de  vous  seruir.  Il  ne  faut  pas  que  joublie  à  vous 
remercier  trèshumblement  de  ceque  il  vous  a  plu 
ordonner  que  l'on  me  donnast  quinze  cens  franc, 
pour  ceque  je  feroi  durant  May,  Juin  et  Juillet,  alla 
galerie  grande. 

Vous  me  demandés  mon  auis  touchans  l'employ 
du  Sieur  Jan  Ange;  il  me  semble,  puisque  il  ne  peut 
designer  pour  vous  que  à  son  loisir  et  commodité, 
qu'il  suffira  bien  de  luy  payer  ces  desseings  comme 
vous  aués  fet  estans  à  Rome. 

Monsieur  Le  Clerc  et  moy  nous  vous  enuoyrons 
chasqun  un  squitze  des  Armes  que  Monseigneur  veut 
faire  insculpter  en  la  vouste  de  l'église  du  Nouiciat 
des  pères  Jésuites.  Vous  consulterés  sur  iceus,  vous 
nous  manderés  lequel  il  vous  plaira  le  plus  et  si,  par 
hazart.  Monseigneur  i  trouuoit  quelque  difficulté, 
l'on  tournera  à  la  manière  ordinaire,  gotique  et  bar- 
bare, en  les  trauaillans  seulement  mieux  que  celles 
qui  desia  y  estoint  fettes  ;  l'on  n'atend  autre  que  vostre 
aduis;  le  bosage  est  prest.  Je  vous  enuoyerei  la  pen- 
sée du  front  de  la  grade  bible  à  la  première  occasion. 

Sil  Monseigneur  trouuoit  bon  d'élire  quelque 
subiect  pour  le  tableau  du  Nouitiat,  là  où  l'on  eust 
occasiô  de  monstrer  quelque  bon  trait  de  peintur, 
jen  serois  bien  aise.  Voilà  (Monsieur)  tout  ce  que  jay 


^8  CORRESPONDANCE  [164I 

à  VOUS  faire  scauoir  pour  maintenant;  je  vous  sou- 
hette  toutte  sorte  de  contentemens.  Cependans  que 
je  demeure  le  plus  humble  de  vos  seruiteur 

Le  poussin. 
de  vostre  maison  du  Jardin  des  Tuilleries 
ce  lôesme  juin  1641. 

Monsieur  Le  Maire  et  toutte  la  brigata  vous  salue 
trèshumblement. 

38.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  47.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  à  Ruel. 

[1641. 

Touchant  le  tableau  de  la  Scène  S^-Germain  en 
Lajre.] 

Monsieur,  Je  suis  extrêmement 

joieus  de  ce  que  Monseigneur  a  choisi  pour  le  tableau 
de  S'-Germain  le  subiect  de  la  S*«  Eucaristie  en  la 
manière  que  vous  me  l'escriués,  d'autâs  qu'il  y  aura 
champ  pour  faire  quelque  chose  de  bien.  Je  ne  pen- 
seray  désormais  à  ^utre  qu'à  trouuer  quelque  belle 
distribution  conuen^ble  audit  subiect. 

Vous  me  mandés  que  je  voye  le  dessain  que  le 
Sieur  Dominique  a  fet  pour  la  vouste  de  l'escalier 
de  Son  Eminense.  Je  ne  l'ay  point  trouué  dans  le 
paquet  que  vous  m'aués  enuoyé. 

J'ay  repceu  la  lettre  de  faueur  pour  les  habitans  de 
Villers^.  Vous  me  permettrés  bien  de  vous  en  remer- 

1.  Villers,  à  une  lieue  du  Grand-Andely.  Le  site  de  la  mai- 
son où  est  né  Poussin  (détruite  depuis  longtemps)  a  été  gravé 
dans  le  Journal  spécial  des  lettres  et  des  beaux-arts,  n*  XI, 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  79 

cier  de  tout  mon  cœur.  Monsieur  de  la  Planche^ 
thésorier  des  bâtimens  du  roy,  m'a  apporté  les 
mesures  des  tapiseries,  que  Monseigneur  a  desein  de 
faire  faire.  J'auray  l'honneur  d'en  conférer  auec  vous 
à  vostre  retour  à  Paris.  Je  suis  et  serai  toute  ma  vie 
le  plus  humble  de  vos  seruiteurs. 

Poussin. 

39.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f'O^*  49') 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[M.  Poussin  20^  juin  1641. 

Il  mande  quil  a  mis  ensemble  le  tableau  de  la  Sène 
quil  n'a  pas  encore  choisy  le  sujet  de  celiiy  du  Nouitiat 
quil  a  rendu  les  200  pistoles  pour  Langelon 
quil  a  fet  les  modénatures  des  armes  de  Monsieur  de 
Noyers 

que  Melâ^  trauaille  au  frontispice  de  Virgile 
Et  qu'il  fait  celuy  de  la  Bible.] 

Monsieur  J'ey  escrit  à  Mon- 

sieur le  Cheuallier  du  puis  du  soing  que  vous  prenés 

12  octobre  1834.  —  Les  recherches,  faites  avec  beaucoup  d'obli- 
geance par  M.  l'archiviste  départemental  de  l'Eure,  pour  retrou- 
ver quelque  trace  de  cette  «  lettre  de  faveur  »  sont  restées 
infructueuses. 

1.  Raphaël  de  la  Planche,  trésorier  des  bâtiments,  directeur 
de  la  manufacture  des  tapisseries  du  faubourg  Saint-Germain 
(au  coin  de  la  rue  de  la  Chaise  et  de  la  rue  de  Varenne). 

2.  Chantelou  se  trompe  de  date  en  écrivant  le  sommaire; 
Poussin  a  bien  écrit  au  bas  de  la  lettre  :  ce  vintneuf  Juin. 

3.  Claude  Mellan,  graveur;  baptisé  à  Abbeville  le  23  mai 
iSgS;  séjourna  à  Rome,  avec  Vouet,  de  1624  à  1627;  s'établit 
définitivement  à  Paris  en  1637;  mort  le  9  septembre  1688  (voir 
la  longue  étude  de  Mariette,  dans  son  Abecedario). 


X 


8o  CORRESPONDANCE  [1641 

de  ces  intérés,  et  comme  mesmement  vous  estes 
résolu  de  l'honnorer  de  vos  lettres.  J'aurois  de  rechef 
par  cet  ordinaire  escript  au  Signeur  angelon  de  Tes- 
tât où  est  son  afîere;  mais  d'autans  que  nous  n'auons 
peu  l'accomplir,  je  ne  luy  escriray  pas  pour  le  pré- 
sent. Puis  que  le  desseing  de  l'arme  de  Monseigneur 
luy  a  plu,  j'en  fais  un  peu  de  modénature  pour  don- 
ner au  Signeur  Le  Claire  affin  que  l'eccégution  s'en 
ensuiue  plus  facillement  et  auec  melieure  grâce.  Je 
n'ai  pas  enquores  eu  la  mesure  du  tableau  du  noui- 
siat  des  pères  Jésuites'  ni  mesme  fet  chois  du  subiect 
du  dit  tableau;  mais  je  mi  apliqueray  incontinent, 
d'autans  que  auiourd'hui  je  finis  de  mettre  ensemble 
le  tableau  de  la  Cesne,  et  sependans  qu'il  se  séchera, 
je  trauailleray  au  cartons  de  la  grande  gallerie,  qui 
va  forbien,  dieu  merci.  J'ay  fet  des  modelles  de  cire^ 
que  j'ay  baillés  à  Monsieur  parlan  affin  de  faire 
modeler  les  piédestaus  du  dit  ornement  de  la  gallerie. 
L'on  i  pourra  commenser  à  dépeindre  et  dorer  incon- 
tinent, et  crois  infailiblement  qu'elle  se  fera  bientost; 
les  stucateurs  mesme  se  vante,  avec  l'aide  de  trois  ou 
quatre  autres,  de  la  rendre  fette  d'un  bout  à  l'autre 
en  cinq  ou  six  ans  au  plus.  Je  me  dois  trouuer  se  soir, 

1.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  Poussin  travaillait 
pour  ces  grands  amis  de  M.  de  Noyers  :  «  Lors  qu'en  1623,  les 
Pères  Jésuites  de  Paris  célébrèrent  la  canonisation  de  Saint 
Ignace  et  de  Saint  François  Xavier,  et  que  les  Écoliers  de 
leur  Collège,  pour  rendre  cette  cérémonie  plus  considérable, 

^  voulurent  faire  peindre  les  Miracles  de  ces  deux  grands  Saints, 
le  Poussin  fut  choisi  pour  faire  six  tableaux  à  détrempe.  Il 
avait  une  si  grande  pratique  dans  cette  sorte  de  travail  qu'il 
ne  fut  guère  plus  de  six  jours  à  les  faire.  »  Félibien,  t.  IV, 
p.  245  (éd.  de  i685). 

2.  Voir  une  cire  attribuée  à  Poussin,  une  Ariane  endormie, 
au  Louvre  (legs  Gatteaux),  salle  IX.  Lire  Bellori,  sur  les  figures 

X  de  cire  que  Poussin  modelait  avant  de  peindre  ses  tableaux; 
et,  sur  Poussin  sculpteur,  Ph.  de  Chennevières,  La  peinture 
française,  p.  245. 


I 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  81 

à  sis  heures,  chez  monsieur  de  Mauroy^  pour  con- 
sulter de  «  ceque  il  faudra  faire  pour  l'accompagne- 
ment de  la  cheminée  de  la  chambre  de  Môseig'^  auec 
le  plancher.  Nous  auons  ausi  repceu  dudit  Mon- 
sieur de  Mauroy  deus  cens  pistoles,  et  auons  parlé  à 
Monsieur  de  Bertemer,  qui  dit  que  l'on  les  peut 
faire  tenir  à  Rome  en  mêmes  espèces;  nous  n'auons 
voulu  faire  autre  chose  que  de  vous  en  aduertir,  afïin 
que  vous  preniés  la  peine  d'en  escrire  à  Monsieur  Du 
Lieu^  s'il  en  sera  besoin.  Nous  sependans  adende- 
ronsvostre  ordre  et  ferons  du  reste  ce  que  vous  com- 
manderés.  J'ay  veu  une  lettre  es  mains  de  monsieur  Le 
Maire,  par  laquelle  je  cognois  assés  le  soin  que  vous 
aués  de  moy  ;  je  ne  peus  atendre  autre  chose  de  vous, 
Monsieur,  que  du  bien  et  de  la  consolation,  puis  que 
il  vous  plaist  de  m'aimer.  J'oubliois  à  vous  dire  que 
l'on  dit  que  le  Sieur  Harmen  est  ariué  à  Fontaine- 
bleau. Monsieur  Meslen  travaille  au  frontispice  du 
Virgille  et  si  j'euse  pu  vous  enuoyer  le  squitze  de  la 
pensée  que  j'ay  trouuée  pour  le  liure  de  la  Bible, 
comme  je  vous  auois  promis,  j'en  euses  esté  bien 
content;  mais  se  sera  pour  la  première  commodité. 
Il  me  semble  n'oubier  rien  deceque  il  faut  que  je 
vous  rende  conte,  sinon  que  vous  aurés  tousiours  en 
moy  un  très  déuôt,  très  obligé  et  humble  seruiteur  à 

jamais 

Le  poussin. 
de  Paris  ce  vintneuf  Juin  1641. 

1.  Le  s'  de  Mauroy,  un  des  premiers  commis  de  M.  de 
Noyers  et  intendant  général  des  finances.  Il  habitait  près  de  la 
porte  Saint-Honoré  et  possédait  deux  tableaux  de  Poussin  : 
l'Assomption  (Louvre,  n"  423)  et  l'Adoration  des  Mages 
(Louvre,  n"  429). 

2.  Du  Lieu,  agent  des  postes,  fréquemment  cité  dans  la  cor- 
respondance de  Peiresc. 

1911  6 


82  correspondance  [164i 

40.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  5i  1.) 

A  Monsieur  De  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[M.  Poussin  2  juillet  1641. 

Il  parle  des  200  pistoles  enuoyées  à  Langelon; 
qu'il  pensera  au  tableau  du  Nouitiat,  que  la  peinture 
de  la  gallerie  ir-a  plus  viste  que  le  Stuc^.] 

Monsieur  Hier  je  repceus 

les  vostres  du  trentiesme  Juing  et  ce  matin  le  sieur 
baron  et  moy  auons  esté  chés  monsieur  de  bertomer 
luy  présenter  vos  lettres;  il  est  venu  auec  nous  en  la 
maison  de  monsieur  du  lieu  auquel  mesmement  J'ay 
donné  la  lettre  que  vous  luy  auiés  escripte,  touchans 
l'aflfere  du  S*"  François  Angelon.  Ledit  Signeur  du 
Lieu  a  repceu  les  deuscens  pistoles  et  dit  de  les  faire 
tenir  le  plus  assurément  qu'il  luy  seroit  possible,  ne 
pouuans  toutefois  respondre  dudit  argens,  si  par 
malheur  le  porteur  d'iceluy  venoit  à  estre  détroussé', 
mais  il  en  espère  bonne  issue,  d'autans  que  telles  dis- 
grâces ariuent  fort  rarement;  mêmem*  les  courriers 
de  Lion  n'estans  point  arestés  à  Gênes  comme  parle 

1.  Le  verso  du  fol.  52  du  ms.  porte,  d'une  autre  main  que 
Chantelou,  des  mots  et  des  parafes  écrits  au  hasard,  sans 
doute  pour  essayer  la  qualité  d'une  plume  :  Louis,  David, 
Lau7-in, Loiin,  Martin,  etc..  Monsieur  Reverendissime  et  Illus- 
trissime, etc. 

2.  Il  est  souvent  difficile  de  savoir  quand  le  sommaire  de 
Chantelou  va  à  la  ligne,  parce  qu'il  l'a  généralement  écrit  sur 
la  lettre,  pliée  en  huit,  c'est-à-dire  sur  une  largeur  de  six  à 
sept  centimètres. 

3.  Cette  crainte  n'avait  rien  d'imaginaire  :  Board  signale,  le 
9  novembre  1641,  que  le  courrier  a  été  «  voslé  entièrement 
dans  les  montagnes  de  Gênes  »  (Bibl,  nat.,  ms.  fonds  Du- 
puy  343). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  83 

passé,  pour  le  soupson  de  la  contagion,  vont  sans 
changer  jusques  à  rome.  L'on  n'a  tiré  aucun  repceùe 
[desd]  dudit  S*"  du  Liu  d'autans  que  vous  ne  nous 
l'auiés  pas  ordonné. 

J'ay  aujourd'hui  désigné  deus  termes  pour  la  grande 
gallerie;  vous  pouués  assurer  Monseigneur  que  la 
peinture  d'icelle  se  fera  bien  plus  tost  que  le  stuc. 

J'employe  quelque  heure  du  soir  à  lire  les  vies  de 
S^  Ignase  et  de  S'  Xauier^  pour  i  trouuer  quelque 
subiect  pour  le  tableau  du  Nouitiat;  mais  je  crois 
qu'il  faudra  s'arester  à  celui  qui  nous  fût  donné  par 
Monseigneur  il  y  a  desia  long  temps.  J'ay  eu  la 
mesure  dudit  tableau,  niais  l'on  ne  le  peut  faire 
entrer  en  ma  sale  d'autans  que  le  châssis  a  quatorze 
pies  et  demi  de  hauteur;  je  ne  laisserai  pas  cependans 
de  continuer  à  en  faire  la  pensée,  et  m'ocuper  entiè- 
rement en  tout  ce  qui  concerne  le  contentem'  de 
monseigneur  et  le  vostre,  en  vous  suplians  (Monsieur) 
de  me  continuer  vostre  bonne  affection,  et  de  m'on- 
norer  du  nom  de  vostre  très  humble  et  très  obligé 
seruiteur 

Vostre  plus  humble 
seruiteur 

Le  poussin. 
de  paris  Ce  2  Juillet  1641. 

J'escrirei  vendredi  au  susdit  Angelon. 

41.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Fillon2.) 

Al  Sig.  Commendatore  Cassiano  del  Po\:{o. 
Piu  spesso  scriverei  a  VS:  Ill™f  se  non  fosse  il 

1.  «  Lisant  les  histoires  grecques  et  latines,  il  annotait  les  ^ 
sujets,  puis,  à  l'occasion,  s'en  servait  »  (Bellori,  trad.  Rémond, 

p.  34). 

2.  Nous  publions  le  texte,  tel  que  M.  G.  Lafenestre  l'a  com- 


84  CORRESPONDANCE  [164I 

timoré  di  arrecarli  tedio,  particolarmente  quando  non 
si  offerisse  occasione  di  impiegar  le  mie  poche  solle- 
citudine  in  servitio  suo  ma  dove  occorresse  adoprar 
le  mie  debolezze  non  sarei  négligente  de  farlo  corne 
ho  fatto  per  il  passato  nel  soUicitare  il  Sig  :  de  Chan- 
telou  è  medesimamente  il  Sig  :  de  Noyers  di  abbrac- 
ciare  i  suoi  interessi  è  quanto  ho  potuto  scoprire  gli 
ne  ho  fatto  sapere  il  tutto  incontinente  e  di  novo  ne 
farei  souvenire  il  detto  Chantelou  se  non  fosse  che 
per  la  sua  ultima  mi  scrisse  che  non  era  piu  di  biso- 
gno  di  altro  ch'  egli  si  era  risoluto  di  scriuerne  a  VS: 
lU'Pf  qualche  buona  nova.  Non  so  s'egli  havera  esse- 
guito  la  sua  promessa  perche  loro  hanno  havuto  gravi 
negotii  dal  hora  in  quà,  hora  che  le  cose  sono  in 
miglior  stato  gli  ne  scriverô  è  saporô  il  tutto.  Se  io 
sono  stato  per  fino  adesso  sensa  haver  dato  compi- 
mento  aile  cose  di  VS:  111™^  che  portai  meco  gli  ne 
domando  perdono  ho  ben  risoluto  fermamente  d'im- 
piegarei  tutto  il  mese  di  Agosto  prossimo  è  non  atten- 
dere  ad  altro  lei  si  assicuri  che  se  le  mie  forze  sono 
tenue  almeno  il  mio  affetto  è  grandissimo  non  respi- 
rando  altro  più  in  questo  mondo  che  di  essere 
annouerato  tra  i  suoi  obligatissimi  Ser«"e  ^li  continui 
la  prego  nelle  sue  gratie,  a  fine  ch'io  possa  viver  con- 
tente et  inchinandomi  humilmente  gli  bagio  la  mano. 

DIVS.  Ill»f  e  Rr 

Hum«°  Serre 
Nicolô  PoussiNO. 
Di  Parigi  25  Luglio  1641. 

muniqué  à  M.  de  Chennevières,  en  187g,  d'après  l'original  (col- 
lection Fillon).  Bottari  l'avait  publiée  (t.  I,  p.  276).  —  Elle 
a  figuré  au  catalogue  de  Sotheby,  vente  des  8-10  nov.  1899, 
n"  287  (note  de  Léop.  Delisle). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  85 

Au  Seig^  Commandeur  Cassiano  del  Po^o. 

J'écrirais  plus   souvent  à  V.    S.    111™^,   n'était   la 

crainte  de  lui  apporter  de  l'ennui,  surtout  quand  il 

ne  s'offre  point  d'occasion  d'employer  mes  faibles 

moyens  à  son  service,  mais  là  où  il  s'en  présenterait 

d'utiliser  ma  faiblesse,  je  ne  serais  pas  négligent  à  le 

faire,  comme  je  l'ai  fait  par  le  passé,  en  sollicitant  le 

Seig'^  de  Chantelou,  et  même  le  Seig''  de  Noyers, 

d'embrasser  vos    intérêts,   et  de  ce  que  j'ai  pu   en 

découvrir,  je  vous  ai  fait  savoir  le  tout  incontinent; 

et  de  nouveau  j'en  ferais  souvenir  le  dit  Chantelou, 

s'il  ne  m'avait  écrit  dans  sa  dernière  lettre  qu'il  n'en 

était  plus  besoin,  et  qu'il  était  résolu  à  écrire  à  V.  S. 

\\\me  quelque  bonne   nouvelle.    Je  ne  sais  s'il  aura 

exécuté  sa  promesse,  parce  qu'ils  ont  eu  depuis  lors 

de  graves  affaires.  Aujourd'hui  que  les  choses  sont 

en  meilleur  état,  je  lui  en  écrirai  et  je  saurai  le  tout. 

Si  j'ai  été  jusqu'à  présent  sans  avoir  achevé  toutes  les 

choses  de  V.  S.  111»^  que  j'ai  apportées  avec  moi,  je 

vous  en  demande  pardon.  J'ai  bien  fermement  résolu 

d'y  employer  tout  le  mois  d'Août  prochain,  et  de  ne 

pas  attendre  à  un  autre.  Que  V.  S.  soit  bien  assurée 

que  si  mes  forces  sont  médiocres,  au  moins  mon 

attachement  est-il  très  grand,  car  je  n'aspire  plus  à 

autre  chose  en  ce  monde  qu'à  être  compté  au  nombre 

de  ses  plus  obligés   Seri's.  Qu'elle  me  continue,  je 

l'en  prie,  ses  grâces  afin  que  je  puisse  vivre  content, 

et  m'inclinant  humblement  je  lui  baise  la  main 

De  V.  S.  Il^e  et  R"»* 

Le  très  humble  Ser"" 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris,  25  juillet  1641. 


86  correspondance  [164i 

42.  —  Poussin  a  Ghantelou. 
(Ms,  12347,  fol.  53.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Comrtiis  de  Monseigneur  De  Noyers  En  Court. 

[M.  Poussin  3  aoust  1641. 

Cette  lettre  mérite  d'être  veue. 

Il  parle  de  Vouurage  de  la  gallerie,  du  tableau  de 
la  Cène,  Explique  le  frontispice  de  la  Bible,  et  autres 
choses.] 

Monsieur  Si  je  n'euses  bien  seu  les 

grandes  affaires  qui  de  continue  vous  ont  teneu 
occupé,  je  n'euses  pas  tardé  jusques  à  auiourdhui  à 
vous  escrire;  maintenans  que  peut-estre  vous  aurés  le 
loisir  de  lire  la  présente,  je  vous  assure  de  ma  melieure 
disposition,  grâces  à  dieu,  et  du  bon  estât  où  sont 
nos  ouurages.  La  grande  Galerie  s'auance  fort,  et 
néanmoins  qu'il  y  aye  peu  d'ouuriers,  j'ay  espérance 
que  à  vostre  retour,  vous  vous  estonnerés  de  ce  que 
l'on  aura  fet.  Je  me  suis  occupé  sans  cesse  à  lentour 
des  cartons,  lesquels  je  suis  obligé  de  varier  sur 
chasque  fenestre  et  sur  chasque  tremeau,  m'estans 
résolu  d'i  représenter  une  suite  de  la  vie  d'Hercules, 
matière  certe  capable  d'occuper  un  bon  designateur 
tout  entier,  d'autans  que  les  dits  cartons  veulent  estre 
faicts  en  grand  et  en  petit,  pour  plus  de  commodité 
des  ouuriers,  et  afin  que  l'œuure  en  deuienne  melieure. 
Il  faut  mesmement  que  j'inuente  tous  les  jours  quelque 
chose  de  nouueau  pour  diuersifier  le  relief  de  stuc, 
autrement  il  faudroit  que  les  hommes  demeurassent 
sans  rien  faire  ;  mais  vous  scaués  combien  le  beautemps 
en  ce  pais  icy  doit  estre  teneu  cher.  Toute  ces  choses 


1641]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  87 

ont  esté  la  cause  que  encores  je  n'ay  peu  finir  le  tableau 
de  S'.  Germain,  auquel  il  faut  grandemens  retoucher 
pour  les  strauagans  effets  que  *  de  l'umidité  de  l'hiuer 
passé  luy  a  causés  ;  mais  pourceque  de  nouueau  Mon- 
signeur  m'a  ordonné  de  faire  le  tableau  du  Nouitiat 
des  Jésuites  pour  la  fin  de  nouembre,  je  me  suis 
quant  et  quant  résolu  di  mettre  la  main  et  de  le  faire 
pour  ce  temps-là,  si  mes  débiles  forces  me  le  per- 
mettent; et  cependans  que  la  toille  ce  préparera,  je 
pouray  retoucher  la  susdite  Cesne  au  lieu  d'aler 
prendre  des  diuertissemens  à  d'Angu  ou  en  autre 
lieu,  ainsi  que  monseigneur  de  sa  courtoisie  m'en  ha 
inuité.  (Monsieur)  je  vous  assure,  pourueu  que  ji 
puisse  résister,  je  n'ay  point  d'autre  plaisir  que  à  le 
seruir;  là  sont  mes  pourmenades  mes  jeux  [et]  mes 
esbatemens  et  ma  délectation  ;  je  me  contenteray  pour 
un  jour  ou  deus  faire  un  tour  aux  enuirons  de  Paris 
en  quelque  lieu  pour  seullement  respirer  un  peu. 
Cependant  j'enuoye  à  Monseigneur  le  squitze  du  front 
de  la  Bible,  mais  sans  corectiô  car  deuans  que  de  le 
terminer,  j'ay  désiré  que  vous  Payés  veu,  affin  que 
dans  la  penser  et  disposition  totale  ou  particulière 
des  figures,  il  estoit  besoin  di  altérer  quelque  chose, 
vous  m'en  donniés  votre  aduis.  La  figure  ellée  repré- 
sente l'histoire;  elle  escript  de  la  main  gauche,  affin 
que  la  planche  la  remette  à  droit;  l'autre  figure  veil- 
lée représente  la  prophessie;  sur  le  liure  qu'elle  tient 
sera  escript  biblia  Regia.  Le  Sphinx  qui  est  dessus  ne 
représente  autre  que  l'obscurité  des  Choses  Enigma- 
tiques.  Celle  qui  est  au  milieu  représente  le  père  Eter- 
nel auteur  et  Moteur  de  toute  les  Choses  bonnes, 
baste  que  l'entière  déclaration^  vous  en  sera  fette  par 

I.  «  Il  y  a  figuré  un  ange  qui  écrit  sur  son  genou  et  tient  sa 


88  CORRESPONDANCE  [1641 

Monsieur  du  fresne.  Et  si  vous  aués  le  loisir  de  vous 

resouuenir  de  vostre  bon  ami  Monsieur  le  Cheualier 

du  Puis,  je  le  pourois  assurer  de  la  continuation  de 

vostre  chère  amitié;  en  fin,  monsieur,  regardés  en 

quoy  je  pourois  fidèlement  vous  seruir  que  je  suis 

totalement. 

Monsieur, 

Vostre  trèshumble  seruiteur 

Le  poussin 
de  Paris  ce  troisiesme  Aust. 

mon  frère ^  et  toutte  la  Compagnie  vous  baise  très 

aflFectueusement  les  mains. 

Vous  me  renuoyerés  soigneusement  le  desain  que 
je  vous  mande  d'autans  qu'il  me  seruira  à  finir  celui 
qui  doit  estre  graué. 

Je  baise  trèsaffectueusement  les  mains  à  *  tous 
ceux  de  la  maison  de  Monseigneur. 

43.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  55.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  De  Monseigneur  De  Noyers,  en  Court. 

[Il  discourt  de  l'ornement  du  Cabinet  de  M.  de 
Noyers,  mal  distribué  par  le  S'^  Le  Mercier^. 

plume  arrêtée  sur  la  feuille,  regardant  en  arrière  comme  vers 
le  temps  passé.  L'ange  est  ailé,  et  voici  la  religion  en  noble 
manteau,  avec  la  face  voilée,  tenant  à  la  main  une  sphynge, 
qui  est  les  obscurs  mystères  de  la  Sagesse  et  des  choses  sacrées; 
mais  en  une  haute  sphère  de  lumière  resplendit  le  Père  Eter- 
nel, avec  les  bras  ouverts,  illuminant  de  foi  et  de  vérité  les 
esprits  humains  »  (Bellori,  trad.  Rémond,  p.  27), 

1.  Gaspar  Dughet  (le  Guaspre),  beau-frère  de  Poussin. 

2.  Jacques  Lemercier  construisit  au  Louvre  le  pavillon  de 
l'Horloge,  1624,  et  un  quart  de  la  cour  intérieure,  le  château 
de  Richelieu,  le  Palais-Cardinal,  la  Sorbonne,  les  églises  de 
Saint-Roch  et  de  l'Oratoire. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  89 

//  parle  de  Fouquer  * . 

Et  que  le  tableau  de  s^  germain  n'est  pas  encore 
acheué.] 

Monsieur  Monsieur  de 

Mauroy  desirans  que  Monseigneur  à  son  retour  puisse 
commodément  et  auec  plaisir  habiter  sa  maison,  non 
seullement  fet  dilligenter  les  dorures  des  cheminées, 
acheuer  les  ornements  des  sales  et  chambres,  mais 
ausi  désireroit  faire  le  mesme  du  Cabinet;  c'est  pour- 
quoy  je  vous  mande  ses  deux  fuoilles  de  papier  où, 
en  la  plus  petite,  est  désigné  la  distribution  et  com- 
partiment que  en  a  fait  l'architecte  (que  dieu  bénie) 
mais  pourceque  Je  ne  *  peus  scauoir  quelle  intention 
il  a  eue,  je  me  trouue  embarassé,  lor  que  je  voudrois 
le  décorer  de  quelquechose  conuenable  alla  personne 
pour  laquelle  il  a  esté  fabriqué.  Car  à  en  dire  la  vérité, 
il  seroit  fort  propre  pour  en  faire  la  boutique  d'un 
petit  mercier;  tant  y  a  je  vous  enuoye  le  penser  tel 
que  vous  voyés.  L'espase  A  du  petit  dessein  vous 
monstre  la  forme  de  la  menuiserie  telle  quelle  est 
réalement;  depuis  a  jusques  à  .b.  du  grand  dessein 

I.  «  Fouquière  excellent  Païsagiste  avoit  eu  ordre  de  Mr  de 
Noyers  de  peindre  des  vues  de  toutes  les  principales  Villes  de 
France,  pour  mettre  entre  les  fenestres  de  la  grande  Gale- 
rie du  Louvre,  et  en  remplir  les  trumeaux.  Il  crût  que  cet 
ouvrage,  qui  véritablement  eût  été  considérable,  devoit  le 
rendre  maître  de  toute  la  conduite  des  ornemens  de  la  Gale- 
rie; et  comme  cela  ne  réussissoit  pas  selon  son  dessein,  il  fut  je 
un  de  ceux  qui  se  plaignit  le  plus  du  Poussin  »  (Félibien,  p.  26). 
Quant  au  titre  de  baron,  Félibien  ajoute  qu'il  «  portoit  toujours 
une  longue  épée  »,  et  que  :  «  Pour  soutenir  sa  vanité  sur  le  fait  de 
la  Noblesse  que  le  Roi  lui  avoit  accordée,  il  souftroit  volon- 
tiers toutes  sortes  d'incommoditez,  aimant  mieux  ne  point  tra- 
vailler, et  ne  rien  gagner,  que  de  n'estre  pas  considéré  comme 
un  Gentilhomme  d'un  mérite  extraordinaire  »  (Félibien,  t.  IV, 
p.  26).  —  Sur  cet  élève  de  Rubens,  venu  en  France  en  1621, 
voir  la  Revue  de  l'Art  français^  1888,  p.  100. 


go  CORRESPONDANCE  [164I 

est  ce  que  l'on  y  peut  feindre  pour  le  rendre  plus 
riche.  L'ornement  .C.  est  feint  sur  la  platte  bande 
releuée  hors  œuure  marquée  au  petit  dessein  .X. 
pour  les  espaces  marqués  .d.  Monseigneur  délibérera, 
s'il  lui  plaist,  ce  qui  luy  agréra  davantage,  parcequc 
les  figures  rondes  qui  i  sont  peuuent  recepuoir  des 
profetes,  sibiles,  apostres,  empereurs,  roys,  docteurs 
et  hommes  illustres,  mesmement  des  devises  et  sen- 
tenses.  Les  autres  espaces  voisins  peuuent  estre 
dépeints  de  camaieus,  de  vases  à  l'antique  ou  nuds 
ou  remplis  de  fleurs,  ou  de  quelque  petites  figures 
fettes  à  plaisir  ou  bien  représentantes  quelques  per- 
sonnages signalés.  Dans  les  espaces  .f.  l'on  y  peut 
faire  ce  que  l'on  voudra,  le  lieu  estant  un  peu  plus 
libre  que  le  reste. 

Je  désirerois  ausi  scauoir  ce  que  le  dit  monseigneur 
désire  au  plafons  ;  le  Sieur  Dominique  s'offre  de  le 
peindre.  Il  m'a  semblé  que  manquans  à  la  menuiserie 
la  corniche,  il  seroit  assés  à  propos  di  en  feindre  une, 
avec  quelque  autre  chose  qui  apetissast  ledit  espace 
du  plafond,  d'autans  que  si  l'on  veut  dépeindre  au 
milieu  quelque  chose  qui  paroisse  enfonsé,  l'espase 
de  soy  est  trop  grand  pour  le  peu  de  distanse  qu'il  y 
a  pour  le  voirs.  J'ay  ausi  pensé  que  ledit  ornement 
debuoit  correspondre  aumoins  en  couleurs  alla  salle, 
c'est  assauoir  de  blanc,  or  et  turquin.  Si  vous  aués  le 
temps  commode  pour  nous  donner  response,  nous 
chercherons  quelqun  incontinent  qui  le  puisse  ecce- 
guter  le  mieus  qu'il  sera  possible. 

Le  Baron  Fauquer  est  veneu  me  trouuer  auec  sa 
grandeur  accoustumée  ;  il  trouue  fort  estrange  de  ce 
que  l'on  a  mis  la  main  à  l'ornement  de  la  grande  gal- 
lerie  sans  lui  en  auoir  communiqué  aucune  chose.  Il 


1641J  DE    NICOLAS   POUSSIN,  9I 

dit  auoir  un  ordre  du  roy  confirmé  de  monseigneur 
de  Noyers  touchans  la  ditte  direction,  prétendans  que 
ses  paisages  soint  l'ornement  principal  dudit  lieu, 
estans  le  reste  seuUement  des  Incidents.  J'ay  bien 
voulu  vous  escrire  sesi  pour  vous  faire  rire.  Le  tableau 
de  S^-Germain  n'est  enquore  du  tout  fini,  n'ayans  peu 
en  auoir  le  temps;  tout  le  reste  va  bien,  dieumersi.  Je 
prie  dieu,  Monsieur,  qu'il  vous  rende  très  heureux. 
Je  me  recommande  à  vos  grâces  et  baise  les  mains 
comme  je  vous  suis 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  seruiteur 

Le  Poussin 
de  Paris  Ce  19  Aust  1641. 
Toute  nottre  trouppe  vous  fet  réuérense. 

44.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f°^*  ^7-) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers,  en  Court. 

[M.  Poussin  23  aoust  1641 . 

Parle  du  payement  du  tableau  S^  Germain 
qu'il  trauaille  à  ceux  de  S.  E.] 

Monsieur  J'ay  repceu  la  vostre  du 

vintuniesme  aust  avec  les  deseins  de  l'ornement  du 
Cabinet  de  Monseigneur.  Si  tost  que  j'aurei  fini  de 
vous  escrire  la  présente  je  me  porterei  au  logis'  pour 

I.  Ce  logis,  assez  modeste,  est  décrit  par  Sauvai  {Antiquités 
de  Paris,  t.  II,  p.  206).  Il  était  situé  rue  Saint-Honoré,  tout 
près  de  la  rue  Neuve-Saint-Roch,  à  proximité  du  «  palazetto  » 
de  Poussin  (dans  le  jardin  des  Tuileries). 


■\ 


92  CORRESPONDANCE  [164I 

prendre  les  mesures  justement  et  ordonner  ce  qui 
sera  du  reste  puis  que  vous  vous  en  remettes  à  moy. 
Je  vous  remersie  de  toutte  mon  affection  du  désir  que 
vous  aués  de  mon  bien  et  satisfaction  touchans  le 
paiement  de  mes  fatigues.  Et  puis  qu'il  plaist  à 
Monseigneur  de  scauoir  ce  que  je  désire  por  le 
tableau  de  la  Chapelle  de  S'  Germain  ^  je  vous 
suplie  à  près  que  je  l'aurei  dit  den  retrencher  ce  qui 
semblera  de  trop  et  si  l'on  ne  m'en  veut  donner  huit 
cens  escus  je  me  contenteray  de  si  ou  de  cinq  car  je 
serai  tousiourssatisfet.  Pour  celuy  de  Son  Eminence 
cent  pistoles  le  paieroint  bien  mais  je  ne  le  peus  pas  si 
tost  finir  comme  je  voudrois  toutefois  je  ferei  mon  pos- 
sible et  tascherai  qu'il  soit  en  son  lieu  pour  le  retour 
de  Monseigneur  le  Cardinal^.  Je  communiquerei  ausi 
à  monsieur  de  Chambray  les  choses  susdittes  affin 
que  enquores  Monseigneur  de  sa  part  en  aye  cognois- 
sance. 

Vous  assurerés  ausi  Monseigneur  que  auec  l'aide 
de  dieu  le  tableau  du  Nouitiat^  sera  fet  pour  le  temps 
que  lom  ma  donné  et  avec  tout  cela  les  autres  œuvre 
qui  demandent  ma  conduite  ne  laissent  pas  de  s'auan- 
cer  estans  bien  résolu  de  trauailler  pour  la  satisfac- 
tion dudit  monseigneur  à  qui  je  fes  très  profonde 


1.  «  La  quittance  originale  est  conservée  dans  la  collection 
de  feu  M.  Boilly.  »  Elle  a  été  publiée  par  M.  Charavay  dans 
sa  Revue  des  documents  historiques,  août -septembre  1874, 
p.  gi-92.  Elle  est  datée  du  16  septembre  1641.  Cette  Cène  de 
Saint-Germain  est  au  Louvre  (n°  428). 

2.  Richelieu  était  alors  à  Amiens,  ainsi  que  Louis  XIII,  depuis 
le  18  août  1641.  Il  ne  reviendra  à  Paris  qu'au  début  de  novembre. 

3.  Poussin  peignit  pour  Richelieu,  selon  Bellori,  le  Buisson 
ardent,  sur  la  cheminée  du  cabinet  de  Son  Ém.,  et  le  Temps 
enlevant  la  Vérité,  au  plafond  de  la  même  salle  (ce  dernier 
tableau  au  Louvre,  n»  446). 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  qS 

reuerence  et  à  vous  Monsieur  je  demeure  perpétuel- 
lement obligé 

Vostre  trèshumble  seruiteur 

Le  poussin 
de  Paris  ce  23  Aust  1641 

Monsieur  le  Cheuallier   du   puis  vous   baise   les 
mains. 

Et  monsieur  Auury  vous  salue  deuotieus'  et  toutte 
nostre  compagnie. 

45.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  277.) 

Al  Commendatore  Cassiano  del  Po\:{o. 

Jo  so  molto  bene  che  V.  S.  IIH^  ha  fatto  sinora 
qualche  stima  délia  mia  sincerità,  e  forse  sarà  quella 
parte  che  m'avrà  fatto  degno  délie  grazie  che  ella  ha 
usato  sempre  verso  di  me,  perô  con  quell'istessa  desi- 
dero  di  procedere,  non  volendo  cercare  quelle  cose 
délie  quali  altrui  puô  acquistarsi  la  benevolenza  e 
l'amore  dei  personaggi  dignissimi,  corne  lei;  perô 
con  questa  présente  la  vengo  umilmente  a  salutare,  e 
ricordarmi  quell'umile  servitore  che  ho  sempre  pro- 
fessato  di  essere.  Rendole  conto  délie  mie  azioni, 
delli  miei  impieghi,  e  di  tutto  quello  ch'io  faccio,  ma 
temo,  dopo  ch'averô  dette  di  attendere  ai  disegni 
d'ogni  maniera,  a  quadri  di  diversa  materia,  ed  a  pen- 
sieri  d'ogni  sorte,  ella  non  mi  biasimi  d'essere  stato 
sin  adesso  senza  mostrarle  colla  minima  cosa  quell'- 
affezione  che  in  effetto  ho,  ed  averô  sempre  di  ser- 
virla.  Non  è  veramente  che,  la  mia  buona  volontà 
non  sia  più  che  mai  ardentissima,  ma  come  io  mi  son 
sempre  fidato  nella  suoi  saggia  discrezione,  mi  sono 
al  quanto  acquietato  d'animo,  e  supponendo  che  ella 


94  CORRESPONDANCE  [1641 

giudicherà,  nel  mio  arrivo  qui,  moite  cose  essermi 
State  preparate,  di  maniera  taie,  che,  sebbene  m'ero 
risoluto  per  tutto  questo  mese  d'agosto  adoprarmi 
in  servizio  suo,  particolarmente  nel  fornire  il  suo 
Battesimo  di  Ghristo  nel  Giordano,  non  mi  è  stato 
possibile  darci  una  pennellata,  bisognando  par  néces- 
sita, oltre  le  altre  cose,  fornire  per  novembre  un  qua- 
drone  alto  i6  piedi,  che  il  sig.  de  Noyers  dona  al 
Noviziato  dei  Gesuiti.  L'opéra  e  ricca  di  figure  mag- 
giori  del  naturale.  È  vero  che,  fatto  questo,  potro 
alquanto  respirare,  e  pigliar  un  poco  di  tempo  per 
servira  il  mio  riveritissimo  padrone  :  le  notte  par 
l'avvenire  saranno  lunghe,  e  spero  con  quel  mezzo 
poter  far  almeno  qualche  disegno  délie  case  che 
depingero  per  farne  parte  à  VS  :  IlH?,  perché  altri- 
menti  crederei  non  aver  fatto  multa.  Usi  dunque,  la 
supplico,  verso  di  me  quella  cortesia  e  pazienza  sua 
solita  afïinchè  ne  resti  io  consolato.  L'assicuro  che  il 
sig.  de  Noyers  la  riverisce  ed  onora  sommamente, 
dico  questo  di  buona  parte  :  prego  Dio  che  la  renda 
felicissima,  e  mi  doni  grazia  di  riverirla  a  casa  sua. 

Monsù  de  Chantelou  e  Cambré  le  fanno  umilissima 
riverenza. 

Parigi,  6  settembre  1641. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po\\o. 

Je  sais  fort  bien  que  V.  S.  HW^  a  fait  jusqu'ici 
quelque  estime  de  ma  sincérité,  et  peut-être  sera-ce 
ce  trait  qui  m'aura  fait  digne  des  grâces  dont  elle  a 
toujours  usé  envers  moi  ;  aussi  est-ce  toujours  avec 
cette  même  sincérité  que  je  désire  continuer,  ne  vou- 
lant point  rechercher  les  choses  par  lesquelles  les 
autres  peuvent  s'acquérir  la  .bienveillance  et  l'amitié 


1641]  DE   NICOLAS    POUSSIN.  qS 

de  personnages  aussi  considérables  que  V.  S.  C'est 
pourquoi,  par  la  présente,  je  viens  humblement  vous 
saluer  et  vous  rappeler  quel  humble  serviteur  j'ai  tou- 
jours fait  profession  d'être  ;  je  vous  rends  compte  de 
mes  actions,  de  mes  occupations,  et  de  tout  ce  que  je 
fais,  mais  je  crains  qu'après  vous  avoir  dit  d'attendre 
des  dessins  de  tout  genre,  des  tableaux  de  divers 
sujets,  et  des  esquisses  de  toute  sorte,  vous  ne  me 
blâmiez  d'être  resté  jusquà  présent  sans  vous  mon- 
trer, par  la  moindre  chose,  quelle  passion  j'ai  en  effet 
et  j'aurai  toujours  de  vous  servir.  Ce  n'est  vraiment 
pas  que  ma  bonne  volonté  ne  soit  plus  ardente  que 
jamais,  mais  comme  je  me  suis  toujours  fié  à  la  sage 
discrétion  de  V.  S.,  je  me  suis  quelque  peu  tranquil- 
lisé l'esprit,  supposant  bien  qu'elle  s'imaginera  qu'à 
mon  arrivée  ici,  beaucoup  de  choses  m'avaient  été 
préparées,  de  telle  façon  que  malgré  ma  résolution 
de  m'employer  pendant  tout  ce  mois  d'août  à  son  ser- 
vice, en  particulier  à  lui  exécuter  son  Baptême  du 
Christ  dans  le  Jourdain,  il  ne  m'a  pas  été  possible  d'y 
donner  un  coup  de  pinceau,  travaillant  par  nécessité 
outre  les  autres  choses,  à  fournir  pour  novembre  un 
tableau  haut  de  16  pieds  ^,  que  le  Seig""  de  Noyers 
donne  au  Noviciat  des  Jésuites.  L'œuvre  est  riche  en 
figures  plus  grandes  que  nature.  Il  est  vrai  que  celui-là 
fait,  je  pourrai  un  peu  respirer,  et  prendre  un  peu  de 
temps  pour  servir  mon  très  révéré  maître  :  à  l'avenir 
les  nuits  seront  longues,  et  j'espère  ainsi  pouvoir  au 
moins  faire  quelque  dessin  des  choses  que  je  peindrai 

I.  Le  tableau  du  Noviciat,  qui  n'est  autre  que  le  n°  434  du 
Louvre  :  Saint  François- Xavier  rappelant  à  la  vie  la  fille  d'un       ^ 
habitant  de  Cangorima  {Japon),  mesure  4"'44  de  haut  sur  2'»34 
de  largeur. 


A- 


gÔ  CORRESPONDANCE  [164I 

pour  en  faire  part  à  V.  S.  lU™^,  parce  qu'autrement 
je  croirais  n'avoir  rien  fait.  Qu'elle  use  donc,  je  l'en 
supplie,  envers  moi,  de  sa  courtoisie  et  de  sa  patience 
accoutumées,  afin  que  je  me  console.  Je  l'assure  que 
le  Seig""  de  Noyers  la  révère  et  l'honore  infiniment, 
je  le  dis  de  bonne  source.  Je  prie  Dieu  qu'il  la 
rende  très  heureuse,  et  qu'il  me  donne  la  grâce  de 
vous  porter  mes  respects  dans  votre  maison. 

Messieurs  de  Chantelou  et  Cambré  vous  font  très 
humble  révérence. 

Paris,  6  septembre  1641. 

46.  —  Poussin    a    Cass.    del    Pozzo. 
(British  Mmseumi.) 

AU  111'^°  et  Rew^^  Sig"^  et  Prôn 
mio  oss'^°  il  Sig^  Abbate  di  Cauore 

In  Roma. 

Illmo  et  Rmo  Sigf  Abbate 
Creda  pure  VS  :  111™?  e  R™»  ogni  uolta  che  pongo 
la  mano  alla  penna  per  scriuergli  sospiro,  et  mi  ar- 
rossisco,  et  mi  disturbo  tutto  non  per  altro  che  mi 
ritrouo  qui  seruitor  suo,  et  è  uero  che  il  giogo  che 
mi  son  messo  sopra  il  coUo  mi  impedisce  il  debito  e 
l'affettion  mia  uerso  di  lei  ma  spero  scuoterlo  presto 
per  in  libertà  ancora  una  uolta  seruire  al  mio  caro 
Sig'^e  et  Prône  sensa  intermissione  alcuna  lauoro 
quando  in  una  cosa  è  quando  in  una  altra  suppor- 
tarei  queste  fatiche  uolentieri  se  non  fusse  che  quell' 

I.  L'original  est  conservé  au  British  Muséum,  n°  19272.  C'est 
le  n"  801  de  la  collection  Donnadieu  et  le  lot  629  de  la  vente 
chez  Puttick,  le  26  janvier  i853.  —  Bottari  l'avait  publiée, 
t.  I,  p.  279. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  §7 

opère  che  vorrebbono  molto  tempo  bisogna  sbri- 
garle  in  un  tratto,  giuro  à  VS:  che  se  io  stassi  molto 
tempo  in  questo  paese  bisognarebbe  ch'io  diuentassi 
un  strapassone  come  gl'  altri  che  ci  sono  li  studij  è 
le  buone  osseruationi  o  délie  anchita'  o  d'altro  non 
ui  sono  conosciuti  in  verun  modo,  è  quello  chi  hà 
délie  inclinatione  allô  studio  et  al  far  bene  se  ne  deue 
certo  discostar  molto,  O'  fatto  cominciare  dal  mio 
disegno  li  stucchi  è  la  Pittura  délia  Galleria  Grande 
ma  con  poca  mia  sodisfatione  (nondimèno  che  piac- 
cia  à  questi  animali)  imperoche  non  trouo  nessuno 
che  secondi  alquanto  la  mia  intentione  nulladimeno 
che  ne  faccia  li  disegni  in  grande  è  in  piccolo.  Un 
giorno  se  Iddio  mi  da  la  uita  ne  mandero  à  VS:  il 
disegno  sperando  con  le  uiglie  del  inuerno  poterie 
ponerele  al  netto  hô  posto  al  suo  luogho  il  quadro 
délia  cena  di  Christo  cioe  alla  Cappella  di  San  Ger- 
mano  et  è  riuscito  assai  bene  lauoro  interno  à  quello 
del  nouitiato  dei  gesuiti  e  opéra  grande  grande  è 
contiene  14  figure  magiore  del  naturale  et  è  quello 
che  bisogna  fornire  in  dui  mesi  essendo  constretto 
per  questo  rispetto  a  rimettere  la  partita  del  suo  bat- 
tesimo  di  Christo  alla  prima  commodita  io  spero 
nella  bonta  et  infinita  cortesia  sua  assicurandomi  che 
lei  me  iscusera  la  prego  di  honorarmi  del  titolo  di 
humile  seruitore 

DJ  VS  :  Ill«f  et  Rff 
Humiliss«no  Ser^f 

Nicolô  Poussin 
Di  Parigi  20  di  Settembre  1641. 

I.  Lapsus  pour  antichita. 

1911  7 


^8  CORRESPONDANCE  [164I 

A  l'Ill'^^  et  i?ev»e  Seig^^  mon  Maître  très-honoré, 
le  Seig^  Abbé  de  Cavore\  à  Rome. 

Ill»«  et  R™*  Seigr  Abbé, 
Que  V.  S.  Ill™«  et  R'"*  le  croie  bien  :  chaque  fois 
que  Je  mets  la  main  à  la  plume  pour,  vous  écrire,  je 
soupire,  je  rougis,  et  je  me  trouble  rien  qu'à  la  pen- 
sée que  je  me  trouve  ici  en  serviteur  inutile;  il  est 
vrai  que  le  joug  que  je  me  suis  mis  surJe  cou  m'em- 
pêche de  m'acquitter  de  ma  dette  et  de  mon  affection 
envers  vous,  mais  j'espère  le  secouer  bien  vite  pour 
encore  une  fois  servir  en  liberté  mon  cher  Seig""  et 
Maître.  Sans  aucune  interruption,  je  travaille  tantôt 
à  une  chose  et  tantôt  à  une  autre.  Je  supporterais 
volontiers  ces  fatigues,  si  ce  n'est  qu'il  faille  expédier 
d'un  trait  les  ouvrages  qui  exigeraient  beaucoup  de 
temps.  Je  jure  à  V.  S.  que  si  je  restais  beaucoup  de 
\    temps  en  ce  pays,  il  faudrait  que  je  devinsse  un  stra- 
pazzone^,  comme  les  autres  qui  sont  ici.  Les  études 
et  les  bonnes  observations,  d'après  l'antique  ou  autre, 
n'y  sont  connues  d'aucune  façon,  et  celui  qui  a  de 
l'inclination  à  étudier  et  à  bien  faire,  doit  certaine- 
ment s'en  éloigner.  J'ai  fait  commencer  sur  mes  des- 
sins les  stucs  et  la  peinture  de  la  Grande  Galerie, 
mais  avec  peu  de  satisfaction  pour  moi  (quoique  cela 
plaise  à  ces  animaux),  parce  que  je  ne  trouve  per- 
sonne qui  seconde  un  peu  ma  pensée,  bien  que  je 

1.  Cassiano  del  Pozzo  avait  donc  obtenu  cette  abbaye. 
Ughelli,  dans  Vltalia  sacra  (1644-62),  t.  III,  p.  Sgi,  le  men- 
tionne ainsi  :  «  ...  le  chevalier  Cassiano,  abbé  de  Sainte- 
Marie  de  Cavour,  homme  illustre  par  la  douceur  de  ses 
mœurs,  sa  science,  ses  vertus  éminentes...  » 

2.  Abatteur  de  besogne,  gâte-métier,  quelqu'un  qui  travaille 
à  la  diable. 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  99 

fasse  les  dessins  en  grand  et  en  petit.  Un  jour,  si 
Dieu  me  prête  vie,  J'enverrai  le  dessin  à  V.  S.,  espé- 
rant pouvoir  le  mettre  au  net  dans  les  veillées  d'hi- 
ver. J'ai  mis  en  place  le  tableau  de  la  Cène  du  Christ, 
dans  la  chapelle  de  Saint-Germain,  et  il  est  assez  bien 
réussi.  Je  travaille  à  celui  du  Noviciat  des  Jésuites  : 
c'est  un  grand  ouvrage,  qui  contient  14  figures  plus 
grandes  que  nature,  et  c'est  ce  travail  qu'il  faut  livrer 
en  deux  mois,  ce  qui  me  contraint  de  remettre  le 
départ  de  votre  Baptême  du  Christ  à  la  première 
commodité.  J'espère  dans  la  bonté  et  la  courtoisie 
infinie  de  V.  S.;  m'assurant  qu'elle  m'excusera;  Je  la 
prie  de  m'honorer  du  titre  d'humble  serviteur 
De  V.  S.  IIH"  et  Rn^^ 
Le  très  humble  Ser*" 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  20  Septembre  1641. 

47.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  59.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Commis  de  Monseigneur 
de  Noyers,  en  Court. 

[M.  Poussin  25*^^  Septembre  1641. 

Remerciment.  —  Mande  quil  trauaille  pour  le 
Nouitiat  et  la  gallerie.] 

Monsieur  Jay  repceu  celle  du  xxi  Sep- 

tembre dont  vous  m'aués  voulu  honnorer.  Je  ni  ay 
trouué  autre  que  des  nouuelles  gratifications  dont  Je 
vous  suis  extrêmement  obligé.  J'ay  pensé  qu'il  ne 
seroit  point  mal  à  propos  de  remersier  Monseigneur 
de  la  libéralité  eusée  enuers  moi.  parce  mot  de  lettre 


tOO  CORRESPONDANCE  [164I 

icy  incluse  avec  la  vostre  mais  sil  vous  semble  que 
cela  aye  peu  de  grâce  dauoirtant  atendu  Je  vous  sup- 
plie de  supléer  à  ma  faute  et  de  fair  mon  escuse.  Je 
me  suis  depuis  deus  ou  trois  jours  trouué  formai 
d'une  cuisse  mais  pour  cela  je  ne  laisse  pas  de  trauail- 
1er  pour  le  Nouitiat  et  pour  la  galerie.  Le  mal  grâces 
à  dieu  se  commence  à  passer.  Je  vous  remersie  très 
humblement  des  bonnes  nouuelles  que  vous  maués 
mandées  Jen  suis  extrêmement  resiouy  et  prie  dieu 
que  bien  souuent  nous  en  ayons  de  même  et  qu'il 
vous  donne  monsieur  toute  sorte  de  contentemens 
Vostre  très  humble 

Seruiteur 

Poussin 
de  Paris  25  Septembre  1641. 

48.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  280.) 

Al  Commendatore   Cassiano  del  Po:{\o. 

Ho  ricevuto  la  sua  cortesissima  del  3i  Agosto 
insieme  con  quella  del  sig.  Carlo  Antonio.  Rendo 
ail'  uno  e  ail'  altro  infinité  grazie  dé  segni  continui 
ch'  io  ricevo  del  loro  amore.  L'obbligazione  che  le 
professo,  è  infinita,  e  mi  stenderei  più  alla  lunga  nel 
ringraziarla,  ma  una  lettera  venulami  dalla  parte  di 
monsù  Chantelou  con  due  copie  di  Rafîaello,  ch'  egli 
m'  ha  ordinato  d'inviare  a  VS  :  111™.",  non  me  ne  dà 
il  tempo,  essendo  per  partirsi  il  corriero. 

Mi  sono  dunque  state  portate  questa  mattina  due 
copie,  l'una  délia  belle  Madona  di  Rafîaello,  ch'  è 
a  Fontanableau,  l'altra  è  nel  gabinetto  del  re.  L'una 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  lOI 

e  l'altra  sono  buone  copie;  ma  una  cosa  m'  ha  date 
gran  fastidio,  perciocchè  suilappandole,  ho  trovo 
che  quella  di  Fontanableau  per  la  negligenza  di 
qualche  ignorante,  è  stata  offesa.  Quasi  stavo  per  non 
inviarla,  se  non  fosse  che  ho  giudicato  che  facilmente 
si  potera  ristorare.  lo  non  voglio  farlo  sapere  al  detto 
Sig.  Chantelou  perché  n'avrebbe  troppo  dispiacere. 
V.  S.  gradisca  il  dono  corne  è,  mentre  l'intenzione  di 
chi  l'offerisce  è  bonissima. «Credo  che  questa  volta 
egli  averà  dato  miglior  ordine  che  non  fece  per  li 
ritratti  del  re  e  del  cardinale.  Del  resto  mi  sento  sol- 
levato  da  un  grandissimo  fastidio,  mentre  ella  vuol 
usare  délia  sua  pazienza  e  cortesia  ordinaria  nell' 
aspettare  il  finimento  del  Battesimo.  Mi  raccomando, 
etc. 

Di  Parigi,  4  ottobre,  1641. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po\\o. 

J'ai  reçu  votre  très  courtoise  lettre  du  3i  août  en 
même  temps  que  celle  du  Seig""  Carlo  Antonio.  A 
l'un  et  à  l'autre,  je  rends  des  grâces  infinies  pour  les 
marques  continuelles  que  je  reçois  de  votre  afifection. 
La  reconnaissance  que  je  professe  est  infinie,  et  je 
m'étendrais  plus  longuement  en  remerciements,  mais 
une  lettre  qui  me  vient  de  la  part  de  Monsieur  de 
Chantelou,  avec  deux  copies  de  Raphaël  qu'il  m'a 
ordonné  d'envoyer  à  V.  S.  l\\^^,  ne  m'en  donne  pas 
le  temps,  car  le  courrier  est  prêt  à  partir. 

On  m'a  donc  apporté  ce  matin  deux  copies,  l'une 
de  la  belle  Madone  de  Raphaël  qui  est  à  Fontaine- 
bleau; l'autre  est  dans  le  cabinet  du  Roi^  L'une  et 

I.  La  Grande  Sainte-Famille  de  François  I"  qui  était  alors 


X 


102  CORRESPONDANCE  [164I 

l'autre  sont  de  bonnes  copies,  mais  quelque  chose 
m'a  donné  grand  ennui  :  c'est  qu'en  les  déroulant,  j'ai 
trouvé  que  celle  de  Fontainebleau,  par  la  négligence 
de  quelques  ignorants,  avait  été  abîmée.  J'étais  presque 
résolu  à  ne  pas  vous  l'envoyer,  si  je  n'eusse  jugé  qu'elle 
se  pouvait  facilement  restaurer.  Je  ne  veux  pas  le  faire 
savoir  audit  M.  de  Chantelou,  parce  qu'il  en  aurait 
trop  de  déplaisir.  Que  V.  S.  agrée  le  présent  comme 
il  est,  puisque  l'intention  de  celui  qui  l'offre  est  excel- 
lente. Je  crois  que  cette  fois  il  aura  donné  de  meil- 
leurs ordres  qu'il  ne  fît  pour  les  portraits  du  Roi  et 
du  Cardinal.  Du  reste,  je  me  sens  soulagé  d'un  grand 
ennui  puisque  V.  S.  veut  bien  user  de  sa  patience  et 
de  sa  courtoisie  ordinaire  pour  attendre  l'achève- 
ment du  Baptême.  Je  me  recommande,  etc. 
De  Paris,  4  octobre  1641. 

49.   —  Poussin    a    Cass.    del    Pozzo. 
(Coll.  Chambryi.) 

Al  III^^  e  R^°  Sig^^  et  Pron  mio  os^° 
il  Sigl.  Ahbate  di  Cauore 

in  Roma. 

111™"  et  Reu»°  Sig  :  mio 
Farei  gran  torto  à  quella  benignità  singolare  con 

à  Fontainebleau.  L'autre  Raphaël  mentionné  ici  est  la  Belle 
Jardinière.  Del  Pozzo  connaissait  fort  bien  les  trésors  de  Fon- 
tainebleau. M.  Mùntz  a  publié,  dans  les  Mémoires  de  la 
Société  de  l'Histoire  de  Paris,  t.  XII,  une  intéressante  des- 
cription de  Fontainebleau  en  1625,  par  Cassiano  del  Pozzo, 
alors  secrétaire  du  card.  Franc.  Barberini  dans  sa  légation  de 
France  (ms.  de  la  Bibl.  nat.  de  Naples,  X.  E.  54). 

I.  Lettre  communiquée  par  M.  Chambry  aux  Archives  de 
l'Art  français  et  publiée  dans  le  t.  III  (i852-53),  p.  225,  par 
Ph.  de  Chennevières.  —  M.  Chambry  l'aurait  acquise,  pour 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I03 

la  quale  VS  :  111™?  in  ogni  occasione  si  è  compiaciuta 
di  favorirmi  se  io  non  venisse  con  queste  mie  à  pre- 
garla  di  volere  continuarmi  nelle  sue  gratie,  è  favori 
è  raccommandarli  la  protettione  de  miei  in  questi 
tempi  miserabili  pregandola  di  pigliare  la  loro  pro- 
tettione al  bisogno,  mi  mortifico  grandemente  di 
vedermili  inutile  servitore,  ma  al  incontro  mi  solleua 
in  gran  parte  la  sua  bontà  singolare  la  quale  spero 
che  mi  dispensarà  per  adesso  délia  esecutione  del 
mio  debito.  Piaccia  à  sua  divina  maestà  che  non  solo 
ella  godi  in  questo  tempo  ogni  prospero  auuenimento 
ma  che  anco  gli  siano  conceduuti  da  Iddio  lunghi  è 
felicissimi  anni  mentre  le  baggio  humil**  le  mani. 
Di  Parigi,  25  ottobre  1641. 

DI  VS  :  Ill«f  et  Reu"?? 
Hum'ff  Ser^e 
Nicolo  Poussin. 

A  rill^^  et  JR»^  Seig^^  mon  Patron  très  honoré, 
le  Seig'^  Abbé  de  Cavore,  à  Rome. 

Mon  Seigf  lU'ns  et  Rev^^ 
Je  ferais  grand  tort  à  cette  singulière  bienveillance 
dontV.  S.  Illf^  s'est  complue  en  toute  occasion  à  me 
favoriser,  si  je  ne  venais,  dans  cette  lettre,  la  prier  de 
vouloir  me  continuer  ses  grâces  et  ses  faveurs,  et  lui 
recommander  la  protection  des  miens  dans  ces  temps 
misérables',  la  priant  de  prendre  leur  protection  au 

83  francs  environ,  à  la  vente  faite  à  Londres  le  18  décembre 
1848  par  Puttick  et  Simpson.  Elle  aurait  appartenu  précédem- 
ment à  M.  Donnadieu,  qui  l'acheta  de  M.  Thorpe,  lequel 
l'avait  trouvée,  avec  d'autres,  dans  les  papiers  d'un  amateur 
décédé.  Cette  lettre  figurait  à  la  vente  des  5-7  juillet  1900 
(catal.  Sotheby,  n"  275),  note  de  Léop.  Delisle. 

I.  Cette  épithète  de  Poussin  doit  s'entendre  plutôt  au  sens 


104  CORRESPONDANCE  [164I 

besoin.  Je  suis  grandement  mortifié  de  me  voir  inu- 
tile serviteur  de  V.  S.;  mais  d'un  autre  côté,  j'ai 
grande  confiance  en  sa  bonté  singulière,  laquelle,  je 
l'espère,  me  dispensera  pour  le  moment  de  l'acquit 
de  ma  dette  ^  Qu'il  plaise  à  la  divine  Majesté  que 
non-seulement  V.  S.  jouisse  en  ce  moment  de  toute 
prospérité,  mais  qu'il  lui  soit  encore  accordé  par 
Dieu  de  longues  et  très  heureuses  années;  cependant 
je  lui  baise  très  humblement  les  mains. 

De  V.  S.  I1H«  et  Rêver™* 
Le  très  humble  serviteur, 
Nicolas  Poussin. 
De  Paris,  25  octobre  1641. 

50.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12847,  fol.  61 2.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  commis  de 
Monseigneur  de  Noyers,  à  Ruel. 

[Un  compliment  sur  un  régal  que  je  luy  auois 
enuoyé.] 

Monsieur^ 
Je  ne  repsois  jamais  présent  que  de  touttes  les  sai- 

moral  qu'au  sens  historique,  car  il  n'y  avait  alors  à  Rome 
aucun  malheur  public  qui  la  justifiât.  A  Paris  sévissait  une 
épidémie  de  petite  vérole  (voir  Avenel,  Corresp.  de  Richelieu, 
t.  VI,  p.  885). 

1.  «  Le  petit  ouvrage  du  Baptême  de  Jésus-Christ  dans  le 
Jourdain  qu'il  lui  avoit  laissé  à  terminer  »  et  auquel,  en  sep- 
tembre 1641,  «  il  ne  lui  avoit  pas  encore  été  possible  de  don- 
ner un  coup  de  pinceau  »  (note  de  Ph.  de  Chennevières). 

2.  Cette  lettre  est  inédite.  Le  copiste  de  1755  l'aura  sau- 
tée par  erreur;  aussi  Quatremère  n'a-t-il  pu  la  publier. 

3.  Le  coin  de  la  feuille  originale  étant  déchiré,  les  quatre 
premières  lettres  de  Monsieur  et  le  premier  mot  de  la  lettre  : 
Je  manquent  au  ms.  12847. 


1641]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  I05 

sons  et  à  toutte  heure  ne  me  facent  jouir  des  délices 
de  vostre  généreuse  courtoisie.  Il  est  bien  vray  que 
la  fortune  en  ce  qu'elle  va  fesant  ne  scait  jamais  ce 
quelle  fet  fesans  les  princes  *  dïfen  coeur  petit  et  rauallé 
et  les  gentilhommes  d'une  Ame  Royale,  Moy  qui 
vous  donne  telle  louange  considérant  vostre  Magna- 
nimité je  vous  célèbre. encore  pour  homme  de  tant 
de  bonté  que  les  peuples  seroint  bienheureus  qui 
obéiroint  à  un  Signeur  de  telle  marque  2. 

Qui  n'est  point  né  prince  ce  monstre  tel  par  les 
nobles  actions  de  qui  la  nature  la  orné  et  celuy  qui 
est  né  grand  seigneur  et  ne  fait  rien  de  conuenable  à 
sa  naissance  quil  se  restitue  le  coustume  qui  doibt  à 
soymesme  auec  le  procéder  de  vos^  trèscourtoise 
largesses  lesquelles  estans  digne  d'un  degré  Royal  me 
forsent  de  dire  autre  chose  que  ceque  je  dis  et  je  vous 
jure  Monsieur  que  si  je  n'estois  moy  mesme  je  croi- 
rois  d'estre  vous  qui  haués  conuerti  l'amour  et  la 
réuéranse  que  je  vous  porte  en  lobligation  que  je  vous 
doibts 

Vostre  très  obligé  à  jamais 
Poussin 
de  Paris  ce  7  novembre  1641. 

51.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  281.) 

Al   Commendatore   Cassiano  del  Poi\o. 
Sig.  ill.  Sono  stato  ormai  tanto  bene  informato  per 

1.  Poussin,  ayant  répété  le  mot,  l'a  rayé  la  seconde  fois. 

2.  Poussin  avait  d'abord  écrit  vertu  qu'il  a  rayé  et  remplacé 
par  marque. 

3.  Poussin  avait  d'abord  écrit  :  vostre. 


I06  CORRESPONDANCE  [164I 

mezzo  delle  sue  benignissime  lettere  di  quelle  cose 
che  ho  da  fare,  che  non  credo  mai  fare  ne  dire  cosa 
che  non  la  sia  di  gusto  e  di  placera,  in  quanto  aile 
mie  forze,  lasciando  indietro  moite  cose.  Solamente 
farô  sapere  che  sono  stato  finora  assai  bene  délia 
sanità,  e  trattato  molto  amorevolmente  da  questi 
signori,  onorato  e  ricompensato.  L'opère  mie  sono 
State  accettissime,  ed  il  Re  e  la  Reina  hanno  laudato 
il  quadro  délia  Cena  per  la  lor  Cappella,  dilettandoli, 
a  quello  che  hanno  detto,  quanto  la  vistà  delli  loro 
figliuoli.  Il  Cardinal  de  Richelieu  è  stato  soddisfatto 
del  suoi  tanto,  che  ne  ha  fatto  complimento,  e  rin- 
graziatomi  lui  stesso  in  presenza  di  Monsig.  Maza- 
rini.  Adesso  dipingo  un  quadrone  per  l'altar  mag- 
giore  del  Noviziato  de'  Gesuiti,  ma  con  troppa  fretta, 
altrimenti  potea  riuscire  per  la  disposizione.  Sarà 
finito  per  natale.  Alla  galleria  grande  lavoriamo 
pianpiano,  fino  a  tantochè  il  sig.  de  Noyers  abbia 
fatto  risoluzione  di  farla  fare  tutta  di  seguito.  Di 
tutte  queste  cose,  come  già  promisi  a  VS  :  Ill™f ,  ne 
manderô  qualche  disegno,  e  perché  in  questo  tempo 
inverno,  mentre  per  la  bella  stagione  non  avrei  potuto 
sodisfarla  come  avrei  desiderato.  Ora  non  potendo 
per  l'incomodità  del  tempo  attendere  ad  altro  chè  a 
disegnare  o  dipingere  in  piccolo,  mi  sarà  buona  oc- 
casione  per  adoperarmi  in  suo  servizio,  e  cosi  spero 
Il  Sig.  de  Noyers  mi  disse  l'altro  giorno  di  aver 
scritto  a  Madama  di  Savoia  per  impetrar  da  essa  gli 
originali  di  Pirro  Ligorio,  e  ch'  egli  li  aspettara 
quanto  prima.  Sono,  a  quel  che  dice,  i5  volumi,  con 
un  altro  trattato  molto  raro  délia  Ragion  dell'  Armi 
e  del  Blasone.  Accerto  VS  :  Ill'Pf  di  questo,  acciô  mi 
comandi,  chè  se  io  vedo  in  detti  libri  cosa  degna  del 


1641]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  IO7 

suo  gusto,  posso  pregare  il  suddetto  signore  per 
poterne  cavare  qualche  cosa  dove  io  la  potessi  servire, 
la  prego  non  sprezzare  la  mia  divozione,  e  di  coman- 
darmi  corne  a  quello  che  le  è  obbligato  eternamente. 
Di  Parigi,  21  novembre,  1641. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po^o. 

Par  le  moyen  des  deux  lettres  si  bienveillantes  de 
V.  S.,  me  voilà  si  bien  informé  des  choses  que  j'ai  à 
faire,  que  je  ne  crois  plus  désormais  faire  ou  dire 
chose  qui  ne  soit  pas  de  votre  goût  et  de  votre  plaisir. 
Tout  en  laissant  de  côté,  selon  mes  forces,  beaucoup 
de  choses,  je  vous  ferai  savoir  seulement  que  j'ai  été 
jusqu'à  présent  en  très  bonne  santé,  et  traité  très 
gracieusement  par  ces  Seigneurs,  honoré  et  récom- 
pensé. Mes  ouvrages  ont  été  très  bien  reçus,  et  le  Roi 
et  la  Reine  ont  loué  le  tableau  de  la  Cène  pour  leur 
chapelle,  y  prenant  autant  de  plaisir,  à  ce  qu'ils  ont 
dit,  qu'à  la  vue  de  leurs  enfants.  Le  Cardinal  de 
Richelieu  a  été  si  satisfait  du  sien,  qu'il  m'en  a  fait 
compliment,  et  m'en  a  lui-même  remercié,  en  présence 
de  Monseigf  Mazarini.  En  ce  moment,  je  peins  un 
grand  tableau  pour  le  maître-autel  du  Noviciat  des 
Jésuites,  mais  trop  à  la  hâte^;  autrement  il  pourrait 
avoir  du  succès  pour  la  composition.  Il  sera  fini  pour 
Noël.  A  la  grande  galerie,  nous  travaillons  tout  dou- 
cement jusqu'à  ce  que  M.  de  Noyers  ait  pris  la 
résolution  de  la  faire  faire  tout  de  suite 2.  De  toutes 

1.  Roland  de  Chambray  dit  en  effet  qu'il  a  été  «  peint  avec 
une  grande  précipitation  et  pendant  l'hyver  »  (Dédicace  du 
Traité  de  la  peinture  de  i65i). 

2.  Roland  de  Chambray  confirme  indirectement  cette  incons- 
tance dont  Poussin  ne  pouvait  s'accommoder  :  «  La  demande 


I08  CORRESPONDANCE  [1641 

ces  choses,  comme  je  l'ai  déjà  promis  à  V.  S.  Ill^n^, 
je  lui  en  enverrai  quelque  dessin,  nous  trouvant  en 
ce  temps  d'hiver,  parce  qu'à  la  belle  saison  je  n'aurai 
pu  la  satisfaire  comme  je  l'aurai  désiré.  Aujourd'hui 
ne  pouvant,  à  cause  de  l'incommodité  du  temps, 
m'occuper  à  autre  chose  qu'à  dessiner  et  peindre  en 
petit,  ce  me  sera  une  bonne  occasion  pour  m'em- 
ployer  à  votre  service,  et  c'est  ce  que  j'espère.  Le 
seig""  de  Noyers  me  dit  l'autre  jour  avoir  écrit  à 
Madame  de  Savoie  pour  obtenir  d'elle  les  originaux 
de  Pirro  Ligorio,  et  qu'il  les  attendait  à  la  première 
occasion.  Il  y  en  a,  à  ce  qu'il  dit,  i5  volumes,  avec 
un  autre  traité  fort  rare  de  la  Raison  des  Armes  et 
du  Blason.  J'en  informe  V.  S.  afin  qu'elle  me  donne 
ses  ordres;  que  si  je  vois  dans  les  dits  livres  quelque 
chose  digne  de  votre  bon  goût,  je  puisse  prier  le  sus- 
dit Seig""  de  m'en  laisser  tirer  quelque  chose  pour 
vous.  Du  reste  si  en  ce  pays-ci,  il  y  avait  quelque 
chose  en  quoi  je  pusse  servir  V.  S.,  je  la  prie  de 
ne  pas  épargner  mon  dévouement,  et  de  me  com- 
mander comme  celui  qui  est  son  éternellement  obligé. 
De  Paris,  21  novembre  1641. 

52.  —  Poussin    a    Cass.    del    Pozzo. 
(Coll.  de  M.  le  comte  Allard  du  Chollet.) 

AU'  III^^  et  JReM™o  Sigl^,  et  Prôn  mio 

il  Sig  :  Caualier  dél  Poiio 

In  Roma. 

111™?  et  Reu«°  Sig/.  mio 

Infinité  sono  le  occasioni  che  obbligano  à  venire 

qu'on  luy  fit  d'un  dessein,  non  pas  le  plus  magnifique  ny  le 
plus  superbe  qu'il  peust  composer,  mais  d'un  ornement  dont 
l'exécution  fust  prompte,  et  d'une  dépense  modérée,  eu  esgard 
au  temps  et  à  l'humeur  impatiente  de  nostre  nation  »  (Dédi- 
cace du  Traité  de  la  peinture,  i65i). 


1641]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  IO9 

spesso  con  le  mie  a  riuerire  VS  :  Ill™f  et  R'Pf  ma  la 
prossimità  di  questo  Santiss'yo  giorno  di  Natale  m' 
inuita  à  pregare  la  bonta  eterna  di  nostro  Sig';t  che 
lei  goda  in  queste  feste  è  sempre  una  quiète  i  tran- 
quilità  di  animo  che  riesca  conforme  al  suo  deside- 
rio  è  placera  à  lei  di  credère  che  non  ha  nessun  Ser|;« 
che  più  ardentemente  di  me  gli  desidera  quelle  con- 
tentesse  che  richiedono  al  suo  merito  mi  mortifica  il 
non  potere  accompagnare  alla  présente  ed  quéllo  ch' 
ho  cominciato  di  fare  mi  solleua  al  incontro  la  sua 
singolar  bontà  la  quale  priego  mi  lassi  goder  lunga- 
mente  la  sua  benigna  protettione  et  le  bagio  riueren- 
temente  le  mani. 

DIVS.  Ill«?  et  Reuma 
Humiliss™p  Seryf 
Nicolô  Poussin 
Di  Parigi  20  Xbre  :  1641 

A  l'Ill^^  et  R^^  et  Seig^^  mon  Patron^ 
le  Seigneur  Cavalier  del  Po^o^  à  Rome*. 

Mon  IlHe  et  R««  Seigneur, 
Infinies  sont  les  occasions  qui  m'obligent  à  venir 
souvent  avec  mes  lettres  présenter  mes  respects  à 
V.  S.,  mais  la  proximité  de  ce  très  saint  jour  de  Noël 
m'invite  à  prier  la  bonté  éternelle  de  N.  S.  que  vous 
jouissiez  en  cette  fête  et  toujours  d'un  repos  et  d'une 
tranquillité  d'âme  conformes  à  votre  désir;  et  qu'il 
vous  plaise  de  croire  qu'il  n'y  a  aucun  serviteur  qui 


I.  L'original  de  cette  lettre  appartient  à  la  collection  d'auto- 
graphes de  M.  le  comte  Allard  du  Chcllet,  lequel  a  bien  voulu 
nous  la  communiquer,  pour  cette  édition,  avec  la  plus  aimable 
obligeance.  Tous  les  amis  de  Poussin  lui  en  seront  d'autant 
plus  reconnaissants  que  ce  texte  était  resté  inédit.  La  lettre 
figurait  précédemment  dans  les  collections  Fillion  et  Sensier. 


IIO  CORRESPONDANCE  [1642 

VOUS  désire  plus  ardemment  que  moi  les  comente- 
ments  que  l'on  réclame  pour  votre  mérite.  Je  suis 
peiné  de  ne  pas  pouvoir  accompagner  cette  lettre,  et 
en  ce  que  j'ai  commencé  de  faire,  me  soutient  votre 
bonté  singulière,  que  je  prie  de  me  faire  jouir  long- 
temps de  votre  bonne  protection,  et  je  vous  baise 
respectueusement  les  mains 

De  V.  S.  IIH^  et  R«n« 

Le  très  humble  Ser"^ 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris,  le  20  Dec.  1641. 

53.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Naylori.) 

111:  et  Reu«f  Sig^  mio 
Qualche  giorni  sono  che  mi  fù  portato  una  lettera 
di  VS  :  Ill™f  per  un  amico  di  Monsieur  Bovart  secre- 
tario  del  Marchese  de  fontane  Mareil  Ambasciadore 
in  Roma  et  al  6  di  Gennaro  mi  fu  portato  da  un  fat- 
tore  délia  posta  di  leone  un  piego  nel  quale  erano  il 
frontispicio  é  l'intitulazione  del  libro  del  Padre  fer- 
rari  detto  l'Esperidi  con  quatro  pezzi  di  miniatura 
rappresentanti  un  cedro  tagliato  in  diverse  manière 
con  la  dichiarazione  del  sudeto  frutto.  Di  poi  hauer 
bagiato  la  lettera  di  VS  :  et  apertala  la  lessi  con 
quella  attenzione  che  si  deue  et  intesi  il  contenuto  di 
essa  mi  stimai  fortunatiss^pf  mentre  lei  si  degnaua 
aile  volte   di   darmi   occasione   se   non   di  seruirla 

I.  L'original  se  trouvait  dans  la  collection  F.  Naylor  quand 
M,  Thibaudeau  fit,  en  1879,  pour  M.  de  Chennevières  la  copie 
que  nous  publions.  Bottari  l'avait  publiée,  t.  I,  p.  282,  avec 
beaucoup  de  menues  retouches.  La  suscription  manque  dans 
la  copie  Thibaudeau. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  III 

almeno  di  esercitare  la  mia  deuozione  quanto  si 
estendano  le  mie  debolezze.  Ma  prima  di  entrar  piu 
auanti  in  questo  negozio  del  quale  ella  mi  scriue  gli 
dirô  che  ultimamente  facendo  le  raccomandazioni  sue 
al  Sig^.  de  Chantelou  è  gli  diede  la  sua  lettera  la 
quale  riceuè  con  grandiss'^°  piacere  è  venendo  al  pro- 
posito  di  parlare  délia  Abbadia  sua  mi  disse  che  egli 
èra  vero  che  il  Sig"^  de  Noyers  hauer  per  moite  volte 
tentato  il  Cardinale  su  questi  negozio  ma  nonhauendo 
potuto  far  cosa  di  momento  per  causa  délie  lettere 
scritte  costi  et  dal  Re  è  dal  detto  Cardinale  in  fauor 
del  Mondino  non  haueuano  voluto  riuocare  la  prima 
dimanda  non  vi  era  altra  via  per  far  conseguire  a 
VS  :  quel  che  desideraua  le  non  che  donando  al  detto 
Mondino  il  primo  benefizio  vacante  quisti  per  ricom- 
penza  e  cedesse  a  VS  :  le  sue  pretenzioni  giunse  à 
questo  che  il  cardinal  Barberino  n'haueua  scritto  al 
Cardinal  Mazzarini.  Sentite  queste  nuoue  pregai  ins- 
tantemente  il  Sig^.  de  Chantelou  di  scriuerne  à  VS  : 
mi  promesse  di  farlo  e  credo  che  la  sua  lettera  giungera 
costi  prima  di  questa.  Tornero  dunque  a  dire  che  dop- 
po  hauer  trattato  secretamente  il  sudetto  negozio  del 
Padre  ferrari  con  l'istesso  di  Chantelou  è  datogli  ad 
intender  ogni  cosa,  lo  pregai  di  pensare  qualche  mezzo 
di  farlo  gentilmente  intendere  al  S'ig'^  de  Noyers 
senza  che  nessun  altro  lo  sapessi  questo  si  tratto  al 
12  di  questo  et  al  i5  del  medisimo  il  detto  Cantelou 
mi  disse  che  vi  era  buona  disposizione  gli  diede 
dunque  in  mano  quanto  lei  mi  haueua  mandato 
(eccetto  la  lettera  di  VS  :  che  fesi  copiare  senza  nome) 
accio  fussèro  informati  piu  à  pieno  del  fatto  subito 
che  ne  hauero  qualche  altra  nova  non  manchero  à 
scriuerlo  ma  dio  voglia  che   l'infiniti   negozio   che 


112  CORRESPONDANCE  [1642 

hanno  al  présente  (percioche  il  Re  si  parte  al  25  di 
questo  mese  per  il  viaggio  délia  Catalognia)  non  li 
occupi  in  maniera  che  non  possino  volger  gl'  occhi 
aile  cose  più  curiose.  lo  ho  fatto  quanto  ho  potuto 
in  tanti  mesi  per  fare  espedire  il  privileggio  del  libro 
del  Angeloni  ma  la  mia  soUecitudine  non  ha  potuto 
tanto  tuttavia  credo  sicuramente  che  sarà  per  il  primo 
ordinario  io  dico  questo  accio  ella  sappia  la  dificulta 
che  voi  e  à  fare  spedire  il  minimo  negozio.  Il  Sig^. 
de  Chantelou  ha  messo  in  capo  al  Sig^.  de  Noyer  di 
pregare  VS  :  Ill?f  di  permettere  che  li  suoi  sette  sacra- 
menti  siano  copiati  da  un  Pitture  che  io  deuo  (dice 
egli)  nominare  questo  non  vien  gia  del  mio  consiglio 
VS:  fera  corne  gli  placera  ma  io  so  bene  che  non 
hauerei  mai  gusto  di  rifare  quello  che  già  ho  fatto 
volta  l'impieghi  che  mi  danno  non  sono  tante  degni 
che  io  non  li  potessi  lasciare  per  attendere  à  qualche 
noui  disegni  di  Panni  arazzi  se  loro  pero  hauessero 
il  pensiero  a  cose  nobile  ma  à  dire  il  vero  non  ci  è 
cosa  quivi  che  meriti  starci  troppo.  Temo  di  moles- 
tarla  con  queste  mie  ciance  la  supplico  caramente  di 
continuarmi  nelle  sue  grazie  è  di  credere  mentre 
viuero  la  maggior  che  hauero  mai  sara  di  compia- 
cere  à  VS:  Ill?f  à  cui  bagio  riuerenf^i^  le  mani. 

DI  VS  :  Ill«f  et  Reu™f 
Humiliss^p  ser^^ 

Nicolô  Poussin 
Di  Parigi  17  di  Gennaro  1642. 

Hauerei  molta  da  caro  di  sapere  qualche  mezzo  sicuro 
per  far  tenere  il  quadretto  suo  quando  sarà  compito 
accompagnato  di  qualche  pochi  disegni  insieme  con 
la  madonina  del  Sig^  Roccatagliata  percio  che  non 
li  vorrei  mettere  in  risico  VS:  me  ne  darà  auuiso. 


1642]  DE   NICOLAS    POUSSIN.  Il3 

Mon  HW^  et  R'^e  seigneur, 
II  y  a  quelques  jours  qu'une  lettre  de  V.  S.  Ill™«=  me 
fut  portée  par  un  ami  de  Monsieur  Bovart\  secré- 
taire du  Marquis  de  Fontane  Mareil,  Ambassadeur 
à  Rome,  et  le  6  janvier,  par  un  facteur  de  la  poste  de 
Lyon,  un  paquet  dans  lequel  étaient  le  frontispice  et 
le  titre  du  livre  du  Père  Ferrari 2,  appelé  les  Hespé- 
rides,  avec  quatre  pièces  de  miniature,  représentant  un 
citron  coupé  de  diverses  manières,  avec  l'explication 
du  susdit  fruit.  Après  avoir  baisé  la  lettre  de  V.  S.  et 
l'avoir  ouverte,  je  la  lus  avec  l'attention  qui  se  doit, 
et  je  compris  son  contenu,  mais  je  m'estimai  très 
heureux  de  ce  que  vous  daigniez  me  donner  cette  fois 
l'occasion,  sinon  de  vous  servir,  du  moins  d'exercer 
mon  dévouement  dans  les  limites  de  mes  faibles 
moyens.  Mais,  avant  d'entrer  plus  avant  dans  l'affaire 
dont  V.  S.  m'a  écrit,  je  dirai  que  dernièrement,  en 
faisant  vos   recommandations  à  M.  de  Chantelou, 

1.  Il  s'agit  de  «  M.  Board,  secrétaire  de  l'Ambassade  de 
Rome,  sous  M.  le  Marquis  de  Fontenay  ».  Nous  avons  pris  la 
matière  de  nombreuses  notes  dans  ses  lettres  inédites,  qui 
concernent  les  années  1641-1642  et  1647  (Bibl.  nat.,  ms.  fonds 
Dupuy  343).  Malheureusement  Board  n'y  mentionne  pas  Pous- 
sin; sa  relation  est  exclusivement  d'ordre  diplomatique. 

2.  Jean-Baptiste  Ferrari,  jésuite,  né  à  Sienne  en  1584,  reçu 
en  1602,  se  distingua  par  l'étendue  de  ses  connaissances.  Il 
occupa  pendant  vingt-huit  ans  la  chaire  d'hébreu  au  Collège 
Romain  et  mourut  à  Sienne,  le  i"'  février  i655.  Le  titre  exact 
de  l'ouvrage  en  question  est  :  «  Hesperides  sive  de  Malorum 
aureorum  cultura  et  usu  Libri  quatuor  Jo.  Baptistae  Ferrarii, 
Senensis,  e  Societate  Jesu.  Romae,  sumptibus  Hermanni 
Scheus,  MDCXLVI,  fol.,  pp.  48,  sllelt.  »  Cet  ouvrage  contient 
loi  planches  gravées  sur  cuivre  par  C.  Bloemaert,  d'après 
Pietro  de  Cortone  (Sommersvogel,  p.  676).  Ferrari  avait  loué 
Poussin,  affirmant  que  Louis  XIII  l'avait  appelé  en  France 
«  afin  que  l'Alexandre  français  ne  manquât  pas  d'avoir  son 
Apelles  ». 

1911  8 


X 


114  CORRESPONDANCE  [1642 

je  lui  ai  donné  votre  lettre  qu'il  reçut  avec  un  très 
grand  plaisir;  et  arrivé  à  parler  du  sujet  de  votre 
Abbaye,  il  me   dit  qu'il  était  vrai  que   le  seig""  de 
Noyers  eût,  à  maintes  reprises,  sondé  le  Cardinal  sur 
cette  affaire,  mais  n'ayant  pu  faire  rien  d'important, 
à  cause  des  lettres  d'ici  écrites  pour  là-bas  par  le  Roi  et 
le  Cardinal  en  faveur  de  Mondino,  ils  n'avaient  pas 
voulu  annuUer  la  première  demande;  qu'il  n'y  avait 
pas  d'autre  moyen  de  faire  obtenir  à  V.  S.  ce  qu'elle 
désirait  que  de  donner  le  premier  bénéfice  vacant  au 
dit  Mondino,  qui  en  retour  céderait  ses  prétentions 
à  V.  S.  Il  ajouta  à  cela  que  le  cardinal  Barberini  en 
avait  écrit  au  cardinal  Mazzarini.  Ayant  appris  ces 
nouvelles,   je    priai   instamment   M.   de   Chantelou 
d'écrire  à  V.  S.  Il  me  promit  de  le  faire,  et  je  crois 
que  sa  lettre  arrivera  là-bas  avant  celle-ci.  Je  reviens 
donc  à  dire  qu'après  avoir  traité  secrètement  la  sus- 
dite affaire  du  Père  Ferrari  avec  le  même  de  Chante- 
lou, et  lui  avoir  donné  explication  du  tout,  je  le  priai 
de  penser  à  quelque  moyen  de  la  faire  galamment 
entendre  à  M.  de  Noyers,  sans  que  personne  autre 
le  sache.  Cela  se  traita  le  12  de  ce  mois,  et  le  1 5  du 
même,  le  dit  Chantelou  me  dit  qu'il  y  avait  de  bonnes 
dispositions.  Je  lui  remis  donc  en  main  tout  ce  que 
vous  m'aviez  envoyé  (excepté  la  lettre  de  V.  S.  que  je 
fis  copier  sans  nom)  afin  qu'ils  fussent  informés  du 
fait  plus  pleinement.  Aussitôt  que  j'en  aurai  quelque 
autre  nouvelle,  je  ne  manquerai  pas  de  vous  l'écrire, 
mais  Dieu  veuille  que  les  affaires  infinies  qu'ils  ont  à 
présent  (parce  que  le  Roi  part  le  25  de  ce  mois  pour  le 
voyage  de  Catalogne  *)  ne  les  occupent  pas  de  manière 

1.  Louis  XIII  passa  l'hiver  de  1641  à  Saint-Germain;  il  était 
fort  souffrant.  Richelieu  voulait  qu'il  se  rendît  devant  Perpi- 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  Il5 

qu'ils  ne  puissent  tourner  les  yeux  vers  les  choses 
plus  curieuses.  J'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu,  depuis 
tant  de  mois,  pour  faire  expédier  le  privilège  du  livre 
de  l'Angeloni,  mais  mes  sollicitations  n'ont  pas  eu 
assez  de  pouvoir.  Toutefois,  je  crois  sûrement  que  ce 
sera  pour  le  premier  ordinaire.  Je  vous  dis  cela  afin 
que  vous  sachiez  la  difficulté  qu'il  y  a  à  faire  expé- 
dier la  moindre  affaire.  M.  de  Chantelou  a  mis 
en  tête  à  M.  de  Noyers  de  prier  V.  S.  HW*  de  per- 
mettre que  ses  sept  sacrements  soient  copiés  par  un 
peintre  que  je  dois,  dit-il,  désigner.  Cela  ne  vient  pas 
de  mon  conseil.  V.  S.  fera  ce  qu'il  lui  plaira,  mais  je 
sais  bien  que  je  n'aurai  jamais  du  plaisir  à  refaire  ce 
que  j'ai  déjà  fait  une  fois.  Les  travaux  qu'ils  me 
donnent  ne  sont  pas  si  relevés  que  je  ne  les  puisse 
laisser  pour  m'occuper  à  quelques  nouveaux  dessins 
de  tapisseries,  s'ils  pouvaient  penser  à  de  grandes 
choses,  mais  à  dire  vrai,  il  n'y  a  rien  ici  qui  mérite 
qu'on  s'y  tienne  trop.  Je  crains  d'ennuyer  V.  S.  de 
mes  sornettes.  Je  la  supplie  chèrement  de  me  conti- 
nuer ses  grâces,  et  de  croire  que  tant  que  je  vivrai, 
la  plus  grande  que  j'aurai  sera  de  complaire  à  V.  S. 
lU^^,  à  qui  je  baise  respectueusement  les  mains. 
De  V.  S.  Ill««  et  R^^ 
Le  très  humble  ser"", 

Nicolas  Poussin. 

Je  serais  bien  aise  de  savoir  quelque  moyen  sûr  de 

vous    faire   tenir  votre  petit  tableau  quand  il  sera 

achevé,  accompagné  de  quelques  petits  dessins,  en 

même  temps  que  la  petite  Madone  du  Seig^  Roccata- 

gnan  pour  encourager  l'armée  qui  l'assiégeait,  mais  Cinq- 
Mars  essayait  de  le  retenir  à  Saint-Germain,  où  son  influence 
s'exerçait  plus  librement. 


Il6  CORRESPONDANCE  [1642 

gliata,  parce  que  je  ne  voudrais  pas  leur  faire  courir 
de  risque*  Ainsi  V.  S.  me  donnera  son  avis. 

54.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(British  Muséum  •.) 

Al  111"^°  et  Reu^°  Sig[^,et  Prôn 
Qssmo  II  sigr  Caualier  del  Posso 

In  Roma. 

Per  l'ordinario  passato  scrisse  a  VS:  Ill'Pf  che 
haueuo  trattato  del  negotio  del  Padre  ferrari  secreta- 
mente  con  mosieur  de  Châtelou  è  che  il  sudetto 
qualche  giorni  di  poi  mi  disse  hauer  trouato  il  Sig  : 
de  Noyers  in  buona  dispositione  ma  ch'  era  di  biso- 
gno  far  vedere  al  sudetto  Sig^t  quello  che  VS  :  111"?? 
mandaua  per  esser  informato  del  tutto  gli  messi 
dunque  in  mano  il  princîpio  di  detto  libro  il  frontes- 
picio  è  li  quattro  pezzi  di  miniatura  con  la  lor  dichia- 
ratione  alli  20  di  questo  riuidi  il  detto  Sigî.  de  Chan- 
talou  il  quai  mi  disse  che  si  farebbe  quanto  lei  et  il 
buon  Padre  desiderauano  et  che  il  Sig^  de  Noyers 
ordinarebbe  quanto  prima  per  la  rimessa  di  denari 
costi  è  giunse  il  sudV?  che  partendosi  il  Re  di  Parigi 
con  il  Cardinale  è  tutta  la  Corte  alli  25  del  corrente 
per  Leone  che  pigliarebbe  la  cura  totale  di  detto  nego- 
tio sopra  di  se  et  che  nô  era  di  bisogno  che  io  ne 
pigliassi  altra  briga  eccetto  di  far  sapere  a  VS  :  in  che 
stato  era  il  fatto  et  auuertire  che  la  dedication  del 

I.  L'original  est  conservé  au  British  Muséum,  n°  23744.  C'était 
le  n°  1075  de  la  vente  faite  le  8  juin  1860  chez  MM.  Christie. 
Il  avait  fait  partie  de  la  collection  de  Sir  Thomas  Lawrence 
et  avait  été  fac-similé  dans  le  catalogue  de  la  troisième  vente 
des  dessins  de  cette  collection  (août  i835).  Bottari  l'a  publiée, 
t.  I,  p.  284. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  II7 

opéra  si  deue  fare  al  Rè  questo  e  quanto  posso 
scriuere  per  adesso  se  bene  ho  grandissima  materia 
di  ringratiar  VS  :  del  honore  de  suoi  commandi  è  de 
segni  continui  délia  sua  amoreuolezza  la  prego  di 
continuarmi  li  suoi  favori  nel  commandarmi  mentre 
gli  bagio  humillss',«  le  mani. 

DI  VS  :  Illff  et  Reud™" 
Humiliss'î'f  Ser^e 

Nicolô  Poussin. 
Di  Parigi  24  Gennaio  1642. 

Par  le  dernier  ordinaire,  j'écrivis  à  V.  S.  111™=  que 
j'avais  traité  secrètement  de  l'affaire  du  Père  Ferrari 
avec  monsieur  de  Châtelou,  et  que,  quelques  jours 
après,  celui-ci  me  dit  avoir  trouvé  M.  de  Noyers 
en  bonne  disposition,  mais  qu'il  était  besoin  de  faire 
voir  au  susdit  Seig"",  pour  être  informé  du  tout,  ce 
que  V.  S.  Ill'"^  avait  écrit.  Je  lui  mis  donc  en  main  le 
début  du  dit  livre,  le  frontispice  et  les  quatre  mor- 
ceaux de  miniature  avec  leur  explication.  Le  20  de  ce 
mois,  je  revis  le  dit  M.  de  Chantalou,  lequel  me  dit 
qu'il  serait  fait  comme  V.  S.  et  le  bon  Père  désiraient, 
et  que  M.  de  Noyers  donnerait  des  ordres  à  la 
première  occasion  pour  la  remise  de  l'argent  là-bas. 
Il  ajouta  que  le  Roi,  avec  le  Cardinal  et  toute  la  Cour, 
partant  le  25  courant  pour  Lyon\  il  prendrait  sur  lui 
le  soin  total  de  cette  affaire  et  qu'il  n'était  pas  besoin 
que  je  fisse  d'autre  démarche,  excepté  de  faire  savoir  à 
V.  S.  en  quel  état  se  trouvait  l'affaire,  et  d'avertir  que 
la  dédicace  de  l'ouvrage  se  devait  adresser  au  Roi. 

I.  Louis  XIII  quitte  Saint-Germain  le  lundi  27  janvier  1642. 
Il  s'arrête  six  jours  à  Lyon,  en  février,  et  arrive  à  Narbonne 
le  II  mars. 


Il8  CORRESPONDANCE  [1642 

Voilà  tout  ce  que  je  puis  écrire  pour  le  moment,  bien 
que  j'aie  le  plus  grand  sujet  de  remercier  V.  S.  de 
l'honneur  de  ses  ordres  et  des  marques  continuelles 
de  sa  bienveillance.  Je  la  prie  de  me  continuer  la 
faveur  de  ses  commandements  cependant  que  je  lui 
baise  très  humblement  les  mains, 

De  V.  S.  HW^  et  R'^^ 
Le  très  humble  Ser^ 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  24  janvier  1642. 

55.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Alf.  Huthi.) 

Quando  è  grande  la  consolatione  ch'  io  sento  nel 
esser  fauorito  délie  lettere  di  VS  :  lU^f  non  lo  potrei 
esprimere  in  alcun  modo  giudichi  dunque  quanto 
deue  esser  maggiore  quando  per  quelle  nedo  conti- 
nuare  in  me  l'affection  sua  sono  gratie  che'  di  sopra 
mi  piouono  dal  cielo  conosco  bene  chè  in  me  non  è 
quella  virtu  che  rende  un  huomo  degno  di  essere 
amato  da  lei  confesso  di  non  meritar  tanto  bene 
hauerei  maggiore  cagione  di  contentenzza  se  almeno 
la  mia  buona  volunta  (délia  quale  son  tutto  pieno) 
nonvenisse  impedita  d'accidenti  non  preuisti  dico  in 
questo  modo  perche  à  quel  suo  quadretto  del  Batte- 
simo  non  ho  potuto  dar  compimento  essendo  stato 
constretto  quando  con  più  feruore  mi  ero  messo  à 

I.  Publiée  dans  Bottari,  éd.  1767,  1. 1,  p.  285.  —  Nous  publions 
la  copie  envoyée  par  M.  Thibaudeau  à  M.  de  Chennevières  en 
1880,  d'après  l'original  qui  appartenait  alors  à  M.  Alfred  Huth, 
à  Londres.  —  Cette  collection  a  été  vendue  les  12  et  i3  juin 
191 1.  Le  lot  i83  (lettre  du  14  mars  1642)  a  été  acheté  par  un 
marchand  non  anglais  nommé  Megler  (renseignement  dû  à 
l'obligeance  de  M.  Warrer,  conservateur  au  British  Muséum). 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  II9 

volerlo  fornir  tralasciarlo  per  un  freddo  irrepente  è 

acuto  in  maniera  che  si  dura  fatica  à  sopportarlo 

ben  vestito  à  canto  buon  fuoco  ma  queste  sono  le 

strauaganze   di  questo  paese  quindici  di  sono  clie 

l'aria  si  era  fatta  soave  fuor  di  modo  et  ogni  augeletto 

cominciava    col  canto  à  ralegrarsi  per  l'apparente 

primavera,  ogni  arbuscello  comminsciava  à  spuntare 

le  tenere  fronde  è  l'odorante  viole  con  l'herbe  molli 

ricopriuano  la  terra  poco  auanti  poluerosa  dal  hor- 

rido  fredo.  ecco  in  una  notte  un  vento  dit  tramontana 

eccitato  dalla  forza  délia  luna  Ruza  (cosi  la  chiamano 

in  questo  Paese)  con  una  foltissima  neve  che  respiuge 

il  bel  tempo  (troppo  frettoloso  certo)  più  lungi  di 

noi  che  non  era  del  mese  di  Gennaro  Non  si  mara- 

vigli  dunque  VS  :  se  hô  abbandonato  i  pennelli  che 

mi  sento  gelere  siuo  al  anima  ma  tosto  che  il  tempo 

correra  commodo   tornerô   ancor  io  à  dar  compi- 

mento  alla  sudetta  operetta  in  tanto  aspettarô  quello 

che  VS:  mi  ordinerà  per  il  sicuro  inuiamento  di  quella 

intanto  la  prego  humil'.«  di  honorarmi  sempre  délie 

sue  gratie 

DI  VS  :  IllTf  et  Reuff 

Humiliss™°  Ser";* 

Nicolo  Poussin 
di  Parigî  14  Marzo  1642. 

Si  grande  est  la  consolation  que  j'éprouve  d'être  favo- 
risé des  lettres  de  V.  S.  Ill™«,  que  je  ne  la  peux  expri- 
mer d'aucune  façon;  jugez  donc  combien  elle  doit 
grandir  encore  quand  je  vois  par  elles  que  vous 
me  continuez  votre  affection.  Ce  sont  autant  de 
grâces  qui  me  pleuvent  du  ciel.  Je  reconnais  bien  qu'il 
n'y  a  pas  en  moi  ces  qualités  qui  rendent  un  homme 
digne  de  votre  affection  ;  je  confesse  que  je  ne  mérite 


120  CORRESPONDANCE  [1642 

pas  un  si  grand  bien.  J'aurais  plus  de  motifs  de  con- 
tentement de  moi-même  si  du  moins  la  bonne  volonté 
(dont  je  suis  tout  plein)  ne  venait  point  à  être  empê- 
chée par  des  accidents  imprévus.  Je  dis  cela  parce 
que  je  n'ai  pu  donner  achèvement  au  petit  tableau  du 
Baptême  de  V.  S.,  ayant  été  contraint  de  l'inter- 
rompre, quand  je  m'étais  mis  avec  le  plus  d'ardeur  à 
le  vouloir  finir,  par  un  froid  subit  et  piquant,  de  sorte 
qu'on  a  de  la  peine  à  le  supporter,  quoique  bien  vêtu 
et  près  d'un  bon  feu,  mais  tels  sont  les  caprices  de 
ce  pays.  Il  y  a  quinze  jours  que  la  température  s'y 
était  faite  douce  hors  de  saison,  et  que  tous  les  petits 
oiseaux  y  commençaient  à  se  réjouir  par  leur  chant 
de  l'arrivée  du  printemps;  tous  les  arbrisseaux  com- 
mençaient à  faire  bourgeonner  leur  tendre  feuillage, 
et  les  odorantes  violettes,  avec  l'herbe  tendre,  recou- 
vraient la  terre,  poudreuse  peu  de  jours  avant  d'un 
horrible  froid.  En  une  nuit,  voici  un  vent  de  tramon- 
tane, soulevé  par  la  force  de  la  Lune  Rousse  (comme 
ils  l'appellent  en  ce  pays-ci),  avec  une  neige  très 
épaisse,  qui  rejette  le  beau  temps,  trop  prompt  à 
venir,  certainement  plus  loin  de  nous  qu'il  n'était  au 
mois  de  janvier.  Que  V.  S.  ne  s'étonne  donc  pas  si 
j'ai  abandonné  les  pinceaux,  me  sentant  gelé  jusqu'à 
l'âme  ;  mais  aussitôt  que  le  temps  redeviendra  com- 
mode, je  me  remettrai  encore  à  terminer  les  susdits 
petits  ouvrages.  D'ici  là,  j'attendrai  ce  que  V.  S. 
m'ordonnera  pour  la  sûreté  de  l'envoi.  Je  la  prie  hum- 
blement de  m'honorer  toujours  de  ses  grâces* 

De  V.  S.  Ill^e  et  R'"* 

Le  très  humble  Ser"", 

Nicolas  Poussin 
De  Paris  14  mars  1642. 

I.  N'oublions  pas  qu'à  ce  moment,  les  questions  relatives  à 


1642]  de  nicolas  poussin.  121 

56.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f°'-  ^^0 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers,  en  Court. 

[20^  Mars  1642. 

Cette  lettre  mérite  d'être  veue. 

Il  respond  à  celle  que  je  luy  escriuis  de  Nismes. 

Il  mande  qu'il  a  fait  le  dessein  de  l'Horace.  Il  tes- 

moigne  en  estre  assés  content. 

Il  dit  une  jolie  comparaison  pourquoy  il  n^escript 

point  à  M.  de  Noyers.] 

de  Paris  ce  20  Mars 
Monsieur 

Le  Signeur  Salomon  Girard  Mon  cher  ami  se  partant 
d'ici  pour  aler  en  Court  cest  offert  de  vous  présenter 
mes  trèshumbles  baisemains  et  tout  ensemble  la  pré- 
sente par  laquelle  je  vous  remersie  de  l'honneur  que 
vous  m'aués  fet  de  mescrire  et  de  m'auoir  fet  part  des 
belles  choses  que  vous  aués  vues  par  vostre  voiage'. 
Je  m'assure  bien  qu'il  sera  vroi  ce  que  vous  dittes 
qu'à  cette  fois  vous  aurés  cueilli  avec  plus  de  plaisir 
la  fleur  des  beaus  ouurages  qu'autrefois  vous  n'aués 
vues  qu'en   passant  sans  les  bien  lire.  Les  choses 

Poussin  et  à  la  grande  Galerie  n'étaient  rien  auprès  du  grand 
drame  psychologique  et  politique  qui  se  jouait  autour  de 
Louis  XIII,  entre  Richelieu  et  Cinq-Mars.  C'est  la  veille  de 
cette  lettre  que  Cinq-Mars  et  ses  complices  (dont  Gaston 
d'Orléans  et  le  duc  de  Bouillon)  avaient  signé  le  traité  secret 
avec  l'Espagne  (i3  mars  1642). 

I.  Le  roi  était  arrivé  à  Narbonne  le  10  mars  et  Richelieu  le 
i3.  Le  cardinal,  très  malade,  y  restera  jusqu'au  27  mai,  mais, 
dès  le  21  avril,  le  roi  se  rend  au  camp  de  l'armée  qui  assié- 
geait Perpignan.  Chantelou  avait  suivi  M.  de  Noyers  et  Riche- 
lieu et  passé  par  Briare,  la  Charité,  Moulins,  Lyon,  Beaucaire 
et  Narbonne. 


122  CORRESPONDANCE  [1642 

esquelles  il  i  a  de  la  perfection  ne  se  doiuent  pas  voir 
alla  haste  mais  avec  temp  jugement  et  intelligense.  il 
faut  user  des  mesme  moiens  à  les  bien  juger  comme 
à  les  bien  faire.  Les  belle  filles  que  vous  aués  vues  à 
Nimes  ne  vous  aurons  je  m'assure  pas  moins  délecté 
l'esprit  par  la  vue  que  les  belles  collomnes  de  la  mai- 
son quarée  veu  que  celles  ici  ne  sont  que  des  vieilles 
copies  de  cellelà.  C'est  ce  me  semble  un  grand  con- 
tentement lors  que  parmi  nos  trauaus  i  a  quelque 
entremes^  qui  en  adoucit  la  peine.  Je  ne  me  sens 
jamais  tant  eccité  à  prendre  de  la  peine  et  de  trauail- 
1er  comme  quand  jay  veu  quelque  bel  obiect.  Mais 
héllas  nous  sommes  ici  trop  loings  du  SoleiP  pour  i 
pouuoir  rencontrer  quelque  chose  de  délectable  Mais 
néanmoins  quil  ne  me  tombe  rien  dessous  la  vue 
que  de  hideus  le  peu  du  reste  des  impressions  que 
jeus  jadis  des  belle  choses  mont  fourni  je  ne  scais 
quelle  idée  pour  le  frontispice  de  l'Orase^  qui  peut 
passer  entre  les  autre  petite  choses  que  jay  désignés. 
Je  lei  constitué  es  mains  de  Monsieur  de  Chantelou"* 
vostre  fraire  affin  que  Monsieur  Meslen^  ne  dise  pas 

1.  S'est  dit  longtemps  au  théâtre  au  sens  d'intermède  {Dic- 
tionnaire de  Littré). 

2.  Bourdelot  à  Cass.  del  Pozzo,  dès  le  28  janvier  1642  :  «  J'ai 
vu  M.  Poussin  qui  se  porte  bien  ici,  mais  regrette  toujours 
Rome;  nous  devons  faire  une  petite  débauche  virtuosa,  exprès 
pour  boire  et  saluer  vos  bonnes  grâces,  et  tombâmes  dans  la 
même  pensée  que  quel  ricordo  nous  rendait  heureux.  » 

3.  «  Une  Muse  qui  pose  le  masque  satyrique  sur  le  visage 
d'Horace,  à  cause  de  ses  satyres,  et  tenant  en  main  la  lyre, 
en  signe  de  ses  odes  et  chansons  »  (Bellori,  trad.  Rémond, 
p.  27).  On  peut  voir  ce  volume,  exposé  à  la  Bibl.  nat.,  galerie 
Mazarine,  i'»  vitrine  du  milieu  en  entrant,  sous  le  n°  289. 

4.  Il  s'agit  ici  de  l'aîné  des  trois  frères  Fréart,  Jean  de  Chan- 
telou,  et  non  pas  du  second,  Roland  de  Chambray,  comme 
le  dit  à  tort  Quatremère  de  Quincy. 

5.  Le  graveur  Claude  Mellan,  baptisé  à  Abbeville,  le  23  mai 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  123 

que  je  sois  la  cause  du  retardement  de  l'accomplisse- 
mentdevosliures.  Quand  Monsieur  du  fresne*  m'aura 
donné  le  subiect  du  frontispice  du  Liure  des  Consilles  ^ 
j'i  trauaillerei  ne  désirant  rien  au  monde  plus  que  de 
vous  seruir.  J'aurois  ausi  escript  à  Monseigneur  et 
l'aurois  remersié  de  l'onneur  quil  m'a  fet  de  m'auoir 
escript  de  La  Charité^  si  se  n'estoit  que  je  me  trouue 
trop  débile  et  de  trop  peu  d'ornement  de  parolles 
pour  un  personnage  si  délicat.  Je  ferei  donc  enuers 
lui  comme  font  les  Oisons  qui  se  partent  des  palluds 
Méothides  pour  passer  le  Mons  Thaurin  craignans 
les  Aigles  qui  i  habitent.  Je  vous  supplie  (Monsieur) 
de  m'en  escuser  enuers  luy  et  l'assurer  de  ma  réué- 
rense  et  deuotion.  Je  vous  enuoye  une  lettre  mandée 

1598,  mort  le  9  septembre  1688.  Après  avoir  étudié  à  Rome, 
avec  Vouet,  il  s'est  établi  définitivement  à  Paris  en  1637.  — 
«  Il  ne  mit  point  son  nom,  ni  celui  du  Poussin  au  frontis- 
pice qu'il  grava  en  1641  sur  le  dessein  de  ce  grand  homme 
pour  paroître  à  la  tête  des  œuvres  de  Virgile  de  l'impression 
du  Louvre.  Il  faut  croire  que  le  peintre  s'en  plaignit...;  car 
dans  le  frontispice  pour  les  œuvres  d'Horace  et  dans  celui  de 
la  Bible,  qui  furent  gravés  en  1642  et  dont  le  Poussin  avoit 
pareillement  fourni  les  desseins,  cette  omission  est  réparée  » 
(Mariette,  Abecedario,  t.  III,  p.  355). 

1.  Raphaël  Trichet  du  Fresne  (1611-1661);  attaché  à  Gaston 
d'Orléans  quand  de  Noyers  le  nomma  intendant  de  l'Imprime- 
rie royale;  Gabriel  Naudé  l'emmena  ensuite  en  Suède,  où  il 
devint  conservateur,  puis  bibliothécaire  de  Christine,  qu'il  sui- 
vit en  Italie  (i655).  Mais  Bonnaffé  se  trompe  quand  il  dit  que 
c'est  alors  qu'il  fit  la  connaissance  de  Poussin  :  cette  lettre  et 
celle  du  18  juin  1645  établissent  qu'en  i655  ils  se  connaissaient 
depuis  longtemps.  L'Imprimerie  royale,  fondée  en  1640,  était 
installée  au  rez-de-chaussée  de  la  grande  galerie  du  Louvre. 
Louis  XIII  vint  la  visiter  le  4  juin  1642, 

2.  «  Le  recueil  général  de  tous  les  conciles  mis  en  trente- 
sept  volumes,  qui  est  le  plus  beau,  le  plus  utile  et  le  plus 
royal  ouvrage  qui  aist  esté  mis  au  jour  jusques  à  cette  heure  » 
(Roland  Fréart  de  Chambray,  Dédicace  du  Traité  de  la  pein- 
ture, i65i). 

3.  Richelieu  était  passé  à  la  Charité-sur-Loire  le  9  février  1642. 


124  CORRESPONDANCE  [1642 

de   Rome.   Je  vous   fais   très   humble   réuérense  et 
demeure  à  jamais 

Vostre  trèsobligé  et  trèsdéuôt  seruiteur 

Poussin 
mon  frère'  vous  baise  très  humblement  les  mains 
comme  font  pareillement  tous  ceus  de  nostre  brigade^. 

57.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  286.) 

Intendo  per  la  risposta,  che  V.  S.  Illustriss.  m'ha 
dato  come  Ella  ha  trovato  a  proposito  il  cercare 
qualche  mezzo  sicuro  per  l'inviamento  del  quadro  di 
V.  S.  costi.  Ricevuto  che  averô  l'ordine,  sapendo  a 
chi  lo  dovrô  consegnare,  non  occorrerà  far  altro,  se 
non  incontinente  fornito  che  sarà,  e  asciutto  bene, 
usar  délia  dilligenza  accennatami  da  Lei.  Intanto 
attenderô  di  condurlo  a  quelle  perfezione,  che  a  me 
sarà  possibile  e  maggiore.  L'incomodità  del  tempo 
passato,  come  già  scrissi  a  V.  S.  è  stata  causa  che 
non  l'ho  fino  adesso  potuto  intieramente  compire. 
Rimane  il  Cristo  con  due  Angiolini,  ma  spero  la  set- 
timana  prossima  darli  l'ultimo  mano  :  e  quello  del 
Sig.  Roccatagliata  fornirollo,  Dio  ajutando,  per  Pas- 
qua. Non  saprei  dare  a  V.  S.  nuova  alcuna  del  ne- 
gozio  del  Padre  Ferrari,  perciocchè  non  ho  avuto 
lettere  da  Monsieur  de  Chantelou  d'allora,  che  si 
parti  di  Parigi  per  Narbona,  non  estante,  che  alla 

1.  Gaspard  Dughet  (le  Guaspre),  beau-frère  de  Poussin. 

2.  Le  mot  est  employé  dans  le  même  sens  dans  ce  fragment 
de  lettre,  de  Gabriel  Naudé  à  Cass.  del  Pozzo,  18  avril  1642  : 
«  Il  signor  Bourdelotio,  col  quale  poi  havemo  bevuto  assieme 
con  monsior  Puzzino  alla  sanità  di  lei  et  del  signor  suo  fra- 
tello  a  quali  tutta  la  nostra  brigata.  »  Sur  Naudé,  voir  la  note  i, 
p.  i56. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  125 

sua  partenza  gli  raccomandassi  il  dette  negozio  cal- 
damente.  Mi  disse  di  volerne  pigliar  cura  taie,  che 
non  erà  più  bisogno  di  dirne  altro  :  nondimeno  ne 
scriverô,  e  saprô  al  vero,  se  io  posso,  la  risoluzione 
del  Sig.  de  Noyers.  Coll'  istessa  occasione  ho  detto 
al  Sig.  de  Chantelou  la  difficoltà,  che  occorre  per  le 
copie  pretese  da  lui,  e  la  cortesia,  délia  quale  usa 
V.  S.  nell'  otîerirgliene  i  disegni  coloriti.  Credo,  che 
restera  pago  sentendo  le  ragioni,  che  V.  S.  adduce, 
anzi  è  facil  cosa,  che  la  fantasia  gliene  sia  passata 
prima  ancora,  che  la  risposta  gli  ne  sia  venuta.  Non 
starô  più  a  tediarla,  ma  dando  fine  a  questa,  la  pre- 
gherô  umilmamente  di  farmi  sempre  partecipe  délie 
sue  grazie,  mentre  me  l'inchino  devotamente,  etc. 

Di  Parigi  27.  Marzo  1642. 

Niccolô  Poussin, 

Je  vois  par  la  réponse  que  V.  S.  IIH*  m'a  donnée 
qu'elle  a  trouvé  à  propos  de  chercher  quelque  moyen 
sûr  pour  l'envoi  là-bas  de  votre  tableau.  Quand  j'en 
aurai  reçu  l'ordre  et  que  je  saurai  à  qui  je  le  dois  con- 
signer, il  n'y  aura  rien  d'autre  à  faire  (aussitôt  qu'il 
sera  terminé  et  bien  séché)  que  de  prendre  les 
soins  que  vous  m'indiquez.  En  attendant,  je  vais 
le  conduire  à  la  perfection  la  plus  grande  qu'il  me 
sera  possible.  L'incommodité  du  temps  qu'il  a  fait, 
comme  je  l'ai  écrit  à  V.  S.,  a  été  cause  que  je  n'ai  pu 
jusqu'à  présent  l'achever  entièrement.  Reste  le  Christ 
aux  deux  petits  anges,  mais  j'espère  la  semaine  pro- 
chaine y  donner  la  dernière  main  ;  et  celui  du  seig. 
Roccatagliata  sera  terminé  pour  Pâques  * ,  Dieu  aidant. 
Je  ne  saurai  donner  à  V.  S.  aucune  nouvelle  de  l'af- 

I.  Pâques  était  le  20  avril  1642. 


126  CORRESPONDANCE  [1642 

faire  du  Père  Ferrari,  parce  que  je  n'ai  pas  eu  de 
lettre  de  Monsieur  de  Chantelou  depuis  qu'il  est  parti 
de  Paris  à  Narbonne,  bien  qu'à  son  départ  je  lui  aie 
recommandé  chaudement  la  dite  affaire.  Il  me  dit 
qu'il  en  voulait  prendre  tel  soin  qu'il  n'était  plus 
besoin  de  lui  en  dire  autre  chose  :  néanmoins  j'en 
écrirai  et  je  saurai  au  vrai,  si  je  peux,  la  résolution 
de  M.  de  Noyers.  Par  la  même  occasion  j'ai  dit 
à  M.  de  Chantelou  la  difficulté  que  présenteraient 
les  copies  auxquelles  il  prétend,  et  la  courtoisie  dont 
en  use  V.  S.  en  lui  offrant  des  dessins  coloriés. 
Je  crois  qu'il  sentira  les  raisons  que  V.  S.  lui  donne, 
mais  c'est  chose  aisée  que  la  fantaisie  ne  lui  en  soit 
passée  encore  avant  que  la  réponse  ne  lui  soit  parve- 
nue. Je  cesse  d'ennuyer  V.  S.,  mais  je  la  prie  hum- 
blement, en  finissant  la  présente,  de  m'admettre  tou- 
jours dans  ses  bonnes  grâces,  cependant  que  je 
m'incline  respectueusement,  etc. 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  27  Mars  1642. 

58.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 
(Copie  Lafenestrei.) 

AU  III"^?  et  Reu^°  Sigl^,  et  Prôn  mio 
Oss^^^  Il  Sig\%Abbate  di  Cauore 
In  Roma. 

Illmo  et  reu'f°  Sig:  Abbate  mio  Sigi;t 
Comprendo  molto  bene  per  quel'  ultima  lettera  del 

I.  Nous  donnons  le  texte  d'après  la  copie  envoyée  par 
M.  Lafenestre  à  M.  de  Chennevières,  en  1879.  Cette  lettre  a 
été  signalée  à  M.  Advielle,  p.  117,  par  M.  Charavay  et  marquée 
comme  ayant  été  vendue  100  francs.  C'est  le  n«  i632  de  la 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I27 

I  *  Marzo  délia  quale  sono  stato  honorato  da  VS  :  Ill^f 
quai  via  ho  da  tenere  per  l'inviamento  più  sicuro  del 
suo  quadro  ma  tra  tutti  questi  mezzi  mi  parebbe  il 
più  spedito  e  forsi  più  sicuro  sarebbe  di  trattar  con 
qualche  corriere  di  leone  è  far  in  maniera  che  pro- 
mettessi  portarlo  di  leone  a  Roma  chiuso  nella  sua 
valigia  perche  io  credo  che  la  detta  cassetta  doue 
sarebbe  il  quadro  facilmente  vi  potrebbe  intrare 
potrà  V.  S  :  pigliarne  la  misura  (mentre  questo  è  del 
istessa  grandezza  de  gli  altri)  è  farla  vedere  al  detto 
Corriero  è  guardare  se  si  potrebbe  aggiustare  la  detta 
misura  si  pigliarà  per  il  lato  piu  stretto.  Quanto  a 
me  assicuro  V.  S  :  di  mandarli  in  leone  con  sicurezza 
è  farla  capitare  in  mano  di  un  molto  galanthuomo 
nominato  monsieur  vanscor  il  quale  lo  potrà  con- 
segnare  in  mano  del  Corriero  con  il  quale  V.  S  : 
haverà  trattato.  Con  questa  via  le  cose  anderanno  un 
poco  alla  lunga  ma  mi  par  la  miglior  via  perché  i 
corrieri  passano  senza  impedimento  è  presto  dove  per 
mar  le  cose  vanno  alla  lunga  e  le  robbe  sono  sugette 
alla  fortuna  del  mare  et  dei  Corsarii  è  spesso  tal  cose 
sono  spiate  e  sugette  in  somma  à  mille  pericoli.  Le 
intanto  si  offerisse  qualche  buona  occasione  non  la 
perderô  io  scrissi  in  che  stato  era  il  sudetto  quadretto 
e  per  questo  assicuro  V.  S.  che  dimani  lo  finisco  di 
tutto  punto  non  lascero  di  rivederlo  aile  volte  per  se 
io  posso  andarlo  tuttavia  megliorando.  Havrei  gusto 
di  potere  attendere  al  suggetto  che  VS  :  mi  propone 
délie  nozze  di  Peleo  perché  non  se  ne  puô  trovare  uno 


vente  Fillion.  M.  Lafenestre  l'indique  d'une  écriture  très  serrée 
et  très  rapide.  Il  y  a  44  lignes  à  la  page.  Bottari  l'a  publiée 
(t.  I,  p.  287).  La  trace  de  l'original  est  aujourd'hui  perdue. 
I.  Bottari  a  lu  :  del  7  Marzo. 


ra8  CORRESPONDANCE  [1642 

che  possi  dare  più  sugetto  di  far  cosa  spiritosa  che 
questo  ma  la  facilita  che  questi  Sig^'.  hamo  trovato 
im  me  è  causa  che  nô  ho  tempo  ne  per  soddisfare  à 
me  ne  per  servire  ad  un  patrone  ô  amico  essendo 
impiegato  di  continuo  ad  bagatelle  cioè  a  disegni  di 
frontespicj  de  libri,  o  disegni  per  ornamenti  de  Cabi- 
netti,  camini  coperchi  de  libri  ed  altre  frascherie  cosi 
costoro  aile  volte  mi  propongono  cose  grandi  ma 
belle  parole  e  cattivi  fatti  ingannano  savi  è  matti. 
Dicono  che  mi  posso  ricreare  in  queste  cose  a  fine  di 
pagarme,  con  questo  dire  non  essendomi  queste 
fatiche  che  sono  lunghe  è  penose  contate  a  niente. 
Mi  ordinô  al  partir  di  qui  il  Sig:  de  Noyers  di  fare 
una  madonna  a  gusto  mio  (acciô  disse  lui)  che  si 
dicesse  la  madonna  del  Poussino  come  si  dice  la 
Madonna  di  RafFaello.  Voleva  che  io  facesse  un  qua- 
dro  per  la  Capella  délia  congregatione  dei  Padri 
Gesuiti  ma  visto  il  luogho  per  l'angustia  è  il  manca- 
mento  di  lume  non  vi  si  puô  far  niente  di  buono  di 
maniera  che  par  non  sappiano  in  che  impiegarmi 
havendomi  fatto  venir  senza  disegno.  Dubito  che 
vedendo  che  nô  facio  venir  la  moglie  meco  dubitino 
che  dando  maggior  occasione  di  guadagno  mi  danno 
ancora  occasion  maggiore  di  tornarmene  presto.  Ma 
sia  come  si  voglia  se  il  disegno  che  fece  nel  animo 
mio  nel  venir  qui  non  mi  riesce  del  tutto,  n'haverô 
fatto  sempre  una  parte  et  il  viaggio  mi  sarà  stato  ben 
pagato.  Hebbe  l'altro  giorno  una  lettera  di  monsieur 
di  Noyers  dove  mi  mandava  che  il  Re  consen- 
tiva  (perché  prima  che  sono  partito  io  mi  ero  lamen- 
tato  delli  impieghi  dove  mi  facevano  quasi  perdere 
il  tempo)  che  dopo  aver  posto  mi  ordine  générale 
alla  Galleria  grande  comettesi  parte  di  me  monsieur 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  I29 

Lemer  amico  mio  del  quale  V.  S.  ha  non  so  che  qua- 
dretti  di  Ruine,  acciô  io  potessi  liberamente  attendere 
alla  fattura  di  disegni  à  Pitture  di  Sette  Sacramenti 
per  servire  a  fare  le  tapezzerie  regge  non  so  se  questo 
verra  ad  effetto  si  vede  bene  in  questo  che  sono  corne 
questi  animali  che  per  dove  uno  passa  tutti  gli  altri 
vogliono  passare. 

Ho  un  gusto  particolare  délia  risposta  data  da 
V.  S.  a  monsieur  de  Chantelou  toccando  il  copiar  de 
suoi  quadri.  Perché  io  so  buono  innovare  è  non 
copiar  le  cose  già  fatte  una  volta  da  me.  Di  là  si  pu6 
giudicare  facilmente  délia  lor  furia  in  ogni  cosa  per- 
ciochè  se  immaginano  con  questo  mezzo  di  avanzar 
molto  tempo  :  insomma  sta  molto  bene  che  V.  S.  li 
habbia  solo.  Scriverô  alla  prima  comodità  a  mon- 
sieur de  Chantelou  che  faccia  ricordare  al  Sig:  de 
Noyers  del  negotio  del  Padre  Ferrari.  VS  :  me  iscusi 
se  le  ho  cosi  molesto  e  se  mi  piglio  questo  ardire  di 
scriverle  con  questa  familiarità,  essendo  un  Sigi;t  che 
devo  riverir  sommamente  ma  non  potendomi  confi- 
dar  con  nessun  altre  mi  lascio  incorrere  in  questo 
fallo.  Le  priego  dal  Cielo  il  compimento  de  suoi 
degni  desirii  la  riverisco  humilissimamente  e  le  bagio 

le  mani. 

DI  VS.  Ill'pf  e  Reu^f 

Humiliss'î'.o  Serff 

Nicolô  Poussin. 
Di  Parigi  4  Aprilc  1642. 

A  l'Ill'^^  et  Rev^^  Seig",  mon  Maître  très  honoré^ 
le  Seig^  Abbé  de  Cavore^  à  Rome. 

Ill™e  et  revns  Seigf  Abbé  mon  Seigr, 

Je  comprends  fort  bien,  par  cette  dernière  lettre  du 
1911  9 


l3o  CORRESPONDANCE  [1642 

!««■  mars  dont  V.  S.  IIW^  m'a  honoré,  quelle  voie  je  dois 
tenir  pour  l'envoi  plus  assuré  de  son  tableau,  mais, 
de  tous  ces  moyens,  il  me  semble  que  le  plus  expédi- 
tif  et  peut-être  le  plus  sûr,  serait  de  traiter  avec  quelque 
courrier  de  Lyon,  et  de  faire  en  sorte  qu'il  promît  de 
le  porter  de  Lyon  à  Rome  enfermé  dans  sa  valise, 
parce  que  je  crois  que  la  dite  petite  caisse  où  serait  le 
tableau  y  pourrait  facilement  entrer.  V.  S.  pourra  en 
prendre  la  mesure  (puisque  celui-ci  est  de  la  même 
grandeur  que  les  autres),  et  la  faire  voir  au  dit  Cour- 
rier, et  s'assurer  qu'elle  peut  s'y  ajuster.  La  dite 
mesure  se  prendra  par  le  côté  le  plus  étroit.  Quant  à 
moi,  je  certifie  à  V.  S.  que  je  l'enverrai  à  Lyon  en 
toute  sécurité,  et  le  ferai  tenir  entre  les  mains  d'un 
fort  galant  homme,  nommé  monsieur  Vanscor,  qui 
pourra  le  consigner  aux  mains  du  Courrier  avec 
lequel  V.  S.  aura  traité.  Par  cette  voie,  les  choses 
iront  un  peu  par  la  longue  voie,  mais  pour  moi  c'est 
la  meilleure,  parce  que  les  courriers  passent  sans 
empêchement  et  vite,  là  où  par  mer  les  choses  vont 
longuement  et  les  marchandises  sont  sujettes  aux 
hasards  de  la  mer  et  des  corsaires,  et  souvent  de  telles 
choses  sont  guettées  et  exposées  en  somme  à  mille 
périls.  Si  cependant  il  s'offrait  quelque  bonne  occa- 
sion, je  ne  la  perdrais  pas.  J'ai  écrit  en  quel  état  se 
trouvait  le  susdit  tableau  et  j'assure  par  celle-ci  V.  S. 
que  demain  je  le  finis  de  tout  point,  et  je  ne  laisserai 
point  de  le  revoir  quelquefois  pourvoir  si  je  peux  lui 
donner  encore  quelque  amélioration.  J'aurai  plaisir  à 
pouvoir  m'occuper  du  sujet  que  V.  S.  me  propose 
des  noces  de  Pelée*,  parce  qu'il  ne  s'en  peut  trouver 

I.  Le  catalogue  de  Smith  ne  signale  aucun  tableau  des  noces 
de  Pelée. 


1642]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  l3l 

d'autre  qui  puisse  donner  lieu  de  faire  une  chose  plus 
pleine  d'invention  que  celui-là,  mais  la  facilité  que  ces 
M"  ont  trouvée  en  moi  est  cause  que  je  n'ai  le  temps, 
ni  de  me  satisfaire,  ni  de  servir  un  maître  ou  ami, 
employé  sans  répit  que  je  suis  à  des  bagatelles,  telles 
que  dessins  de  frontispices  de  livres,  dessins  pour 
orner  des  cabinets,  des  cheminées,  des  reliures  de 
livres  et  autres  niaiseries.  Parfois  aussi  ils  me  pro- 
posent de  grandes  choses,  mais  à  belles  paroles  et 
tristes  effets,  se  laissent  prendre  sages  et  fous.  Ils  me 
disent  qu'à  ces  choses-là,  je  peux  me  récréer,  afin  de 
me  payer  ainsi  de  paroles,  car  ces  travaux,  qui  sont 
longs  et  pénibles,  ne  m'étaient  comptés  pour  rien.  A 
son  départ  d'ici,  M.  de  Noyers  m'ordonna  de  faire  une 
Vierge  à  mon  goût,  afin,  dit-il,  que  l'on  dise  la 
Madone  du  Poussin,  comme  on  dit  la  Madone  de 
Raphaël.  Il  voulait  que  je  fisse  un  tableau  pour  la 
chapelle  de  l'ordre  des  Pères  Jésuites,  mais  après 
avoir  vu  l'endroit,  à  cause  de  l'exiguité  et  du  défaut 
de  lumière,  il  ne  s'y  peut  rien  faire  de  bon,  de  sorte 
qu'il  semble  qu'ils  ne  sachent  pas  à  quoi  m'employer 
et  qu'ils  m'aient  fait  venir  sans  plan  arrêté.  Je  me 
doute  que  voyant  que  je  n'amenais  pas  ma  femme 
avec  moi,  ils  imaginent  qu'en  me  donnant  une  plus 
grande  occasion  de  gain,  ils  me  donneraient  aussi  une 
plus  grande  occasion  de  m'en  retourner  prompte- 
ment.  Mais,  quoi  qu'il  arrive,  si  le  parti  que  j'ai  pris 
dans  mon  esprit  de  venir  ici,  ne  me  réussit  pas 
entièrement,  j'en  aurai  toujours  réalisé  une  partie, 
et  le  voyage  m'aura  été  bien  payé.  J'eus  l'autre  jour 
une  lettre  de  monsieur  de  Noyers  où  il  me  mandait 
que  le  Roi  consentait  (parce  que  je  m'étais  plaint 
avant  qu'ils  partent  des  travaux  auxquels  ils  me  fai- 


Ii32  CORRESPONDANCE  [1642 

saient  presque  perdre  mon  temps)  à  ce  qu'après  avoir 
arrêté  un  plan  général  pour  la  grande  galerie,  j'en 
chargeasse  sous  moi  monsieur  Lemer  * ,  mon  ami,  dont 
VS.  a  je  ne  sais  quels  petits  tableaux  de  ruines,  afin 
que  je  pusse  librement  m'occuper  de  l'exécution  des 
dessins  pour  les  Peintures  des  Sept  Sacrements,  pour 
servir  à  faire  les  tapisseries  royales.  Je  ne  sais  si  l'on 
en  verra  l'effet.  On  voit  bien  en  cela  qu'ils  sont  comme 
ces  animaux  qui,  par  où  l'un  passe,  tous  les  autres 
veulent  y  passer. 

J'ai  un  plaisir  particulier  de  la  réponse  que  V.  S.  a 
donnée  à  monsieur  de  Chantelou,  touchant  la  copie 
de  vos  tableaux,  parce  que  je  suis  bon  à  faire  du  nou- 
^  veau,  et  non  à  copier  ce  que  j'ai  déjà  fait  une  fois. 
Par  là  on  peut  juger  facilement  de  leur  furia  en  toute 
chose,  parce  qu'ils  s'imaginent  gagner  beaucoup  de 
temps  par  ce  moyen  :  en  somme  il  est  fort  bien  que 
V.  S.  les  possède  seule.  J'écrirai  à  la  première  occa- 
sion à  monsieur  de  Chantelou  qu'il  fasse  souvenir  le 
Seigr  de  Noyers  de  l'affaire  du  Père  Ferrari.  Que 
V.  S.  m'excuse  si  je  lui  suis  si  importun,  et  si  je  prends 
la  liberté  de  lui  écrire  avec  cette  familiarité,  vous 
qui  êtes  un  Seig""  que  je  dois  révérer  souverainement, 
mais  ne  pouvant  me  confier  à  personne  autre,  je  me 
laisse  entraîner  à  ce  manquement.  Je  prie  le  Ciel 
pour  l'exaucement  des  dignes  désirs  de  V.  S.;  je  la 
révère  très  humblement  et  lui  baise  les  mains 
De  V.  S.  IIH-^  et  R"»" 
Le  très  humble  Ser"", 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris,  4  Avril*  1642. 

1.  Jean  Lemaire  (voir  la  lettre  suivante  et  la  note  2,  p.  9). 

2.  Dans  ce  même  mois  d'avril,  les  amis  de  del  Pozzo  se 
réunirent  pour  un   repas  intime,   dont  Bourdelot  lui    écrit 


1642]  de  nicolas  poussin.  l33 

59.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  65.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[Cette  lettre  dénote  quil  auoit  lesprit  ambarrassé 
des  différentes  choses  dont  Ion  le  sur  char geoit^.] 
de  Paris  ce  yiesœ*  auril  1642 
Monsieur  J'eus  dernièremen  l'onneurde  recep- 

uoir  une  lettre  de  Monseignour  datée  du  23'"™«  Mars^ 
laquelle  au  commencem'  contient  ces  mots  exprès. 
Le  Génie  du  poussin  veut  agir  si  librement  que  je  ne 
veux  pas  sellement  lui  indiquer  ceque  celui  du  Roy 
désire  du  sien.  (Monsieur)  Je  nay  jamais  seu  ce  que 
le  Roy  désireroit  de  moy  qui  suis  son  trèshumble  Ser- 
uiteur  et  ne  crois  pas  qu'on  lui  ay  jamais  dit  à  quoy 
je  suis  bon.  De  plus  il  me  dit  que  Sa  Maiesté  sera  for 


ce  joli  récit,  le  i"  mai  1642  :  «  ...  J'ai  été  pour  voir  M.  Pous- 
sin pour  lui  faire  voir  les  témoignages  d'affection  que  vous 
avez  pour  lui;  je  ne  l'ai  pas  trouvé  en  son  logis,  mais  je 
l'y  trouverai.  C'est  un  homme  qui  vous  adore  et  qui  respire 
toujours  l'Italie,  mais  principalement  vous,  son  grand  patron. 
Six  jours  devant  mon  partement,  nous  fîmes  le  festin  dont  je 
vous  avais  écrit  en  votre  commémoration.  M"  Naudé,  Patin  et 
Ruher,  très  savants  hommes  et  médecins  y  étaient,  le  bon 
M.  Gassendi,  M"  Poussin,  le  Maire  et  Rémy,  fameux  peintres, 
qui  ont  tous  une  haute  vénération  pour  vous,  où  votre  santé 
fut  bue  avec  grandes  acclamations  et  celles  du  Sig'  Carlo 
Antonio;  si  nous  eussions  eu  votre  portrait,  nous  l'eussions 
couronné  de  fleurs  et  rendu  tous  les  honneurs  qu'on  faisait 
aux  héros  de  l'antiquité.  Ils  visitèrent  mes  petites  antiques 
dont  ils  trouvèrent  quelques-unes  belles.  »  M.  de  Noyers 
aurait  récusé  quelque  convive,  notamment  Guy  Patin,  ennemi 
des  «  loyolites  »  et  de  la  «  séquelle  cardinalesque  ». 

1.  L'écriture  de  la  lettre  paraît,  en  effet,  assez  émue. 

2.  M.   de  Noyers  se  trouvait  alors  à  Narbonne,  où  séjour- 
naient Louis  XIII  et  Richelieu. 


l34  CORRESPONDANCE  [1642 

aise  que  Je  donne  les  ordres  généraus  à  Monsieur 
Le  Maire  pour  conduire  sous  moy  les  ouurages  de  la 
grande  gallerie.  Je  le  feray  volontiers.  Car  comme 
désireus  de  son  bien  il  en  aura  le  guain.  et  pourra  en 
ce  travail  s'amaigrira  mais  néanmoins  je  ne  scaurois 
bien  entendre  ce  que  Monseigneur  désire  de  moy 
sans  grande  confusion,  dautans  qu'il  mest  impos- 
sible datendre  à  des  frontispices  de  liures  à  une  vierge 
au  tableau  de  la  Congrégation  de  S*-Louys  à  tous  les 
deseins  de  la  gallerie.  et  à  faire  des  tableaus  pour  les 
tapiseries  Royalles.  Je  nay  que  une  main  et  une  débile 
teste,  et  ne  peus  estre  secondé  de  personne  ne  soulagé. 
il  dit  que  je  pourray  diuertir  mes  belles  idées  à  faire 
la  susdite  Vierge  et  la  purification  nostre  dame^. 
Cest  la  mesme  chose  comme  quand  l'on  me  dit  vous 
ferés  un  tel  dessein  à  vos  heure  perduees.  Mais  tour- 
nons à  Monsieur  Le  Maire.  S'il  est  bastans  de  faire 
ceque  je  luy  direi  dès  ausi  tost  quil  le  voudra  entre- 
prendre je  l'informerei  de  tout  ce  quil  aura  à  faire. 
Mais  je  ni  veux  plus  après  mettre  la  main.  Mais  sil 
faut  atendre  que  jaye  mis  les  ordres  que  dit  Monsei- 
gneur il  ne  me  faut  point  parler  dautre  employ  dau- 
tans que  comme  jei  dit  plusieurs  fois  cest  tout  ce  que 
je  peux  faire,  et  quand  jen  serois  totallem*  deschargé 
les  desseins  des  tapisseries  sont  bien  suffisant  pour 
me  donner  à  penser.  San  que  jay  besoin  dautre  diuer- 
tissemens.  Vous  m'escuserés  (Monsieur)  si  je  parle  si 
librement.  Mon  naturel  me  contrainctde  chercher  et 
aimer  les  choses  bien  ordonnées  fuians  la  confusion 
qui  m'est  ausi  contraire   et  anémie   comme  est  la 

1.  On  le  surnommait  «  le  gros  Lemaire  ». 

2.  Cette  Purification  n'est  pas  mentionnée  dans  le  catalogue 
de  Smith.  Poussin  n'a  pas  dû  l'exécuter. 


1642]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  l35 

lumière  des  obscurs  ténèbres.  Je  vous  dis  cesi  confi- 
damment  m'assurant  sur  la  bonté  de  vostre  naturel 
et  parceque  vous  gouuernés^  l'esprit  de  Monseignour 
particulièrement  sur  ces  choses  icy^. 

1.  Poussin  a  évidemment  écrit  :  gouuernés,  —  mais  le  mot 
a  été  surchargé,  d'une  encre  plus  noire,  par  le  mot  :  entraî- 
nés.-^ Je  suppose  que  Chantelou,  qui  communiquait  très  pro- 
bablement à  M.  de  Noyers  toutes  les  lettres  de  Poussin,  aura 
d'abord  corrigé  le  mot  :  gouuernés,  qui  aurait  paru  un  peu 
excessif,  et  lui  aura  substitué  un  terme  plus  acceptable  pour 
M.  de  Noyers. 

2.  Une  lettre  capitale,  et  non  encore  signalée,  de  Gabriel 
Naudé  à  Cass.  del  Pozzo,  du  18  avril  1642,  explique  clairement 
la  situation  de  Poussin  : 

«  J'ai  pareillement  remis  à  M.  Poussin  la  lettre  en  main 
propre,  et  lui  ai  donné  des  renseignements  et  (fait)  une  rela- 
tion particulière  sur  ce  que  l'Ill.  M.  Carlo  Antonio  et  M.  Ste- 
fano  promettaient  de  faire,  c'est-à-dire  [de  veiller  à  ce]  que 
ses  intérêts  fussent  bien  gouvernés.  Mais  enfin  dans  l'entre- 
tien un  peu  plus  prolongé  que  j'eus  avec  lui  dans  la  maison 
de  M.  Bourdelot,  je  découvris  au  net  son  intention,  qui  est  de 
demeurer  ici  encore  quelque  temps,  pour  s'en  retourner  après 
à  Rome,  où,  affirme-t-il,  il  jouit  d'une  plus  parfaite  santé  de 
corps  et  d'un  plus  grand  repos  de  l'âme,  et  s'il  est  bien  pos- 
sible que  ce  soit  la  véritable  cause,  toutefois  je  m'imagine 
encore  que  ce  peut  être  un  prétexte,  car,  à  le  dire  confiden- 
tiellement à  V.  S.  Ill"",  quoique  M.  Poussin  soit  homme  d'un 
très  grand  talent  et  connu  pour  tel  par  beaucoup  de  ministres, 
toutefois,  le  Vouet  se  maintient  très  ferme  et  est  l'occasion 
chaque  jour  d'une  concurrence  fort  ennuyeuse,  car  c'est  un 
homme  effréné,  d'humeur  violente,  qui  cherche  son  intérêt 
perfas  et  nefas,  et  quand  il  pense  le  trouver,  il  ajoute  quelque 
ironie  et  sarcasme,  comme  verbi  gratia  de  répandre  le  bruit 
que  tel  tableau  que  l'on  estime  fait  par  lui,  est  seulement  d'un 
de  ses  aides.  Tout  cela  ne  doit  pas  plaire  beaucoup  à  qui  est 
considéré  ici  comme  son  antagoniste  ou  concurrent.  Il  me 
semble  encore  que  les  ministres  ont  un  peu  manqué  de  dis- 
cernement en  mettant  tant  de  commandes  sur  le  dos  de 
M.  Poussin  que  —  travaillât-il  continuellement  —  il  ne  pouvait 
espérer  les  achever  dans  toute  sa  vie,  et  à  cet  ennui  s'en  ajoute 
un  autre,  car  ledit  M.  Poussin  travaillant  seulement  ses  des- 
sins et  cartons,  il  peut  se  rencontrer  que  des  peintres  igno- 
rants ne  les  copient  à  sa  manière,  de  sorte  que  ou  pour  ces 
raisons  ou  pour  d'autres,  je  tiens  pour  assuré  que  ledit  M., 


l36  CORRESPONDANCE  [1642 

Le  sieur  Vincent  Manciolla  ma  prié  que  je  sache 
de  vous  sil  doibt  venir  comme  il  fut  proposé  dès 
l'anée  passée  pour  lui  faire  dépeindre  les  tableaus  du 
lambris  de  la  gallerie  du  Louvre  il  en  atend  la  res- 
ponce  et  de  l'argent  pour  son  voyage. 

Le  sieur  Angelloni  vous  supplie  trèshumblement 
de  luy  faire  cette  faueur  quil  puisse  recepuoir  quelque 
lettres  touchans  l'agrément  de  son  livre  et  affin  que 
estans  honnoré  d'icelles  elle  facent  taire  ceux  qui 
quelquefois  mette  leur  langues  jusque  au  Ciel  et 
quelle  puisse  seruir  pour  honnorer  sa  postérité  C'est 
une  grâce  que  vous  lui  pouués  faire'.  Le  bon  Père 
Ferrari  est  atendans  les  commandements  de  Monsei- 
gneur touchans  la  dédication  de  son  liure  des  Hes- 
pérides  au  Roy  vous  en  aués  donné  des  espérances 
assés  grandes  pour  oser  vous  en  faire  souuenir.  Sil 
vous  plaist  Monsieur  me  donner  un  mot  de  responce 
vous  soulagerés  extrêmement  votre  trèshumble  ser- 
uiteur 

pour  vous  seruir 
à  jamais 

Poussin 
Jey  entendu  dire  quil  ia  à  Narbonne  en  quelque  lieu 

dès  qu'il  aura  fini  ce  qu'il  s'est  pour  l'instant  chargé  d'exécu- 
ter, s'en  retournera  à  Rome  pour  vivre  plus  tranquillement, 
et  bien  que  je  Ten  ai  dissuadé  le  plus  qu'il  m'a  été  possible, 
toutefois  je  dis  confidentiellement  à  V.  S.  111""  que  les  agita- 
tions de  cette  cité  sont  telles  et  si  fastidieuses  à  qui  est  habi- 
tué à  la  vie  de  Rome  qu'il  lui  paraît  chose  certaine  d'être  passé 
du  paradis  dans  l'enfer...  Je  supplie  V.  S.  Ill"*  de  ne  pas  divul- 
guer ce  que  je  lui  ai  dit  sur  M.  Poussin...  »  (traduction  du 
texte  italien,  cité  dans  Lumbroso,  Notù^ie  sulla  vita  di  Cas- 
siano  del  Po:{:{o  con  alcuni  siioi  ricordi  e  una  centeria  di  let- 
tere  (dont  celles  de  Bourdelot).  Turin,  1875  (dans  Miscellanea, 
t.  XV). 
I.  Dans  le  manuscrit,  un  intervalle  de  deux  centimètres. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  iSj 

de   ces  murailles  un  bas  relief  dexellente  manière 
vous  vous  en  pourries  informer'. 

60.  —  Poussin  a  Gass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  290.) 

Subito  ch'  ebbi  ricevuta  quella  di  V.  S.  Illustriss. 
de  i5.  Marzo,  sentito  corne  mi  avevo  da  comportare 
intorno  ail'  invio  de  i  due  quadretti,  feci  diligenza  di 
vedere  il  Sig.  Carlo  maestro  di  casa  del  Cardinal 
Mazzarino;  ma  avendo  egli  mutato  casa  mi  fu  inse- 
gnato  in  che  luogo  dimorava;  e  trovata  la  stanza  mi 
fu  detto,  ch'  egli  aveva  cominciato  a  far  portar  ivi 
non  so  che  mobili,  ma  che  ancor  non  vi  stava,  e  si 
credeva  fosse  fuor  di  Parigi.  Subito,  che  saperô  del  suo 
ritorno,  vedrô,  se  si  potrà  far  quello,  che  si  desidera. 
Intanto  V.  S.  averà  ricevuto  la  mia,  dove  le  propongo 
un  mezzo  il  più  securo,  il  quale  non  è  al  parer  mio 
lontano  dal  sentimento  di  V.  S.  ma  se  il  sudetto  Sig. 
Carlo  ne  darà  la  comodità  di  mandar  li  detti  qua- 
dretti, io  lo  farô  prontamente  sapere  a  V.  S.,  ma  se 

I.  Il  est  possible  que  ce  soit  le  bas-relief  que  Sauvai  décrit, 
chez  M.  de  Noyers  :  «  On  voit  aussi  dans  un  des  coins  de  cette 
cour,  un  demi-relief  antique  de  marbre  blanc  que  la  ville  de 
Nîmes  donna  à  ce  ministre  d'État,  à  son  retour  de  Roussil- 
lon...  »  C'est,  ajoute  Sauvai,  «  un  morceau  de  frise  d'un  grand 
et  superbe  édifice  ...  une  forte  et  puissante  aigle  qui  traînoit 
dans  son  bec  un  feston  d'une  longueur,  et  d'une  grosseur 
extraordinaire  :  les  fruits,  les  fleurs,  les  graines  qui  le  forment, 
sont  d'un  grand  goût  et  d'une  savante  manière  ...  l'attitude  de 
cette  aigle  est  fière  et  brave,  et  se  ressent  bien  du  faste 
Romain...  »  {Antiquités  de  Paris,  t.  II,  p.  207).  —  Il  ne  serait 
pas  surprenant  que  Poussin  eût  été  renseigné  par  Cassiano 
del  Pozzo,  à  qui  Bourdelot  avait  écrit,  le  3  octobre  lôSg  :  «  Je 
fais  ici  la  guerre  aux  antiques  que  je  cherche  par  toutes  les 
maisons  de  Narbonne;  il  y  a  quantité  de  beaux  bas-reliefs, 
inscriptions  et  tombeaux  »,  —  ou  par  Bourdelot  lui-même. 


*>!»• 


l38  CORRESPONDANCE  [1642 

la  comodità  non  fosse  pronta,  intanto  Ellapotràren- 

dermi  risposta  di  quello,  che  le  ho  proposto.  Oltre  di 

questo,  Monsù  Stella  pittore  et  amico  mio  si  parti 

l'altro  jeri  per  Leone  sua  patria,  dove  starà  tutta  l'es- 

tate.  Egli  mi  ha  promesso,  se  occorrerà,  di  trattare 

con   qualche   corriero,  che  egli  li  conosce  tutti,  et 

inviare  a  Roma  sicuramente  ciô,  che  gli  manderô, 

corne  se  fusse  cosa  sua  propria.  V.  S.  mi  accenni  ciô, 

che  le  pare  per  il  meglio  :  finalmente  farè  ogni  dili- 

genza  per  condurre  a  fine  il  suddetto  negozio  man- 

dandolo  franco  di  porto  per  Roma.  Ho  scritto  al  Sig. 

de  Chantelou  del  negozio  del  Padre  Ferrari,  deilibri 

del  Ligorio,  e  di  altre  cose,  delli  quali  il  sudetto 

m'  ha  promesso  di  pigliarsi  cura.  Dalla  parte  mia  non 

mancherô  di  far  sempre  quello,  che  farà  del  debito 

mio  tanto,   quanto   si   estenderanno  le   mie  debo- 

lezze  etc. 

Parigi  i8.  Aprile  1642. 

Niccolô  Poussin. 

Aussitôt  que  j'eus  reçu  la  lettre  du  i5  mars  de 
V.  S.  111"%  et  que  j'eus  compris  comment  j'avais  à 
procéder  pour  l'envoi  de  ses  deux  tableaux,  j'ai  fait 
diligence  pourvoir  le  Seig""  Carlo',  intendant  du  car- 
dinal Mazzarino;  mais,  comme  il  avait  changé  de 
demeure,  on  m'indiqua  l'endroit  où  il  demeurait;  et 
sa  chambre  une  fois  trouvée,  on  me  dit  qu'il  avait 
commencé  à  y  faire  porter  je  ne  sais  quels  meubles, 
mais  qu'il  ne  s'y  tenait  pas  encore,  et  qu'on  le  croyait 
hors  de  Paris.  Aussitôt  que  j'apprendrai  son  retour, 
je  verrai  s'il  peut  faire  ce  que  vous  désirez.  D'ici  là, 

1.  C'est  ce  même  «  s'  Charles,  qui  fait  mes  affaires  à  Paris  », 
comme  l'écrivait  Mazarin  à  Chantelou,  le  4  décembre  1640. 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  iSq 

V.  S.  aura  reçu  ma  lettre  où  je  lui  propose  le  moyen 
le  plus  sûr,  qui  n'est  pas,  à  ce  qu'il  me  parait,  éloigné 
de  l'avis  de  V.  S.,  mais  si  le  dit  Seig"^  Carlo  nous 
donne  l'occasion  d'envoyer  les  dits  tableaux,  je  le 
ferai  promptement  savoir  à  V.  S.,  mais  si  l'occasion 
n'était  pas  prochaine,  vous  pourriez  d'ici  là  me  rendre 
réponse  sur  ce  que  je  vous  ai  proposé.  Outre  cela, 
Monsieur  Stella,  peintre,  mon  ami,  est  parti  avant- 
hier  pour  Lyon  sa  patrie,  où  il  restera  tout  l'été.  Il  m'a 
promis,  en  l'occurrence,  de  traiter  avec  quelque 
courrier  —  lui  qui  les  connaît  tous  —  et  d'envoyer  à 
Rome  ce  que  je  lui  enverrai,  en  sûreté  comme  si 
c'était  son  propre  bien.  Que  V.  S.  me  fasse  savoir  ce 
qui  lui  parait  le  meilleur  :  enfin  je  ferai  toute  dili- 
gence pour  mener  la  susdite  affaire  à  bonne  fin,  en 
envoyant  le  tableau  à  Rome,  franc  de  port.  J'ai  écrit 
à  M.  de  Chantelou  de  l'affaire  du  Père  Ferrari,  des 
livres  du  Ligorio,  et  des  autres  choses  dont  il  m'a 
promis  de  prendre  soin.  De  mon  côté,  je  ne  manque- 
rai pas  de  m'acquitter  d'un  tel  devoir  selon  l'étendue 
de  mes  faibles  moyens,  etc. 

Nicolas  Poussin. 
Paris,  18  avril  1642. 

61.  —  Poussin  a  M.  de  Noyers. 

(Félibien,  éd.  i685,  p.  278.) 

Ces  discours  n'auroient  pas  esté  capables  de  tou- 
cher le  Poussin,  s'il  n'eust  sceû  qu'ils  alloient  jusques 
à  M.  de  Noyers  qui  les  écoutoit,  et  qui  peut-estre  en 
fit  paroistre  quelque  chose.  Cela  donna  occasion  au 


140  CORRESPONDANCE  [1642 

Poussin  de  luy  écrire  une  grande  lettre ^  qu'il  com- 
mença par  luy  dire  : 

«  Qu'il  auroit  souhaité  de  mesme  que  faisoit  autre- 
fois un  Philosophe,  qu'on  pust  voir  ce  qui  se  passe 
dans  l'homme,  parce  que  non-seulement  ony  décou- 
vriroit  le  vice  et  la  vertu,  mais  aussi  les  sciences  et 
les  bonnes  disciplines;  ce  qui  seroitd'un  grand  avan- 
tage pour  les  personnes  sçavantes,  desquelles  on  pour- 
roit  mieux  connoistre  le  mérite;  mais  comme  la 
nature  en  a  usé  d'une  autre  sorte,  il  est  aussi  difficile 
de  bien  juger  de  la  capacité  des  personnes  dans  les 
sciences  et  dans  les  arts,  que  de  leurs  bonnes  ou  de 
leurs  mauvaises  inclinations  dans  les  mœurs. 

Que  toute  l'étude  et  l'industrie  des  gens  sçavans  ne 
peut  obliger  le  reste  des  hommes  à  avoir  une  croyance 
entière  en  ce  qu'ils  disent.  Ce  qui  de  tout  temps  a 
esté  assez  connu  à  l'égard  des  Peintres  non -seu- 
lement les  plus  anciens,  mais  encore  les  modernes, 
comme   d'un  Annibal   Carache^,   et  d'un   Domini- 

1.  «  C'est,  à  coup  sûr,  l'une  des  lettres  les  plus  curieuses  qu'il 
ait  écrites,  celle  que  Félibien  s'était  procurée,  je  ne  sais 
comme,  des  héritiers  sans  doute  de  M.  de  Noyers,  et  qui  ne 
fait  point  partie  du  recueil  que  nous  a  conservé  M.  de  Chan- 
telou,  de  sa  correspondance  personnelle.  »  ...  «  Poussin  pro- 
fite de  l'occasion  offerte  pour  infliger  à  M.  le  surintendant 
des  Bâtiments  une  leçon  complète  et  d'un  tour  fort  relevé,  sur 
ce  qui  convenait  à  l'entreprise  pour  laquelle  on  l'avait  mandé, 
leçon  capable  d'apprendre  à  tout  jamais  à  de  Noyers  ses  fonc- 
tions de  surintendant,  et  avant  tout  la  valeur  extraordinaire 
de  l'homme  qu'il  avait  là  dans  la  main  et  le  respect  profond 
qui  lui  était  dû.  Il  semble,  en  effet,  que  le  coup  ait  porté 
juste,  car  de  ce  jour  Poussin  parut  avoir  ses  coudées  franches, 
et  M.  de  Noyers  ne  lui  demande  plus  que  d'accélérer  son 
œuvre  »  (Ph.  de  Chennevières,  La  peinture  française,  p.  179). 

2.  Poussin  avait  lu  les  malheurs  d'Annibal  Carrache  dans  le 
«  Libro  délie  opère  de  Caracci  al  bulino  et  ail'  aqua  forte  con 
la  vita  delV  istesso  »,  cité  dans  le  «  Mémoire  des  pièces  qui  se 
sont  trouvées  à  Rome  dans  le  cabinet  de  Monsieur  Nicolas 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  I4I 

quin%  qui  ne  manquèrent  ni  d'art,  ni  de  science,  pour 
faire  juger  de  leur  mérite,  qui  pourtant  ne  fût  point 
connu,  tant  par  un  effet  de  leur  mauvaise  fortune,  que 
par  les  brigues  de  leurs  envieux  qui  jouirent  pendant 
leur  vie  d'une  réputation  et  d'un  honneur  qu'ils  ne 
méritoient  point.  Qu'il  se  peut  mettre  au  rang  des 
Caraches  et  des  Dominiquins  dans  leur  malheur.  Et 
s'adressant  à  M.  de  Noyers,  il  se  plaint  de  ce  qu'il 
preste  l'oreille  aux  médisances  de  ses  ennemis,  luy 
qui  devroit  estre  son  protecteur,  puis  que  c'est  luy  qui 
leur  donne  occasion  de  le  calomnier,  en  faisant  oster 
leurs  Tableaux  des  lieux  où  ils  estoient,  pour  y  placer 
les  siens. 

Que  ceux  qui  avoient  mis  la  main  à  ce  qui  avoit 
esté  commencé  dans  la  grande  Gallerie,  et  qui  pré- 
tendoient  y  faire  quelque  gain,  ceux  encore  qui  espé- 
roient  avoir  quelques  Tableaux  de  sa  main,  et  qui 
s'en  voyoient  privez  par  la  défense  qu'il  luy  a  faite 
de  ne  point  travailler  pour  les  particuliers,  sont  autant 
d'ennemis  qui  crient  sans  cesse  contre  luy.  Qu'encore 
qu'il  n'ait  rien  à  craindre  d'eux,  puis  que  par  la  grâce 
de  Dieu  il  s'est  acquis  des  biens  qui  ne  sont  point  des 

Poussin,  et  qui  sont  présentement  à  vendre  entre  les  mains 
du  sieur  Joanni  [Jean  Dughet],  son  cousin  et  son  héritier,  en 
1678  »  (Paris,  Bibl.  nat.,  mss.  coll.  Moreau849,  ^^^-  ^4l)-  —  Anni- 
bal  Carracci  (1560-1609);  Poussin  déclarait  sa  grande  galerie  du 
palais  Farnèse  l'une  des  merveilles  de  l'art.  Il  ne  reçut  pour 
ce  travail  de  huit  années  que  la  somme  ridicule  de  5oo  écus. 
Il  revint  de  Rome  profondément  découragé.  Un  voyage  qu'il 
fit  à  Naples  ne  dissipa  pas  son  chagrin  et  il  revint  mourir  à 
Rome  à  quarante-neuf  ans. 

I.  Domenico  Zampieri,  né  en  i58i.  On  sait  l'impression  qu'il 
produisit  sur  Poussin,  qui  put  le  fréquenter  de  1623  à  i63o, 
avant  son  départ  pour  Naples.  Poussin  avait  certainement 
appris  avec  douleur  les  persécutions  que  lui  fit  subir  la  cabale 
de  Ribera,  et  sa  mort,  avec  apparence  de  poison,  le  i5  avril 
1641. 


142  CORRESPONDANCE  [1642 

biens  de  fortune  qu'on  luy  puisse  oster,  mais  avec 
lesquels  il  peut  aller  partout  :  la  douleur  néanmoins 
de  se  sentir  si  maltraité,  luy  fourniroit  assez  de  matière 
pour  faire  voir  les  raisons  qu'il  a  de  soustenir  ses 
opinions  plus  solides  que  celles  des  autres,  et  luy 
faire  connoistre  l'impertinence  de  ses  calomniateurs. 
Mais  que  la  crainte  de  luy  estre  ennuyeux  le  réduit  à 
luy  dire  en  peu  de  mots,  que  ceux  qui  le  dégoustent 
des  ouvrages  qu'il  a  commencez  dans  la  grande  Gal- 
lerie  sont  des  ignorans,  ou  des  malicieux.  Que  tout 
le  monde  en  peut  juger  de  la  sorte,  et  que  luy-mesme 
devroit  bien  s'appercevoir  que  ce  n'a  point  esté  par 
hasard,  mais  avec  raison  qu'il  a  évité  les  défauts  et 
les  choses  monstrueuses  qui  paroissoient  déjà  assez 
dans  ce  que  le  Mercier  avoit  commencé,  telles  que 
sont  la  lourde  et  désagréable  pesanteur  de  l'ouvrage, 
l'abbaissement  de  la  voûte  qui  sembloit  tomber  en 
bas,  l'extrême  froideur  de  la  composition;  l'aspect 
mélancolique,  pauvre  et  sec  de  toutes  les  parties;  et 
certaines  choses  contraires  et  opposées  mises  ensemble 
que  les  sens  et  la  raison  ne  peuvent  souifrir,  comme 
ce  qui  est  trop  gros  et  ce  qui  est  trop  délié;  les  par- 
ties trop  grandes  et  celles  qui  sont  trop  petites;  le 
trop  fort  et  le  trop  foible,  avec  un  accompagnement 
entier  d'autres  choses  désagréables. 

Il  n'y  avoit,  continuè-t-il  dans  sa  lettre,  aucune 
variété  ;  rien  ne  se  pouvoit  soustenir,  l'on  n'y  trouvoit 
ni  liaison,  ni  suite.  Les  grandeurs  des  quadres 
n'avoient  aucune  proportion  avec  leurs  distances,  et 
ne  se  pouvoient  voir  commodément,  parce  que  ces 
quadres  estoient  placez  au  milieu  de  la  voûte,  et  jus- 
tement sur  la  teste  des  regardans,  qui  se  seroient,  s'il 
faut  ainsi  dire,  aveuglez  en  pensant  les  considérer. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  148 

Tout  le  compartiment  estoit  défectueux,  l'Architecte 
s'estant  assujeti  à  certaines  consoles  qui  régnent  le 
long  de  la  corniche,  lesquelles  ne  sont  pas  en  pareil 
nombre  des  deux  costez,  puis  qu'il  s'en  trouve  quatre 
d'un  costé,  et  cinq  à  l'opposite  :  ce  qui  auroit  obligé 
à  défaire  tout  l'ouvrage,  ou  bien  y  laisser  des  défauts 
insupportables.  » 

Après  avoir  ainsi  remarqué  ces  manquemens, 
et  apporté  les  raisons  qu'il  avoit  eues  de  tout 
changer,  il  justifie  sa  conduite,  et  ce  qu'il  a  fait, 
en  faisant  comprendre  de  quelle  sorte  l'on  doit 
regarder  les  choses  pour  en  bien  juger. 
«  Il  faut  sçavoir,  dit-il,  qu'il  y  a  deux  manières  de 
voir  les  objets,  l'une  en  les  voyant  simplement,  et 
l'autre  en  les  considérant  avec  attention.  Voir  simple- 
ment n'est  autre  chose  que  recevoir  naturellement 
dans  l'œil  la  forme  et  la  ressemblance  de  la  chose 
veûë.  Mais  voir  un  objet   en  le  considérant,  c'est 
qu'outre  la  simple  et  naturelle  réception  de  la  forme 
dans  l'œil,  l'on  cherche  avec  une  application  particu- 
lière les  moyens  de  bien  connoistre  ce  mesme  objet  : 
Ainsi  on  peut  dire  que  le  simple  aspect  est  une  opé- 
ration naturelle,  et  que  ce  que  je  nomme  le  Prospect 
est  un  office  de  raison  qui  dépend  de  trois  choses, 
sçavoir  de  l'œil,  du  rayon  visuel,  et  de  la  distance  de 
l'œil  à  l'objet  :  et  c'est  de  cette  connoissance  dont  il 
seroit  à  souhaiter  que  ceux  qui  se  meslent  de  donner 
leur  jugement  fussent  bien  instruits. 

Il  faut  observer,  continué  le  Poussin,  que  le  lambris 
de  la  Gallerie  a  vingt-un  pieds  de  haut,  et  vingt- 
quatre  pieds  de  long  d'une  fenestre  à  l'autre.  La  lar- 
geur de  la  Gallerie  qui  sert  de  distance  pour  consi- 
dérer l'étendue  du  lambris  a  aussi  vingt-quatre  pieds. 


Î44  CORRESPONDANCE  [1642 

Le  Tableau  du  milieu  du  lambris  a  douze  pieds  de 
long  sur  neuf  pieds  de  haut,  y  compris  la  bordure  : 
de-sorte  que  la  largeur  de  la  Gallerie  est  d'une  dis- 
tance proportionnée  pour  voir  d'un  coup  d'œil  le 
Tableau  qui  doit  estre  dans  le  lambris.  Pourquoy 
donc  dit-on  que  les  Tableaux  des  lambris  sont  trop 
petits,  puis  que  toute  la  Gallerie  se  doit  considérer 
par  parties,  et  chaque  trumeau  en  particulier?  Du 
mesme  endroit  et  de  la  mesme  distance  on  doit  regar- 
der d'un  seul  coup  d'œil  la  moitié  du  cintre  de  la 
voûte  audessus  du  lambris,  et  l'on  doit  connoistre 
que  tout  ce  que  j'ay  disposé  dans  cette  voûte  doit  estre 
considéré  comme  y  estant  attaché  et  en  plaque,  sans 
prétendre  qu'il  y  ait  aucun  corps  qui  rompe  ou  qui 
soit  au-delà  et  plus  enfoncé  que  la  superficie  de  la 
voûte,  mais  que  le  tout  fait  également  son  cintre  et 
sa  figure. 

Que  si  j'eusse  fait  ces  parties  qui  sont  attachées  ou 
feintes  estre  attachées  à  la  voûte,  et  les  autres  que 
l'on  dit  estre  trop  petites,  plus  grandes  qu'elles  ne 
sont,  je  serois  tombé  dans  les  mesmes  défauts  qu'on 
avoit  faits,  et  j'aurois  paru  aussi  ignorant  que  ceux 
qui  ont  travaillé  et  qui  travaillent  encore  aujourd'huy 
à  plusieurs  ouvrages  considérables,  lesquels  font  bien 
voir  qu'ils  ne  sçavent  pas  que  c'est  contre  l'ordre  et 
les  exemples  que  la  nature  mesme  nous  fournit,  de 
poser  les  choses  plus  grandes  et  plus  massives  aux 
endroits  les  plus  élevés,  et  de  faire  porter  aux  corps 
les  plus  délicats  et  les  plus  foibles,  ce  qui  est  le  plus 
pesant  et  le  plus  fort.  C'est  cette  ignorance  grossière 
qui  fait  que  tous  les  édifices  conduits  avec  si  peu  de 
science  et  de  jugement,  semblent  patir,  s'abbaisser, 
et  tomber  sous  le  faix,  au  lieu  d'estre  égayez,  seveltes, 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  14$ 

et  légers,  et  paroistre  se  porter  facilement,  comme  la 
nature  et  la  raison  enseignent  à  les  faire. 

Qui  est  celuy  qui  ne  comprendra  pas  quelle  con- 
fusion auroit  paru  si  j'avois  mis  des  ornemens  dans 
tous  les  endroits  où  les  critiques  en  demandent;  et 
que  si  ceux  que  j'ay  placez  avoient  esté  plus  grands 
qu'ils  ne  sont,  ils  se  feroient  voir  sous  un  plus  grand 
angle,  et  avec  trop  de  force,  et  ainsi  viendroient  à 
offenser  l'œil,  à  cause  principalement  que  la  voûte 
reçoit  une  lumière  égale  et  uniforme  en  toutes  ses 
parties?  N'auroit-il  pas  semblé  que  cette  partie  de  la 
voûte  auroit  tiré  en  bas,  et  se  seroit  détachée  du  reste 
de  la  Gallerie,  rompant  la  douce  suite  des  autres  orne- 
mens? Si  c'estoit  des  choses  réelles,  comme  je  pré- 
tens  qu'elles  paroissent,  qui  seroit  si  mal  avisé  de 
placer  les  plus  grandes  et  les  plus  pesantes  dans  un 
lieu  où  elles  ne  pourroient  se  maintenir?  Mais  tous 
ceux  qui  se  meslent  d'entreprendre  de  grands  ouvrages 
ne  sçavent  pas  que  les  diminutions  à  l'œil  se  font 
d'une  autre  manière,  et  se  conduisent  par  des  raisons 
particulières  dans  les  choses  élevées  perpendiculai- 
rement en  hauteur,  et  dont  les  parallèles  ont  leur 
point  de  concours  au  centre  de  la  terre.  » 

Pour  répondre  à  ceux  qui  ne  trouvoient  pas  la 
voûte  de  la  Gallerie  assez  riche,  le  Poussin  ajouste  : 
«  qu'on  ne  luy  a  jamais  proposé  de  faire  le  plus 
superbe  ouvrage  qu'il  pust  imaginer,  et  que  si  on 
eust  voulu  l'y  engager,  il  auroit  librement  dit  son 
avis,  et  n'auroit  pas  conseillé  de  faire  une  entreprise 
si  grande  et  si  difficile  à  bien  exécuter  :  première- 
ment, à  cause  du  peu  d'ouvriers  qui  se  trouvent  à 
Paris  capables  d'y  travailler;  secondement,  à  cause 
du  long-temps  qu'il  eust  fallu  y  employer;  et  en  troi- 
1911  10 


146  CORRESPONDANCE  [1642 

sième  lieu,  à  cause  de  l'excessive  dépense  qui  ne  luy 
semble  pas  bien  employée  dans  une  Gallerie  d'une  si 
grande  étendue,  qui  ne  peut  servir  que  d'un  pas- 
sage^, et  qui  pourroit  encore  un  jour  tomber  dans  un 
aussi  mauvais  estât  qu'il  l'avoit  trouvée,  la  négligence 
et  le  trop  peu  d'amour  que  ceux  de  nostre  nation  ont 
pour  les  belles  choses  estant  si  grande,  qu'à  peine 
sont-elles  faites  qu'on  n'en  tient  plus  de  compte, 
mais  au  contraire  on  prend  souvent  plaisir  à  les 
détruire.  Qu'ainsi  il  croyoit  avoir  très-bien  servi  le 
Roy,  en  faisant  un  ouvrage  plus  recherché,  plus 
agréable,  plus  beau,  mieux  entendu,  mieux  distribué, 
plus  varié,  en  moins  de  temps,  et  avec  beaucoup 
moins  de  dépense  que  celuy  qui  avoit  esté  commencé. 
Mais  que  si  l'on  vouloit  écouter  les  différents  avis,  et 
les  nouvelles  propositions  que  ses  ennemis  pour- 
roient  faire  tous  les  jours,  et  qu'elles  agréassent  davan- 
tage que  ce  qu'il  taschoit  de  faire,  nonobstant  les 
bonnes  raisons  qu'il  en  rendoit,  il  ne  pouvoit  s'y 
opposer;  au  contraire,  qu'il  céderoit  volontiers  sa 
place  à  d'autres  qu'on  jugeroit  plus  capables.  Qu'au 
moins  il  auroit  cette  joye  d'avoir  esté  cause  qu'on 
auroit  découvert  en  France  des  gens  habiles  que  l'on 
n'y  connoissoit  pas,  lesquels  pourroient  embellir 
Paris  d'excellens  ouvrages  qui  feroient  honneur  à  la 
nation.  » 

I.  Cette  critique  était  la  justesse  même.  La  galerie  ne  devait 
son  existence  et  sa  longueur  qu'au  dessein  de  Henri  IV,  instruit 
parla  journée  des  Barricades,  de  pouvoir  communiquer  libre- 
ment du  Louvre  (renfermé  dans  les  murs  de  Paris,  depuis 
Etienne  Marcel)  avec  les  Tuileries  (construites  hors  des  murs). 
La  grande  Galerie  n'a  guère  servi,  en  tant  que  galerie,  avant 
l'installation  du  musée,  sauf  le  2  avril  1810;  elle  fut  comme 
«  un  passage  »  triomphal,  quand  tous  les  corps  de  l'Etat  fai- 
saient la  haie  et  que  Napoléon  et  Marie-Louise  se  rendirent 
des  Tuileries  au  Salon  carré,  où  leur  mariage  civil  fut  célébré. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  147 

Il  parle  ensuite  de  son  Tableau  du  Novitiat  des 
Jésuites,  et  dit,  «  Que  ceux  qui  prétendent  que  le 
Christ  ressemble  plûtost  à  un  Jupiter  tonnant  qu'à  un 
Dieu  de  miséricorde,  dévoient  estre  persuadez  qu'il 
ne  luy  manquera  Jamais  d'industrie  pour  donner  à 
ses  figures  des  expressions  conformes  à  ce  qu'elles 
doivent  représenter;  mais  qu'il  ne  peut  »  (ce  sont  les 
propres  termes  dont  il  me  souvient)  qu'il  ne  peut, 
dis-je,  «  et  ne  doit  jamais  s'imaginer  un  Christ  en 
quelque  action  que  ce  soit,  avec  un  visage  de  tortico 
lis  ou  d'un  père  douillet^  veû  qu'estant  sur  la  terre 
parmi  les  hommes,  il  estoit  mesme  difficile  de  le  con- 
sidérer en  face.  » 

Il  s'excuse  sur  sa  manière  de  s'énoncer,  et  dit 
qu'on  doit  lui  pardonner,  parce  qu'il  a  vécu  avec  les 
personnes  qui  l'ont  sceû  entendre  par  ses  ouvrages, 
n'estant  pas  son  mestier  de  sçavoir  bien  escrire.  y> 

Enfin  il  finit  la  lettre  en  faisant  voir  «  qu'il  sentoit 
bien  ce  qu'il  estoit  capable  de  faire,  sans  s'en  préva- 
loir, ni  rechercher  la  faveur;  mais  pour  rendre  tou- 
jours témoignage  à  la  vérité,  et  ne  tomber  jamais 
dans  la  flaterie  qui  sont  trop  opposées  pour  se  ren- 
contrer ensemble  ». 

62.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  67.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[M.  Poussin  24  auril  1642.] 
Monsieur 

Les  lettres  de  Monseignour  et  celles  dont  il  vous  a 
plu  m'honnorer  celles  mesme  que  Mo^escrit  à  M^  de 


I4S  CORRESPONDANCE  [1642 

Chambray  vostre  fraire  mont  obligé  à  dresser  telle- 
ment quellement  une  lettre  à  Monseigneur  peu  arti- 
ficieuse véritablement  mais  plaine  de  franchise  et  de 
vérité ^  Je  vous  suplie  comme  mon  bon  protecteur, 
si  par  aduenture  Mo""  la  trouuoit  mal  asaisonnée  de 
l'adoucir  un  peu  du  miP  distillans  de  vostre  persua- 
sion. Vous  verres  comme  je  croy  ce  qu'elle  contient 
et  me  ferés  cette  grâce  de  men  faire  donner  un  mot 
de  response.  si  ella  mérite.  Jey  parlé  à  M""  Le  Maire 
le  bon  ami  qui  accorde  à  ce  que  le  Roy  et  Monsei- 
gneur luy  commandera  en  ce  que  il  sera  nécessaire  de 
faire  dors  en  aduant  alla  gallerie.  Sependant  il  aten- 
dra  à  certeines  siennes  affaires  particulières  que  je 
continueray  ledit  ouurage  jusques  à  tant  quil  soit  en 
estât  destre  répliqué.  Je  vous  baise  très  affectueuse- 
ment les  mains  Cependans  que  je  demeurerei  éternel- 
lement 

Vostre  très  obéissant 

Seruiteur 

Poussin 
de  Paris  Ce  24  apuril  1642. 

63.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Huths.) 

//  Commendatore  Cassiano  del  Po\\o^. 
Non  e  certo  necessario  come  VS  :  lU'Pf  mi  scriue 

1.  Il  s'agit  de  la  lettre  précédente,  dont  la  date  est  ainsi 
précisée. 

2.  Pour  miel. 

3.  Nous  publions  la  copie  envoyée  par  M.  Thibaudeau  à 
M.  de  Chennevières,  en  1880,  d'après  l'original  qui  appartenait 
alors  à  M.  Alfred  Huth.  Bottari  l'avait  publiée  (t.  I,  p.  291). 

4.  La  copie  Thibaudeau  ne  donne  pas  la  suscription.  Nous 
reproduisons  l'indication  que  Bottari  place  en  tête  de  ses 
copies,  bien  que  toutes  les  lettres  en  italien  dussent  très  pro- 
bablement avoir  comme  suscription  la  longue  formule  :  «  Al 
111-^."  et  Reu^.",  etc.  »  —  M.  Warrer,  conservateur  au  British 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I49 

per  la  sua  del  12  Aprile  che  lei  metti  in  pensiero  per 
sollecitarmi  à  dar  compimento  ail'  operatta  per  lei 
cominciata  mentre  che  possi  accertar  VS  :  si  no  hauere 
hauuto  in  vita  mia  cosa  da  fare  che  me  habbia  dato 
tanto  d'inquietudine  come  di  vedermi  impedito  quanto 
con  l'importunita  e  impatienza  di  questi  SS['.  et 
quando  con  la  dificulta  délia  stagione  il  compimento 
di  una  cosa  di  già  tanto  tempo  cominciata  et  aspetata. 
Ma  con  l'aiuto  d'Iddio  l'ho  condotta  à  fine  e  se  nô 
fusse  la  dificulta  d'inviarla  che  mi  da  nuovo  fastidio 
non  mi  curarei  del  resto;  sapendo  moite  bene  che 
VS:  nô  dubita  del  gran  zelo  ch'  ho  di  aggradirgli. 
Sono  stato  più  volte  da  Monsieur  Carlo  et  finalmente 
hauendolo  ritrouate  gli  disse  che  VS  :  havea  parlato 
col  Padre  Mazzarini  et  che  il  detto  Pfè  l'havea  assi- 
curata  che  il  sudetto  Carlo  l'hauerebbe  seruito  mentre 
gli  parlasse  da  parte  di  VS:  Il  detto  Carlo  con  un 
viso  assai  simulato  disse  «  se  bene  n5  ho  l'honore 
di  conoscere  particolarmente  al  Sig^  Caualier  del 
Pozzo  per  il  merito  suo  l'honore  è  volentieri  lo  ser- 
viro,  ma  il  Cardinal  mio  non  essendo  in  Roma  non 
vi  è  per  adesso  occasione  di  mandar  costi  Robba 
veruna,  ma  lasciatemi  riuedere  Questa  è  la  risposta 
che  n'ho  hauuta.  »  Non  lascerô  spesso  di  vedere  se  lui 
manda  qualche  cosa  costi,  e  se  coli  e  con  le  diligenze 
necessarie  gli  consegnero  li  sudetti  quadretti  incassati 
in  quel  modo  che  lei  mi  accenna  ma  se  si  présentasse 
in  quel  mezzo  qualche  altra  buona  occasione  me  ne 
servirô  Stia  VS  :  sicuro  che  farô  quanto  io  potrô  acciô 
prestamente  et  sicuramente  il  negozio  gli  sia  man- 
dato.  Non  potrei  se  nô  replicare  à  VS:  quello  che 

Muséum,  a  eu  la  complaisance  de  nous  faire  savoir  que  cette 
lettre,  lot  184  de  la  vente  Huth,  i2-i3  juin  191 1,  a  été  achetée 
par  J.  Leighton,  libraire,  40,  Brewer  St.,  London  W. 


l5o  CORRESPONDANCE  [1642 

scrissi  p.  l'ultima  mia  del  fato  del  Pfë  Ferrari  hauen- 
domi  scritto  Monsieur  de  Chantelou  p  :  risposta  di 
quello  che  lo  pregano  queste  istesse  parole  Bisogna 
rimettere  il  negozio  di  questi  SS"  cioe  del  Padre  ferrari 
et  del  Angeloni  al  mio  viaggio  per  Roma  che  sarà  al 
fine  di  Maggio.  Se  lui  dice  il  vero  non  lo  so  non  dime- 
noche  si  pui  congetturare  p  :  tante  cose  da  lui  pro- 
messe fino  adesso  le  quali  non  ho  fatte  quello  che  si 
puo  aspettardaquello.  Délie  madonne  dei  libri di  Pirro 
ligorio  et  di  quelle  cose,  che  mi  importan  assai  non 
ne  posso  cauare  alcun  construtto  ;  non  vi  è  poi  che 
tormenti  più  la  mente  di  questi  huomini  che  il  pen- 
sar  più  di  una  volta  in  una  cosa  dico  questo  tacen- 
done  moite  che  la  carta  non  puô  soffrire. 

Supplico  humilissimamente  VS:  Ill^f  di  fauorire 
verto  l'em'^p  Cardinal  Barberino  uno  amico  mio  caro 
detto  maestro  franc?  Bonnemes^  sottodiacono  délia 
città  di  Nantes  pretendente  dritto  in  un  canonicato 
délia  Chiesa  di  Rennes  sopra  alla  quale  è  una  lita 
délia  Cura  di  Corsset  dioceso  di  Nantes  vacante  p  :  la 
morte  de  Yves  Balac  del  mese  di  Aprile  ultimo  pas- 
sato  Aggiungero  questa  gratia  al  numéro  di  tante 
altre  che  ho  riceuuto  et  riceuo  giornalmente  délia  sua 
Benignita  finiro  con  bagiarli  humilmente  le  mani 
DI  VS  :  Illf?  et  R^f 

Humilissff  et  obligatiss™°  ser^* 

Nicolo  Poussin 
Di  Parigi  9  Maggio  1642. 

Il  n'est  pas  certes  nécessaire,  comme  me  l'écrit  V.  S. 
Illme  par  la  vôtre  du  12  avril,  que  vous  vous  tourmen- 
tiez pour  me  solliciter  de  donner  fin  au  petit  ouvrage 
commencé  pour  elle,  quoique  je  puisse  bien  vous  cer- 

I.  Bottari  a  lu  :  Bonnomes. 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  l5l 

tifier  n'avoir  eu  de  ma  vie  chose  à  faire  qui  m'ait  tant 
donné  de  souci,  comme  de  me  voir  empêché  (tantôt 
par  l'importunité  et  l'impatience  de  ces  Messieurs, 
tantôt  par  la  rigueur  de  la  saison)  d'achever  une  chose 
depuis  déjà  tant  de  temps  commencée  et  attendue. 
Mais,  avec  l'aide  de  Dieu,  je  l'ai  conduite  à  fin  et 
n'était  la  difficulté  de  l'envoyer  qui  me  donne  de  nou- 
veaux ennuis,  je  ne  m'occuperais  plus  du  reste; 
sachant  fort  bien  que  V.  S.  ne  doute  pas  du  grand 
zèle  que  j'ai  pour  lui  être  agréable.  J'ai  été  plusieurs 
fois  chez  Monsieur  Carlo,  et  l'ayaut  enfin  trouvé,  je 
lui  dis  que  V.  S.  avait  parlé  au  Père  Mazzarini*  et 
que  le  dit  Père  vous  avait  assuré  que  le  susdit  Carlo 
vous  servirait  si  on  lui  parlait  de  la  part  de  V.  S.  Avec 
un  air  assez  dissimulé,  le  dit  Carlo  me  dit  :  «  Quoique 
je  n'aie  pas  l'honneur  de  connaître  particulièrement 
le  Seigî  Cavalier  del  Pozzo,  je  l'honore  pour  son 
mérite  et  le  servirai  volontiers,  mais  le  Cardinal  mon 
maître  n'étant  pas  à  Rome^,  il  n'y  a  pas  d'occasion, 
pour  le  moment,  d'envoyer  là-bas  aucun  bagage, 
mais  venez  me  revoir.  »  Telle  est  la  réponse  que 
j'en  ai  eue.  Je  ne  laisserai  pas  de  voir  de  temps  en 
temps  s'il  envoie  quelque  chose  là-bas,  et  s'il  y  a  lieu, 
je  lui  consignerai,  avec  toute  la  diligence  requise,  les 
dits  tableaux,  mis  en  caisse  de  la  façon  que  vous 
m'indiquez;  mais  s'il  se  présentait  sur  ces  entrefaites 
quelque  autre  bonne  occasion,  je  m'en  servirais.  Que 


1.  Michel  Mazarin,  né  à  Rome  en  1607,  mort  à  Rome  le 
2  septembre  1648.  Il  était  dominicain,  quand  la  fortune  de 
son  frère  excita  son  ambition.  L'archevêché  d'Aix  le  dédom- 
magea d'avoir  dû  refuser  le  généralat  de  son  ordre;  plus  tard, 
cardinal  de  Sainte-Cécile,  8  octobre  1647,  et  vice-roi  de  Cata- 
logne. Ce  fut  un  médiocre,  dont  l'ambition  gêna  fort  la  poli- 
tique française. 

2.  Mazarin  était  auprès  de  Richelieu  à  Narbonne. 


l52  CORRESPONDANCE  [1642 

V.  S.  se  trouve  pour  assurée  que  je  ferai  tout  ce  que 
je  pourrai  pour  que  l'affaire  vous  soit  envoyée  promp- 
tement  et  sûrement.  Je  ne  pourrai  que  répéter  à  V.  S. 
ce  que  j'ai  écrit,  dans  ma  dernière  lettre,  au  sujet  du 
Père  Ferrari,  Monsieur  de  Chantelou  m'ayant  écrit 
en  réponse  à  ce  dont  je  le  priais,  ces  propres  mots  :  «  Il 
faut  remettre  l'affaire  de  ces  Messieurs,  c'est-à-dire 
du  Père  Ferrari  et  de  l'Angeloni,  à  mon  voyage  à 
Rome,  qui  sera  pour  la  fin  de  mai.  »  S'il  dit  vrai,  je 
ne  le  sais;  ce  qu'on  peut  en  entendre,  on  peut  du 
moins  le  conjecturer  par  tant  de  choses  qu'il  a  pro- 
mises jusqu'à  présent,  et  qu'il  n'a  point  tenues.  Au 
sujet  des  Vierges,  des  livres  de  Pirro  Ligorio,  et  de 
toutes  ces  choses  qui  m'importent  assez,  je  n'en  puis 
tirer  aucun  avantage  :  il  n'y  a  rien  qui  tourmente 
plus  l'esprit  de  ces  hommes  que  de  penser  plus  d'une 
'^  fois  à  une  même  chose  ^  Je  dis  cela,  et  j'en  tais  beau- 
coup que  je  ne  peux  confier  au  papier. 

Je  supplie  très  humblement  V.  S.  Ill*"^  de  favoriser 
auprès  de  S.  É.  le  Cardinal  Barberini  un  ami  qui 
m'est  cher  et  s'appelle  maître  François  Bonnemes^, 
sous-diacre  de  la  ville  de  Nantes,  candidat  de  droit  à 
un  canonicat  de  l'Église  de  Rennes,  sur  lequel  il  y  a 
contestation  de  la  Cure  de  Corsset  (diocèse  de  Nantes) 
vacant  par  la  mort  de  Yves  Balac,  du  mois  d'avril 
dernier.  J'ajouterai  cette  grâce  au  nombre  de  tant 
d'autres  que  j'ai  reçues  et  que  je  reçois  journellement 


1.  N'oublions  pas  quel  drame  se  nouait  à  la  cour.  Riche- 
lieu, dangereusement  malade  à  Narbonne,  redoutait  que  le 
roi,  malade  lui  aussi,  ne  cédât  enfin  aux  intrigues  de  Cinq- 
Mars. 

2.  Sur  cette  question,  voir  les  Notes  complémentaires. 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  l53 

de  votre  bonté.  Je  finirai  en  vous  baisant  iiumble- 
ment  les  mains, 

De  V.  S.  Illn^e  et  R'"^ 
Le  très  humble  et  très  obligé  ser"", 

Nicolas  Poussin 
De  Paris,  g  mai  1642. 

64.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Coll.  Naylori.) 

Al  111'"°  et  Rew^f  Sig\^,  et  Prôn 
mio  Oss^f  il  Sigl,  Ahbate 
di  Caiiore  In  Roma 

Scriuo  questa  à  VS  :  lU'P»  per  notificarli  che  questa 
mattina  ho  consegnato  in  mano  propria  di  monsieur 
Carlo  maestro  di  casa  del  em'pf  Cardinal  Mazzarini 
conformé  aile  due  lettere  di  VS  :  la  prima  del  14  Mar- 
zo  et  la  seconda  del  12  aprile  li  due  quadretti  quello 
di  VS:  ch'  e  un  Battesimo  di  Christo  composto  di 
i3  figure  principali  et  l'altro  di  3  figure  cioe  délia 
Madonna  che  tiene  in  grembo  un  Christarello  ignudo 
et  di  san  Gioseflfo  stando  à  giacere  in  una  finestra. 
L'uno  e  l'altro  quadro  e  sigillato  del  mio  sigillo  sul 
dorso  è  incassatti  diligente  î«  in  una  casetta  di  legno 
ricoperta  di  tela  incerata  et  involta  con  funicella  la 
soprascritta  è  in  una  carta  sul  coperchio  inchiodato 
e  poi  incerata  sopra  li  chiodi  et  dalle  due  teste  délia 

I.  L'original  appartenait  à  la  collection  F.  Naylor  quand 
M.  Thibaudeau  envoya  à  M.  de  Chennevières,  en  1879,  le  texte 
que  nous  publions.  Bottari  l'avait  publié  (t.  I,  p.  293).  M.  Ad- 
vielle  signale  cette  lettre,  p.  127,  comme  ayant  été  depuis  ven- 
due 3oo  francs. 


ïS/\.  CORRESPONDANCE  [1642 

carta  ui  è  il  mio  sigillo  in  cera  di  Spagna  :  sopra  la  is- 
tessa  tela  incerata  vi  é  la  medesima  soprascritta  che 
nella  carta  è  dice  semplicemente  «  Al  111™°  Sig  :  Caua- 
lier  dal  Pozzo  in  Roma.  Questi  sono  li  contrasegni 
per  li  quali  potra  VS  :  riconoscere  il  tutto.  Il  sudetto 
Monsieur  Carlo  non  ha  voluto  niente  per  il  porto 
anzi  mi  ha  promesso  d'inviar  la  sudetta  cassa  gratis 
è  sicuramente  con  l'occasion  di  un  ritratto  è  certe 
canne  d'indie  che  il  signor  Gabriel  Naudet  manda  al 
Emo  Cardinale  Antonio  II  tutto  si  mandera  in  Arles 
e  quando  il  Cardinal  Mazzarini  passera  in  Italia  pas- 
sera^ questo  involto  con  le  sue  Robbe  Iddio  voglia 
che  sia  presto  è  che  ogni  cosa  riesca  bene.  Ho  pen- 
sât© di  non  mandere  a  VS:  i  disegni  che  mi  ritrouo 
fatti  con  questa  occasione  tanto  perche  non  ho  potuto 
cauare  ancor  dalle  mani  di  Monsieur  Meslan  dui  de 
principali  come  non  mi  è  parso  bene  di  mettere  ogni 
cosa  in  pericolo  per  una  via  istessa  spero  bene  man- 
darli  presto  nondimeno  che  aspettando  più  crescera 
il  n.o  è  Monsieur  Stella  amico  mio  essendo  di  présente 
in  Leone  mi  seruira  in  questo  negozio  è  facilmente  le 
fara  tenere  à  VS:  col  mezzo  di  qualche  corriero  essendo 
cosa  facile  a  portare  Scriuerorene  à  VS  :  più  à  pieno 
quando  saro  per  inviarglieli  dandoli  in  contrasegni  di 
ogni  minima  cosa.  Se  la  buona  fortuna  farà  capitare  il 
detto  quadretto  in  mano  di  VS  :  la  prego  con  ogni 
affetto  di  gradire  quello  come  divotamente  gli  lo 
dono  nulladimeno  che  in  questo  atto  altro  non  in  sia 
di  considerabile  che  la  mia  buona  volonta  non  sti- 
mando  che  sia  cosa  degna  non  più  che  l'altre  cose 
ch'  ella  si  tiene  del  mio  di  esser  in  mano  di  persona 

1.  Sic. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  l55 

di  tanto  merito  è  cognizione.  Intanto  la  riuerisco  di 
tutto  core  bagiandole  riuerentemente  le  mani. 

D.  I.  VS:  Ill'pfet  Reu«ff 
Humiliss'yp  ser^« 
Nicole  Poussin 
Di  Parigi  22  Maggio  1642. 

Dubito  che  l'intrinchi  nati  di  qualche  tempo  in  quà 
in  questa  corte  non  siano  causa  di  ritardare  l'effetti 
délie  promesse  fatte  al  padre  ferrari. 

A  l'Ill'^^  et  jRev™e  seig"^,  mon  Maître  très  honoré, 
le  Seig^  Abbé  de  Cavore,  à  Rome. 

J'écris  la  présente  à  V.  S.  Ill*""  pour  lui  faire  savoir 
que  ce  matin  j'ai  remis  en  mains  propres  à  mon- 
sieur Carlo,  intendant  de  S.  É.  le  Cardinal  Mazza- 
rini,  —  conformément  aux  deux  lettres  de  V.  S.,  la 
première  du  14  mars  et  la  seconde  du  12  avril  — ,  les 
deux  petits  tableaux  :  celui  de  V.  S.,  qui  est  un  Bap- 
tême du  Christ,  composé  de  i3  figures  principales,  et 
l'autre,  de  3  figures,  à  savoir  la  Vierge  qui  tient  l'En- 
fant Jésus  nu  dans  son  giron,  et  Saint  Joseph  appuyé 
contre  une  fenêtre.  L'un  et  l'autre  tableau  sont  scellés 
au  revers  de  mon  sceau  et  tous  deux  sont  enfermés 
avec  soin  dans  une  caisse  de  bois  recouverte  de  toile 
cirée  et  entourée  d'une  corde.  L'adresse  est  sur  une 
carte  clouée  sur  le  couvercle,  avec  de  la  cire  sur  les 
clous,  et  aux  deux  bouts  de  la  carte  est  mon  sceau  en 
cire  d'Espagne;  sur  la  même  toile  cirée  est  la  même 
adresse,  qui  porte  simplement  :  A  rill«»e  Seig""  le  Ca- 
valier del  Pozzo,  à  Rome.  Voilà  les  marques  aux- 
quelles V.  S.  pourra  reconnaître  le  tout.  Le  susdit 
Monsieur  Carlo  n'a  rien  voulu  pour  le  port,  et  il  m'a 


X 


l56  CORRESPONDANCE  [1642 

bien  promis  d'envoyer  la  dite  caisse  gratis  et  sûre- 
ment en  même  temps  qu'un  portrait  et  certaines 
cannes  de  l'Inde  que  le  Seig""  Gabriel  Naudet^  envoie 
à  S.  É.  le  Cardinal  Antoine.  Le  tout  s'enverra  à 
Arles,  et  quand  le  cardinal  Mazzarini  passera  en  Ita- 
lie, le  paquet  partira  dans  ses  bagages.  Dieu  veuille 
que  ce  soit  bientôt^  et  que  toute  chose  réussisse.  J'ai 
pensé  ne  pas  devoir  envoyer  à  V.  S.  par  cette  occa- 
sion ceux  de  mes  dessins  que  j'ai  retrouvés,  autant 
parce  que  je  n'ai  pas  pu  encore  retirer  deux  des  prin- 
cipaux des  mains  de  Monsieur  Meslan  que  parce  que 
je  n'ai  pas  jugé  bon  de  faire  courir  à  tout  le  risque 
d'une  seule  voie.  J'espère  bien  vous  les  envoyer 
promptement,  pendant  qu'en  attendant,  leur  nombre 
s'augmentera,  et  Monsieur  Stella,  mon  ami,  actuelle- 
ment à  Lyon,  me  servira  en  cette  affaire  et  les  fera 
facilement  tenir  à  V.  S.  par  le  moyen  de  quelque 
courrier,  car  ce  sont  choses  faciles  à  transporter. 
J'écrirai  à  V.  S.  plus  en  détail  quand  je  serai  pour  les 
lui  envoyer,  et  lui  donnerai  les  indications  les  plus 
détaillées  des  moindres  choses.  Si  la  bonne  fortune 

1.  Gabriel  Naudé,  le  célèbre  bibliographe,  né  à  Paris  le 
2  février  1600,  mort  à  Abbeville  le  3o  juillet  i653.  Il  était, 
depuis  1629,  bibliothécaire  du  cardinal  Bagni  à  Rome,  quand 
il  devint  celui  du  cardinal  Antonio  Barberini  (1641),  puis  de 
Richelieu,  qui  l'appela  à  Paris  (1642).  Il  est  célèbre  surtout 
comme  bibliothécaire  de  Mazarin  et  par  la  fondation  de  la 
bibliothèque  Mazarine,  la  première  ouverte  au  public  en 
France  dès  1643. 

2.  Mazarin  écrivait  à  Le  Tellier  le  n  mai  1642  :  «  Sa  Majesté 
m'a  ordonné  de  faire  un  voyage  à  Rome.  »  Richelieu  écrivait 
à  M.  de  Noyers  le  i3  mai  1642  :  «  Mr.  Mazarin  ne  veut  point 
de  vaisseau  pour  aller  à  Rome...  »,  et,  le  18  mai  :  «  J'ai  enfin 
fait  résoudre  M'  le  cardinal  Mazarin  à  s'en  aller...  »  —  Cepen- 
dant, Mazarin  resta,  notamment  parce  que  Richelieu,  très 
malade,  ne  pouvait  garder  près  de  lui  un  plus  précieux  colla- 
borateur (voir  Avenel,  Corresp.  de  Richelieu). 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  l57 

fait  arriver  le  dit  tableau  entre  les  mains  de  V.  S.,  je 
la  prie  de  tout  cœur  de  l'agréer  avec  affection  comme 
je  le  lui  donne,  n'y  ayant  rien  de  considérable  dans 
cet  ouvrage  que  ma  bonne  volonté;  et  je  ne  saurais 
l'estimer  digne,  —  non  plus  que  les  autres  choses  que 
vous  avez  de  moi,  —  d'être  entre  les  mains  d'une  per- 
sonne de  tant  de  mérite  et  de  réputation  que  je  révère 
de  tout  cœur,  en  lui  baisant  respectueusement  les 

mains. 

De  V.  S.  Ill««  et  R«°« 

Le  très  humble  ser"" 

Nicolas  Poussin. 
De  Paris  22  mai  1642. 

Je  ne  suis  pas  sûr  que  les  intrigues  nées  en  cette 

cour  voici  quelque  temps  n'aient  retardé  l'effet  des 

promesses  faites  au  Père  Ferrari. 

65.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol-  69*) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[M.  Poussin  26  May  1642. 

Cette  lettre  est  escripte  après  celle  pour  sa  def- 

fence.] 

de  Paris  Ce  26.  May 

Monsieur  Je  nei  osé  jusques  à  pré- 

sent vous  importuner  de  mes  lettres  sachans  les  gran- 
dissimes affaires  que  la  maladie  de  Son  Éminense^ 

I.  La  santé  très  chancelante  de  Richelieu  s'était  fort  altérée 
en  mai  1642.  Un  flux  hémorroïdal  supprimé  avait  provoqué 
une  série  d'abcès  au  bras  droit.  Sétons,  injections,  aucun 
remède  ne  diminuait  les  souffrances  cruelles  du  malade  ni 
lui  rendait  l'usage  de  son  bras  qui  ne  lui  permettait  plus 
d'écrire  ni  même  de  signer. 


l58  CORRESPONDANCE  [1642 

suscitée  vous  a  acru  mais  maiten^  que  nous  auons 
bonne  nouuelle  de  sa  santé  ^  jay  cru  que  vous  auriés 
dauenture  le  loisir  de  recepuoir  et  lire  ce  mot  qui  ne 
seruira  que  de  un  milion  de  remerciment  que  je  fais 
à  Monseigneur  de  Noyer  et  à  vous  touchans  les  lettres 
du  dishuitiesme  auril  de  Narbonnes  :  par  icelles  mon- 
dit  Signour  me  deschargant  de  ce  que  alla  vérité 
meust  beaucoup  embarassé.  Je  repçus  avec  les  sus- 
dites lettres  un  billet  pour  donner  à  Monsieur  de 
mauroy^  en  vertu  du  quel  je  debuois  recepuoir  cinq 
cens  escus  pour  ce  que  jay  fet  cette  anée  alla  gallerie. 
Je  les  auois  desia  repçus  Cest  pourquoy  le  sudit  bil- 
let na  de  rien  serui.  Je  continue  tousiours  comme 
alacoustumée  les  desseins  et  cartons  de  la  gallerie 
sans  moccuper  à  autre  chose.  Jespère  que  alla  fin 
de  ce  mois  j'aurey  mis  à  bon  termes  les  sudits  des- 
seins de  sorte  quil  restera  seullement  à  continuer 
les  fables  d'Hercules  et  lors  le  tout  se  pourra  com- 
mettre à  Monsieur  Le  maire  sil  en  voudra  prendre  la 


1.  Le  chancelier  Séguier,  resté  pour  tenir  Paris,  ne  laissait 
parvenir  au  public  que  des  nouvelles  empreintes  d'un  optimisme 
officiel.  Richelieu  allait  si  peu  mieux  que,  le  22  mai  1642, 
M.  de  Noyers  (que  Richelieu  avait  appelé  le  18)  écrivait  à  Cha- 
vigni  :  «  Je  feus  désolé  hier  toute  la  journée  tant  S.  Ém.  me 
sembla  en  mauvais  état...  »,  et  c'est  le  lendemain  23  que 
Richelieu  rédigea  son  testament.  Il  quitta  Narbonne  pour 
Agde,  le  27  mai  1642.  —  Guy  Patin  ne  se  trompait  pas  quand 
il  écrivait  à  Belon,  le  24  mai  1642  :  «  Beaucoup  de  gens  qui 
ont  plus  d'intérêt  à  sa  conservation  que  le  commun  disent  tou- 
jours qu'il  va  en  amendant,  sed  non  ego  credulis  illis;  )e  crois 
bien  que  le  mal  est  fort  grand  et  que  le  personnage  est  fort 
affaibli  »  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  9358). 

2.  M.  de  Mauroy,  l'un  des  premiers  commis  de  M.  de 
Noyers  (Avenel,  Con:  de  Richelieu,  t.  VIII,  p.  140),  puis  inten- 
dant général  des  finances  et  ambassadeur  de  France.  Il  possé- 
dait de  Poussin  l'Assomption  (n°  423  du  Louvre)  et  une  Adora- 
tion des  Mages  (n"  429). 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  l5g 

peine  et  sil  plaira  à  Monseigneur  de  me  donner  occa- 
sion de  pouuoir  laisser  quelque  chose  en  france  de 
moy  auant  que  je  meure  digne  du  peu  de  nom  que 
jay  aquis  enuers  les  entendus. 

Jescris  il  i  a  quelque  temps  une  longue  lettre  à 
Môseigneur  où  je  crains  d'auoir  trop  parlé  à  la  bône 
toutefois  j'espère  quil  mescusera  si  bien  il  y  aura  eu 
quelque  chose  du  mal  digéré  dautans  qu'il  scait  bien 
combien  il  est  insuportable  d'endurer  ^  les  sottes 
repréhensions  des  ignorans.  Je  massure  que  de  vostre 
costé  vous  naurés  pas  manqué  de  me  fauoriser  en 
adoussissant  ce  qui  y  estoit  de  trop  rude.  Je  vous 
suplie  de  me  tenir  tousiours  en  votre  protectio  et  que 
je  ne  désire  au  monde  rien  plus  que  d'estre  tousiours 
Monsieur  le  plus  humble  et  le  plus  déuôt  de  vos  ser- 
uiteurs 

Vostre  trèsobligé  Seruiteur 
Poussin. 

66.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  294.) 

Al  Commendatore  Cassiano  del  Po:{\o. 

Avendi  di  già  colF  ultime  mie  del  22  maggio  scritto 
a  VS  :  IlHf  di  aver  consegnato  in  mano  di  monsù 
Carlo,  maestro  di  casa  dell'  eminentiss.  cardinal 
Mazzarini,  la  casetta  con  li  due  quadri,  secondo  che 
per  due  consécutive  di  VS:  n'avevo  avuto  ordine, 
nulladimeno  essendo  arrivate  a  tempo  le  sue  delli 
3    maggio,   per  le   quali  VS  :   dimostrar   di   stimar 

I.  Poussin  avait  d'abord  écrit  supporter,  puis  il  a  rayé  et 
surchargé  par  le  mot  endurer. 


l6o  CORRESPONDANCE  [1642 

meglior  mezzo  quelle  che  le  avevo  proposto,  cioé 
d'inviargliela  per  un  corriero,  l'ho  subito  ritirata  di 
mano  del  suddetto  Carlo,  tenendola  presso  di  me  fino 
e  tanto  che  VS  :  m'abbia  scritto  a  quai  corriero  s'ab- 
bia  da  consegnare  la  cassa  in  Lione.  Non  potrei 
dirle  quanto  ho  caro  che  la  cosa  passi  in  questo 
modo,  perché  dubitavio  che  per  la  via  délie  robe  del 
Cardinal  Mazzarini  l'involto  dei  nostri  quadretti  no 
si  fosse  smarrito  o  almeno  tardato  troppo  a  giun- 
ger  costi,  essendo  il  viaggio  pçr  Roma  del  ditto  car- 
dinale molto  incerto.  Del  resto,  per  esser  piccola  e 
non  incassata,  facilmente  si  saria  potuta  perdere,  et 
particolarmente  non  essendomi  alcuno  présente  che 
ne  prendesse  cura. 

Per  quest'  ordinario  scriverô  a  monsù  Stella  in 
Leone  di  quanto  sarà  necessario  fare,  acciochè  subito, 
saputo  il  nome  del  corriero  col  quale  avrà  da  trat- 
tare,  gli  mandi  la  detta  cassa  sigillata,  ed  accomo- 
data  conforme  a  quello  che  già  ho  scritto.  Non  man- 
dero  a  VS  :  per  questa  volta  li  disegni  per  la  cause 
già  accennatele,  etc. 

Di  Parigi,  3o  maggio,  1642. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po^^o. 

Par  ma  dernière  lettre  du  22  mai,  j'avais  déjà  écrit 
à  V.  S.  111"*  que  j'avais  consigné  entre  les  mains  de 
Monsieur  Carlo,  intendant  de  S.  E.  le  Cardinal 
Mazzarini,  la  petite  caisse  et  les  deux  tableaux,  selon 
l'ordre  que  j'en  avais  reçu  de  V.  S.  par  deux  lettres 
consécutives;  néanmoins  votre  lettre  du  3  mai  étant 
arrivée  à  temps,  celle  par  laquelle  V.  S.  me  dit  tenir 
comme  meilleur  moyen  celui  que  je  lui  avais  pro- 
posé, c'est-à-dire  de  lui  envoyer  la  caisse  par  un  cour- 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  161 

rier,  je  l'ai  de  suite  retirée  des  mains  du  susdit  Carlo, 
la  gardant  près  de  moi  jusqu'à  tant  que  V.  S.  m'ait 
écrit  à  quel  courrier  elle  devait  être  remise  à  Lyon. 
Je  ne  saurais  dire  combien  je  tiendrais  à  ce  que  la 
caisse  fut  transportée  par  cette  voie,  car  je  crains  que 
par  le  moyen  des  bagages  du  Cardinal  Mazzarini, 
l'enveloppe  de  nos  tableaux  ne  soit  abîmée,  où  au 
moins  que  cela  ne  tarde  trop  à  vous  arriver  là-bas,  le 
voyage  à  Rome  dudit  Cardinal  étant  fort  incertain. 
Du  reste,  comme  le  paquet  est  peu  volumineux  et  non 
fortement  emballé,  il  pourrait  se  perdre  facilement, 
surtout  qu'il  n'y  a  personne  là  pour  en  prendre  soin. 

J'écrirai  par  cet  ordinaire  à  monsieur  Stella,  à 
Lyon,  ce  qu'il  sera  nécessaire  de  faire,  afin  qu'aussi- 
tôt qu'il  saura  le  nom  du  courrier  avec  lequel  il  aura 
à  traiter,  qu'il  lui  envoie  la  dite  caisse  scellée  et  pré- 
parée comme  je  le  lui  ai  déjà  écrit.  Je  n'enverrai  pas  à 
V.  S.  les  dessins  pour  cette  fois,  pour  les  raisons  que 
je  lui  ai  déjà  expliquées,  etc. 

De  Paris,  3o  mai  1642. 

67.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fo'-  71-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court  K 

[M.  Poussin^  6  juin  1642. 
Cette  lettre  est  ensuitte  de^  son  apologie.] 
Monsieur 
Si  lor  paradis  des  auares  et  enfer  des  prodigues 

1.  Cette  lettre  est  mieux  écrite  que  les  autres,  comme  il  con- 
vient pour  une  lettre  de  remerciements. 

2.  La  feuille  étant  déchirée,  les  deux  mots  suivants  manquent 
au  ms.  12347.  Nous  les  complétons  avec  la  copie  de  l'Institut. 

1911  II 


r62  CORRESPONDANCE  [1642 

auoit  quelque  peu  du  resentiment  qu'il  oste  à  qui 
plus  en  a  plus  en  voudroit  auoir,  sentiroit  un  plaisir 
démesuré  —  lors  que  à  cens  qui  le  tenoint  pour  faus 
il  aparoist  au  contraire  par  la  bonté  du  paragon 
lequel  sur  le  front  de  soymesme  le  descouure  parfet 
en  sa  finesse'.  Je  dis  ainsi  en  matière  de  la  mauuaise 
impression  que  la  bonne  âme  de  Monsigneur  auoit 
repsue  du  coustume  des  hommes  enuieus  de  la  pros- 
périté d'autrui.  Néanmoins  que  je  doiue  au  lieu  de  la 
haine  que  me  portent  mes  émulateurs  ^  me  vanger  en 
leur  fesant  du  bien  et  du  plaisir,  d'autant  que  leur 
peruersité  sera  cause  que  Son  Eccellense  qui  ma 
trouué  sicere  et  loint  de  la  fraude  na  point  autrement 
preste  l'oreille  aus  persécuteur  de  mon  honneur  au 
contraire  se  confiant  en  ma  loyauté  plus  que  Jamais 
jespère  quil  mexersera  en  des  meilleures  occasions 
que  par  le  passé. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble 

Seruiteur 
Poussin 
de  paris  Ce  6.  Juin  1642 

Je  nai  repceu  la  lettre  de  Monseigneur  escripte  du 
disiesme  Mai  que  mardi  passé '. 

1.  «  Le  commencement  rappelle  le  style  et  les  idées  de  Voi- 
ture, ou  les  concetti  du  cavalier  Marini,  le  premier  protec- 
teur de  l'artiste  »  (Dumesnil,  Hist.  des  amateurs  italiens,  i853, 
p.  495).  Il  s'agit  de  la  pierre  de  touche. 

2.  Poussin,  qui  avait  d'abord  écrit  adulateurs^  a  rayé  les 
trois  premières  lettres  et  surchargé  en  émulateurs. 

3.  Mardi  3  juin  1642.  —  Le  10  mai,  M.  de  Noyers  était  près 
de  Louis  XIII,  au  camp  devant  Perpignan,  depuis  le  28  avril. 
Son  rôle  consistait  à  rendre  compte  journellement  à  Richelieu, 
resté  discrètement  à  Narbonne,  des  intrigues  de  Cinq-Mars  et 
des  dispositions  de  Louis  XIII. 


1642]  de  nicolas  poussin.  l63 

68.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  295.) 

Al  Commendatore  Cassiano  del  Po^o. 

Ho  aspettando  di  di  in  di  che  V.  S.  illustriss.  mi 
dia  qualche  notizia  del  corriero  col  quale  arrà  trat- 
tato  per  l'invio  costi  délia  cassetta,  dove  sono  li  due 
quadretti  del  Battesimo  e  délia  Madonne,  conforme 
quello  che  V.  S.  mi  accennô  per  l'ultima  sua  delli 
3  maggio.  ho  di  già  mandata  la  suddetta  cassetta  in 
Leone  a  monsù  Stella,  il  quale  se  la  terra  in  casa  sino 
a  tanto  che  gli  si  dica  a  quai  corriero  l'averà  da  con- 
segnare;  ma  perô  ho  pensato  che,  se  tra  da  diei  o 
quindiei  giorni  non  avessi  nuova  di  V.  S.,  pregare  il 
detto  monsù  Stella,  che  tratti  lui  con  qualcuno  di 
quel  corrieri,  accio  le  mandi  il  detto  involto,  come 
se  fosse  sua  cosa  propria,  per  chè  vedo  che  l'aspettare 
le  risposte  délie  risposte,  va  tanto  alla  lunga  ch'  egli 
è  una  penitenza  non  piccola.  Faro  perô  avvisato  V.  S. 
del  tutto  quando  sarà  tempo. 

Li  disegni  non  li  manderô  cosi  tosto,  perciocchè 
le  vorrei  mandare  con  essi  l'ordinanza  délia  galleria 
grande,  che  faccio  disegnare  da  un  giovane  archi- 
tetto,  che  tra  poco  tempo  l'averà  disegnata,  e  monsù 
Melan  ancora  avra  finite  d'intagliare  li  disegni  che 
egli  tiene.  Tosto  che  potro  ragunare  queste  poche 
cose,  insieme  le  manderô  a  V.  S.,  a  cui  divotamente 
m'inchino,  ec. 

Di  Parigi,  i3  giugno,  1642. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po\:{o. 
J'attends  de  jour  en  jour  que  V.  S.  111™=  me  donne 


164  CORRESPONDANCE  [1642 

quelques  renseignements  sur  le  courrier  avec  qui  elle 
aura  traité  pour  l'envoi  là-bas  de  la  petite  caisse  où 
sont  les  deux  tableaux  du  Baptême  et  de  la  Vierge, 
selon  ce  que  V.  S.  m'a  fait  savoir  par  sa  dernière 
lettre  du  3  mai.  J'ai  déjà  envoyé  la  dite  caisse  à  Lyon 
à  Monsieur  Stella,  lequel  la  tiendra  chez  lui  jusqu'à 
tant  qu'on  lui  dise  à  quel  courrier  il  aura  à  la  consi- 
gner. Cependant  j'ai  pensé  que  si  d'ici  douze  ou 
quinze  jours,  je  n'avais  pas  de  nouvelles  de  V.  S.,  je 
prierais  le  dit  monsieur  Stella  de  traiter  lui-même 
avec  l'un  de  ces  courriers,  afin  qu'il  vous  envoie  le  dit 
paquet  comme  si  c'était  son  bien  propre,  —  parce 
que  je  vois  qu'en  attendant  la  réponse  de  la  réponse, 
cela  va  si  lentement  que  ce  n'est  pas  une  petite  péni- 
tence. J'aviserai  cependant  V.  S.  de  tout  quand  il  en 
sera  temps. 

Je  ne  vous  enverrai  pas  les  dessins  de  suite, 
parce  que  je  voudrais  vous  envoyer  avec  eux  l'ordon- 
nance de  la  grande  gallerie,  que  je  fais  dessiner 
par  un  jeune  architecte  qui  en  aura  bientôt  fait,  et 
Monsieur  Melan  aura  également  fini  de  graver  les 
dessins  qu'il  détient.  Aussitôt  que  je  pourrai  réunir 
ces  petits  choses,  je  les  enverrai  ensemble  à  V.  S.,  que 
je  salue  respectueusement,  etc. 

Nicolas  Poussin. 

De  Paris,  i3  juin  1642. 

69.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  296.) 

Al  Commendatore  Cassiano  del  Po!{{o. 

Ho   ricevuto    in   questo   settimana   tre  lettere  da 
parte  di  V.  S.  Illustriss.  l'una  per  mezzo  del  Sig. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  l65 

Gabriel  Naudet,  l'altra  da  Monsu  Petit  mercante,  e 
l'altra  dal  P.  Nicerone.  Le  due  ultime  sono  del  21., 
e  3i.  di  Maggio.  Per  la  prima  rendo  infinité  grazie  a 
V.  S.  del  favore,  ch'  ella  si  compiace  d'usare  verso 
l'amico  mio  Francesco  Bonnomes.  E  circa  poi  a 
quello  che  V.  S.  mi  scrive  di  Monsù  Carlo,  e  dell' 
inviamento  délia  cassetta  dei  quadri,  ho  scritto  più 
d'una  volta  quello,  ch'  è  accaduto,  e  come  fino  a 
quest'ora  non  ho  aspettato  altro  da  V.  S.  che  il  nome, 
e  cognome  del  corriero,  al  quale  Ella  desidererebbe, 
che  la  detta  cassetta  fosse  consegnata.  Ho  pure  scritto, 
che  se  l'ordine  di  V.  S.  tardasse  troppo  a  venire,  avevo 
risoluto  di  non  perder  più  tempo,  anzi  di  pregar 
Monsù  Stella  di  trattar  con  uno  de'  corrieri  di  Leone, 
e  rimaner  d'accordo  con  quello  di  portar  a  Roma,  e 
consegnare  in  mano  di  V.  S.  la  detta  cassa  sana,  e 
salva.  E  giacchè  Ella  non  mi  accenna  di  non  aver  fino 
ad  ora  trattato  con  alcuno,  tosto  che  mi  sarà  giunta 
la  nuova,  che  il  detto  Stella  avéra  ricevuta  la  cassa, 
li  scriverô,  e  pregherô  di  spedire  il  negozio,  come 
fosse  suo  proprio;  e  credo,  che  lo  faràpuntualmente, 
per6  V.  S.  non  si  metta  più  in  pensiero  di  questo,  e 
lasci  fare.  Scriverô  poi,  e  faro  sapere  chi  sarà  quel 
corriero,  quando  si  avrà  da  partire,  e  con  quai  patto 
portera  la  detta  cassa,  e  se  sarà  pagata,  o  no. 

Péril  negozio  del  Padre  Ferrari  non  ne  dirô  altro. 
Dicesi,  che  Monsù  de  Chantelou  vada  a  Roma  quanto 
prima;  e  costi,  se  n'averà  pero  commisione,  potrà 
servire  il  detto  Padre,  conforme  n'avea  data  la  spe- 
ranza.  Dell'  altre  cose  tacerô  ancora,  perché  il  far- 
gliene  sovvenire  non  ha  giovato. 

Mi  sento  di  nuovo  soprammodo  obligato  à  V.  S. 
che   mi   dà  occasione  di  servire  l'Eminentiss.  Sig. 


l66  CORRESPONDANCE  [1642 

Cardinal  Barberino  del  disegno  dell'  istoria  di  Sci- 
pione,  mi  dispiace  perô  d'essermi  privato  del  pen- 
siero,  che  ne  feci  prima  del  partirmi  di  Roma,  essen- 
domene  rimasta  solo  l'idea,  la  quale  col  tempo,  che 
potrô  rubare,  metterô  al  netto  nel  miglior  modo,  che 
potrà  la  mia  tremante  mano,  e  con  quella  giungerô, 
conforme  a  quanto  V.  S.  mi  scrive,  due  parole  le  più 
divote  e  le  più  umili,  che  potrô,  per  ringraziar  sua 
Emi.  deir  onore,  che  mi  fa,  di  ricordarsi  di  me,  e 
per  pregarla  di  accettare  quello  per  signo  di  tributo 
délia  mia  servitù.  Mi  arrosisco  in  conoscermi  sug- 
getto  cosi  debole,  che  in  niun  modo  posso  corrispon- 
dere  a  gl'  infiniti  obblighi,  e  favori,  che  giornalmente 
ricevo  dalla  benignita  sua,  se  non  coll'  afîetto. 

Ultimamente  il  Sig.  Bordelot  venue  da  me  da 
parte  di  V.  S.  ad  offerirmisi  per  quanto  puô,  ed  invi- 
tarmi  a  servirmi  di  lui,  come  ancora  per  questa  pré- 
sente de'  24.  Aprile  vedo  pienamente,  quanta  è  la 
bontà  di  V.  S.  e  del  benignissimo  sua  fratello  verso 
di  me,  che  non  posso  far  altro,  se  non  cercar  di  ser- 
vire  con  tutto  il  cuore  tutti  questi  Signori  amici  di 
V.  S.  come  se  fusse  Ella  propria;  e  le  bacio  umilissi- 
mamente  le  mani. 

Di  Parigi  27.  Giugno  1642. 

Nicolô  Poussin. 

Au  Commandeur  Cassiano  del  Po^^o. 

J'ai  reçu  cette  semaine  trois  lettres  de  la  part  de 
V.  S.  111»*,  l'une  par  l'intermédiaire  du  Seig»"  Gabriel 
Naudet,  l'autre  de  Monsieur  Petit,  marchand,  et  la 
troisième,  du  P.  Nicéron^.  Les  deux  dernières  sont 

I.  Jean-François  Nicéron,  physicien,  né  à  Paris  en  i6i3,  mort 
à  Aix,  le   22  septembre   1646;   il   appartenait  à  l'ordre   des 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  167 

du  21  et  du  3 1  mai.  Pour  la  première,  je  rends  à  V. 
S.  des  grâces  infinies  pour  la  faveur  dont  il  lui  a  plu 
d'user  à  l'égard  de  mon  ami  François  Bonnemes.  Et 
quant  à  ce  que  V.  S.  m'écrit  touchant  Monsieur 
Carlo  et  l'envoi  de  la  petite  caisse  des  tableaux,  j'ai 
écrit  plus  d'une  fois  ce  qui  est  arrivé,  et  comment  je 
n'attends  plus  à  cette  heure  de  V.  S.  que  les  nom  et 
surnom  du  courrier,  auquel  elle  désire  que  la  dite 
caisse  soit  consignée.  Je  vous  ai  même  écrit  que  si 
les  ordres  de  V.  S.  tardaient  trop  à  venir,  j'avais 
résolu,  pour  ne  pas  perdre  davantage  de  temps,  de 
prier  à  la  fois  Monsieur  Stella  de  traiter  avec  l'un  des 
courriers  de  Lyon,  et  de  se  mettre  d'accord  avec  lui 
pour  porter  la  caisse  à  Rome,  et  la  remettre  saine  et 
sauve  aux  mains  de  V.  S.  Et  bien  que  vous  ne  me 
fassiez  pas  savoir  que  vous  ayez  jusqu'à  présent  traité 
avec  quelqu'un,  aussitôt  que  la  nouvelle  que  le  dit 
Stella  a  reçu  la  caisse  me  sera  venue,  je  lui  écrirai  et 
le  prierai  d'expédier  l'affaire,  comme  si  c'était  la 
sienne;  et  je  crois  qu'il  le  fera  ponctuellement.  Que 
V.  S.  ne  se  mette  donc  plus  en  souci  de  cela,  et 
qu'elle  laisse  faire.  Je  vous  écrirai  après  et  vous  ferai 
savoir  quel  sera  ce  courrier,  quand  il  sera  pour  par- 
tir, et  à  quelles  conditions  il  portera  la  dite  caisse,  et 
s'il  sera  payé  ou  non. 

Pour  l'affaire  du  Père  Ferrari,  je  ne  vous  en  dir^i 
rien  d'autre.  On  dit  que  Monsieur  de  Chantelou  s'en 
va  prochainement  à  Rome,  et  là-bas,  s'il  en  a  la  com- 

Minimes,  qui  l'envoya  deux  fois  à  Rome.  Il  écrivit  sur  l'op- 
tique et  son  principal  ouvrage  avait  paru  en  i638,  intitulé  : 
La  perspective  curieuse.  —  Bourdelot  écrit  de  lui,  à  Cassiano 
del  Pozzo,  le  12  septembre  1642  :  «  Il  est  persuadé  de  votre 
mérite  et  vous  considère  comme  un  Dieu  en  terre  et  quand  il 
parle  de  vous  il  pleure  de  joie.  » 


X 


t6B  CORRESPONDANCE  [1642 

mission,  il  pourra  servir  le  dit  Père,  selon  qu'il  en 
avait  donné  l'espérance.  Je  ne  dirai  rien  encore  des 
autres  choses,  parce  que  je  n'ai  pas  eu  l'occasion  de 
les  lui  rappeler. 

Je  me  sens  encore  une  fois  extrêmement  obligé  à 
V.  S.  de  ce  qu'elle  me  donne  l'occasion  de  servir 
S.  E.  Mgr  le  Cardinal  Barberin  en  lui  faisant  le  des- 
sin de  l'histoire  de  Scipion.  Il  me  déplaît  fort  d'être 
privé  de  l'esquisse  que  j'en  fis  avant  mon  départ  de 
Rome;  il  ne  m'en  est  resté  que  la  première  pensée 
qu'au  premier  moment  que  je  pourrai  dérober,  je 
mettrai  au  net  du  mieux  que  le  pourra  ma  main 
tremblante;  et  comme  V.  S.  me  récrit,  j'y  joindrai 
deux  mots,  les  plus  dévoués  et  les  plus  humbles  que 
je  pourrai,  pour  remercier  Son  Em"  de  l'honneur 
qu'elle  me  fait  de  se  souvenir  de  moi,  et  la  prier  d'ac- 
cepter ce  dessin  comme  un  hommage  de  son  servi- 
teur. Je  rougis  de  me  trouver  si  faible  sujet  que  je  ne 
puisse  répondre  d'aucune  façon  aux  obligations  infi- 
nies, aux  faveurs  que  journellement  je  reçois  de  votre 
bienveillance,  si  ce  n'est  que  par  mon  attachement. 

Tout  dernièrement,  le  Seig»^  Bordelot^  me  vînt 
trouver  de  la  part  de  V.  S.,  pour  m'offrir  ses  bons 
offices  en  tant  qu'il  pourroit,  et  m'inviter  à  me  servir 
de  lui.  Par  cette  lettre  du  24  avril,  je  vois  pleinement 
combien  est  grande  envers  moi  la  bonté  de  V.  S.  et 
de  son  excellent  frère,  si  bien  que  je  ne  puis  que 

I.  Le  médecin  Bourdelot.  —  Bourdelot  à  Cass.  del  Pozzo, 
20  juin  1642  :  «  J'ai  vu  M.  Poussin  qui  est  toujours  l'incompa- 
rable. Il  est  ici  dans  une  touchante  estime,  non  seulement 
pour  son  savoir  mais  pour  ses  mœurs.  Il  est  tenu  pour  très 
honnête  homme.  C'est  votre  prédicateur  éternel,  il  se  loue  si 
hautement  des  faveurs  que  vous  lui  faites  tous  les  jours,  qu'il 
dit  qu'il  est  votre  créature.  Nous  vous  chantons  des  hymnes  à 
qui  mieux  mieux.  » 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  169 

chercher  à  servir  de  tout  mon  cœur  tous  ces  Seig^^ 

amis  de  V.  S.,  comme  je  la  servirai  elle-même,  et  je 

lui  baise  très  humblement  les  mains, 

Nicolas  Poussin 
De  Paris  27  juin  1642. 

70.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  298'.) 

V.  S.  Illustriss.  e  Rev.  sapera  per  moite  délie  mie 
passate  tutto  il  successo  délie  cose  concernenti  l'invio 
de'  quadretti,  di  sorta  che  non  è  di  bisogno  dirne 
altro,  senonche  V.  S.  ne  puô  aspettar  la  comparsa  tra 
pochissimo  tempo.  leri  ebbi  nuova,  che  la  suddetta 
cassetta  è  per  viaggio  dalli  18.  di  questo,  e  le  sarà 
portata  fedelmente  franca  di  porto,  ma  corne  l'ho 
umilissimamente  pregata  di  accetar  il  poco,  che  v'è 
incluso  dentro  in  dono,  e  come  di  mano  del  più  umile 
e  divoto  servitore,  che  EU'  abbia,  la  prego  ancora  di 
farmi  favore  di  scrivermi,  se  l'avrà  ricevuta  in  quella 
maniera,  ch'  io  spero,  ben  condizionata. 

Per  conto  del  disegno  dello  Scipione,  ne  ho  scritto 
a  V.  S.  Di  questo  e  degli  altri,  che  m'  ero  proposto 
d'inviarle,  potria,  essere  ch'  io  stess6  ne  fussi  il  porta- 
tore.  Di  tutte  queste  cose  ne  scriverô  alla  prima 
comodità  più  alla  lunga.  Prego  affettuosamente  V.  S. 
dispensarmene  par  il  présente,  perché  non  ho  tempo 
di  farla  più  lunga.  Partiamo  adesso  per  Fontanablô, 
dove  arriva  la  Corte  etc. 

Di  Parigi  25.  Luglio  1642. 

Nicolô  Poussin. 

I.  L'original  de  cette  lettre  figurait  dans  la  collection  du 
baron  de  Trémont,  vendue  le  9  décembre  i852  {Arch.  de  l'Art 
français,  t.  III,  p.  23i).  —  M.  Advielle  la  signale  dans  Recherches 
sur  Nie.  Poussin  et  sa  famille,  p.  128. 


lyO  CORRESPONDANCE  [1642 

V.  S.  Ill^eet  R'"^  saura  par  plusieurs  de  mes  lettres 
passées  le  succès  de  ce  qui  a  trait  à  l'envoi  des  petits 
tableaux,  de  sorte  qu'il  n'est  plus  besoin  d'en  dire 
autre  chose,  sinon  que  V.  S.  en  peut  attendre  l'arri- 
vée d'ici  très  peu  de  temps.  Hier  j'appris  que  la  dite 
petite  caisse  est  en  route  depuis  le  i8  de  ce  mois  et 
qu'elle  sera  fidèlement  apportée  franc  de  port  à  V.  S., 
mais  comme  je  l'ai  très  humblement  priée  d'accepter 
le  peu  qui  y  est  contenu  comme  un  présent  de  la 
main  du  serviteur  le  plus  humble  et  le  plus  dévoué 
qu'ait  V.  S.,  je  la  prie  encore  de  me  faire  la  faveur  de 
m'écrire  si  vous  l'avez  reçu,  et  en  bon  état  comme  je 
l'espère. 

Quant  au  dessin  du  Scipion,  j'en  ai  écrit  à  V.  S.  De 
celui-ci  et  des  autres  que  je  m'étais  proposé  de  vous 
envoyer,  il  se  pourrait  que  j'en  fusse  moi-même  le 
porteur.  De  tout  cela,  je  vous  écrirai  plus  longue- 
ment à  la  première  occasion.  Je  prie  affectueusement 
V.  S.  de  m'en  dispenser  pour  la  présente,  parce  que 
je  n'ai  pas  le  temps  de  la  faire  plus  longue.  Nous 
partons  de  suite  pour  Fontainebleau,  où  la  cour 
arrive \  etc. 

Nicolas  Poussin. 

De  Paris  25  juillet  1642. 

I.  Le  prudent  Poussin  ne  dit  rien  de  l'arrestation  de  Cinq- 
Mars  (i3  juin  1642)  ni  du  séjour  de  Richelieu  à  Tarascon  (28  juin- 
17  août),  pendant  qu'on  instruisait  le  procès  du  favori,  «  tré- 
buché de  si  haut  ».  Louis  XIII  avait  délégué  à  Richelieu 
une  autorité  presque  royale  (déclaration  du  3o  juin)  et  il 
était  revenu  à  Fontainebleau  par  Lyon  et  Roanne.  Il  y  arriva 
le  23  juillet,  toujours  accompagné  de  Noyers  et  de  Chavigni. 


1642]  de  nicolas  poussin.  i7i 

71.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(British  Muséum  •.) 

Al  Ill^°  et  Reu^'»  Sig'^''  et  Pion  mio 

Oss^'^Il  Sig^  Ahhate  di  Cauore 

in  Roma 

Non  ho  potuto  dar  risposta  ail'  ultima  di  VS.  lU'Pf 
del  27  Giugno  fin  che  io  non  ha  stato  tornato  di  Fon- 
tanableô  doue  ero  gito  corne  per  la  mia  ultima  gli 
scrisse  il  Sig.  de  Noyers  hauendomi  ordinato  di  por- 
tarmi  costi  accio  di  vedere  se  si  poteuano  ristaurare  le 
pitture  del  Primasticcio  quasi  consumate  dal  ingiurie 
del  tempo  o  almeno  di  trouar  qualche  messo  di  con- 
seruar  quelle  ch'  erano  rimaste  più  intiere.  Con  questa 
occasione  ho  trouato  tempo  di  parlarghi  del  deside- 
rio  ch'  haueuo  di  tornare  in  Italia  accio  potesse  con- 
dur  meco  la  moglie  in  Parigi  et  hauendo  egli  sentito 
le  raggioni  che  mi  portauano  il  desiderio  di  tal  cosa 
ma  subito  concesso  di  far  quello  ch'  è  délia  mia 
intiera  sodisfatione  con  una  amorevolezza  incompa- 
rabile  con  patti  perô  di  dar  tal  ordine  aile  cose  comin- 
ciate  da  me  che  n5  restassero  in  dietro  e  che  io  tor- 
nassi  qui  in  Parigi  la  primauera  venente  di  maniera 
che  mi  no  disponendo  per  il  viaggio  il  quale  speramo 
di  cominciare  al  principio  di  Settembre  prossimo.  Ma 
di  questo  auanti  di  partire  spero  scriuerne  a  VS  alla 
lunga.  Le  diro  solamente  per  adesso  che  le  diligente 
che  VS.  mi  scriue  di  fare  per  l'inuio  délia  Cassetta  de 
quadri  non  si  puo  più   effettuare  imperoche  ella  e 

I.  L'original  est  conservé  au  British  Muséum,  n"  21514.  C'est 
le  n°  806  de  la  collection  Donnadieu.  Bottari  l'avait  publié, 
t.  I,  p.  299. 


172  CORRESPONDANCE  [1642 

stata  consegnata  in  mano  d'un  corriero  fidato  il 
quale  la  deue  hauer  in  mano  di  VS.  auantî  che  questa 
présente  gli  sia  data.  Bene  e  vero  che  l'editto  ch'  è 
stato  fatto  in  Roma,  secondo  ch'  ella  mi  scriue  per  il 
sospetto  del  contaggio  che  dicono  essere  in  Leone 
mi  fa  molto  merauigliare  percioche  qui  nD  se  n'e  par- 
lato  in  nessun  modo  et  si  fusse  vero  il  Re  al  suo 
ritorno  di  Perpignano  nô  si  sarebbe  fermato  iui  per 
tanti  giorni;  ma  con  tutto  questo  sospetto  n5  dis- 
pero  del  buon  successo  del  incominciato  negotio 
poi  délia  mia  parte  faro  ogni  diligenza  a  me  pos- 
sibile  accioche  ogni  cosa  vada  bene  ;  il  resto  lo 
lasceremo  in  man  d'Iddio.  Ringrazio  infinitamente 
VS.  délia  cura  ch'  ella  si  prende  di  me  e  di  casa  mia. 
L'indispositione  délia  mia  cara  consorte  mi  ha  afflitto 
meno  hauendo  inteso  per  le  sue  che  il  suo  maie  n5 
era  per  torle  le  forze  ma  al  contrario  per  hagumen- 
targli  per  la  moltiplicatipne  de  demi  sui.  Resto  eter- 
namente  il   suo  obbligatiss.  et  le  bagio  humilie  le 

mani. 

DI  VS.  IUt?  et  Revpf 
Humilissmo  Serf^ 

Nicolô  Poussin. 
Di  Parigi  8.  Agosto  1642. 

Quel  amico  mio  prebendente  quella  Parrochia  di 
Nantes  ed  io  similmente  ringratiamo  infinitamente 
VS  lU'na  del  fauor  ch'  ella  ha  hauuto  in  volonta  di 
farei. 

A  l'Ill^^  et  Rev^*^  Seig^^  mon  Maître  très  honoré^ 
le  Seig^  Abbé  de  Cavore^  à  Rome. 

Je  n'ai  pu  faire  réponse  à  la  dernière  lettre  de 
V.S.  Ill™e  du  27  juin  avant  d'être  revenu  de  Fontana- 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  lyS 

bleo  où  était  allé  —  comme  je  vous  l'écrivis  dans 
ma  dernière  lettre  —  M.  de  Noyers,  lequel  m'avait 
ordonné  de  m'y  rendre,  pour  voir  si  l'on  pouvait  res- 
taurer les  peintures  du  Primastice  \  presque  détruites 
par  les  injures  du  temps,  ou  du  moins  trouver 
quelque  moyen  de  conserver  celles  qui  étaient  res- 
tées les  plus  intactes.  A  cette  occasion,  j'ai  trouvé  le 
moment  de  lui  parler  du  désir  que  j'avais  de  retour- 
ner en  Italie,  pour  pouvoir  ramener  avec  moi  ma 
femme  à  Paris  et,  comprenant  les  raisons  qui  me 
portaient  à  désirer  une  telle  chose,  il  m'a  aussitôt 
accordé  de  faire  à  mon  entière  satisfaction,  avec  une 
amabilité  incomparable,  à  condition  toutefois  de 
donner  de  tels  ordres  aux  choses  commencées  qu'elles 
ne  restent  pas  en  arrière,  et  que  je  retourne  ici  à 
Paris  au  printemps  prochain;  de  sorte  que  je  vais  me 
disposer  pour  le  voyage,  que  nous  espérons  commen- 
cer au  début  de  septembre  prochain  2.  Mais,  avant  de 
partir,  je  compte  en  écrire  longuement  à  V.  S.  Je  lui 
dirai  seulement  pour  le  moment  que  les  soins  qu'elle 
m'a  dit  de  prendre  pour  l'envoi  de  la  caisse  des 
tableaux  ne  se  peuvent  plus  prendre,  parce  que 
celle-ci  a  été  consignée  entre  les  mains  d'un  courrier, 
homme  de  confiance  qui  doit  l'avoir  remise  à  V.  S., 
avant  que  la  présente  lettre  ne  lui  soit  rendue.  Il  est 
bien  vrai  que  l'édit,  qui  a  été  rendu  à  Rome,  comme 
vous  me  l'écrivez,  à  cause  du  soupçon  de  la  conta- 
gion que  l'on  y  dit  être  à  Lyon,  me  surprend  fort, 
puisqu'ici  on  n'en  a  parlé  d'aucune  façon,  et  si  c'était 


1.  Le  Primatice. 

2.  «  Monsieur  Poussin  s'en  retourne  bientôt;  je  l'importune- 
rai de  quelque  chosette  dans  ses  balles  pour  vous.  »  Bourde- 
lot  à  Cass.  del  Pozzo,  28  août  1642. 


174  CORRESPONDANCE  [1642 

vrai,  le  Roi,  à  son  retour  de  Perpignan,  n'y  serait 
pas  resté  tant  de  Jours  ^  Mais,  malgré  toutes  ces 
craintes,  je  ne  désespère  pas  du  bon  succès  de  l'affaire 
entamée.  Puis,  de  mon  côté,  Je  ferai  toute  la  diligence 
possible  pour  que  tout  aille  bien  :  le  reste,  nous  le 
laisserons  aux  mains  de  Dieu.  Je  remercie  infiniment 
V.  S.  du  soin  qu'elle  prend  de  moi  et  de  ma  maison. 
L'indisposition  de  mon  épouse  bien-aimée  m'a  moins 
affligé,  ayant  appris  par  ses  lettres  que  son  mal  n'était 
pas  pour  lui  enlever  des  forces,  mais  au  contraire 
pour  les  lui  accroître  par  la  multiplication  de  ses 
dents.  Je  demeure  éternellement  votre  très  obligé  et 
vous  baise  humblement  les  mains. 

De  V.  S.  Ill««  et  Rn»* 
Le  très  humble  Ser^ 

Nicolas  Poussin 

De  Paris  8  août  1642. 

Mon  ami  prébende  de  cette  paroisse  de  Nantes  et 
moi-même  remercions  infiniment  V.  S.  lli'"^  de  la 
faveur  qu'elle  a  eu  l'intention  de  lui  faire. 

72.  —  Noyers  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  73.) 

De  Monceaux^  ce  4.  septembre  1642. 
Je  vous  renuoye  les  desseins  que  Mons.  le  Poussin  a 

1.  Louis  XIII  était  arrivé  à  Lyon  le  7  juillet  1642,  venant  de 
Tarascon.  Il  n'y  séjourna  pas  longtemps,  puisque  le  14  il  par- 
tait de  Saint-Symphorien  et,  le  17,  de  Roanne.  —  Richelieu 
arrivera  à  Lyon,  son  bateau  remorquant  celui  de  Cinq-Mars 
sur  le  Rhône,  le  2  septembre  et  il  en  partira  le  12  au  matin, 
quelques  heures  avant  l'exécution  du  favori. 

2.  Monceaux-en-Brie,  auj.  comm.  du  cant.  de  Meaux  (et  non 
près  de  Melun)  (Baguenault  de  Puchesse,  Corresp.  de  Catherine 
de  Médicis,  t.  X,  p.  648).  Cette  reine  y  fit  construire  un  superbe 


1642]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  l']S 

projettes  pour  l'Orengerie  de  Luxembourg*.  Il  ne 
reste  qu'à  les  faire  exécuter  mais  auant  que  l'on  y 
comence  je  désire  absolument  que  le  marché  en  ait 
esté  arresté  parceque  ces  messes  les  peintres  se  rendent 
nos  maistres  après  qu'ils  ont  entamé  un  ouurageetje 
prétens  estre  tousiours  le  leur. 

Que  mons.  de  la  Noue  face  tel  essay  qu'il  voudra 
dans  son  cabinet  mais  absolument  je  ne  veux  point 
qu'il  comence  l'ouurage  que  le  deuis  n'en  ait  été 
arresté  et  le  prix  faict^ . 

De  Noyers. 

73.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(Bottari,  t.  I,  p.  3oo.) 

Desideravo  bene,  Illmo  e  Rev.  Sig.,  che  il  qua- 
dretto  del  Battesimo  di  Cristo  capitasse  in  mano  sua 
prontamente  e  sicuramente,  acciochè  con  questo 
mezzo  Ella  potesse  conoscere,  quanto  desidero  esser 
pronto  a  servire  il  mio  Sig.  e  Padrone  :  ma  d'altro 
canto  temero  la  comparsa  di  esso  avanti  agli  occhj 
suoi  tanto  delicati  nel  conoscere  le  cose  belle  ;  e  niente 
di  meno,  perch'  Ella  mi  ha  onorato  tante  volte  di 
pigliarsi  qualche  diletto  nelle  cose  fatte  di  mia  mano, 
non  ho  ardito  tanto  questa  volta,  che  io  mi  sia  potuto 
promettere  il  medesimo  di  questa,  ancorchè  ho  usato, 
di  quella  diligenza,  che  ho  potuto  migliore,  acciô  l'o- 

château  (1547)  "tI^^  Henri  IV  donna  à  Gabrielle  d'Estrées  et 
dont  quelques  restes  subsistent  encore.  —  Louis  XIII  se  trou- 
vait alors  à  Monceaux;  il  y  était  encore  le  10  septembre  1642. 

1.  Poussin  avait  déjà  été  employé  aux  travaux  du  Luxem- 
bourg en  1621  (voir  Avenel,  Corresp.  de  Richelieu,  1. 1,  p.  675). 

2.  L'addition  et  le  prix  faict  est  de  la  main  de  M.  de  Noyers 
et  ajoutée  par  lui  quand  il  a  signé  la  lettre  qu'il  venait  de 
dicter  à  un  secrétaire. 


176  CORRESPONDANCE  [1642 

pera  riuscisse  almeno  al  pari  di  qualchuna  di  quelle, 
che  ella  tiene  in  casa  :  ma  il  cielo,  sotto  il  quale  è 
stata  fatta,  mi  fa  dubitare,  che  ella  non  sia  stata  grata 
agli  occhi  suoi  corne  l'altre  già  fatte,  ma  se  parago- 
nandola  colle  suddette  paja  a  V.  S.  che  s'accompagni 
bene,  me  ne  rallegrero  sempre,  ed  a  me  farà  occasione 
di  ardimento  a  continuare  nel  cercare  i  mezzi  di  ser- 
virla  come  ardentemente  desidero.  Le  bacio  le  mani 
devotissimamente,  e  le  resto  eternamente  umilissimo 
servitore. 
Di  Parigi  5.  Settembre  1642. 

Nicolô  Poussin. 

Je  désirais  bien,  HW^  et  R»^  Seig%  que  le  petit 
tableau  du  Baptême  du  Christ  arrivât  dans  vos  mains 
promptement  et  sûrement,  afin  que  vous  puissiez 
reconnaître  par  là  combien  je  désire  être  empressé  à 
servir  mon  Seig^  et  Maître,  mais  d'un  autre  côté  je 
redoutais  sa  comparution  devant  vos  yeux,  si  délicats 
dans  la  connaissance  des  belles  choses,  et  néanmoins 
que  V.  S.  m'ait  tant  de  fois  fait  l'honneur  de  prendre 
quelque  plaisir  aux  travaux  de  ma  main,  je  n'ai  pas 
eu  cette  fois  la  hardiesse  de  m'en  promettre  autant, 
bien  que  j'ai  apporté  mes  meilleurs  soins  pour  que 
l'œuvre  réussisse  au  moins  à  l'égal  de  toutes  celles 
que  vous  avez  chez  vous.  Mais  le  ciel,  sous  lequel 
elle  fût  faite,  me  fait  douter  qu'elle  soit  aussi  agréable 
à  vos  yeux  que  les  autres  déjà  faites.  Cependant  s'il 
semble  à  V.  S.,  en  la  comparant  aux  susdites,  qu'elles 
vont  bien  ensemble,  je  m'en  réjouirai  toujours,  et  ce 
me  sera  une  occasion  de  m'enhardir  à  continuer  de 
chercher  les  moyens  de  servir  V.  S.  comme  je  le 
désire  ardemment.  Je  lui  baise  les  mains  très  afifec- 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I77 

tueusement,  et  je  reste  éternellement  son  très  humble 
serviteur 

Nicolas  Poussin 
De  Paris  5  septembre  1642. 

74.  —  Poussin  a  Cass.  del  Pozzo. 

(British  Muséum  1.) 

Illustrissimo  et  Reud™°  Sig.  Mio. 
Ho  auuto  per  un  largo  dono  la  lettere  di  VS:  Illus'Pf 
nel  20.  Agosto  hauendo  inteso  da  quella  come  il  qua- 
dretto  del  battessimo  di  Christo  le  sia  riuscito  second© 
l'aspettazione  chi  ella  ne  aueua,  ma  tanto  più  sarebbe 
stato  maggior  la  sodisfazione  mia,  se  la  cassetta  le 
fusse  stata  consegnata  dal  Coriero  in  quella  maniera 
che  hauero  ordinato  a  Monsieur  Stella,  il  quai  final- 
mente  mi  ha  seruito  maie  et  del  quale  non  ho  potuto 
cauere  altra  raggion  fino  adesso,  se  nô  che  stasse  sicuro 
che  la  sudetta  cassa  le  saria  portata  fidelmente,  e  che 
il  Coriero  non  haueua  voluto  denari  per  il  porto 
hauendo  egli  detto  di  volerla  portar  gratis  perche 
haueua  obbligation  particolare  a  VS  :  quelle  è  quanto 
n'ho  potuto  cauare.  Intorno  aile  copie  di  Raffaello, 
quando  le  mando  Monsieur  de  Chantelou  a  VS  :  lo 
pregai  di  far  in  maniera  che  le  fussino  presentate  con 
più  gratia  che  non  furono  li  ritratti,  ma  finalmente 
vedo  che  in  tutte  queste  cose  è  accaduto  quello  che 
meno  mi  pensauo,  pero  la  prego  humilmente  d'escu- 
sar  me  il  primo  e  creder  che  s'io  hauessi  potuto  trouar 

I.  Nous  publions  la  copie  envoyée  par  M.  Ch.  Ephrussi  à 
M.  de  Chennevières  en  1879.  L'original  appartenait  alors  à 
M.  Malcolm.  Il  est  actuellement  au  British  Muséum,  Add. 
Ms.  37772,  fol.  93  (renseignement  dû  à  l'obligeance  de  M.  War- 
rer,  conservateur).  Bottari  l'a  publiée,  t.  I,  p.  3oi. 

1911  12 


lyS  CORRESPONDANCE  [1642 

megliori  messi  intorno  aile  cose  che  concernano  il 
suo  gusto,  l'hauerei  adoprati  è  di  tutto  l'animo  mio. 
Hieri  mi  fu  resa  la  sua  deli  6*  Agosto,  alla  quale 
questa  mia  servira  anche  di  risposta,  no  sapendone  per 
adesso  che  dir  altro,  se  nQ  che  martedi  prossimo,  Iddio 
volendo,  mi  metterô  per  viaggio,  scriuero  à  VS  :  di 
Leone,  e  de  gli  altri  luoghi  dove  mi  ritrouerô,  cosi  lei 
sappia  che  per  tutto  doue  sarô  ella  hauerà  un  humi- 
lissimo  e  deuotissimo  seruitore  et  col  fine  gli  bagio 
riuerentemente  le  mani 

DIVS:  Ills«f  et  Rf? 
Humiliss»"  Serj'f 
Poussin. 
Di  Parigi  i8  Settembre,  1642. 

Mon  Seig''  lU»»*  et  R««. 
J'ai  tenu  pour  un  rare  présent  la  lettre  de  V.  S.  Ill™« 
du  20  Août^  qui  m'a  appris  que  le  petit  tableau  du  bap- 
tême du  Christ  a  réussi  auprès  de  vous  selon  l'attente 
que  vous  en  aviez  ;  mais  ma  satisfaction  eut  été  d'autant 
plus  grande,  si  la  caisse  avait  été  remise  au  Courrier 
de  la  façon  dont  je  l'avais  recommandée  à  Monsieur 
Stella,  qui  en  fin  de  compte  m'a  mal  servi,  et  dont  je 
n'ai  pu  tirer  jusqu'ici  d'autre  raison,  si  ce  n'est  qu'il 
était  assuré  que  la  caisse  vous  serait  fidèlement  por- 
tée, et  que  le  Courrier  n'avait  pas  voulu  d'argent 
pour  le  port,  disant  qu'il  le  voulait  porter  gratis  pour 
une  particulière  reconnaissance  qu'il  avait  envers  V.  S. 
Voilà  tout  ce  que  j'en  ai  pu  tirer.  Pour  les  copies  de 

1.  Bottari  a  lu  le  16. 

2.  «  M'  Poussin  qui  fut  ravi  avant  hier  que  je  lui  rendis 
votre  lettre  un  quart  d'heure  après  l'avoir  reçue;  il  vous  ido- 
lâtre, in  sumnna  tous  ceux  qui  ont  eu  l'honneur  de  vous  appro- 
cher. »  Bourdelot  à  Cass.  del  Pozzo,  12  septembre  1642. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I79 

Raphaël,  quand  M.  de  Chantelou  les  envoya  à  V.  S., 

je  le  priai  de  faire  en  sorte  qu'elles  fussent  offertes 

avec  plus  de  grâce  que  ne  le  furent  les  portraits,  mais 

enfin  je  vois  que  de  tout  cela  il  est  arrivé  ce  que  je 

pensais  le  moins.  Aussi  je  prie  humblement  V.  S.  de 

m'excuser,  tout  le  premier,  et  de  croire  que  si  j'eusse 

pu  trouver  de  meilleurs  moyens  pour  ce  qui  a  trait  à 

votre  plaisir,  je  les  aurais  employés  de  tout  mon  cœur. 

Hier  me  fut  remise  votre   lettre   du   6*  Août,  à 

laquelle  la  présente  va  servir  aussi  de  réponse,  car  je 

ne  sais  pour  le  moment  rien  vous  dire  de  plus,  sinon 

que  mardi  prochain  2,  si  Dieu  le  veut  bien,  je  me 

mettrai  en  voyage.  J'écrirai  de  Lyon  à  V.  S.  et  des 

autres  endroits  où  je  me  trouverai,  afin  qu'elle  sache 

que  partout  où  je  serai,  elle  aura  un  serviteur  très 

humble  et  très  dévoué,  et  pour  finir,  je  vous  baise 

humblement  les  mains. 

De  V.  S.  Ill"'  et  R«<= 

Le  très  humble  Ser"" 

Poussin. 
De  Paris  18  septembre  1642. 

75.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol*  74-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyers^  en  Court. 

[M.  Poussin  21^  Septembre  1642. 
Cette  lettre  contient  un  raisonnement  sur  les  des- 
seins faits  pour  la  chapelle  de  Dangu. 

1.  Bottari  a  lu  le  10. 

2.  Mardi  23  septembre  1642.  Richelieu,  de  retour  vers  Paris,         y 
descendait  la  Loire  de  Roanne  à  Briare. 


l8o  CORRESPONDANCE  [1642 

Il  prens  congé  de  moy  partant  pour  sen  retourner 
en  Italie^  dans  des  termes  qui  sont  plains  damour  et 
destime  singulière.] 

de  Paris  ce  21  Septembre  1642 
Monsieur 

Vendredi  au  soir^  je  repceus  vostre  lettre  auec  les 
desseins  de  la  Chapelle  de  Dangu.  Je  considérei  les 
dits  deseins  desquels  je  direi  librement  mon  oppinion 
sauf  toutefois  un  melieur  auis.  Celuy  de  M""  Le  Vau-' 
est  gentil  et  poli  en  tout  et  par  tout  la  différence  tou- 
tefois d'entre  celui  ci  et  celui  du  s""  Adam  est  fort 
petite  .  ayant  esté  peut  estre  abstreint  a  la  mesme 
chose  par  la  colloquation  de  la  porte  de  laditte  cha- 
pelle Lon  les  peut  egallement  estimer  pour  ce  qui 
touche  la  distribution  des  pilastres  mais  il  me  semble 
que  les  coulomnes  rondes  de  l'autel  de  m""  de  Vau 
ont  melieure  grâce  que  les  pilastres  qui  touchent 
l'autel  et  porte  le  frontispice  du  dessein  dudit  Adam 
marqué  B.  Mais  dautre  part  la  proportion  du  tableau 
du  dessein  dudit  Adam  est  plus  belle  et  plus  conno- 
dote  pour  i  dépeindre  quelque  chose  que  nest  celle 
dudit  Vau.  Pour  ce  qui  est  des  flanc  de  la  Chapelle 
il  me  semble  difiicille  de  pouuoir  faire  melieure  dis- 
tribution que  celle  quil  ont  fette  en  leurs  desseins 
marqués  X.  parce  que  i  voulans  mettre  les  pilastres 

1.  «  Il  partit  vers  la  fin  de  septembre  1642  et  arriva  à  Rome 
le  5.  Novembre  de  la  même  année  »  (Félibien,  p.  35).  Louis  XIII 
et  la  cour  séjournèrent  à  Livri,  près  Paris,  du  18  au  22,  selon 
la  Ga:{ette. 

2.  Vendredi  19  septembre  1642. 

3.  L'architecte  Louis  II  Le  Vau,  né  à  Paris  vers  161 3,  mort  le 
10  octobre  1670.  Il  devint  premier  architecte  du  roi.  Il  travailla 
beaucoup  aux  Tuileries  et  au  Louvre  et  construisit  l'hôtel 
Lambert,  les  bâtiments  neufs  de  Vincennes,  le  château  de 
Vaux  et  le  collège  des  Quatre-Nations  (auj.  l'Institut). 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  181 

adeus  adeus  comme  au  dessein  marqué  CH.  il  sensui- 
uoit  deus  inconueniens.  Le  premier  seroit  de  la  porte 
qui  se  trouueroit  toutte  d'un  costé  proche  dun  des 
deus  pilastres  et  de  lautre  il  resteroit  un  grand  espase 
vuide  qui  ne  seroit  pas  une  moindre  laideur  que  de 
voir  en  une  face  humaine  la  bouche  sur  la  jouée  au 
lieu  destre  au  milieu  du  visage  au  dessous  du  nés. 
Lautre  inconuénient  seroit  que  les  dits  pilastres  estans 
accouplés  l'espase  .A.  du  dessein  CH  nauroit  aucun 
raport  avec  lespase  .B.  ni  B.  avec  .C.  qui  sont  les 
deus  bouts  du  mur.  et  néanmoins  que  l'espace  .A 
soit  égal  à  celui  de  .G.  le  pilastre  Q.  nest  que^  demi 
et  ne  consour  en  nulle  manière  auec  les  deux  entiers 
.A.  Pour  ce  qui  touche  les  ornemens  des  interpil- 
lastres  il  me  semble  que  estans  canellés  et  riches  deux 
mesmes  il  se  faut  bien  garder  auec  la  confusion  des 
ornemens  de  guaster  leur  beauté  car  tels  incidens  ou 
parties  accessoire  ne  doiuent  estre  adaptés  aux 
œuures  les  parties  [des  quelles]  principales  desquelles 
sont  desià  belles  si  senest  auec  de  la  prudense  et  bon 
jugement  affin  que  par  iceus  il  leur  soit  aporté  de  la 
douceur  et  de  la  grâce.  Car  les  ornements  n'ont  esté 
inuentés  que  pour  modérer  une  certaine  sévérité  ^ 
qui  est  en  l'architetture  simple  Cest  pourquoy  il  ma 
semblé  quil  suffiroit  dorner  les  entrepilastres  de  la 
manière  que  je  les  ai  signés  au  dessein  marqué  .Z. 
qui  seroint  certaines  petites  tables  releuées  d'un 
poulce  ou  enuiron  avec  des  testes  de  Chérubins  au 
dessus  et  au  dessous  deus  petites  Cartelles  ployés  en 
forme  de  S  avec  une  coquille  qui  les  joint,  entre  les 
deus  petites  tables,  il  reste  le  lieu  dun  quadre  long 

I.  Que,  en  surcharge  du  mot  plus. 
2.tMot  en  marge. 


ifo  CORRESPONDANCE  [1642 

avec  sa  bordure  que  l'on  pourrait  délicatement  ^  en- 
tailler et  sur  le  fond.  Ion  i  ferait  des  figures  ou  de 
bas  relief  ou  de  peinture  qui  représenteroint  les  douze 
Apostres  se  trouuans  Justement  douze  interualles  ou 
entrepilastres.  Jei  communiqué  ma  pensé  au  s""  Adam 
quil  a  aprouuee.  pour  ce  qui  est  de  la  frise  un  foeil- 
lage  i  conviendra  forbien  pourueu  quil  soit  dassés 
bas  relief  afïîn  quil  reçoiue  moins  la  poudre  et  l'or- 
dure. Vous  aves  (Mo*")  fet  aporter  des  exemples  de 
Rome  qui  pouront  beaucoup  seruir.  Si  puis  après 
dieu  me  donne  la  grâce  de  retourner  sein  du  pais  la 
ou  je  vas.  Jestimerei  avoir  une  occasion  dignissime 
de  faire  les  desseins  de  l'ornement  de  la  vouste  avec 
tout  ce  qui  plaira  à  Monseigneur  et  à  vous  de  me 
commander. 

Je  joindre!  alla  présente  ces  deus  lignes  pour  vous 
suplier  de  croire  que  je  me  parts  disi  avec  grand 
regret  de  nauoir  pas  le  bonheur  de  vous  dire  adieu 
personnellement  et  en  prendre  congié  et  quil  faut  que 
une  feuille  de  papier  face  set  office  pourmoy^.  Mon- 
sieur je  vous  dis  donc  adieu.  Adieu  mon  cher  pro- 
tecteur adieu  l'unique  amateur  de  la  vertu  adieu  Cher 
Seigneur  qui  mérités  destre  honnoré  et  admiré,  adieu 
jusque  a  tant  que  dieu  me  donne  la  grâce  de  revoir 
vostre  bénigne  face.  Cependans  je  demeure 

Monsieur 
Vostre  treshumble  et 
très   obéissant   Serviteur 
Le  poussin. 
Je  vous  renuoye  les  desseins  affin  que  vous  les 
reconsidériés. 

1.  D'abord  écrit  :  déliquatement. 

2.  Chantelou  était  à  la  cour.  Le  10  septembre,  Louis  XIII 
séjournait  à  Monceaux. 


1642]  de  nicolas  poussin.  l83 

76.  —  Poussin  a  Chantelou'. 

Lyon  ce  22^  Nouembre  1642, 
Monsieur  et  Cher  patron. 
Je  vien  tout  présentement  de  reseuoir  la  lettre  de 
monsr  le  brun  laquelle  et  datte  du  cinquiesme  de  se 
mois  Je  ne  say  ou  Elle  peu  auoir  ettée  retenue  car 
Monsieur  dullieu  me  fait  la  faueur  de  me  faire  rendre 
mes  laittres  des  premiers  et  franche  il  faut  quelle 

77.  —  Poussin    a    Cass.    del    Pozzo. 

(Coll.  Alf.  Morrison'.) 

AU  111'^°  et  Rew^?  Sig^^  et  Pron 
mio  oss^°  il  Sig^  Abbate  di  Cauore 

In  Roma. 

Illmo  et  Reu'ï'.o  Sig.  mio 
Scrisse  à  VS:  Ill™f  délia  mia  partenza  di  Parigi 
come  ancora  del  mio  arriuo  in  Leone,  di  Auignone 
et  di  Marsilia  hauerei  fatto  il  medesimo  se  l'occa- 
sione  ni  si  fusse  trouata  adèsso  che  per  la  grazia 
d'Iddio  mi  ritrouo  in  Genoua  sano  et  disposto  l'in- 

1.  Ce  fragment  nous  est  signalé  par  M.  Alexis  Pitou,  agrégé 
des  lettres  au  lycée  de  Caen.  Il  a  été  publié  en  fac-similé  dans 
le  Magasin  pittoresque  de  i856,  p.  igS,  comme  un  «  ancien 
brouillon  de  lettre  »,  au  verso  duquel  Poussin  a  dessiné  deux 
esquisses  de  la  Conversion  de  saint  Paul  (voir  lettre  du  i5  mars 
i658).  Ce  papier  fut  communiqué  au  Magasin  par  M.  Des- 
perets. 

2.  Cette  date  du  fac-similé  est  fautive,  puisque  Félibien  dit 
expressément  (p.  35)  que  Poussin  «  arriva  à  Roma  le  5  no- 
vembre ».  De  plus,  novembre  ne  peut  pas  être  un  lapsus  pour 
octobre,  puisque  Poussin  écrit  de  Gênes  le  22  octobre,  —  ni 
pour  septembre,  puisque  le  21  septembre  il  se  trouve  encore  à 
Paris. 

3.  Lettre  inédite  communiquée  à  M.  de  Chennevières  par 
M.  Thibaudeau.  Aujourd'hui,  chez  M.  Alfred  Morrison,  Font- 
hill  House,  Wilts. 


184  CORRESPONDANCE  [1642 

drisso  questà  due  riglie  perché  questo  credo  esser 
molto  del  debito  mio  et  accio  ella  sappia  che  per 
tutto  doue  io  mi  ritrouo  puo  ben  credere  di  hauere 
(se  bene  debole  di  forza  almen  d'affetto)  il  più  feruente 
seruitore  di  qualunquè  se  gli  dedicasono  mai  per 
questo  rispetto  délia  mia  deuozione  la  prego  di  con- 
tinuarni  nel  honor  de  suoi  favori  et  col  fine  gli  bagio 
le  mani 

DI  :  VS  :  Ill-p?  e  Reu>r? 
Hum^o  Ser^« 
Nicolo  Poussin 
Di  Genoua  22  ottobre  1642. 

A  l'Ill^^  et  Rev^^  Seig^^  mon  Patron  très  honoré^ 
le  Seigf  Abb'é  de  Cavore,  à  Rome. 

Mon  Ill'î'f  et  Révns  Seig^ 
J'ai  écrit  à  V.  S.  IIH^  lors  de  mon  départ  de  Paris 
comme  encore  à  mon  arrivée  à  Lyon;  à  Avignon  et 
à  Marseille,  j'aurais  fait  de  même,  si  l'occasion  s'en 
fut  trouvée.  Aujourd'hui  que  par  la  grâce  de  Dieu, 
je  me  retrouve  à  Gènes  sain  et  dispos,  je  vous  adresse 
ces  deux  lignes,  que  je  crois  être  de  mon  devoir  strict 
et  afin  que  vous  sachiez  que  partout  où  je  me  trouve, 
vous  pouvez  bien  croire  avoir  le  plus  fervent  servi- 
teur de  tous  ceux  qui  se  donnèrent  à  vous  (bien  que 
débile  de  force,  au  moins  solide  d'affection);  par  ce 
respect  de  mon  dévouement,  je  vous  prie  de  me 
maintenir  dans  l'honneur  de  vos  faveurs,  et  enfin  je 
vous  baise  les  mains 

De  V.  S.  IIH^  et  R«e 
Le  très  humble  Ser"": 
Nicolas  Poussin. 
De  Gênes,  le  22  octobre  1642. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  l85 

78.  —  M.  DE  Noyers  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^ol-  1^-) 

[Monseigneur  26  nouemb  1642  '.] 

De  Paris  ce  26=  Nouemb.  1642^. 

Si  la  joie  que  j'ay  eiie  lorsque  j'ay  appris  v^  arri- 
uée  à  Thoulon^  a  esté  grande,  mes  alarmes  ne  l'ont 
pas  esté  moindres  lorsque  je  vous  ay  veu  ambarqué 
dans  cette  double  fuste"*,  car  ne  croies  pas  que  vostre 
persone  me  soit  moins  chère  que  tout  ce  que  vous 
portés,  quelque  prétieux  quil  soit.  Ainsy  je  n'aurai 
guères  de  repos  jusques  à  ce  que  j'aie  des  nouuelles 
de  v^e  arriuée  en  Terre  ferme.  Hastés  les  donc  je  vous 
prie,  et  m'en  faictes  scauoir  au  plus  tôt./ 

Ion  m'a  doné  aduis  de  faire  jetter  en  bronze  dès 
Rome^  les  basses  tailles  antiques,  dont  nous  tirons 

1.  Au-dessus  de  ce  sommaire  de  Chantelou,  on  lit,  d'une 
encre  plus  noire  : 

«  huit  pièces. 

«  Pour  Paul  Fréard  de  Chantelou  Gouverneur  de  la  ville  de 
Chasteauduloir  et  M"  d'hostel  ord"  du  Roy.  » 

Cette  indication  paraît  être  du  fils  de  M.  de  Noyers,  M.  de 
la  Boissière,  et  la  fonction  de  Chantelou  à  Château-du-Loir 
est  postérieure  à  son  mariage  (20  mars  i656). 

2.  Cette  lettre  est  écrite  tout  entière  de  la  main  de  M.  de 
Noyers. 

3.  Jal  cite  cette  dépêche  de  Louis  XIII  relative  au  départ  de 
Chantelou  pour  Lorette  (de  Fontainebleau,  le  i5  octobre 
1642)  : 

«  Monseigneur  le  bailly  de  Forbin,  le  sieur  de  Chantelou, 
l'un  de  mes  conseillers  et  secrétaires,  va  en  Italie  pour  faire 
quelques  présents  à  Sa  Sainteté  et  de  là  passer  à  Lorette  pour 
y  offrir  de  ma  part  un  don  que  j'y  faict  pour  recognoistre  la 
protection  spéciale  de  la  Vierge,  en  l'heureuse  naissance  de 
mon  fils  le  Dauphin...  »  (vieilles  arch.  de  la  Guerre,  vol.  LXX, 
pièce  264). 

4.  «  Une  petite  galiote  »,  selon  Jal. 

6.  M.  de  Chambray,  préface  du  Parallèle  de  l'architecture 
antique  et  de  la  moderne  :  «  Il  fit  former  plusieurs  figures  et 


l86  CORRESPONDANCE  [1642 

les  creux  en  piastre  pour  les  faire  puis  jetter  icy/  et 
je  m'y  range  volontiers,  pour  plusieurs  raisons/  Ces 
pièces  ne  seront  point  en  danger  destre  rompues  estant 
de  matière  solide/  Elles  ne  cousteront  pas  plus  tout 
compté  et  rabattu/  Que  s'il  se  rompt  quelque  chose 
en  tirant  les  Piastres  et  les  reparans  le  remède  est  aisé 
à  trouuer,  aiant  les  originaux  devant  les  ieux/  Ion  dit 
que  les  fondeurs  sculpteurs  sont  fourbes  et  trompeurs 
mais  vous  scaurés  bien  les  choisir  et  vous  précaut- 
tionner  contre  leurs  artifices.  Ainsi  j'incline  beau- 
coup à  cest  aduis;  J'en  remets  touttefois  la  résolution 
à  ce  que  vous  en  jugerez,  faittes  à  peu  près  le  compte 
de  ce  que  cela  coustera  et  me  l'enuoiés  afïin  que  par 
comparaison  nous  jugions  quel  party  nous  deburons 
prendre.  L'on  considère  le  risque  de  la  mer,  et  des 
ennemys  qui  seroit  sans  comparaison  plus  grand  ap- 
portans  des  bronzes  réparés  que  des  piastres/ 

Lon  met  en  compte  le  change  et  la  tare  des  monoies 
qui  enchérit  extrêmement  l'ouvrage. 

les  Appointements  d'un  homme  qu'il  faudra  char- 
ger du  soing  de  ces  ouurages  qui  seront  longs  à  faire/ 

Je  ne  vous  mande  point  que  M""  Stella  a  escrit  par 
deçà  que  M""  le  Poussin  ne  reviendrét  point,  que 
d'auës^  ne  tienent  tous  les  jours  de  semblables  dis- 
cours parce  que  je  le  croi  homme  d'honeur,  et  qu'il 
ne  vouldrois  pas  manquer  à  la  parole  qu'il  m'a  donée 


bas-reliefs  particulièrement  la  Flora  et  l'Hercule  du  Palais 
Farnèse,  duquel  il  y  a  présentement  un  ject  à  Paris;  deux 
autres  médailles  de  l'Arc  de  Constantin,  et  les  deux  colosses 
de  Montecaval  avec  leurs  chevaux,  ...  que  M.  de  Noyers  avoit 
dessein  de  faire  jetter  en  bronze  pour  les  placer  à  la  princi- 
pale entrée  du  Louvre.  » 
I.  d'autres. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  187 

sans  y  estre  forcé.  Il  suffit  que  je  vous  aduertisse  des 
bruits  de  deçà.  Le  Roy  a  chassé  Troisvile,  Tilladet, 
Beaupuy  la  Sale,  et  enuoié  des  Essarts  cap"^  des 
gardes  beaufrère  de  Troisuille  en  Piedmont^  le  tout 
à  cause  de  l'estroite  union  quils  auoient  tous  auec 
M""  le  Grand  et  cœt 

De  Noyers 
On  m'a  prié  de  vous  escrire  que  si  vous  pouués 
mener  à  Lorette  le  Père  d'Atichy  Jésuiste  sans  vous 
incommoder  vous  obligerés  grandement  ce  bon  Père, 
sans  permettre  qu'iP  parle  ni  quil  se  mesle  du  subiect 
de  vostre  voiage./ 

79.  —  M.  DE  Noyers  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  78-) 

[Mgr  24  décembre 
reçue  à  Rome  le  i4januier  1643.] 

De  S^  Germain  ce  24^  x^/  1642^ 
Jay  mieux  aimé  que  vous  ayes  sceu  d'ailleurs  la 


1.  Toujours  attentif  à  «  nettoyer  de  temps  en  temps  la  court 
des  esprits  mal  intentionné/  »  (Mémoire  pour  le  roi,  27  octobre 
1642).  Richelieu  exigea  et  obtint  (non  sans  peine)  le  renvoi  de 
ces  capitaines  des  gardes  (Troisville  était  lieutenant  de  mous- 
quetaires). «  Mardi  [25  novembre]  sur  le  soir,  le  roy  fit  appe- 
ler V...  et  Guitaut,  et  après  avoir  fait  retirer  tout  le  monde 
leur  dit  que  pour  certaines  considérations,  il  vouloit  que  Tré- 
ville,  Beaupuy,  Tilladet,  La  Salle  et  des  Essarts  se  retirassent  », 
écrivait  Henri  Arnauld  le  3o.  —  Ce  fut  le  dernier  triomphe  du 
cardinal;  le  vendredi  28  survenait  le  suprême  accès  du  mal 
qui  l'emporta  le  jeudi  suivant,  4  décembre  1642. 

2.  Ce  qui  suit  écrit  verticalement  et  en  marge. 

3.  Ces  mots  en  italique  sont  de  la  main  de  Noyers,  le  reste 
est  écrit  par  un  secrétaire. 


l88  CORRESPONDANCE  [1642 

funeste  nouuelle  de  la  mort  de  nostre  cher  maistre, 
le  souuenir  m'en  estant  si  cuisant  %  que  ie  suis  bien 
aise  de  ne  l'admettre  dans  mon  esprit,  que  pour  m'ex- 
citer  à  prier  Dieu  pour  son  repos  ^  tous  ceux  qui  l'ont 
aimé,  doiuent  auoir  incessamment  devant  les  yeux,  la 
grandeur  de  ses  pensées,  et  ne  rien  faire  qui  dégénère 
à  la  noblesse  des  desseins  qu'il  auoit  pour  la  gloire 
de  Dieu,  celle  du  Roy,  et  de  sa  Patrie,  aussy  sont  ce 
mes  plus  doux  entretiens,  et  rien  ne  m'occupe  plus 
suauement  que  l'espérance  de  les  suiure  toute  ma  vie, 
bien  que  de  loing.  ce  n'est  pas,  que  ie  ne  preuoye, 
quil  y  aura  des  difficultez  à  l'aduenir,  à  vaincre,  mais 
comme  elles  suiuent  d'ordinaire  les  belles  choses, 
ainsi  que^  l'ombre  fait  le  corps,  tant  s'en  faut  qu'elles 
m'estonnent,  qu'au  contraire,  elles  soustiennent  mon 
courage,  et  me  préparent  contre  des  obstacles,  peut 
estre  plus  grand,  que  nous  n'en  trouuerons  en  effect; 
assurez  en,  je  vous  prie,  Monsieur  le  Poussin,  Mon- 
sieur Piettre  de  Cortonne,  L'Algare*,  Monsieur  Fran- 
çois le  Flamand,  et  toute  la  troupe  des  vertueux,  sans 


1.  De  Noyers  était  présent  à  la  mort  de  Richelieu,  le  jeudi 
4  décembre  1642,  un  peu  après  midi,  au  Palais-Cardinal. 

2.  On  sait  la  piété  de  M.  de  Noyers.  Richelieu  la  jugeait  par- 
fois excessive,  car,  lisant  de  lui  des  pensées  pieuses,  peu  à  leur 
place  dans  les  lettres  d'affaires,  il  écrit  plaisamment,  le  9  sep- 
tembre 1641,  qu'il  «  se  béatifie  tous  les  jours  »  (Avenel,  Cor- 
resp.,  t.  VI,  p.  866). 

3.  De  Noyers  a  barré  comme,  écrit  par  le  secrétaire,  et  a 
ajouté  au-dessus  ainsi  que. 

4.  Alessandro  Algardi  (1602-1654),  sculpteur  bolonais.  Envoyé 
à  Rome  par  le  duc  de  Mantoue,  il  s'y  lia  notamment  avec  le 
Dominiquin  (fort  admiré  de  Poussin).  Il  s'est  distingué  dans 
les  sculptures  des  anciens  jardins  de  Salluste,  de  la  villa  du 
Belrespiro  (à  Camillo  Pamfili)  et  dans  la  décoration  de  nom- 
breux édifices. 


1642]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  189 

lesquels  il  faut  que  noz  plus  généreuses  résolutions 
auortent,  comme  celles  du  plus  noble  esprit,  qui 
informeroit  un  corps,  sans  mains,  et  sans  piedz; 
faites  moy  scauoir  au  plus  tost  ce  que  cette  déclara- 
tion aura  produit,  et  ce  quil  y  manquera,  pour  la 
rendre  féconde,  afin  que  iy  satisface  de  tout  mon  pou- 
uoir.  ne  me  mandez  pas  confusément  ce  que  vous 
aurez  reconneu  dans  les  mouuements  de  tous  cez 
messieurs,  mais  descendez  dans  le  détail,  et  m'escri- 
uez  bien  particulièrement  ce  qu'il  conuiendra  faire, 
pour  contenter  les  uns  et  les  autres,  ce  qu'il  faut  faire 
par  deçà,  ce  que  par  delà,  ce  que  monsieur  Le  Pous- 
sin désire  pour  les  accommodements  de  son  logis,  ce 
qu'il  désigne  pour  la  continuation  de  l'ouurage  de  la 
grand  gallerie^  la  variété  du  génie  francois  voulant 
quil  divise  le  corps  de  ce  grand  ouurage,  en  quatre 
parties,  et  que  les  ornements  de  chacune  soient  entie- 
rem*  différents  des  autres,  la  veiie,  à  ce  qu'ilz  disent, 
se  lassant  dans  une  si  longue  course,  d'obiets  si  non 
semblables  en  tout,  au  moins  en  la  pluspart 

Enuoyez  moy  une  ample  relation  de  tout  vostre 
voyage,  sans  y  obmettre  aucune  circumstance  tant 
soit  peu  considérable,  votre  arriuée  à  Rome,  vostre 
réception,  l'oblation  de  voz  présentz,  leur  agréement, 
leur  prisée,  l'estime  de  leur  valeur,  parlant  à  la  mode 
du  païs,  et  aprèz  auoir  amplement  déduict  ce  qui 
touche  Rome,  n'obmettez  pas  ce  qui  regardera  Lo- 
rette.  Couchez  y  voz  espérances,  touchant  les  riches 
trésors  de  vertu,  que  vous  espérez  remporter  en 
triomphe  auec  vous,  ce  que  vous  ferez  copier,  dans 

I.  De  Noyers  a  rectifié  un  lapsus  du  secrétaire  qui  avait 
écrit  :  la  continuation  de  la  grand  ouvrage  de  la  gallerie. 


190  CORRESPONDANCE  [1642 

les  ouurages  de  Raphaël,  pour  seruir  au  dessein  des 
tapisseries  Royalles,  et  quelles  autres  excellentes 
pièces,  pour  orner  et  enrichir  les  palais  de  noz  Roys. 
et  généralement  tout  ce  que  vous  scaurez  qui  pourra 
satisfaire  la  curiosité  des  esprits  les  moins  desraison- 
nables de  deçà 

Saluez,  ie  vous  prie,  en  mon  nom,  monsieur  le 
Poussin,  et  l'assurez  que  j'ay  pour  luy  toute  l'estime 
et  l'affection,  quil  peut  désirer  d'un  véritable  amy. 

Noubliez  pas  le  bon  monsieur  le  maire ^,  et  tous 
ceux  que  vous  estimerez  le  mériter. 

Visitez  de  ma  part  le  Reuerend  Père  General  des 
Jésuistes^,  et  l'assurez  de  mon  obéissance. 

Dites  luy,  que  monsieur  le  Cardinal  mazarin  me 
pria  hier  de  luy  escrire,  quil  estoit  de  sa  charité  pater- 
nelle, d'auoir  pitié  du  pauvre  Père  Caupony.  N^ou- 
bliés  pas  le  Père  Assistant  et  lui  dictes  que  mon  ^ele 
envers  la  Compagnie^  augmente  par  la  diminution 
de  ses  protecteurs  en  france  /  Mandés  moy  quand  je 
puis  espérer  de  vous  reuoir  et  vostre  compagnie.  Je 
prie  Dieu  que  ce  soit  hientost  car  ce  sera  tousiours 
trop  tard  pour  la  satisfaction  de  celui  qui  vous  aime/ 

De  Noyers. 


î.  «  Le  peintre  Lemaire  et  M.  de  la  Varenne  devaient  faire 
partie  de  cette  compagnie  de  M.  de  Chantelou  dont  parle  de 
Noyers  »  (Chardon,  Les  Fréart  de  Chantelou,  p.  53). 

2.  Mutio  Vitelleschi,  sixième  général  des  Jésuites,  élu  le 
i5  novembre  i6i5,  mort  le  9  février  1645. 

3.  Nous  laissons  à  Tallemant  des  Réaux  la  responsabilité  de 
l'affirmation  suivante  sur  de  Noyers  :  «  Il  avait  fait  les  vœux  de 

•^  jésuite  depuis  son  veuvage,  mais  il  était  exempt  de  porter  l'ha- 

bit et  de  vivre  autrement  qu'un  séculier  »  {Historiettes,  éd.  1834, 
t.  II,  p.  i5). 


1643]  de  nicolas  poussin.  iqi 

80.  —  Poussin    a    Chantelou    l'aîné. 
(Ms.  12347,  fol.  81.) 

A  Monsieur  De  Chantelou*  A  Paris*. 

De  Rome  Ce  premier  Jour  de  l'an  1643. 
Monsieur. 
Je  ne  sai  quel  Jugement  vous  ferés  de  moy  voulant 
faire  un  mestier  contraire  à  celui  que  je  proffesse 
Véritablement  j'aurois  usé  du  Silence  si  jeusse  creu 
auoir  satisfet  a  mon  debuoir  par  quelques  humbles 
Recommandations  que  je  vous  ai  fettes  par  les  Lettres 
que  jai  escriptes  à  monsieur  Remy  Vuibert'.  Mais 
sachans  bien  que  ce  naist  pas  assés.  Jei  quitté  le  pin- 
ceau pour  mettre  la  main  alla  plume  (Néanmoins  que 
se  soit  anticiper  sur  ce  qui  apartient  à  vous  seul)  e 
vous  adresser  ses  deus  lignes  vou  saluans  humble- 
ment par  icelles  et  vous  augurer  une  bonne  et  heu- 
reuse nouuelle  Anée.  il  est  vray  que  pour  cela  il  ne 

1.  Ce  «  M.  de  Chantelou,  à  Paris  »,  n'est  pas  notre  Paul  de 
Chantelou,  mais  son  frère  aîné  Jean  Fréart;  Poussin  a  oublié 
d'ajouter  «  l'aîné  »,  comme  il  fait  en  pareil  cas.  Paul  est  à 
Rome  depuis  la  fin  d'octobre  1642  jusqu'à  la  fin  de  mai  1643. 
Aussi,  pendant  ce  séjour  près  de  Poussin,  la  correspondance 
est-elle  suspendue.  —  Jean  Fréart  de  Chantelou,  l'aîné  des 
trois  frères,  né  au  Mans  le  i5  février  1604,  inhumé  le  26  oc- 
tobre 1674.  Conseiller  du  roi,  commissaire  provincial  en  Cham- 
pagne, Alsace  et  Lorraine;  élu  des  finances  au  Mans,  où  il 
vécut. 

2.  Lettre  très  bien  écrite,  comme  il  convient  à  une  lettre 
de  cérémonie,  à  l'occasion  du  i"  janvier. 

3.  «  Rémi  Vuibert,  peintre,  de  qui  nous  avons  la  Guérison 
d'un  possédé,  de  sa  composition,  et  dont  il  a  fait  une  eau-forte 
portant  la  date  de  1639.  »  Gault  de  Saint-Germain,  Les  tt-ois 
siècles  de  la  peinture  en  France.  Paris,  1808,  p.  44.  C'est  le 
«  M.  Rémy  »  dont  parle  Bourdelot  dans  sa  lettre  du  i"  mai 
1642  (voir  p.  i33). 


192  CORRESPONDANCE  [1643 

faut  estre  ni  grammairien  ni  grand  orateur,  que  si 

jestois  tel,  je  ne  ferois  autre  chose  que  vous  escrire 

pour  vous   persuader  de  me  commander  de  vous 

seruir  qui  est  tout  ce  que  je  désire  et  que  vous  croyés 

(Monsieur.)  que  toute  ma  vie  je  demeurerei  vostre 

trèshumble  seruiter 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et 
tresaffectionné  seruiteur 

Poussin 

81.  —  Mazarin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  83.) 

M.  de  Chantelou^  Rome. 

Monsieur  La  peinture  que  vous 

m'auez  enuoyée  de  mon  Palais  de  Rome^,  me  le 
représente  sans  doute  plus  beau  que  je  ne  l'auois 
trouué;  Mais  je  vous  puis  dire  outre  cela  qu'il  m'est 
plus  considérable  qu'il  nestoit  à  cause  du  séjour  que 
vous  y  faites.  C'est  la  chère  Retraite  que  j'auois  des- 
tinée pour  la  solitude  que  je  méditois  après  la  mort 
de  Monsieur  le  Cardinal  Duc,  et  c'est  où  j'auois  résolu 
d'aller  chercher  de  l'allégement  à  la  douleur  que  ma 
laissée  la  perte  de  ce  grand  homme.  Mais  l'affection 
qu'il  auoit  eiie  pour  moy  ayant  passé  les  bornes  de  sa 
vie,  l'obligea  de  prier  le  Roy  en  mourant  de  se  seruir 
de  moy  dans  la  conduite  de  ses  Affaires^.  Cet  hon- 

1.  Dès  le  21  décembre  1641,  M.  Boart  écrivait  :  «  L'on  croit 
icy  que  M.  le  Gard"'  Mazarin  viendra  bien  tost  habiter  le  beau 
Palais  qu'il  y  a  achepté...  » 

2.  Par  les  lettres  patentes  du  5  décembre  1642  (dès  le  lende- 
main de  la  mort  de  Richelieu),  Louis  XIII  annonçait  que 
«  Dieu  ayant  voulu  retirer  à  lui  notre  très-cher  et  très-aimé 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  ig3 

neur  que  i'ay  receu  de  Sa  Majesté  avec  tant  d'autres 
marques  de  sa  bonté,  m'arrestant  icy,  je  ne  puis  que 
je  ne  désire  qu'il  me  donne  le  moyen  de  vous  tesmoi- 
gner  l'estime  que  je  fais  de  vostre  personne,  et  de 
vous  faire  voir  par  effet  que  je  suis  véritablement 

Monsieur, 

Votre  très^  affectionné  à  vous  faire  seruice, 

Il  Gard'  Masarini. 
A  S'  Germain  en  Laye^  ce  22*  janvier  1643. 

82.  —  Testament  de  1643^  (traduction). 

Le  3o  avril  1643. 
Pour  l'illustre  M"  Nicolas  Pousin  (fils  de  M*  Jean, 
Français,  de  bonne  réputation),  bien  connu  de  moi, 
et  par  la  grâce  de  Dieu  Tout-puissant,  sain  d'esprit, 

cousin  le  cardinal-duc  de  Richelieu  »,  il  appelait  pour  le  rem- 
placer «  notre  très-cher  cousin  le  cardinal  Mazarini  »,  cela 
pour  le  bien  des  affaires  et  «  en  sorte  qu'il  n'y  aura  aucun 
changement  ». 

1.  Cette  lettre  a  été  dictée  à  un  secrétaire,  mais  Mazarin,  en 
la  signant,  a  eu  l'amabilité  de  renforcer  la  formule  finale;  le 
secrétaire  avait  écrit  :  votre  bien  affectionné  serviteur.  Mazarin 
a  barré  bien  et  a  écrit  au-dessus  le  mot  très. 

2.  La  cour  y  restera  jusqu'à  la  mort  de  Louis  XIII  (14  mai 
1643).  Il  est  déjà  fort  malade. 

3.  Ce  testament,  en  latin,  est  conservé  aux  Archives  urbaines 
de  Rome.  Il  n'en  a  pas  été  parlé  dans  les  publications  fran- 
çaises relatives  à  Poussin,  bien  qu'il  soit  imprimé  (avec  les 
etc.),  depuis  1886,  dans  le  livre  touffu,  mais  inégal,  de  A.  Ber- 
tolotti,  Artisti  francesi  in  Roma,  p.  108.  M"*  Em.  F.  S.  Patti- 
son,  à  qui  Bertolotti  l'avait  communiqué,  y  a  fait  allusion 
dans  un  article  de  l'Art,  1882,  p.  121.  —  A.  Bertolotti  le  porte 
comme  ex,trait  des  Testaments  de  Jacob  Pizzutus,  années  1640- 
1644.  Nous  n'avons  pas  reproduit  le  texte  latin,  qui  est  plein 
de  fautes,  dont  beaucoup  sont  évidentes  :  nobilibus  pour  mobi- 
libus,  Dugnet  pour  Duguet,  el  esse  pour  et  esse,  etc.  Nous 
verrons,  à  propos  du  testament  de  i665,  que  rien  n'égalait  la 
négligence  des  scribes  en  matière  d'orthographe,  même  des 
noms  propres. 

1911  i3 


r 


194  CORRESPONDANCE  [1643 

de  sens,  de  la  vue,  de  l'ouïe,  de  la  parole,  de  l'intelli- 
gence et  du  corps; 

lequel,  craignant  le  fait  de  sa  mort  future  (car  rien 
n'est  plus  sûr  que  la  mort,  et  rien  plus  incertain  que 
son  moment),  et  ne  voulant  pas  mourir  intestat,  ni 
qu'entre  ses  descendants  et  héritiers  surgisse  quelque 
procès  ou  différend,  a  fait  ce  présent  dernier  testa- 
ment, dit  en  droit  civil  nuncupatif  et  non  écrit  de  sa 
main',  de  la  façon  et  dans  la  forme  qui  suit  : 

Commençant  donc  par  l'âme,  comme  plus  noble 
et  plus  digne  que  le  corps,  et  devant  être  mise  avant 
toutes  les  choses  humaines,  il  la  recommande,  avec 
piété  et  dévotion,  au  suprême  créateur  de  toutes 
choses,  à  la  Très  Glorieuse  Mère  Marie,  à  toute  la 
cour  céleste  et  triomphante^; 

Et  il  veut  que  son  corps,  après  que  l'âme  en  aura 
été  séparée  par  la  volonté  divine,  soit  inhumé  dans 
la  vénérable  Eglise  paroissiale  du  lieu  où  ledit  testa- 
teur aura  passé  à  une  autre  vie,  et  il  laisse  pour  la 
sépulture  à  cette  église,  etc. 

De  tous  ses  biens  tant  meubles  qu'immeubles, 
créances  et  actions  universelles,  déposés  et  existants 
en  quelque  lieu  et  sous  quelque  mention  que  ce 
soit...,  il  fait,  institue  et  désigne  de  sa  propre 
bouche,  pour  sa  légataire  universelle,  l'ill.  dame 
Anne-Marie  Duguet,  sa  femme,  à  laquelle  il  laisse 

1.  La  formule  italienne  nuncupativo  sen:{a  scr/«/ désigne  un 
mode  testamentaire  qui  serait  nul  aujourd'hui.  Le  testament 
nuncupatif  était  l'enregistrement,  par  la  main  d'un  notaire, 
des  déclarations  verbales  que  le  testateur,  généralement  inca- 
pable d'écrire  ou  de  signer,  lui  dictait,  en  présence  de  sept 
témoins  (dont  on  lira  les  noms  à  la  fin  du  testament). 

2.  Ce  paragraphe  est  la  copie  d'une  formule  usuelle,  non  l'ex- 
pression d'une  foi  personnelle.  On  le  retrouvera  presque  exac- 
tement dans  le  testament  du  21  septembre  i665. 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  igS 

tous  ses  biens,  à  charge  de  payer  1000  écus  à  M«  Jean 
Duguet^  propre  frère  de  lad.  Anne-Marie  et  2000  écus 
à  l'Illustre  Seigr  Ferdinand  del  Po:{:{o^  fils  de  l'Illustre 
Seig.  Charles  Antoine^  del  Po:{!{o; 

i5oo  écus  à  Barbara  et  Catherine  Cherabitto^  filles 
de  Sébastien,  neveu  de  lad.  Anne-Marie,  desquels 
3ooo  et  i5oo  écus,  légués  comme  ci-dessus,  la  dame 
Anne-Marie,  déjà  nommée  légataire  universelle,  doit 
garder  l'usufruit,  et  non  d'autres,  etc,  et  parce  que,  etc. 

Et  il  dit  que  ceci  est  son  dernier  testament  et  sa 
dernière  volonté,  lesquels  il  veut  qu'ils  valent  comme 
testament  nuncupatif  et  non  signé  de  sa  propre  main. 

Il  fait  exécuteur  de  ce  présent  dernier  testament  le 
Seig.  Charles  Antoine  del  Po^o,  à  qui  il  donne  une 
ample  autorisation,  etc. 

Fait  à  Rome  par  mon  ministère,  etc,  en  présence  de  : 

i<>  l'ill.  M«  loe  Antonio  Cincio,  fils  de  défunt  Marco, 
de  Tibur; 

2°.  l'ill.  Seig.  Antonio  Gattaio,  fils  de  défunt  Aris- 
tote,  Romain; 

3°.  M*  Julio  Siracchi,  de  Parme; 

4°.  l'ill.  M«  Andréa  Camillo,  de  Sancto-Gemino; 

5°  M^  Cesare...  Salusto,  de  Colle  Valentino; 

6°.  l'ill.  M^  Silvestre  Bontempo^,  citoyen  romain. 

7°.  M«  Sancte,  notable  florentin. 


1.  Carlo  Antonio  del  Pozzo  avait  épousé,  en  1627,  Téodora 
Costa,  nièce  de  l'évêque  de  Savone.  Leur  fils,  Ferdinand,  né 
en  i63o,  filleul  de  l'ambassadeur  de  Toscane,  succéda  à  son 
père  dans  la  commanderie  de  la  famille,  en  1661. 

2.  Ces  sept  noms  n'ont  jamais  été  prononcés  à  propos  de 
Poussin.  Nous  supposerions  que  ce  sont  des  noms  de  voisins 
qui  auront  eu  la.  complaisance  de  servir  de  témoins.  Le  nom 
de  Bontempo,  Bontemps,  pourrait  désigner  un  Français,  sans 
sa  qualité  énoncée  aussitôt  de  «  citoyen  romain  ». 


196  correspondance  [1643 

83.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  84-) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  où  quil  soit. 

[M.  Poussin  g^juin  1643. 

Il  fait  responce  à  la  lettre  que  je  luy  escriuis  de 
Turin. 

Cette  lettre  est  plaine  d'amitié  et  de  moralité.] 
de  Rome  ce  .9.  Juin  1643. 
Monsieur 

Vostre  trèschère  lettre  de  Turin  m'a  osté  d'une 
paine  non  commune  d'autans  que  depuis  vostre  dé- 
part «  de  Rome,  je  n'auois  point  entendu  de  nouuelles 
certaines  ni  de  l'aduansement  de  vostre  voyage  ny  de 
Testât  de  vostre  santé.  Maintenant  je  me  trouue 
l'ame  moins  inquiétée  néanmoins  qu'elle  ne  peut  pas 
retourner  en  sa  tranquillité  ordinaire  jusque  à  tant 
que  je  sois  certain  de  vostre  ariuée  à  Paris,  ausur- 
plus  ceux  de  qui  vous  estiés  l'apui  et  consolation 
estans  par  un  si  long  et  facheus  voyage  demeurés 
comme  orfelins  seront  acompagnés  de  la  tristesse 
jusques  à  tant  quil  vous  reuoyent  car  il  se  peuuent 
imaginer  les  dangiers  que  vous  aués  coureus  et  ne 
scauent  pas  que  par  l'aide  de  dieu  vous  aués  éuité 
les  plus  grands  dont  vous  pouuiés  estre  menasse. 
Le  bon  M^  de  La  Varane  et  le  cher  M^  Le  Maire 
seront  ceux  là  qui  plus  viuement  seront  touchés  de 
telles  apréhensions.  Le  danger  mesme  où  ils  se 
peuuent  trouuer  en  personne  est  assés  capable  pour 
les  affliger.  Je  remercie  dieu  de  m'auoir  préserué  de 
cette  paine  puisque  mesme  je  luse  prinse  en  vain.  La 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  I97 

mort  du  Roy^  et  la  retraictte  de  la  Cour  de  Monsei- 
gneur^  ont  esté  deus  choses  qui  musent  fet  mourir 
de  déplaisir  en  me  trouuans  en  mesme  temps  engagé 
den  un  long  voyage.  Je  vous  assure  (Monsieur)  que 
dans  la  commodité  de  ma  petite  maison^  et  den  le 
peu  de  repos  qu'il  a  pieu  à  dieu  me  prolonger  Je  nay 
peu  éuiter  un  certain  regret  qui  ma  percé  le  cœur 
jusque  au  vif  en  sorte  que  je  me  suis  trouué  ne  pou- 
voir reposer  ni  jour  ni  nuit.  Mais  à  la  fin  quoy  quil 
m'ariue.  je  me  résous  de  prendre  le  bien  et  supporter 
le  mal.  C'est  une  chose  si  commune  aux  hommes 
que  les  misères  et  disgrâces  que  je  m'émerueille  que 
les  hommes  d'esprit  s'en  fâchent  et  ne  s'en  ris  plustost 
que  d'en  soupirer.  Nous  n'auons  rien  en  propre  nous 
tenons  tout  à  louage. 

Néanmoins  que  les  disgrâces  susdittes  sointariuées 
en  peu  de  temps  et  quelle  soint  capable  de  mettre  le 
monde  sendessus  dessous  —  le  cher  M""  Remy  m'a 
escrit  quil  y  a  apparanse  que  les  choses  que  nous 
auons  commensées  pourrons  continuer "•.  Si  cela  est 

1.  Louis  XIII,  mort  à  Saint-Germain  le  14  mai  1643. 

2.  10  avril  1643.  —  Cette  disgrâce  était  l'effondrement  de 
l'avenir  administratif  des  Chantelou.  —  «  La  maladie  du  Roi 
augmentant  aussi  bien  que  le  crédit  du  cardinal  Mazarin,  Sa 
Majesté  donna  toute  sa  confiance  à  Chavigny;  Des  Noyers  ne 
le  put  souffrir.  Il  demanda  la  permission  de  se  retirer  ;  ce  qui 
lui  fut  accordé.  II  fit  en  cela  une  démarche  dont  il  eut  tout  le 
temps  de  se  repentir  »  {Mémoires  du  comte  de  Brienne,  collec- 
tion Michaud  et  Poujoulat,  t.  III,  m,  p.  76). 

3.  Les  registres  de  l'état  de  la  population  constatent  que  la 
maison  habitée  par  Poussin,  dans  la  via  Paulina,  maintenant 
via  Babuino,  est  celle  qui  porte  le  n°  79.  Il  y  demeura  de  1637 
à  sa  mort,  en  i665  (H.  Lemonnier,  Documents  sur  Poussin). 

4.  «  L'Imprimerie  royale  continue  et  la  peinture  de  la  Gale- 
rie du  Louvre,  quoyque  M.  de  Noyers  soit  disgracié...  Les 
gens  de  guerre  sont  bien  aise  de  sa  disgrâce,  mais  i  virtuosi 
stampatori,  pittori,  scultori,  muratori,  indoratori,  stucatori  le 


^ 


198  CORRESPONDANCE  [1643 

ainsy,  vous  scaués  à  vostre  départ  ce  que  je  vous  ay 
promis  et  comme  je  seray  tousiours  prest  à  obéir  et 
seruir  à  Monseigneur  et  à  vous.  Je  vous  auois  supplié 
longtemps  deuans  vostre  départ  de  Rome,  de  toucher 
un  mot  à  Monseigneur,  sur  ce  que  jay  aduancé 
quelque  fatigues  desquelles  je  nay  rien  repseu  —  et 
que  juse  bien  désiré  d'en  auoir  quelque  récompense 
sil  est  plu  audit  Monseigneur  de  le  faire.  Mai  je 
crois  que  une  infinité  de  choses  auront  esté  cause  que 
ma  requeste  n'aura  pas  eu  d'effet.  Maintenant  que 
vous  serés  auprès  de  Monseigneur*,  je  vous  supplie 
tresaffectueusement  de  vous  souuenir  de  moy  qui 
suis  icy  en  atendans  vos  commandements. 

Jay  veu  tous  ceux  qui  copient  à  farnèse^  et  leur  ay 
mostré  vos  lettres  ils  se  montrent  tous  fort  affection- 
nés à  vous  seruir  et  promettent  de  ne  rien  faire  autre 
jusques  à  tant  quil  vous  ayent  satisfet.  J'aurei  soin 
que  tout  aille  bien.  Jay  présenté  votre  lettre  à  Mon- 
sieur Errard^  qui  a  esté  raui  d'avoir  de  vos  nouuelles. 
J'atens  auec  impatiense  celle  que  vous  me  promettes 
de  paris  à  vostre  ariuée.  Je  vous  supplie  de  toute  mes 

regrettent.  J'ai  bien  peur  que  les  desseins  qu'il  avait  ne  con- 
^  tinuent  pas  avec  toute  la  chaleur  et  que  monsieur  Poussin  se 
■^     trouve  bien  où  il  est  et  che  ci  stia.  »  Bourdelot  à  Cass.  del 

Pozzo,  de  Paris,  18  avril  1643. 

1.  Dans  «  ce  château  de  Dangu,  si  cher  à  M.  de  Noyers,  qui 
allait  y  vivre  ses  tristes  années  de  disgrâce  politique,  dans 
une  solitude  charmée  par  les  plus  doctes  entretiens  sur  l'art 

X  antique  entre  Errard  et  Chambray,  et  les  nouvelles  de  Rome 
que  transmettait  à  Chantelou  la  correspondance  du  Poussin  ». 
Ph.  de  Chennevières,  La  peinture  française,  p.  288. 

2.  Le  palais  Farnèse  appartenait  toujours  à  la  famille  de  ce 
nom,  qui  l'avait  fait  construire  de  i53o  à  i58o,  et  possédait  le 
duché  de  Parme. 

3.  Charles  Errard  avait  reçu,  grâce  à  M.  de  Noyers,  le  bre- 
vet de  peintre  du  roi,  le  20  février  1643  (voir  Arch.  de  l'Art 
français,  t.  III,  p.  256). 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  I99 

forces  de  ne  changer  jamais  la  qualité  dont  il  vous 
plaist  m'honnorer  au  commensementde  vos  lettres  à 
cette  fin  que  je  m'en  glorifie  par  tout. 

Jei  fetvos  baisemains  à  Monsieur  le  Cheuallier  du 
Puis  qui  vous  les  rend  au  double  et  M""  son  frère  ausy 
il  ni  a  personne  qui  chérisse  '  tant  que  vous  et  vous 
seront  tousiours  obligés  et  affectionnés 
Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  seruiteur 

POUSSIN 

Je  baise  les  mains  à  Messieurs  vos  frères. 

84.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol-  86.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  en  Sa  Maison,  à  Paris. 

[M.  Poussin  2  2^  juin  1648. 

Cette  lettre  est  plaine  d'affection^ 
et  rend  compte  de  ce  que  je  faisois  faire  àfarne^e.] 

De  Rome  Ce  .22.  Juin  1643. 
Monsieur  et  Maistre 

après  m'auoir  honnoré  de  vos  nouuelles  et  de  vostre 
ariuée  à  Turin  par  la  vostre  du  21  du  passé  mainte- 
nant jay  repseu  une  double  faueur  par  celle  qu'il  vous 
a  pieu  m'escrire  de  Lyons,  je  vous  peus  dire  auec 
vérité  que  jay  esté  transporté  d'aise  quand  j'ay  sceu 
que  par  l'aide  de  dieu  vous  auiés  eschappé  les  dan- 
giers  que  vous  pouuiés  craindre,  et  je  m'assure  en- 

1.  Le  mot  chérisse  est  d'une  lecture  un  peu  douteuse. 

2.  Les  mots  pleine  d'affection  sont  rétablis  d'après  la  copie 
de  l'Institut,  car  ils  manquent  au  ms.  12347,  ^^  ^^^^  '^^  1^  page 
ayant  été  déchiré  postérieurement  à  1755.' 


200  CORRESPONDANCE  [1643 

quores  que^  vous  serés  ariué  à  Paris  et  fini  heureuse- 
ment vostre  longue  et  fâcheuse  course, 

Je  fis  response  à  vostre  première  ausi  tost  que  je 
l'eus  repceue.  Je  vous  assure  par  icelle  de  la  déuo- 
tion  que  j'auroi  toutte  ma  vie  devons  seruir.  mais  Je 
crains  que  vous  n'ayés  eu  agré  la  prière  que  je  vous 
fesois  touchans  mes  intérés  sans  vous  laisser  prendre 
halaine,  je  vous  en  demande  pardon.  La  promptitude 
que  jay  remarquée  en  vous  quand  vos  amis  vous  ont 
requis  de  quelque  faueur,  m'a  fet  croire  que  vous 
n'estiés  jamais  las  de  faire  plaisir,  Je  n'entends  pas 
pourtant  que  pour  la  prière  que  je  vous  ay  fette  vous 
vous  portiés  à  se  qui  vous  seroit  désagréable,  mais  si 
s'estoit  chose  que  auec  le  temps  et  l'occasion  vous 
pussiés  faire  je  vous  en  serei  grandement  obligé, 
néanmoins  mon  mal  est  de  la  qualité  de  la  bruslure 
à  qui  il  faut  incontinent  apliquer  le  médicament  pour 
en  estre  bientost  guaranti. 

Pourcequi  est  de  la  régense  de  la  Royne  Mère^,  et 
se  qui  c'est  passé  depuis  la  mort  du  Roy^  nous  en 
auons  eu  aduis,  l'on  dit  ausi  bubliquement  que  l'on 
prira  Monseigneur  de  retourner  en  Court"*.  Si  sela 
est  ainsi  je  prie  Dieu  de  tout  mon  coeur  que  se  soit  à 

1.  Poussin,  ayant  écrit  deux  fois  le  mot  que,  l'a  rayé  la 
seconde  fois,  en  se  relisant. 

2.  La  régence  fut  déclarée  au  Parlement  dans  le  lit  de  jus- 
tice du  18  mai  1643. 

3.  C'était  le  triomphe  de  la  cabale  des  Importants.  Anne 
d'Autriche  cédait  toujours  :  «  La  reine  est  si  bonne!  »  Le  jour 
où  Poussin  écrivit,  22  juin  1643,  on  célébra  les  funérailles  solen- 
nelles de  Louis  XIII  à  Saint-Denis. 

4.  M.  de  Noyers  intriguait  avec  la  cabale  des  Importants 
contre  Mazarin.  Selon  les  Mémoires  de  la  Châtre,  Anne  d'Au- 
triche «  assurait  à  M.  de  Vendôme  que,  deux  heures  après  la 
mort  du  roi,  elle  ferait  revenir  M.  de  Noyers  »  (éd.  Michaud, 
p.  280). 


1643]  BE    NICOLAS   POUSSIN.  201 

son  grand  honneur  et  contentement,  au  reste  Je  ne 
doubte  point  de  la  crainte  que  vous  aués  plustost  que 
de  la  joye  de  retourner  dans  les  embaras  de  la  Court. 
Le  repos  et  la  tranquillité  de  l'esprit  que  vous  pouués 
posséder  se  sont  des  biens  qui  n'ont  point  d'esgal. 

Finallement  vous  ne  debués  pas  mettre  la  perte  de 
ma  conuersation  au  nombre  d'un  seul  point  de  dis- 
grâce. C'est  bien  moy  qui  me  doibs  plaindre  de  ne 
jouyr  plus  de  vostre  douce  présense.  Mais  puis  quil 
est  ainsi,  à  mon  trèsgrand  déplaisir  je  me  consolerei 
si  jay  le  bonheur  de  vous  seruir.  Si  donc  (Monsieur) 
vous  cognoissés  en  moy  quelque  talent  qui  vous 
puisse  apporter  quelque  sorte  de  plaisir,  me  voisi  en 
atendans  vos  commandemens,  vous  assurant  bien 
que  je  vous  seruiray  de  tout  mon  cœur,  pour  cet  effet 
je  ne  m'engagerei  avec  personne  affin  de  demeurer  le 
vostre  tout  entier 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné 
seruiteur 

i»OUSSIN 

Mesieurs  vos  frères  trouueront  ici  mes  trèshumbles 
baisemains. 

Hier  au  matin  je  fus  à  Farnese  pour  voir  en  quel 
estât  estoint  vos  copies.  Celle  que  le  Sieur  mignard* 
a  entreprise  est  finie.  Le  S""  Le  Vieux^  en  a  fini  une 

1.  Pierre  Mignard,  né  à  Troyes,  7  novembre  1612,  mort  à 
Paris,  3o  mai  lôgS.  Ce  fameux  portraitiste,  qui  était  à  Rome 
depuis  i635,  s'était  signalé  par  le  portrait  d'Urbain  VIII  (voir 
la  Vie  de  Mignard^  par  l'abbé  de  Monville). 

2.  Ph.  de  Chennevières  {La  peinture  française,  p.  148)  a  par- 
ticulièrement étudié  cet  artiste  et  distingué  «  les  deux  quasi- 
homonymes  Reynaud  Le  Vieux  et  Claude  Le  Rieux  ou  De 
Rieux,  que  Quatremère  de  Quincy  avait  confondus  comme  à 
plaisir  ».  —  Ce  Le  Vieux  était  un  «  brave  Nîmois  »  {Ibid.). 


202  CORRESPONDANCE  [1643 

celle  qui  est  à  demi  corps  descouurant  un  petit  Crist 
qui  est  couché  sur  un  oreille.  M""  Le  Maire  a  fini  son 
dieu  de  pitié  du  Caracio.  M""  Errard  aura  bientôt  fini 
ses  portrais.  Le  Napolitain  na  pas  beaucoup  aduansé 
la  Vierge  du  Chat  Mais  il  promet  de  continuer  à  y 
trauailler.  Nocret^  a  esté  malade  de  sorte  quil  na  peu 
rien  finir.  Le  Vieux  a  esbauché  encore  la  Vierge  du 
Chat.  Le  tout  va  assés  raisonnablement  bien  et  chas- 
cun  s'efforsera  de  faire  le  mieux  quil  lui  sera  possible. 
Vous  me  manderés  sil  vous  plaist  ce  que  vous  désirés 
que  l'on  face.  — 

85.   —   Poussin    a    Chantelou. 
(Félibien,  éd.  i685,  t.  IV,  p.  290.) 

A  propos  du  Ravissement  de  S^  Paul  : 
«  Avant  que  de  le  commencer,  il  écrivit,  le  2  juillet 
1643,  à  M.  de  Chantelou. 

«  Qu'il  craignoit  que  sa  main  tremblante  ne  luy 
manquast  en  un  ouvrage  qui  devoit  accompagner 
celuy  de  RaphaeP.  Qu'il  avoit  de  la  peine  à  se 
résoudre  à  y  travailler  s'il  ne  luy  promettoit  que  son 
Tableau  ne  serviroit  que  de  couverture  à  celuy  de 

1.  Jean  Nocret,  né  à  Nancy  en  1617,  revint  de  Rome  en  1645; 
peintre  et  valet  de  chambre  du  roi,  10  décembre  1649,  P^i"  ^^ 
faveur  d'Anne  d'Autriche.  Ce  portraitiste  devint  ensuite  peintre 
de  Monsieur  et  décora  le  château  de  Saint-Cloud.  Mort  à  Paris 
le  II  novembre  1672  (voir  l'étude  de  E.  Meaume,  Jean  Nocret, 
1886). 

2.  Paul  de  Chantelou  avait  acquis,  à  Bologne,  la  Vision 
d'É^échiel  de  Raphaël  :  «  Le  tableau  acheté  par  M.  de  Chan- 
telou passait  alors  pour  l'original;  il  se  pourrait  très  bien, 
suivant  M.  Charles  Clément,  que  ce  fût  une  répétition  par 
Raphaël  lui-même  de  la  Vision  d'É:^échiel  de  la  galerie  Pitti. 
Il  se  trouve  aujourd'hui  chez  Sir  Thomas  Baring,  à  Stratton  » 
(Chardon,  Les  Fréart,  p.  81). 


1643]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  203 

Raphaël,  ou   du   moins   qu'il  ne  les   feroit  jamais 
paroistre  l'un  auprès  de  l'austre,  croyant  que  l'affec-        X" 
tion  qu'il  avoit  pour  lui  estoit  assez  grande  pour  ne 
permettre  pas  qu'il  receust  un  affront  ». 

86.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  881.) 

De  Rome  Ce  .4'ème  aust  1643. 
Monsieur 

J'ay  repseu  la  vostre  du  .g'^în^  Juillet  à  laquelle  je 
nay  pas  vouleu  manquer  de  respondre  comme  jay  fet 
à  toutte  celles  générallemf  quil  vous  a  pieu  m'escrire 
depuis  vostre  départ  de  Rome,  jusque  à  présent.  Jay 
repseu  comme  je  vous  ay  escrit  par  ma  dernière  la 
vostre  de  l'onsiesme  Juing  auec  une  lettre  de  change 
en  vertu  de  laquelle  (Ainsi  comme  vous  me  l'aués 
ordonné)  jay  repseu  huitcens  et  trentetrois  escus 
deux^  Jules  de  cette  monoye  de  Rome.  Sixcens  des- 
quels jay  déposés  au  banc  Sj  esprit.  Le  reste  je  le 
tiens  chés  moy  pour  auoir  plus  de  commodité  de 
faire  les  payemens  à  ceux  qui  ont  fini  quelque  choses 
de  celles  que  particulièrement  vous  me  recomman- 
dés. Jay  payé  le  S^  pietro  paulo  sculpteur  en  bois  des 
six  chandeliers  que  vous  luy  auiés  ordonnés,  pour  la 
somme  de  septantedeux  escus  et  demy  y  compris  la 
cornice  de  vostre  S',«  nous  auons  rabatu  douze  escus 
quil  auoit  eus  pour  arres. 

Jay  fet  prix  et  donné  des  auances  au  doreur  pour 

1.  Les  quatre  pages  de  la  lettre  sont  entièrement  remplies. 
Aussi  l'adresse  dut-elle  être  écrite  par  Poussin  sur  une  autre 
feuille,  qui  manque,  et  M.  de  Chantelou  n'a  pas  eu  de  place 
pour  écrire,  selon  son  habitude,  le  sommaire  de  la  lettre. 

2.  Deux  est  très  lisible  (Quatremère,  p.  124  :  dix). 


204  CORRESPONDANCE  [1643 

les  dorer  pour  la  somme  de  septante  écus  les  six.  il 
m'a  semblé  qui  réusiroint  plus  riches  de  les  faire  dorer 
entièrement  que  de  faire  quil  yen  eust  de  couleur  de 
cher,  cela  a  trop  de  son  pauure  homme  et  du  Sf'  de 
village.  J'aurei  l'œil  ouuer  affin  que  le  tout  se  face  dil- 
ligemment  et  comme  il  appartient.  Du  reste,  je  suis 
raui  que  vous  m'ayés  honnoré  de  cette  commission  et 
ne  la  cèderei  point  à  d'autres  sependans  que  j'y  pour- 
rai vasquer.  et  je  sais  bien  pourquoy. 

Monsieur  Errard  vous  a  escrit  que  tout  aloit  bien 
à  farnese  il  estvray.  Mais  non  pas  très  bien.  Car  pre- 
mièrement Mignar  ha  fet  sa  copie  différente  de  collo- 
ns de  l'original  autans  comme  il  y  a  du  jour  à  la  nuit. 
du  reste  sans  l'auoir  fet  voir  ni  à  moy  ni  à  Mon- 
sieur Errard.  il  se  l'est  retirée  chés  soy  là  où  il  la  fet 
coppier.  Du  reste  quand  je  luy  ay  demandé  le  pris  il 
m'a  dit  ne  la  pouuoir  pas  donner  à  moins  de  quatre- 
vins  escus  et  de  plus  quand  la  copie  seroit  finie  dens 
deux  mois  d'icy  Voilà  pour  celui  là  en  quel  estât  est 
la  chose 

Le  Vieux  a  fini  une  de  ses  coppies,  c'est  assauoir  la 
Vierge  à  micorps  qui  lèue  un  voile  de  dessus  son 
petit  Crist.  elle  est  coppiée  moyennemen  bien.  Ce- 
luylà  du  moins  s'acommode  alla  Raison  et  se  con- 
tente de  vintecinq  escus 

Le  Napolitain  Cique=^  est  celuy  de  tous  comme  je 
crois  qui  imitera  mieux  la  Vierge  surnommée  de  la 
gatta. 

Mais  il  est  si  Ions  que  c'est  une  mort,  elle  n'est  pas 

1.  Poussin  a  plutôt  écrit  :  S'  (seigneur)  que  5'  (saint)  de 
village. 

2.  C'est  Ciccio  francisé.  On  francisait  presque  tous  les  noms 
propres  :  les  Barberins  (Barberini),  Quérasque  (Cherasco), 
Mazarin,  Maldaquin,  etc. 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  205 

finie  à  la  moitié.  Nous  sommes  conuenus  de  pris  et 
compris  les  arres  quil  a  repseus  il  se  contentera  de 
septante  escus,  il  me  semble  que  ce  n'est  pas  trop 
pour  le  trauail  quil  y  a.  Le  susdit  Vieux  a  esbauché 
la  mesme  mais  il  ne  peut  y  trauailler  que  quant 
l'autre  l'aura  finie.  Je  donnerei  demain  un  peu  d'ar- 
gent au  dit  Gique  affin  de  l'obliger  à  promtement 
finir  l'ouurage  commensé.  Le  sieur  Nocret  fet  le 
diable  je  ne  sais  pourquoy  il  a  fini  la  vierge  à  des- 
tenpre  d'après  le  parmesan*  tellement  quellement. 
(Néanmoins  que  depuis  je  luy  ay  fet  retoucher  en 
plusieurs  lieux)  il  n'en  veut  rien  moins  de  trentecinq 
escus.  Et  se  qui  est  destrangement  fascheux  il  s'est 
mis  en  teste  de  ne  pas  finir  les  portrais  qu'il  a  com- 
mensés,  n'alegans  point  d'autres  escuses  sinon  quil 
trouue  à  gagner  dauantage  que  en  les  fesans  à  moins 
de  soisante  ou  septante  escus.  quand  à  moy  je  demeure 
muet  quand  je  vois  des  gens  de  ce  calibre  là  prétendre 
de  si  grandes  récompenses  de  ce  qui  font.  Il  me  des- 
plaist  extrêmement  que  deuans  que  vous  vous  soyés 
parti  vous  n'ayés  terminé  de  prix  auec  tous  ceux  que 
vous  employés;  maintenant  que  vous  estes  absent  et 
qui  voyent  quil  ni  a  que  moy  qui  procure  que  vos 
afîeres  aillent  à  vostre  satisfaction,  il  se  sont  secrète- 
ment accordés  se  voyant  es  mains  et  les  aduances  et 
l'œuure  de  tenir  bon  et  de  se  faire  et  courtiser  et  payer 
à  leur  mode. 

En  tout  cela  néanmoins  il  y  auroit  une  médiocre 
difficulté,  si  ce  n'estoit  que  je  ne  scais  pas  vostre 
volonté  ni  ne  peus  comprendre  en  quelle  manière 
vous  aués  fet  vostre  compte  Gela  fet  que  je  vas  fort 

I.  Francesco  di  Filippo  Mazzola,  surnommé  il  Parmegianino 
(n  janvier  1504-24  août  1540). 


206  CORRESPONDANCE  [1643 

reserué.  Car  vous  m'écriués  ainsy  :  l'argent  que  je 
vous  enuoye  seruira  pour  payer  les  copies  que  jay  fet 
faire  à  farnèse,  les  chandeliers,  le  tableau  de  S^  Pietro 
in  Montorio^  le  tableau  de  Fonligno^  et  les  quatres 
copies  de  chés  Monsieur  le  Cheuallier  du  puis  oultre 
qu'il  faudra  despenser  à  les  faire  porter  enquesse  et 
autres.  Vostre  manière  descrire  m'a  fet  penser  que 
vous  désiriés  peu  despenser  pour  chasque  chose.  Ce 
qui  fet  que  j'iray  ménageant  le  mieux  quil  me  sera 
possible  vostre  argent  sans  atendre  la  response  de 
celle  si  car  il  nia  personne  qui  vouleust  tant  atendre. 
Entre  toutte  les  choses  qui  se  passent  icy  touchant 
vos  affaires  merueilleuse^  est  la  strauaganse  du  Si- 
gneur  Chaperon*,  lequel  après  nous  auoir  remis  de 
Jour  à  autre,  et  n'ayans  jamais  vouleu  trauailler  pour 
vous  depuis  vostre  départ  jusques  à  maintenant  en 
fin  il  dit  quil  a  eu  lettres  de  Monsieur  Renard"  com- 
prinse  dens  celles  que  ledit  renard  a  escritte  à  mon- 
sieur Passart.  qui  disent  que  vous  aués  dit  tant  de 

1.  La  Transfiguration,  de  Raphaël,  qu'il  laissa  inachevée 
(i52o). 

2.  La  célèbre  Madone  de  Raphaël  (peinte  vers  i5ii),  alors 
dans  l'église  Sainte-Anne,  aujourd'hui  au  Musée  du  Vatican. 

3.  Poussin  avait  oublié  d'écrire  ce  mot  et,  en  se  relisant,  il 
l'a  ajouté  en  marge. 

4.  «  Nicolas  Chapron  de  Chasteaudun  n'a  pas  été  un  des 
moindres  élèves  de  Vouet  »  (Mariette,  Abecedario,  t.  I,  p.  354). 
—  «  Le  jeune  homme  qui  s'appelle  Chaperon  est  à  présent  à 
Rome;  il  donne  dans  la  manière  du  Poussin;  je  crois  qu'il 
réussira.  «  Bourdelot  à  Cass.  del  Pozzo,  28  août  1642.  —  Né  le 
19  octobre  1612,  mort  à  Rome  vers  i656. 

5.  Pierre  Renard  ou  Regnard,  dit  Saint-Malo,  «  homme 
d'esprit,  de  goût  et  d'intrigue  »,  selon  Bonnaffé,  Dict.  des 
amateurs,  p.  266  (qui  le  fait  mourir,  à  tort,  avant  1643).  Valet  de 
chambre  du  commandeur  de  Souvré,  garde  du  cabinet  des 
armes  du  roi,  l'un  des  correspondants  de  M""  de  Sablé;  célèbre 
par  son  fameux  jardin,  qui  était  le  rendez-vous  du  bel  air 
(terrasse  des  Tuileries).  •  •       .     , 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  2O7 

mal  de  luy  audit  Renard  que  vous  luy  aués  rendu 
d'ami  et  protecteur  quil  luy  estoit  anemi  desclaré,  et 
que  ce  n'estoit  pas  ce  quil  atendoit  de  vous  en  fin 
sous  se  faux  et  balourde  prétexte  il  a  en  tout  renonsé 
à  la  continuasion  de  l'œuure  si  bien  commensé.  Mais 
parceque  et  les  Moines  du  lieu  et  moy  et  Monsieur 
Errard  l'auons  prié  comme  à  jointe  mains  de  ne  * 
laisser  point  une  œuure  si  aduancée.  pour  des  fausses 
impressions,  et  celle  pour  laquelle  vous  auiés  des- 
pensé de  l'argent  et  employé  tous  vos  amis  de  par 
desà.  enfin  vaincu  il  a  dit  qu'il  en  auoit  perdu  le  goust 
et  quil  ne  scauoit  pour  qui  il  trauailloit  ni  à  quelle 
condision.  Nous  l'auons  prié  de  s'acommoder  du  prix 
et  se  mettre  à  quelque  raison.  Mais  nous  n'en  auons 
peu  tirer  que  une  demâde  qui  nous  a  fermé  la  bouche, 
disans  qu'il  ni  trauailleroit  jamais  à  moins  de  sissens 
escus  de  payement  et  que  il  vouloit  toucher  présen- 
tement deux  cents  escus.  en  fin  Je  nay  osé  rien  lui 
offrir  plus  de  cent  pistoles  dont  il  c'est  moqué  et  a  dit 
aux  Moines  quils  remisent  leur  tableau  à  sa  place 
sil  vouloient,  et  que  quand  pour  lui  quil  ni  trauail- 
leroit jamais.  Vous  pouués  ordonner  ce  que  vous 
voulés  que  l'on  face  de  Tesbauche  que  nous  laisse- 
rons chez  les  Moines  jusque  à  tant  que  nous  aurons 
de  vos  responses.  Nous  auions  pensé  de  chercher 
quelqu'un  qui  le  vouleust  finir  mais  nous  ne  trou- 
uons  personne  qui  veille  finir  les  choses  commencées 
par  un  autre  si  ce  n'estoit  des  copistes  à  la  dozeine 
qui  ne  feroint  rien  qui  vaille  oultre  que  les  Moines 
sudis  sont  extrêmement  las  d'atendre  et  en  toutte 
manière  veuUent  remettre  le  dit  tableau  en  son  lieu 
pour  les  quarante  heures  que  l'on  y  va  mettre,  et 
jurent  fort  et  ferme  que  jamais  plus  il  ne  souffrirons 


208  CORRESPONDANCE  [1643 

que  l'on  Poste  de  son  lieu.  Voilà  ce  qui  se  passe  autour 
de  cette  affere. 

Nous  ne  trouuons  personne  qui  veille  aller  copié 
le  tableau  de  Fonligno^ 

Monsieur  Le  Maire  aura  fini  un  de  ces  jours  le 
dieu  de  pitié  de  Farnese,  que  je  retirerei  quand  il 
sera  fet,  si  nous  nous  acommoderons  du  prix. 

Pour  Mf  Errard,  il  a  quasi  fini  les  portrais  qui 
seront  beaux  et  bien  imités^. 

Finallement  je  tacherei  d'acorder  tout  à  vostre 
aduantage  sans  atendre  d'autre  response  car  il  n'est 
pas  raisonnable  que  vous  perdiés  et  la  paine  que  vous 
aués  prise  et  l'argent  que  vous  aués  aduansé. 

Nous  chercherons  qui  vous  copira  bien  les  tableaux 
de  Mr  le  Cheuallier  du  puis,  auec  monsieur  Errard. 
sil  en  veut  prendre  la  paine  comme  je  crois  qu'il  le 
fera  plus  pour  l'amour  de  vous  que  pour  l'œuure. 

Quand  vous  m'aurés  enuoyé  la  mesure  de  vostre 
petit  tableau  de  Raphaël,  je  tascherei  à  vous  seruir  le 
mieux  qu'il  me  sera  possible^. 

Pour  ce  qui  est  de  mon  interest  je  n'en  parlerei 
jamais.  Je  vous  demande  pardon  de  ce  que  j'en  ai  dit. 

Monsieur,  vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  ser- 
uiteur 

Poussin. 

1.  Il  est  vrai  que  c'est  à  trente  bonnes  lieues  de  Rome,  en 
pleine  Ombrie,  et  que  les  chemins  étaient  peu  sûrs  (voir  l'as- 
sassinat d'un  courrier,  lettre  du  24  mars  1647). 

2.  Félibien  (p.  36)  dit  que  ce  sont  ceux  de  Léon  X  (par 
Raphaël). 

3.  La  fin  de  la  lettre,  qui  suit,  est  écrite  en  marge,  vertica- 
lement. 


1643]  de  nicolas  poussin.  2o9 

87.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  90.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  en  Sa  Maison. 

[M.  Poussin  25^  aoust  1643. 

Il  rend  compte  de  ce  que  je  Jesois  coppier  à  Rome 
quil  a  trouué  la  pensée  du  petit  S^  Pol^  et  me  promet 
que  sil  fait  quelque  chose  de  bon  goust  ce  sera  po\ 
moy.] 

De  Rome  Ce  vintecinq  aust  1643. 

Monsieur 
il  m'a  semblé  nécessaire  de  vous  aduertir  de  ce  qui 
se  passe  en  ces  quartiers  icy  touchant  les  choses  des- 
quelles vous  m'aués  donné  le  soin,  sans  atendre 
dauantage  affin  que  vous  puissiés  penser  à  donner 
ordre  à  ce  quil  ne  despend  point  de  ma  dilligense.  — 

Premièrement,  vous  estes  frustré  de  l'atente  que 
vous  auiés  non  seullement  de  la  coppie  en  petit  que 
vous  atendiés  du  tableau  de  S^  Pierre  in  Montorio 
mais  ausi  de  la  grande,  le  Sieur  ChapperO  ayans  de 
propos  délibéré  et  «  sans  aucun  subiect,  abandonné 
l'œuure.  Son  procédé  et  *  ses  menteries  ne  sont  point 
racontables.  Il  suffit  de  vous  dire  qu'il  est  si  impu- 
dent qu'il  chante  des  vers  diffamatoire  sur  le  subiect 
de  Monseigneur,  vous  pouués  bien  vous  imaginer 
d'où  cela  vient'.  Vous  me  ferez  scauoir  ce  que  vous 
voulés  que  l'on  face  de  l'esbauche.  laquelle  Je  ferei 
arester  et  desposer  entre  les  mains  des  Moynes  dudit 

I.  De  la  clientèle  de  Mazarin,  pense  H.  Chardon.  —  Dès  le 
18  avril  1643,  Bourdelot  écrivait  à  Cass.  del  Pozzo  :  «  Ils  ont 
déjà  fait  des  vers  sur  lui  [M.  de  Noyers]  depuis  son  éloigne- 
ment  par  lesquels  ils  le  jouent.  » 

1911  14 


2IO  CORRESPONDANCE  [1643 

S*  Pierre  lesquels  avec  grandissime  desplaisir  peuuent 
supporter  que  un  maraud  de  cette  estoflfe  vous  traitte 
si  mal.  Je  vous  assure  quil  ont  eu  toutte  la  patiense 
que^  humainement  il  se  peut  auoir  et  sil  voyoint  quil 
y  eust  espéranse  de  finir  l'oeuure  commensée  il  souf- 
friroint  pour  encore  un  long  temps  l'incommodité 
quil  ont  repsue  Jusque  à  présent,  mais  d'autans  quils 
voyent  que  ce  ne  seroit  faire  autre  chose  que  perdre 
le  temps  il  ont  délibéré  de  parler  au  Cardinal  Bar- 
barin  et  le  prier  quil  permette  quils  remettent  le 
tableau  en  son  lieu. 

Ceux  qui  coppient  à  Farnèse  ne  se  monstrent  pas 
plus  affectionnés  à  faire  leur  debuoir  que  Chaperon 
principalement  Nocret  Le  Maire  Le  Vieux  et  Mignard 
qui  tous  de  commun  accord  se  veulent  faire  payer  à 
leur  mode,  et  ne  veulent  pour  rien  faire  les  secondes 
coppies  quil  auoint  commensées. 

Je  ne  scais  pas  quelles  espéranses  vous  leurs  auiés 
donnés  mais  quand  il  ont  veu  la  chanse^  retournée, 
il  ont  tous  montré  les  dens  comme  chiens  enragés,  et 
ont  pris  plaisir  à  vous  mal  traitter  sil  ont  peu.  Se  qui 
m'a  contrains  de  m'acommoder  auec  eux  le  mieux 
que  jai  peu.  Et  en  fin  jay  retiré  de  leur  griffes,  la 
coppie  du  Dieu  de  Pitié  d'Annibal  Caragio  du  Maire^. 
la  Vierge  d'après  le  Parmesan  de  Nocret.  la  Vierge  à 
mi-corps  coppiée  du  Vieux,  les  portrais  de  Monsieur 
Errard.  vostre  portrait  de  la  coppie  fette  par  Nocret. 
Il  ne  reste  que  la  Vierge  du  Chat  que  le  Napolitain 
finit,  et  celle  de  Mignard  qui  retient  chez  lui  et  la  fet 

1.  Que  est  surchargé  en  che. 

2.  Mot  un  peu  douteux  :  c'est  plutôt  chanse  que  chose. 

3.  Cette  copie  est  visible  dans  l'église  Saint-Benoît  du  Mans, 
à  qui  elle  fut  donnée  en  1707  par  une  descendante  des  Chan- 
telou  (H.  Chardon,  Les  Fréart,  p.  76). 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  211 

coppier.  Vous  aurés  donc  une  coppie  de  chasque 
sorte  de  quoy  vous  vous  pourrés  contenter,  car  se 
n'est  pas  chose  que  vous  debuiés  beaucoup  souhetter 
que  d'en  auoir  des  doubles  coppies.  Je  n'estime  pas 
que  vostre  argent  y  fust  bien  employé,  vous  le  ver- 
res bien  par  celles  que  je  vous  enuoyrei  et  si  se  neust 
été  pour  ne  perdre  point  vos  arres  vostre  argent  eust 
été  ausi  bien  employé  à  autre  chose. 

Je  vous  ay  prié  par  ma  dernière  me  *  mander  *  ce 
que  vous  voulés  que  je  face  de  l'argent  qu'il  vous 
aduansera  et  que  personne  ne  vouloit  aler  coppier  à 
Fouligni. 

Jay  prié  fra  Jouanin'  de  vous  escrire  se  mot  pour 
confirmation  des  Strauaganses  de  Chaperon,  et  M""  Er- 
rard  vous  auroit  fet  le  mesme  si  se  n'eust  esté  son 
indisposition  :  il  a  eu  la  fiebure  quelque  jours  et  com- 
mense  à  se  porter  mieus.  Mais  cette  automne  il  vous 
en  dira  plus  de  bouche  que  je  n'en  scaurois  escrire 
en  huit  jours. 

Jay  trouué  la   pensée  de  vostre  Rauissement  de 
S'  Paul  et  la  sepmaine  prochaine  je  l'esbaucherei. 
Quant  ausy  j'aurei  fet  quelque  chose  de  bon  goust  je      >c 
vous  le  dédirei  n'ayans  point  d'autre  gloire  ni  de  plus 
grand  plaisir  que  de  vous  seruir. 

Nous  nous  consolons  dans  l'espéranse  du  Retour 
de  Monseigneur  que  nous  prions  à  dieu  qui  soit 
bien  tost  et  à  son  contentement  et  au  vostre.  Quand 
j'aurei  retiré  chés  moi  toutte  les  choses  que  vous 
désirés,  je  chercherei  bien  l'occasion  de  vous  les 
enuoyer  mais  si  vous  auiés  quelque  correspondanse 
à  Marseille  et  à  Lion  vous  fériés  bien  de  nous  en 
aduertir 

I.  Jean  Dughet,  beau-frère  de  Poussin,  et  son  homme  de 
confiance. 


212  CORRESPONDANCE  U^4^ 

pour  ce  qui  est  de  mon  costé  je  me  conseillerai  sur 

se  subiect  et  ferei  le  tout  auec  dilligense  et  soin  plus 

que  si  s'estoit  pour  moymesme,  sependans  je  demeure 

à  jamais 

Monsieur 

Votre  trèshumble  et  affectionné 

seruiteur 

POUSSIN 

88.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  92.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  en  sa  maison,  à  Paris. 

[M.  Poussin,  23^  Sep^"-'  1648. 

Mande  les  mesmes  choses  quaux  précédentes  tou- 
chans  les  coppies  de  Farnèie,  quil  est prest  définir  le 
S^  Paul,  que  si  les  cartons  de  la  gallerie  ne  l'occupent 
point  il  aura  moyen  de  me  seruir  avec  commodité, 
quil  se  sent  bien  dhumeur  de  faire  quelque  chose  de 

bon.] 

de  Rome  ce  23'«™^  Septembre.  1643. 

Monsieur 
J'ai  repseu  la  vostre  du  27'«^«  Aust  qui  me  con- 
firme ce  que  vous  m'auiés  desià  escript  par  vos  précé- 
dentes, desquelles  je  m'émerueille  que  vous  n'aués 
point  eu  de  response.  Je  nay  poutans  jamais  maqué 
de  vous  escrire  à  toutte  les  fois  que  jai  repseu  de  vos 
nouuelles  Je  vous  ay  par  plusieurs  fois  escript  ce  qui 
se  passoit  autour  de  vos  coppies  tant  de  farnèse 
comme  de  S^  Pierre  in  Montorio  de  sorte  que  il 
seroit  superflu  de  vous  en  dire  dauantage.  Je  n'atens 
autre  chose  pour  vous  les  enuoyer,  que  la  coppie  du 
Napolitain  et  les  Chandeliers  qui  ne  sont  pas  finis 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  2l3 

de  dorer.  J'eusse  esté  très  aise  sil  eust  esté  possible 
de  vous  enuoyer  le  tout  deuant  que  l'incommo- 
dité de  l'Hiuer  fust  venue,  mais  nous  auons  afaire  à 
du  monde  qui  ne  finit  jamais,  et  je  vous  jure  que  la 
solicitation  ni  sert  de  rien.  Jespère  pourtant  vers  la 
fin  de  ce  mois  d'auoir  la  susdite  coppie  et  les  Chan- 
deliers. Ausi  tost  que  je  les  aurei,  je  les  ferei  embal- 
ler auec  toutte  les  autres  choses  et  vous  les  ferai  tenir 
par  la  voye  la  plus  assurée. 

Je  vous  ay  fet  scauoir  comme  le  Sieur  Chapperon 
auoit  laissé  et  abandonné  la  coppie  du  tableau  de  la 
transfiguration.  Je  vous  jure  deuans  dieu  que  je  nay 
jamais  cogneu  un  homme  d'un  si  déshonneste  procé- 
der ni  le  moins  raisonnable  ni  le  plus  menteur. 

Je  crois  quil  vous  aura  fet  escrire  des  mensonges 
dont  il  est  le  père.  Mais  Monsieur  Errard  qui  scait 
une  bonne  partie  de  la  chose  et  qui  est  témoins 
comme  Ton  a  tasché  par  tout  moyens  de  le  bien  traic- 
ter,  vous  dira  de  bouche  tout  le  fet.  Je  crois  qu'il 
ariuera  à  Paris  plustost  que  la  présente,  il  vous  dira 
par  mesme  moyen  comme  Antoine  sculpteur'  s'est 
porté  enuers  vous  mesmement  il  vous  dira  se  quil  a 
fet  des  modelles  de  cire  que  vous  prétendiés  qui 
fussent  vostres. 

Pour  ce  qui  est  du  bon  Monsieur  Tibaut^  il  est  hon- 
neste  homme  et  fort  affectionné  à  vous  seruir  vous 
fettes  une  charité  de  luy  aider  des  vint  escus  que  vous 

I.  Cf.  sur  cet  obscur»  Antoine  sculpteur  »  la  lettre  suivante 
du  5  octobre  1643. 

2  Thibaut  Poissan,  né  à  Estrées,  envoyé  à  Rome  par  la 
protection  de  M.  de  Noyers  (1642),  mort  à  soixante-dix  ans  en 
1668.  —  «  C'est  le  sculpteur  à  tout  faire,  si  utile  dans  les 
siècles  de  grands  travaux  »  (Ph.  de  Chennevières,  la  Peinture 
française,  p.  202).  —  Voir  Guillet  de  Saint-Georges,  Mém.  de 
l'Acad.  de  peinture,  t.  I,  p.  319). 


214  CORRESPONDANCE  [1643 

m'ordonnes  que  je  luy  donne  il  ne  restera  pas  ingrat 
je  m'en  assure  bien.  Je  luy  ferei  scauoir  la  bonne 
volonté  que  vous  aués  pour  luy  et  les  espérances  que 
vous  luy  donnés  si  les  choses  des  bastimens  se  re- 
mettent. 

Je  ne  manquerei  pas  de  voir  le  signeur  Vitellesque 
et  tascherei  par  tous  moyens  d'auoirles  huit  bust  que 
vous  vistes  Je  scaurei  au  parauant  quel  moyen  il 
faudroit  tenir  pour  les  faire  sortir  et  pour  les  enuoyer. 

Si  Monsieur  Rémy  vous  aura  dit  quelque  chose 
touchant  mon  retour  il  ne  s'est  pas  trompé  car  j'irois 
au  bout  du  monde  pour  seruir  Monseigneur  et  pour 
vous  obéir  mais  je  ne  pourois  pas  si  tost  me  résoudre 
à  me  partir  ma  famé  estans  assés  mal  disposée  et  mon 
beaufrère  Jan^  a  vouleu  perdre  la  vue.  dont  il  n'est 
pas  enquore  bien  guary.  Si  je  vis  jusques  au  prin- 
X  temps  qui  vient  plus  volontiers  je  me  disposerei  au 
voyage.  Se  pendans  je  ne  scaurois  à  suffisance  remer- 
cier Monseigneur  des  offres  qui  me  va  fesant  et  de  ce 
quil  luy  plaira  me  conseruerle  logement  qui  m'a  esté 
donné  à  son  istanse  et  par  sa  bonté.  Je  luy  rens  une 
infinité  de  grâces  de  ces  témoignages  de  bonne  vo- 
lonté, et  à  vous  Monsieur  je  vous  suis  redeuable  de 
tans  de  faueurs. 

Les  coppies  de  chés  Monsieur  le  Cheuallier  du 
puis  ne  sont  pas  commensées.  Je  nay  trouué  que 
[fr]  françois  le  Napolitain  qui  m'ayt  promis  d'en  cop- 
pier  deux  la  Confirmation  et  l'extréme-oncion.  Mais 
j'apréhende  sa  longueur. 

Bientost  je  finiray  vostre  petit  rauissement  de  S' Paul 

I.  Jean  Dughet,  beau-frère  de  Poussin.  C'était  un  graveur 
estimé  (voir  Ph.  de  Chennevières ,  La  peinture  française, 
p.  296). 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  21 5 

et  incontinent  fini  je  vous  l'enuoyerei.  Si  les  cartons 
de  la  gallerie  ne  m'occupent  point  j'aurei  moyen  de 
vous  seruir  avec  commodité  Je  me  sens  bien  d'hu- 
meur à  faire  quelque  chose  de  bon.  Si  l'on  continue 
la  gallerie  ainsi  comme  me  le  mande  M""  Remy  et  que 
l'on  veille  que  je  mande  les  cartons  à  l'acoustumé  je 
le  ferei  volontiers  si  Monseigneur  en  est  content  car 
autrement  je  suis  bien  plus  content  de  m'employer  à 
faire  des  tableaux  où  jay  du  contentem*  et  du  plaisir 
joint  avec  l'utilité  que  jen  recois. 

L'oppinion  que  vous  aués  de  répéter  les  termes  qui 
sont  fets,  est  conforme  à  ce  que  j'auois  proposé  dès 
le  commensemi  Cela  estans  nous  pouuons  suiure  et 
promptement  et  facillem'  le  reste. 

J'atens  que  vous  m'ordonniés  ce  que  vous  voudrés 
que  je  face  de  l'argent  qui  vous  aduansera. 

Je  ne  me  souuiens  pour  maintenant  d'autre  chose 
qui  soit  besoin  de  vous  faire  scauoir.  Sinon  que 
toute  ma  vie  je  vous  demeurerei. 

Monsieur 
Vostre  treshumble  et  trèsobligé  seruiteur 

Poussin. 

89.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^^^'  94') 

A  Monsieur  de  Chantelou,  En  sa  Maison,  à  Paris. 

[M.  Poussin,  5e  oct.  1643. 

Il  enuoye  les  six  beaux  guéridons^  et  rend  compte 
de  diuerses  choses  que  je  lauoisprié  de  faire  à  Rome. 


1.  Le  mot  est  peu  lisible.  Nous  lisons  comme  le  copiste  de 
l'Institut  avait  lu. 


2l6  CORRESPONDANCE  [1643 

//  dit  quil  les  a  fait  faire  auec  diligence.] 

de  Rome  Ce  Cinquiesme  [Sept]  octobre  1643'. 
Monsieur 
pardonnes  moy  je  vous  supplie  si  jay  laissé  passé  un 
ordinaire  sans  faire  response  à  la  vostre  dernière  du 
3e°»e  septembre.  Il  est  vray  que  si  vous  mussiés  mandé 
par  icelle  quelque  chose  de  quoy  il  eust  faleu  incon- 
tinent en  mander  la  response  je  n'euse  pas  remis  la 
partie  à  cette  fois.  Le  bon  monsieur  Remy  m'auoit 
prié  de  luy  enuoyer  deux  desseins  de  deus^  médalles 
de  celles  qui  sont  dépeintes  sur  les  fenestres  de  la 
gallerie  entre  les  termes.  Afïin  que  par  ce  moyen  il 
peut  acomplir  la  disiesme  pontée.  Cela  m'ocupa  en 
telle  manière  que  je  ne  sceus  vous  escrire  au  long  ce 
quil  faut  que  je  vous  face  scauoir.  Et  néanmoins  que 
maintenant  vous  aurés  repseu  toutte  les  lettres  que  je 
vous  ay  escriptes  et  que  vous  scaurés  comme  les 
choses  que  vous  auiés  ordonnées  icy  sont  réusies 
pour  plus  de  certitude  je  vous  en  redirei  deux  mots. 

Je  nay  peu  auoir  de  ceus  qui  copioint  à  farnèse 
autre  que  une  seulle  coppie  de  chasque  original, 
quoy  que  jaye  traicté  auec  eux  auec  le  melieur  moyen 
que  jay  peu.  enfin  il  a  falu  passer  par  où  il  ont  vou- 
leu.  mais  je  vous  prie  ne  désirés  point  dauantage  ce 
qui  vous  eust  apporté  plus  de  desplaisir  que  de  con- 
tentement. Du  reste  vous  n'aués  point  du  dessous  en 
cette  affere  là. 

Pour  ce  qui  est  de  Chapperon  il  vous  a  fet  escrire 

1.  Les  4  de  Poussin  ressemblent  fort  à  des  9.  C'est,  comme 
on  le  verra  plus  loin,  ce  qui  a  fait  mal  lire  la  date  de  la  lettre 
du  i5  mai  1645. 

2.  Le  mot  deux,  écrit  par  Poussin  différemment,  à  si  peu 
d'intervalle,  nous  indique  combien  peu  il  se  souciait  de  l'or- 
thographe. 


1643]  BE    NICOLAS   POUSSIN.  217 

ainsy  comme  je  crois  vous  verres  ce  qu'il  désire  de 
vous  et  vous  me  dires  ce  que  vous  voulés  que  je  face. 
Les  bons  Moines  ont  eut  patiense  jusque  à  cet  heure 
et  n'ont  pas  enquore  remis  leur  tableau.  Mais  il  en 
faut  remercier  la  fortune  d'autans  que  dedens  les 
afferes  qui  courent  il  n'oseroint  en  parler  au  Cardi- 
nal Barberin'  qui  difficilement  leur  donneroit  au- 
diense  ayans  maintenans  assés  de  quoy  s'entretenir. 
Il  disent  quil  atende  vostre  resolution.  Il  ont  en  dé- 
pos  la  coppie  que  ledit  Chapperon  a  tasché  de  retirer 
telle  quelle  est  mais  il  c'est  trompé,  il  semble  que 
maintenant  il  luy  fasche  d'auoir  conduit  l'œuure  si 
auant  et  en  demeurer  là.  Mais  c'est  le  mauuais  conseil 
quil  a  pris  qui  en  est  cause.  Quand  pour  moy  je  nay 
jamais  congneu  un  serueau  comme  celuy  là  car  il  n'a 
aucune  çaison  et  tout  les  jours  du  changement  et  de 
la  bigearie.  et  ce  que  il  afirme  auiourdhuy  demain  il 
le  nie  efrontément  quand  ily  auroit  eu  cent  témoins. 
Pour  le  sieur  Ciche.  tant  de  promesse  que  l'on  veut 
il  en  donne  mais  les  effets  sont  bien  rare.  L'on  n'en 
scauroit  auoir  la  fin.  c'est  son  procédé  avec  tout  le 
monde  particulièrement  auec  ceux  qui  le  traicte  bien. 
Il  n'a  point  fini  encore  sa  coppie  et  il  ni  a  que  luy 
seul  qui  empesche  que  je  ne  vous  enuoye  ce  que  jay 
de  fet.  Auiourdhuy  j'ay  f et  enquaisser  vos  six  beaux 
chandeliers  auec  la  corniche  de  teste.  J'ay  fet  faire 

I.  Francesco  Barberini  (1597-1679),  le  fondateur  de  la  biblio- 
thèque Barberine.  C'est  pour  lui  que  Poussin  avait  peint  la  jC 
Mort  de  Germanicus.  —  Les  Barberini  avaient  poussé  leur 
oncle  Urbain  VIII  à  confisquer  Castro  (bourg  fortifié,  à 
l'ouest  de  Viterbe),  que  le  duc  de  Parme,  Odoardo  Farnèse, 
lui  avait  engagé  pour  hypothèque  de  dettes  contractées  à  Rome. 
De  là  une  guerre  (la  première  guerre  de  Castro)  entre  le  pape 
et  le  duc  de  Parme,  soutenu  par  Venise,  la  Toscane  et  le  duc 
de  Modène,  qui  s'étaient  ligués  le  3i  août  1642. 


ai8  CORRESPONDANCE  [1643 

le  tout  auec  dilligense^ .  Incontinent  que  ledit  Ciche 
aura  fini  je  ferai  enquaisser  vos  tableaux  et  vostre 
portrait  de  cire,  et  vous  manderei  le  tout  par  la 
melieure  et  la  plus  commode  occasion  qui  se  présen- 
tera. Je  vous  ay  escrit  que  M""  Antoine  est  parti  dicy 
sans  faire  bruit  et  ne  m'a  rien  laissé  de  ses  modelles. 
Monsieur  Errard  vous  racontera  comme  va  l'affaire. 
Pour  Monsieur  Thibaut  il  mérite  que  l'on  luy  face  du 
bien  vous  l'aués  ressucité  tans  par  les  vint  escus  que 
vous  voulés  que  je  luy  paye  comme  par  les  témoi- 
gnages que  vous  luy  montrés  de  l'affection  que  vous 
aués  pour  luy  il  vous  remerciera  par  lettres  et  vous 
seruira  en  effet  si  vous  luy  commandés  il  fait  bien  de 
demourer  encore  icy  au  moins  une  Anée.  Je  vous 
assure  quil  a  fet  grand  proffit  en  peut  de  temps. 

Le  Signeur  Vitelleschi  est  hors  de  Rome  pour 
jusques  au  vintiesme  de  ce  mois  si  tost  quil  sera 
retourné  je  l'iray  voir  pour  ce  que  vous  scaués.  Les 
coppies  de  Monsieur  le  Cheuallier  du  puis  ne  sont 
point  commencées  faute  de  trouuer  quelqun  qui 
sache  imiter  ayés  patiense  je  chercherei  tant  que  je 
trouuerei  quelqun. 

Je  vous  ay  fet  scauoir  que  il  vous  aduancera 
de  l'argent  J'atens  vostre  response  et  vos  ordres, 
néanmoins  quand  les  coppies  de  chés  Monsieur  le 
Cheuallier  du  puis  seront  paiées  ce  qui  aduansera  ne 
sera  pas  grand  chose.  Quand  j'aurei  fet  enquaisser 
toutte  les  choses  que  jay  présentement  à  vous  et  que 
je  les  aurei  consignées  je  vous  en  donnerei  entière 
relation  et  vous  manderei  vos  comptes  à  celle  fin  que 
vous  sachiés  au  juste  ce  qui  vous  aduansera.  incon- 

I.  Poussin  a  souligné  toute  cette  phrase,  à  partir  du  mot  : 
Auiourdhuy. 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  2I9 

tinent  que  j'aurei  mis  en  ordre  un  petit  tableau  que  je 
commense,  je  mettrei  la  main  au  petit  rauissement 
de  S'  Paul  et  quand  il  sera  fet  je  vous  le  ferei  tenir 
par  la  voye  du  courrier  d'autans  quil  sera  assés  por- 
tatif \  Si  monsieur  Rémy  vous  a  dit  quelque  chose 
de  mon  retour  ce  que  je  luy  en  ei  peu  dire  n'a  esté 
que  pour  entretenir  ceux  qui  font  l'amour  à  la  mai- 
son du  Jardin  des  Thiiilleries  car  mon  cher  maistre 
à  vous  dire  la  vérité  estant  absent  Monseigneur  de  la 
Cour  je  ne  scaurois  pourquoy  que  ce  fust  penser  à  i^ 
retourner  en  France  et  néanmoins  que  ce  pais  icy 
soit  assés  menasse  de  quelque  destourbier^  je  ne 
scaurois  penser  à  en  sortir,  et  puis  ne  scaués  vous  pas 
bien  que  quand  les  maux  nous  doiuent  ariuer  il  nous 
trouue  partout. 

Le  pauvre  M""  Snelles  croyans  s'en  retourner  jouir 
la  douceur  de  sa  patrie  (car  il  n'en  auoit  que  une  seul 
dont  il  auoit  esté  longtemp  privé)  n'a  pas  eu  le  hon- 
neur de  la  toucher  de  ces  pies  et  *  l'ayans  seullement 
veue  de  loint  a  rendu  l'esprit  et  perdu  la  vie.  à  Nice 
de  prouense  n'ayans  esté  malade  que  trois  jours',  et 
puis  qu'aije  affere  de  tant  tenir  conte  de  ma  vie  qui 
désormais  me  sera  plustost  fâcheuse  que  plaisante,  la 
vieillesse  est  [comme]  désirée  comme  les  nopses  et 
puis  quand  l'on  y  est  arriué  il  en  desplait.  Je  ne  laisse 
pas  pourtant  de  viure  allègre  le  plus  que  je  peux  me 

1.  Ce  n'est  pas  le   Ravissement   de  saint   Paul  (n"  433  du        '^- 
Louvre),  peint  pour  Scarron  en  i65o,  et  qui  mesure  i""48  sur 
i^ao. 

2.  «  Vieux  mot  qui  signifioit  autrefois  obstacle,  empêche- 
ment. Ce  mot  vient  du  latin  distiirbium,  »  Dict.  de  Furetière. 

3.  Jean  Senelle,  peintre,  né  à  Meaux  en  i6o3.  —  Ph.  de  Chen- 
nevières  a  étudié  ce  peintre  et  démontré  que  Poussin  avait 
été  mal  renseigné  :  Senelle  survécut  à  cette  maladie  jusqu'aux 
environs  de  1670  {La  peinture  française ^  p.  226). 


220  CORRESPONDANCE  [1643 

réjouissans  surtout  quil  vous  plaist  me  donner  occa- 
sion de  vous  seruir. 

Les  Nouuelles  que  vous  me  mandés  touchant  ce 
qui  se  passe  en  Court  ne  m'estonne  en  manière  du 
monde.  Si  nous  viuons  nous  en  entendrons  bien 
d'autres  ^ 

J'atens  que  l'on  me  mande  quelque  résolution  tou- 
chant la  gallerie  mandés  moy  ceque  vous  estes  d'op- 
pinion  que  je  face  et  vous  m'obligerés  beaucoup,  et 
quand  il  vous  semblera  à  propos  permettes  que  l'on 
tire  un  peu  d'argent  des  Meubles  que  M^  me  fit 
donner. 

Je  ne  vous  scaurois  mander  de  grandes  nouuelles 
de  ce  pais  icy  sinon  que  la  guère  se  va  tous  les  Jour 
enflammans  de  plus  en  plus^  et  jusques  à  maintenant 
le  Toscan  3  a  eu  de  l'aduantage.  L'on  tasche  à  le  diuer- 
tir  du  costé  de  pistoia  à  la  quelle  les  gens  du  pape  qui 
estoint  du  costé  de  bollogne  (au  moins  une  partie) 
ont  donné  quelques  assaut  de  nuit  sans  rien  proffi- 
ter.  Voilà  tout  ce  quil  y  a  de  nouueau.  Cependans  si 
j'oublie  à  vous  dire  quelque  chose  se  sera  pour  la  pre- 
mière fois  que  je  vous  escriray.  Sependans  je  vous 
baise  trèsaffectueusement  les  mains  demeurât  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  treshumble  seruiteur 

POUSSIN. 

1.  11  s'agit  de  la  défaite  des  Importants  (avec  lesquels  M.  de 
Noyers  intriguait).  Après  l'exil  de  la  duchesse  de  Montbazon 
(22  août  1643)  et  l'arrestation  du  duc  de  Beaufort  (2  septembre), 
Mazarin  se  trouva  le  maître  et  jouit  de  son  triomphe  avec 
modération. 

2.  Au  début,  le  duc  de  Parme  et  ses  alliés  eurent  quelques 
succès,  mais  le  commandeur  de  Valençay  (cardinal  en  1643), 
qui  commandait  les  troupes  du  pape,  reprit  l'avantage. 

3.  Ferdinand  II,  grand-duc  de  Toscane,  1621-1670;  générale- 
ment favorable  à  la  politique  espagnole. 


1643]  de  nicolas  poussin.  221 

90.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  96.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  en  Sa  Maison,  Paris. 

[M.  Poussin  2y^  octobre  1648. 

Il  a  fait  le  pris  de  8  bustes  du  Vitelleschy  pour 
j35o*.  Il  a  esbauché  le  S^  Pol,  Chapperon  a  aban- 
donné la  copie  de  S^  Pierre  in  montorio.] 

de  Rome  Ce.  27i«^«  octobre  1643. 
Monsieur 

Néanmoins  que  depuis  quelque  jours  Je  me  '  sois 
trouué  en  assés  mauuaise  disposition  de  ma  santé, 
par  un  mal  d'oreille  et  une  pesanteur  de  front  qui 
ne  me  laisse  point.  Je  nay  pas  voulu  manquer  de 
vous  faire  scauoir  en  quel  estât  sont  les  choses  que 
vous  désirés  d'icy.  et  enquores  que  par  ma  dernière 
je  vous  en  aye  assés  informé  je  ne  laisserei  pas  par 
celle-ci  de  vous  en  dire  quelque  chose.  Je  nay  point 
enquores  donné  d'argent  pour  l'inscription  que  vous 
voulés  que  l'on  atache  au  veut  de  Loreto.  parceque 
le  père  recteur  a  trouué  à  propos  d'en  escrire  à  ceux 
du  lieu  pour  scauoir  si  vous  n'aués  rien  ordonné  de 
delà  touchant  cet  affere  et  pour  scauoir  le  lieu  où 
l'inscription  doit  estre  atacher.  ensemblement  ce  qui 
y  doibt  estre  escript.  Vendredi  prochain  nous  en  au- 
rons la  response  et  selon  quelle  sera  nous  nous  gou- 
uernerons. 

Jay  esté  en  compagnie  de  M^  Thibaut  voire  le 
Si''  Hypolite  Vittelleschi.  Jay  traicté  auec  luy  des  huit 
testes  de  Marbres  que  vous  désirés  mais  auec  une  infi- 
nité de  paroles  la  conclusion  a  esté  que.  il  dit  que  vous 
luy  fîtes  offrir  par  le  Catalan,  soisante  escus  de  la 
pièce    et    que   maintenant  vous  en   voulés   donner 


222  CORRESPONDANCE  [1643 

moins  comme  si  elles  estoint  moins  bonnes  que  alors? 
ala  fin  nous  sommes  demeurés  d'acord  en  cette  ma- 
nière, que  il  s'obblige  de  faire  restaurer  les  deux  bust 
qui  sont  an  bas  là  où  estoit  le  monceau  d'orge  à  ses 
dépens  et  que  vous  luy  donnerés  [cent]  de  tous  les 
huit  pièces  quatre  cens  et  cinquante  escus  que  c'est 
tout  ce  quil  peut  faire  et  que  à  ce  conte  là  où  je  lay 
fet  condecendre,  il  y  per  plus  de  cinquante  escus. 
Voila  Testât  où  est  cette  affere  là.  Sependans  que  vous 
nous  en  donnerés  response  vous  penserés  aux  frais 
quil  faudroit  faire  pour  les  emballer  et  faire  porter. 
Les  occasions  se  rencontrent  rarement,  et  toutte  ses 
choses  là  vont  bien  à  la  longue,  il  touche  à  vous  à  en 
délibérer. 

Pour  le  tableau  de  S^.  Pierre  in  Montorio.  Je  vous 
ay  escrit  quil  estoit  remis  en  son  lieu  et  que  les 
Moines  guardoint  la  coppie. 

Je  croyois  scauoir  quelque  chose  de  nouueau  du 
S^  Chapperon.  Mais  il  a  fet  une  nouuelle  scapade. 
s'en  estant  allé  à  Malte  sans  rien  dire  à  personne,  de 
sorte  que  Je  ne  scaurois  traicter  avec  personne  de 
finir  la  ditte  coppie  sans  que  premièremt  l'on  se  soit 
acordé  avec  luy  en  quelque  manière  et  ne  sachant 
pas  ses  prétensions  au  retour  qui  pouuoit  faire  il  au- 
roit  prétexte  de  me  plaider  comme  desià  il  m'en 
auoit  follement  menasse,  mais  à  cela  nous  aurons  du 
temps  pour  y  penser  car  mesme  pour  cet  hiuer  quand 
j'aurois  trouué  qui  le  vouleust  finir  il  est  impossible 
di  pouuoir  trauailler  au  lieu  là  où  est  le  tableau 
maintenant  pour  l'obscurité. 

Je  nay  pas  encore  parlé  à  Mf  le  Maire  ni  au  Vieux 
pour  voire  sil  voudroint  finir  les  deux  coppies  des 
vierges  quil  auoint  commencées  à  coppier  à  farnèse 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  223 

c'est  assauoir  la  coppie  double  de  celle  du  Chat  et 
l'autre  que  le  S^  Mignard  a  fette.  Je  verrei  sil  y  a 
moyen  de  les  contenter  ou  de  les  conuertir  puisque 
ainsy  vous  le  désirés.  Le  Menteur  de  Napolitain  nous 
fera  perdre  quelque  bonne  occasiS  de  vous  enuoyer 
vos  afferes,  il  n'a  pas  enquores  finy^  son  tableau  de 
farnèse. 

Vostre  petit  rauissement  de  S.'  Paul  est  mis  en- 
semble. Je  le  laisse  sécher  pour  le  retoucher. 

Vous  pourés  voire  par  ce  mémoire  cy  l'argent  qui 

vous  aduansera  icy  à  Rome,  et  ne  pouuant  pour  cette 

fois  résister  à  vous  la  faire  plus  longe  je  finiray  en 

vous  baisans  trèshumblemf  les  mains 

Monsieur 

Votre  trèshumble  et  trèsobéissant 

seruiteur. 

Poussin. 

91.  —  I"  Compte  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  98.) 

Conte. 
Jay  repseu  deus  cents  septante  et  septpistolesd'es- 
pagne^  et  trois  quarts  à  trois  escus  la  pistole  font 
huit   cens    trentetrois  écus  deuk  Jules    Monoye   de 

Rome. 

premièrement 

Jei  payé  au  Sieur  Mignart  pour 
la  copie  de  la  Vierge,  escus  68 

plus  au  Sieur  Le  Maire  pour  la 
copie  du  dieu  de  pitié,  escus  42 

1.  La  lettre  i  surchargée  en  y. 

2.  C'est  la  pistole  du  type  de  i537,  évaluée  à  10  livres  tour- 
nois (déclaration  royale  du  20  mars  i652). 


224  CORRESPONDANCE  [1643 

à  Cique,  Napolitain  jei  donné 
d'auanse,  escus  20 

Jei  paie  au  Vieus  pour  sa  copie 
de  la  Vierge  à  mi  corps,  escus  12 

Jei  paie  à  Nocret  pour  la  copie 
de  la  vierge  du  Parmesan  17 

plus  au  Sieur  Angelo  Caninio* 
pour  ses  desseins,  escus  12 

Apietro  Paulo  pour  la  façon  de 
six  chandelliers  et  une  corniche 
de  teste,  escus  69   Jules.  5 

Jei  paie  au  doreur  pour  la  do- 
rure des  six  chandeliers  et  une 
Corniche  de  teste,  escus  72    Jules.  5. 

Jaypayépour  six  quaisses,  escus        8    Jules    5 

plus  pour  l'alga,  le  foin,  la  corde, 
la  toille  cirée  le  chaneuas  et  l'em- 
ballage, escus  i5 

pour  porter  les  quaisses  chés 
moy  Jules.  3. 

Jay  donné  selon  vostre  ordre  à 
monsieur  Thibaut,  escus  20 

plus  pour  le  papier  et  ficelle  qui 
couure  les  chandelliers  Jules.  4. 

pour  le  port  des  tableaux  de  Far- 
nèse  chés  moy  Jule.    i. 

pour  un  mémorial  présenté  au 
Commissaire  de  la  Châbre  Jule     i/i 

Somme  347.  Jules.  3  i/i. 

Les  arres  quevous  auiés  donnés 
à  Mignart  escus  12. 

I.  Giovanni-Agnolo  Ganini;  élève  du  Dominiquin,  si  appré- 
cié de  Poussin. 


i643] 

DE 

NICOLAS 

POUSSIN, 

au  Maire 

i8 

au  Napolitain 

i6 

au  vieux* 

i8 

à  nocret 

i8 

225 


au  Menuisier  des  Chandelliers  12 

Il  faut  maintenant  sur  ce  qui  reste  de  vostre  argent 
qui  sont  escus  quatre  cens  ottante  six  ou  enuiron. 
paier  la  lame  d'argent  pour  Loreto.  Il  faudra  paierie 
sculpteur  qui  restaura  le  doit  et  les  aureilles  de  L'Her- 
cule de  farnèse  il  faut  finir  de  paier  Cique  Napolitain 
de  sa  coppie  il  en  veut  septante  cinq  escus  et  rien 
moins,  au  surplus  si  Monsieur  Le  Viens  et  Le  Maire 
seront  de  volonté  de  vous  finir  les  deux  coppies  des 
Vierges  quil  auoint  commensées  il  en  voudront 
quatreuins  escus  de  l'une  conforme  au  payement  que 
en  a  eu  le  Sieur  Mignart.  il  reste  maintenant  à  faire 
enquaisser  et  emballer  vostre  portraict  de  cire  et  vos 
tableaux,  il  reste  les  copies  que  vous  désiriés  de  chés 
Monsieur  le  Cheuallier  du  puis,  et  déplus  le  payement 
qu'il  vous  plaist  que  je  prengne  du  rauissement  de 
S'  Paul  que  je  finis  pour  vous.  Vous  permettrés  que 
j'en  prengne  cinquante  escus  mais  quand  vous  l'aurés 
veu  si  vous  jugerés  que  ce  soit  trop  je  vous  referei  le 
reste  sur  autre  chose. 

La  despense  de  ce  reste  ci  importeroit  au  moins 
escus  trois  cents  nouante  deux  [escus]  à  faire  sollem' 
deux  des  copies  des  Set  Sacrements.  Et  je  ne  scais  si 
l'on  se  contentera  de  cinquante  escus  pour  chascun. 
Maintenant  vous  voyés  à  peu  près  la  despense  qui  est 
fette  et  à  faire  du  reste  j'atendrei  vos  ordres  et  com- 
mandés moy  sans  aucun  scrupule  car  je  suis  entière- 
ment vostre  — 

I.  La  lettre  v  est  minuscule,  mais  très  lisible  :  vieux. 
1911  l5 


226  CORRESPONDANCE  [1643 

J'ay  oublié  à  conter  quelque  bagatelles  Je  les  met- 
tray  au  dernier  côte. 

92.  —  Poussin  a  Chantklou. 
(Ms.  12347,  fol.  99.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  5«  nouembre  1643. 

Il   tesmoigne  sa  joye  d'auoir  apris  que  Mgr  de 
Noyers  estoit  retourné  en  cour 
promet  de  m'enuoyer  le  petit  S^  Paul.] 

de  Rome  Ce  S'*»*  Nouembre  1643. 

Monsieur  et  trèscher  Maistre. 

Jei  occasion  maintenant  de  vous  dire  beaucoup  de 
chose  Mais  ce  que  jei  en  la  pensée  ne  scauroit  conte- 
nir en  un  petit  espase.  La  joye  qui  m'a  sesi  est  si 
grande  quelle  desborde  de  tous  costés  comme  un  tor- 
rent qui  après  une  longue  sécheresse  rempli  des 
surabondantes  pluies  venoues  à  l'impouruue  sort 
impétueusement  de  ses  riues.  L'heureuse  nouuelle  du 
Retour  en  Court  de  Monseigneur'  s'estant  espandu 

1.  Un  rapport  des  agents  de  Mazarin,  du  28  octobre  1643, 
attribue  le  retour  de  M.  de  Noyers  à  M"°«  d'Hautefort  (voir  Victor 
Cousin,  M""'  d'Hautefort,  p.  468).  —  Ce  retour  n'était  que  pas- 
sager. Chéruel  {Corresp.  de  Mazarin,  t.  I,  p.  392,  453)  cite 
deux  extraits  fort  intéressants  des  lettres  de  Grotius  et  de  La 
Barde.  Voici  la  traduction  du  passage  essentiel  du  second  :  «  Il 
arriva  par  hasard  que  la  Reine  se  rendît  à  Pontoise  pour  voir  la 
Mère  Jeanne  [sœur  du  chancelier  Séguier].  Dans  le  même  monas- 
tère, la  fille  de  De  Noyers  était  religieuse.  C'est  pourquoi  De 
Noyers,  très  connu  de  la  Mère  Jeanne  par  sa  piété  et  ses 
anciennes  fonctions,  lui  remit  une  lettre  pour  la  Reine  :  «  J'ai 
«  reçu  »,  écrivait-il,  «  d'hommes  pleins  de  science  et  de  piété 
«  [les  Jésuites  ?]  le  conseil  formel  de  ne  pas  demeurer  plus 
«  longtemps  dans  l'inaction.  Comme  j'ai  parfaitement  con- 
«  science  des  services  éminents  que  j'ai  antérieurement  ren- 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  227 

en  un  instant  par  toutte  l'europe  m'a  esté  de  tous  mes 
bons  amis  anoncé  à  la  bonne  heure  de  tous  costés  de 
manière  quil  nia  plus  de  doubte.  dieu  soit  loé  mille 
et  mille  fois  d'un  si  bon  heur  qui  est  ariué  et  se  n'est 
pas  en  vain  que  ]a  franse  se  debuera  maintenant 
appeller  heureuse,  puis  que  elle  recognoist  ceux  qui 
seuls  peuuent  augmenter  son  nom  et  sa  gloire.  J'atens 
de  vostre  courtoisie  aux  premiers  jours  quelque 
bonne  nouuelles  et  plus  Amples  que  celles  ci  qui  nous 
ont  esté  données  comme  pour  arres.  Il  me  vient  une 
enuie  très  effrontée  de  témoigner  à  Monseigneur  la 
Joye  que  j'ay  de  son  retour  Mais  la  Raison  ne  me  le 
permet  pas  encores  et  me  commande  de  continuer 
mon  silense  jusques  à  un  temps  plus  opportun.  Le 
reste  de  cette  feuille  seruira  pour  vous  faire  scauôir 
que  auiourdhui  jei  esté  voir  le  père  Charles  pour 
résoudre  du  moyen  qu'il  faut  tenir  pour  l'inscripsion 
que  vous  voulés  que  l'on  adiouste  au  veu  de  l'ange 
de  Loreto.  L'on  a  trouué  nécessaire  de  rechef  d'es- 
crire  à  Loreto  pour  auoir  la  mesure  du  plinte  où 
pose  l'ange,  et  si  tost  que  nous  l'aurons  l'on  trauail- 
lera  à  la  piastre  d'argent  laquelle  nous  ferons  faire  et 
atacher  auec  grâce  tant  que  faire  se  pourra,  et  quand 
le  tout  sera  fet  je  vous  en  enuoyerei  la  forme  et  figure. 
Pour  ce  qui  est  de  vos  autres  choses,  il  ni  a  rien  de 

«  dus  à  l'État,  je  commettrais  une  faute  grave  si  je  n'en  ren- 
«  dais  compte  à  la  Reine.  Ce  n'est  pas  l'ambition  qui  me  porte 
«  à  agir  ainsi  :  ma  vie  passée  prouve  assez  que  j'en  suis  bien 
«  éloigné  »  (La  Barde,  De  rébus  Gallicis,  t.  I,  p.  69).  —  Quoi 
qu'il  en  soit,  Mazarin  résolut  d'en  finir  :  De  Noyers,  qui  refu- 
sait de  vendre  à  Le  Tellier  le  prix  de  sa  charge  de  secrétaire 
d'État,  dut  s'exécuter.  C'était  chose  presque  faite  quand  Pous- 
sin se  réjouissait,  car  Grotius  écrit,  le  7  novembre  1643  : 
«  Noyers  a  cédé  à  Le  Tellier  son  office  de  secrétaire  »  {Lettres, 
P-  97)- 


228  CORRESPONDANCE  [1643 

nouueau  depuis  que  je  vous  en  ayescrit.  Laissés  moy 

fere  du  reste  et  ne  vous  mettes  nullement  en  paine 

d'aucune  chose  car  cependans  que  j'aurei  la  vie  et  la 

santé  j'aurei  un  soin  particulier  de  tout  ceque  vous 

desirerés  de  moy.  Je  vous  ay  fet  scauoir  ce  que  jei 

aresté  auec  le  Vitelleschi  Si  vous  en  estes  content, 

pour  ce  qui  sera  du  port  maintenant,  je  crois  que 

toutte  choses  vous  seront  facilles,  et  que  mesme  il 

vous  viendra  quelque  nouuelle  enuie  des  choses  de 

se  pais  icy  C'est  pourquoy  j'atendrei  vos  ordres,  et 

vous  laissans  vaquer  dans  vos  nouueaux  embarras  je 

finirei  la  présente  en  vous  souhettans  toutte  sorte  de 

félicité. 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsdéuotieus  seruiteur 

Poussin. 

Je  me  porte  un  peu  mieux  et  de  mon  oreille  et  de 

mon  front.  Le  petit  S*  Paul  veut  enquore  deux  jours 

y        de  caresses  ;  il  seroit  fini  si  se  n'estoit  un  peu  de  drap- 

perie  d'azur  qui  n'est  pas  sec. 

93.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 
(Ms.  13247,  fol.  101.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  l'aisné^  A  Paris. 

de  Rome  Ce.  5'«f™«  Nouembre.  1643. 
Monsieur 

Jei  grande  enuie  sur  les  Nations  lesquelles  nepou- 
uant  exprimer  de  vive  vois  les  plus  hautes  concep- 
sions  de  leur  esprit  ont  inuenté  certaines  figures  par 
la  force  desquelles  il  peuuent  à  autrui  faire  concepuoir 
ce  quils  ont  en  l'intellect  si  j'auois  sepouuoir  facille- 
ment  en  ce  petit  espase  de  papier  vous  pourries  mesu- 
rer la  grandeur  de  la  joye  que  jei  eue  lors  que  tout  le 


1643]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  229 

monde  m'a  assuré  du  rapel  de  Monseigneur  en  Court. 

Mais  il  faut  que  je  me  contente  de  dire  q'elle  ne  se 

peut  acroistre  Ausi  je  m'imagine  que  la  vostre  ariue 

audelà  de  l'infini,  vous  aurés  sil  vous  plaist  pour 

agréable  que  en  se  transpor  je  vous  tienne  compagnie. 

ausibien  les  bienheureux  n'ont  point  d'enuie.  Je  prie 

dieu  sependans  qu'il  vous  remplisse  de  ses  faneurs. 

et  pour  fin  je  vous  baise  humblement  les  mains.  — 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  seruiteur 

Le  Poussin. 
Je  baise  déuotieusement  les  Mains 

à  Messieurs  vos  Cousins. 

94.  —  Poussin    a    Chantelou. 
(Félibien,  éd.  i685,  t.  IV,  p.  290.) 

Sur  la  fin  de  la  mesme  ^née,  il  luy  envoya  ce 
Tableau  du  ravissement  de  Saint  Paul,  et  luy  répète 
encore  par  sa  lettre  du  2.  Décembre  1643 

«  Qu'il  le  supplie,  tant  pour  éviter  la  calomnie, 
que  la  honte  qu'il  auroit  qu'on  vist  son  Tableau  en 
parangon  de  celuy  de  Raphaël,  de  le  tenir  séparé  et 
éloigné  de  ce  qui  pourroit  le  ruiner,  et  luy  faire 
perdre  si  peu  qu'il  a  de  beauté  ». 

95.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f°^'  ^'^^•) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  En  Sa  Maison^  à  Paris. 

[M.  Poussin  X/*  décembre  1 643. 

Il  rend  compte  de  ce  que  je  faisais  exécuter  à 
Rome.] 

de  Rome  Ce  onziesme  décembre.  1643. 
Monsieur 

Je  viens  par  ses  premières  lignes  cy  vous  supplier 


230  CORRESPONDANCE  [1643 

de  m'escuser  de  deus  erreurs  que  je  fis  en  vous  escri- 
uans  dernièrement.  L'une  fut  d'auoir  serré  le  mot  de 
lettre  que  j'écriuoisà  monseigneur^  vous  ayans  escrit 
auparaduant  que  je  vous  le  voulois  mander  ouuert. 
L'autre  est  que  je  vous  debuois  enuoyer  par  le  mesme 
ordinaire  une  lettre  de  Monsieur  le  Cheuallier  du 
Puis  L'une  et  l'autre  de  ses  fautes  vous  sembleront 
moins  lourdes  quand  vous  scaurés  que  tout  le  monde 
fut  surpris  de  la  partanse  inopinée  du  Courrier  Mon- 
sieur l'ambassadeur 2  le  fesant  expédier  deux  jours 
plustost  quil  ne  debuoit  de  manière  que  si  le  courrier 
mesme  ne  m'eust  aduerti  j'eusse  perdu  l'occasion  de 
vous  mander  vostre  petit  S*  Paul.  Je  fus  donc  telle- 
men  pressé  et  d'escrire  etd'enquaisserle  sudit  tableau, 
qu'il  ne  me  souuint  pas  de  laisser  la  ditte  lettre  ouuerte. 
Monsieur  le  cheuallier  du  Puis  ne  me  donna  sa  lettre 
que  depuis  le  départ  du  Courrier  ayant  esté  encore 
desseu  par  un  mesme  moyen  Je  vous  l'enuoye  auec 
celle  ci  que  je  vous  escrits  pour  response  de  la  vostre 
du  cinquiesme  Nouembre  par  laquelle  vous  me  man- 
dés auoir  veu  les  deus  desseins  que  j'auois  enuoyés  à 
Monsieur  Rémy  pour  finir  la  disiesme  pontée  de  la 
gallerie,  et  par  icelle  mesme  vous  me  témoignés 
d'auoir  eu  à  gré  cette  mienne  pontualité  puisque  vous 
me  fette  l'Honneur  de  me  promettre  de  vous  souue- 
nir  de  moy  à  l'opportunité  Je  vous  supplie  de  me 
conseruer  cette  bonne  volonté. 

Vos  affaires  d'icy  sont  quasi  dans  le  même  estât 
qu'il  estoint  ses  jours  passés.  Celle  de  S*  Pietro  in 
Montorio  est  demeurée  là,  comme  vous  scaués.  le 

1.  Ce  «  mot  de  lettre  »  est  perdu. 

2.  Le  marquis  de  Fontenay-Mareuil  (voir  lettre  du  i3  août 
1640). 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  23l 

bon  Chapperô  n'est  plus  en  cette  ville  dernièrement 
il  se  partit  fesant  semblant  de  s'en  aler  à  Malte  sur  les 
gallères  mais  l'on  dit  quil  est  aie  à  Paris  où  vous  le 
verres.  Il  est  vray  quil  ne  vous  a  pas  escrit,  et  le  soup- 
son  qui  me  l'auoit  fet  croire  a  esté  an'  contraire, 
pour  le  sieur  Ciche  il  dit  auoir  fini  sa  coppie  de  far- 
nèse  dans  six  jours  mais  je  n'en  crois  rien.  Si  tost 
quil  aura  fet  je  le  ferei  trauailler  aux  copies  de  chés 
Mf  le  Cheuallier  du  Puis. 

La  lame  d'argent  que  vous  désirés  que  l'on  aplique 
au  veu  de  Loreto  n'est  pas  enquore  fette  d'autans  quil 
y  a  eu  mille  brouilleries  deuant  que  d'auoir  peu  sca- 
uoir  le  lieu  où  elle  doibt  estre  attachée,  de  quelle 
grandeur  elle  debuoit  estre.  et  là  où  estoit  l'escripture 
qui  y  debuoit  estre  entaillée,  alla  fin  nous  en  sommes 
venus  jusques  au  point  de  la  fere  faire  lundi  l'on  y 
trauaillera.  et  si  tost  quelle  sera  finie  le  Père  Charles 
la  fera  tenir  à  Loreto. 

Pour  les  deux  autres  coppies  que  vous  désiriés 
auoir,  l'une  que  Le  Maire  auoit  commencée  et  l'autre 
Le  Vieux,  n'acompagneront  point  les  autres  que  je 
vous  enuoyerei  d'autans  que  Le  Vieux  se  part  de 
Rome,  et  le  dit  Le  Maire  a  fini  la  siene  d'après  celle 
que  Mignart  vous  a  coppiée  assés  mal  de  sorte  que 
je  ne  suis  nullement  d'aduis  de  y  employer  vostre 
argent. 

Je  ne  suis  pas  marri  que  nous  ayons  atendeu  jusques 
à  cet  heure  à  vous  mander  ce  que  nous  auions  de 
prest  d'autans  que  la  saison  a  esté  et  est  trèsextraua- 
gante  pour  les  continuelles  pluies  et  tempeste  qui 
vont  enquores  tous  les  jours  continuans.  vous  scaués 
ce  quil  ariua  aux  formes  que  vous  fistes  emporter  il 

I.  La  lettre  n  du  mot  an  est  très  bien  formée. 


232  CORRESPONDANCE  [1643 

y  a  3  ans  La  mesme  chose  eust  peu  ariuer  à  ces  choses 
icy  qui  sont  bien  plus  subiecte  à  se  gaster.  puisque 
l'on  a  atendu  jusques  à  maintenàt  l'on  pourra  atendre 
que  le  mauuais  temp  soit  passé. 

Nous  atendons  vostre  response  sur  ce  qui  est  des 
bust  du  S^  Vitelleschi  du  reste  si  vous  venoit  fantasie 
de  quelque  chose  qui  se  fet  mieux  et  de  meillieur  des- 
sain icy  que  à  paris,  fettes  le  moy  scauoir  parceque 
il  me  semble  que  vous  fériés  mieux  de  les  fere  escegu- 
ter  de  delà  que  non  pas  icy  en  ayans  les  desseins  ou 
modelles  au  moins  vous  sériés  assuré  de  les  auoir 
seins  et  entiers  et  alla  fin  à  aussibon  marché,  car  qui 
contera  tout  là  où  va  l'un  va  l'autre  et  à  Paris  l'on 
trauaille  mieux  le  bois  que  nonpas  icy.  Je  vous  dis 
sesi  pourceque  si  nous  vous  achettons  des  bust  ou 
testes  de  marbre  il  y  faut  dessous  leur  termes  pour 
les  poser.  Vous  pouués  penser  à  d'autre  gentillesses 
et  nous  en  aduiser  M^  Thibaut  et  moy  nous  ne  man- 
querons pas  à  vous  bien  seruir. 

Si  vous  mandés  à  Ml  le  Cheuallier  du  Puis  les 
médailles  que  Monsieur  Varin*  a  fette  de  nouueau 
du  Roy  et  de  la  Royne  il  vous  en  demourera  grande- 
ment obbligé. 

Pour  ce  qui  touche  ceque  jei  commensé  de  delà, 
j'atendray  avec  bonne  patiense  que  toutte  chose 
s'acommode  —  car  quand  à  moy  je  suis  fort  bien  icy 
et  je  mi  peus  entretenir  joyeusement  —  particulièrem* 
puis  quil  vous  plaist  que  quelquefois  je  m'employe  à 

I .  Jean  Warin,  1604-1672,  le  fameux  médailliste  que  M.  de  Noyers 
avait  placé  à  la  tête  de  la  Monnaie  —  «  J'ai  une  médaille  en  or, 
ovi  est  d'un  côté  le  portrait  de  Louis  XIV  jeune,  et  de  l'autre 
celui  d'Anne  d'Autriche,  sa  mère.  C'est  un  chef-d'œuvre  et 
dont  rien  n'approche  dans  le  même  genre;  finesse  de  touche, 
élégance  de  dessin,  beauté  de  travail,  tout  y  est  porté  à  un 
tel  point  qu'il  n'est  pas  possible  d'aller  au  delà  »  (Mariette, 
Abecedario,  t.  IV,  p.  36). 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  233 

VOUS  seruir.  Si  je  voulois  embrasser  les  choses  qui 

me  viennes  cent  bras  ne  me  suffiroint  pas  mais  je 

nay  pas  enuie  de  m'incommoder  pour  les  biens  que 

je  ne  jouiray  le  peu  de  reste  de  ma  vie. 

Je  vous  ay  escrit  à  l'autre  ordinaire  passé  comme 

j'auois  conseigné  le  Si  paul  bien  enquaissé  et  bien 

couuert  —  es  mains  du  Courrier  nommé  Rigar  — 

qui  le  doit  à  Lion  mettre  en  main  de  Mj"  Van  Score 

lequel  jei  prié  de  l'enuoyer  assurément  à  Paris  où 

Monsieur  Pointel  mon  bon  ami  et  vostre  seruiteur  le 

doib  recepuoir  et  vous  le  rendre.  Vous  lui  ferés  sil 

vous  plaist  rendre  l'argent  quil  aura  déboursé  pour 

le  port  de  lion  à  Paris.  Le  port  de  Rome  à  Lion  est 

payé,  il  vous  plaira  sans  me  flatter  m'en  dire  vostre 

oppiniO  quand  vous  l'aurés  veu  affin  que  si  je  ne  vous 

ay  bien  serui  je  m'efforse  de  mieux  faire  à  l'aduenir. 

Je  demeure  à  jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  seruiteur 

Poussin 

Messieurs  de  Chantelou  vos  frères  trouuerront  icy 

mes  trèshumbles  baisemains 

Ma  famé  vous  fet  une  profonde  réuérense. 

96.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  104.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
en  la  maison  de  Môsigneur  de  Noyers^  paris. 

[M.  Poussin  21  décembre  1648. 

Rend  compte  des  choses  que  je  luy  auois  com- 
mises.] 

de  Rome  Ce  2i'««'"«  décembre  1643. 
Monsieur. 

Jay  repseu  deus  de  vos  lettres  par  le  mesme  ordi- 


234  CORRESPONDANCE  [1643 

naire,  l'une  du  Xm«  nouembre  et  l'autre  du  19  du 
mesme.  Senest  pas  san  raison  que  vous  vous  estes 
fasché  de  scauoir  que  le  tableau  de  Si  Pierre  du 
Mot  a  esté  remis  en  son  lieu  deuant  que  de  l'auoir 
peu  finir.  Mais  vous  scaués  assés  à  qui  vous  en  debués 
l'obbligation.  il  faut  néanmoins  que  vous  preniés  la 
paine  de  m'escrire.  ou  que  l'on  le  finisse  ou  non  ce  que 
vous  désirés  que  l'on  face  de  l'ébauche,  qui  est  demou- 
rée  en  garde  chez  les  Moynes. 

Du  reste  vous  vous  consolés  de  peu  de  chose  quand 
vous  m'assures  que  mes  bagatelles  vous  seront  agré- 
ables au  lieu  des  choses  qui  n'ont  point  leur  pareil 
au  Monde.  Vous  vous  repentirés  peut-estre  d'auoir 
eu  trop  [de]  bonne  oppinion  de  moy  quand  vous 
aurés  veu  le  petit  S^  Paul  que  je  vous  enuoyas  sous 
le  quatriesme  du  courant  et  que  maintenât  vous  aurés 
repseu  de  M;;  Pointel.  Senest  pas  pourtant  que  je 
me  puisse  escuser  sur  le  peu  de  temps  que  jay  eu  à 
le  fere.  Car  vous  auiés  eu  tant  de  patiense  en  Patente 
de  si  peu  de  chose  que  je  crains  [que]  d'en  auoir  abusé. 

Monsieur  le  Cheuallier  du  Puis  vous  a  escrit  et  je 
vous  enuoyas  ses  lettres  par  l'ordinaire  dernier.  Et 
l'un  et  l'autre  vous  confessés  d'auoir  fet  une  heureuse 
rencontre  de  vous  estre  cognus  car  pour  M^  le  Che- 
uallier je  vous  assure  qui  met  le  honneur  de  vostre 
cognoisse  au  nombre  de  ses  melieures  fortunes  et 
vous  montrés  journellement  l'estime  que  vous  fettes 
de  sa  personne  ausi  ne  manquai-je  pas  [d'estre]  de 
luy  faire  voir  en  quelle  façon  vous  l'honnorés  de 
vostre  amitié. 

Il  n'est  pas  besoin  de  me  dire  que  vous  estes  deue- 
neu  plus  prudent  que  par  le  passé  car  vous  l'aués 
tousiours  esté  grandement  Mais  c'est  que  vous  vous 


1643]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  235 

aués  donné  le  temps  de  considérer  vous  [mesme] 
mesme.  il  est  bien  vray  que  vous  estes  en  une  escole 
là  où  l'on  peut  aprendre  à  deuenir  sage.  Vous  aués  le 
grand  liure  ouuert  où  l'on  voit  comme  sur  un  téatre 
jouer  d'estranges  personnage.  Mais  ce  n'est  pas  peu  de 
plaisir  de  sortir  quelquefois  de  sortir  de  l'orquestre. 
pour  d'un  petit  coin  comme  incogneu  pouuoir  gous- 
ter  les  gestes  des  acteurs. 

Sachant  le  désir  que  vous  aués  des  secondes  cop- 
pies  des  vierges  de  farnèse  Monsieur  Le  Maire  à  qui 
jay  parlé  de  nouueau  m'a  promis  de  finir  la  siene 
d'après  l'original  il  l'auoit  comme  je  vous  l'ay  escrij 
par  paresse  et  négligense  finie  d'après  celle  de  Mignart. 
Mais  pour  celle  que  le  Viens  auoit  commëcée  je  ne 
scais  commen  nous  ferons,  au  pis  aler  vous  pourrés 
faire  coppier  à  Paris  celle  que  vous  aurés  de  Ciche. 
mais  premièrement  je  prouuerei  toutte  chose  pour 
luy  la  faire  finir*. 

La  vostre  du  ig»?^  Nouembre  me  transit  de  joye 
pour  ce  quil  vous  plaist  me  confier  touchant  l'acom- 
modement  de  Monsigneur".  Je  doubtois  bien  fort  de 
ses  satisfactions,  tanplus  j'alois  considérât  sa  vertu 
qui  néanmoins  quelle  soit  confessée  de  tout  le  mOde 
est  suspecte  à  grandquantité  de  malins,  qui  ruineront 
ala  fin  dans  une  horrible  présipise.  Car  le  chemin 
qui  tiennent  les  i  mené  tout  droit. 

La  mesme  me  réjouit  et  me  console  doublement 

1.  Cependant,  le  Bernin,  voyant  la  copie  de  «  Chique,  Napo- 
litain »,  chez  Chantelou,  dira  :  «  C'est  de  ces  sortes  de  copies 
que  je  fais  du  cas  »  (voir  la  Relation  du  voyage  du  Bernin  en 
France,  par  Chantelou,  éd.  Lalanne,  Galette  des  beaux-arts, 
ï"  août  1877,  p.  176). 

2.  «  La  surintendance  des  bâtiments  resta  seule  à  de  Noyers 
comme  une  fiche  de  consolation  qui  ne  pouvait  inquiéter 
l'ombrageux  cardinal  »  (Chardon,  Les  Fréart,  p.  62). 


t^ 


236  CORRESPONDANCE  [1643 

quand  par  les  termes  que  vous  usés  en  m'escriuant  je 
cognois  assés  éuidamment  qui  vous  plaist  me  con- 
seruer  en  l'onneur  de  vos  bonne  grâce  et  de  vouloir 
bien  que  je  vous  honnore  de  tout  mon  cœur. 

Je  vous  remersie  infiniment  de  la  promesse  que 
vous  me  fettes  de  vous  souuenir  de  mes  interrest  si 
les  affaires  s'accommodes.  Le  reste  que  vous  désirés 
de  moy  assurés  vous  Monsieur  que  jay  renonsé  à 
moymesme  pour  estre  tout  vostre. 

Chascun  est  résioui  de  ceque  deux  personnages  si 
vertueux  comme  M^  le  Viconte  de  Turenne  et  M;;  Gas- 
|ion  en  ayent  reseu  les  marques.  M^  Gassion  particu- 
lièrement est  trop  généreux  pour  ne  pas  honnorer  ses 
amis  en  tout  temps  ausy  est-il  loué  générallement  de 
tout  le  monde,  dieu  le  cDserue'. 

Je  suis  en  atendans  de  vos  nouuelles  touchant  ceque 
je  vous  ay  escrit  des  bust  du  Vitelleschi. 

Je  vous  ay  enuoyé  un  conte  par  le  quel  à  peu  près 
vous  verres  ce  qui  vous  auanse  d'argent  et  ce  qui  a 
esté  despensé,  de  sorte  que  vous  pourrés  pouruoir 
aux  autres  despense  que  vous  voudrés  faire,  et  assu- 
rés vous  d'estre  tousiour  serui  plus  soigneusement 
de  moy  que  si  s'estoit  mon  propre  interrest. 

Je  finirei  la  présente  en  vous  souhettans  les  bonnes 
festes  et  une  melieure  nouuelle  Anée  que  la  passée. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsdeuot  seruiteur 

Poussin 

I.  «  De  Noyers,  ami  sincère  et  ardent  protecteur  de  Gassion  », 
selon  Avenel  {Corresp.  de  Richelieu,  t.  VII,  p.  844),  ce  qui 
explique  que  Poussin  se  réjouisse  particulièrement  de  ce  que 
Gassion  ait  été  nommé  maréchal  de  France,  avec  Turenne, 
le  17  novembre  1643  et  conseiller  d'État  le  27. 


1644]  I>E    NICOLAS   POUSSIN.  237 

Messieurs  vos  fraires  trouueront  icy  mest  trèshumbles 

Salutations. 

Ma  famé  vous  baise  les  mains  en  vous  fesant  trèspro- 

fonde  reuerense. 

La  vision  qui  m'estoit  venue  de  prier  le  Secraitaire 
du  Car.  Ma.  pour  l'enuoy  de  vos  quaisses  s'est  ausi- 
tost  passée  et  m'en  empescherei  forbien. 

97.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^'^^'  '^0 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[y^januier  1644. 
Parle  des  bustes  du  Vitelleschi,  de  la  recommence  du 
petit  S^  Paul. 

Dit  que  Chique  Napolitain  et  Claude  Le  Rieux  luy 

ont  promis  de  coppier  les  Sacrem^  du  Chlier  delPo\\o.] 

de  Rome  Ce  7'«™«  genuier  1644. 
Monsieur 

ayans  tardé  à  faire  response  ala  vostre.  du  2™«  dé- 
cembre jusques  au  jourdhuy  que  jay  repseu  la  der- 
nière de  l'onziesme  du  mesme  cette  si  seruira  de  res- 
ponse à  toutte  les  deux,  et  deuant  que  d'entrer  [cy]  en 
raisonnement  d'autre  choses  je  prie  dieu  que  toutte 
choses  se  passent  au  contentement  de  Monseigneur^ 
car  estant  ainsi  les  autres  choses  que  vous  désirés 
sont^  en  point  et  preste  à  vous  obéir. 

1.  Il  n'avait  guère  sujet  de  l'être,  puisque  Mazarin  écrivait  à 
son  frère,  le  18  décembre  1643  :  «  On  ne  pense  pas  pour  l'heure 
à  donner  aucun  emploi  à  M.  de  Noyers,  qui  vient  bien  sou- 
vent chez  moi  en  me  protestant  qu'il  ne  veut  plus  dépendre 
d'aucun  autre  que  de  moi.  »  —  Poussin  et  peut-être  Ghante- 
lou  prenaient  un  peu  leurs  désirs  pour  la  réalité. 

2.  Sont,  mot  redoublé;  le  second,  non  rayé. 


238  CORRESPONDANCE  [1644 

Le  Vitelleschi  est  fort  solicité  et  depuis  que  je  tretai 
auec  lui  il  a  conté  tous  les  jours  et  les  nuits  qui  se 
sont  passés  luy  semblant  que  une  houre  dure  mille 
ans  pour  la  grande  enuie  quil  a  d'engloutir  vos  quatre- 
cents  et  cinquante  escus  comme  un  loup  affamé  dont 
l'estomac  rauissans  ne  se  peut  jamais  remplir.  Mais 
il  ne  les  a  pas  enquore.  Et  ne  doubtés  pas  que  je  ne 
fase  toutte  sorte  de  dilligense  affin  que  vous  restiés 
serui. 

Je  vous  remercie  au  surplus  de  vostre  libéralité 
touchant  la  rescompense  du  petit  S'.  Paul  que  je  vous 
ay  enuoyé  quand  vous  l'aurés  veu  alors  vous  pourrés 
dire  peut  estre  quil  vous  couste  beaucoups  J'atens 
ses  reproches  de  vous  Mais  auec  le  temps  nous  en 
paierons  l'amende. 

Je  ne  me  resiouis  pas  tant  de  se  qui  c'est  passé  au 
contentement  de  Monseigneur  jusques  aujourdhuy 
comme  je  me  laisse  flatter  à  l'espérance  que  j'ay  de 
le  reuoir  bientost  plus  florissant  que  jamais.  Les  dif- 
ficultés quil  a  passées  ont  esté  plus  périlleuse  que  le 
passage  de  Scilla  et  Garibde  aux  nauigans  et  mainte- 
nant flottans  par  un  occéan  plus  calme  il  ariuera 
bientost  au  port  de  ses  justes  désirs. 

Hier  je  fus  voire  la  coppie  que  le  Sieur  Ciche  a 
finie,  et  auiourdhui  je  l'aurois  retirée  —  si  se  n'eust 
esté  quelque  difficulté  que  une  autre  fois  je  vous 
raconterei  —  J'espère  la  retirer  en  bref  et  auec  les 
autres  choses  qui  sont  prestes  je  vous  la  manderei 
alla  première  commodité. 

Pour  l'enuoy  des  bust  quand  ils  seront  à  vous  et 
vostre  portraict  de  sire  je  chercherei  le  meilleur 
moyen  et  le  plus  facille  pour  vous  les  enuoyer. 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  239 

[Gh  Cich]  Ciche  et  Claude'  le  vieux  m'ont  promis 
ensemblement  de  coppier  les  tableaux  de  chés  Mon- 
sieur le  Cheuallier  du  puis.  Je  crois  que  l'on  les  com- 
mensera  incontinent.  Jay  monstre  vostre  lettre  au 
bon  Monsieur  Tibaut  qui  en  a  esté  fort  consolé,  et 
si  vostre  volonté  est  de  luy  aider  il  seroit  bon  luy 
ordonner  quelque  peu  de  chose  par  mois  affin  que 
celuy  fust  un  recour  dens  la  nécessité. 

La  distanse  des  lieux  est  cause  que  souuent  les 
choses  que  l'on  escrit  à  temps  et  à  propos  (se  semble) 
à  leur  ariuée  paresse  tout  au  cOtraire.  O  que  le  temps 
amène  de  variété  en  peu  de  jours.  Mais  enfin  la  joye 
que  nous  auons  eue  du  retour  de  M;;  alla  Cour^  n'a 
pas  esté  veine  puisque  il  a  fouslé  aux  pied  la  difficulté 
qui  se  luy  estoit  opposée  Je  m'en  resiouis  doublement 
puisque  il  est  veu  de  bon  oeil  de  Sa  Maiesté  et  pour 
ceque  maintenant  l'occasion  est  née  pourfaire  voir 
qui  est  nécessaire  qui  est  homme  de  bien  et  qui  mérite 
de  commander  aux  autres. 

Nous  ne  scauons  quelle  mine  faire  de  la  perte  de 
M^  de  Guebrien^  et  de  son  armée*.  Mais  qui  scait  se 
qui  en  doibt  succéder?  quelquefois  si  nous  n'estions 
perdus  nous  serions  perdus^.  Des  plus  grands  maux 

1.  Poussin  a  d'abord  écrit  Claude  (comme  on  prononce 
encore  en  plusieurs  provinces). 

2.  Poussin  avait  d'abord  écrit  :  de  son  retour,  puis  il  a  cor- 
rigé :  du  retour  de  M'.  C'était  à  la  fois  plus  clair  et  plus  poli. 

3.  Dans  Gtcébrien,  la  lettre  r  est  en  surligne. 

4.  Jean-Baptiste  Budes,  comte  de  Guébriant,  maréchal  de 
France  le  22  mars  1642,  mort  le  24  novembre  1643  des  bles- 
sures reçues  le  17  au  siège  de  Rothweil  (Souabe).  Ses  lieute- 
nants ne  surent  que  se  faire  battre. 

5.  Cf.  Plutarque,  Apophtegmes  (i85.  C).  Thémistocle,  exilé 
par  les  Athéniens  et  comblé  de  dons  par  le  roi  de  Perse,  dit  à 


240  CORRESPONDANCE  [1644 

il  en  vien  souuent  de  grand  biens  et  se  sont  les  secrets 
chemins  que  tien  la  Nature  pour  le  changement  des 
choses  ^ 

Jei  repseu  ensemble  auec  vostre  dernière  une  lettre 
de  change  de  quatre  cens  escus  que  le  Sieur  Arigoni 
m'a  promis  de  me  paier  à  ma  volonté  si  par  cas  il  ne 
se  fesoit  rien  auec  le  Vitelleschi  il  ne  sera  pas  besoin 
de  la  recepuoir. 

J'atendray  tousiours  avec  impatiense  les  bonnes 
nouuelles  que  vous  vous  promettes  me  donner.  Sepen- 
dans  je  demeure  àlacoustumée 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  seruiteur 

Poussin. 

98.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  f*^^-  2^0 
A  Monsieur  de  Chantelou  l'Aisne  à  Paris. 

de  Rome  ce  y^^  Genuier  1644^. 

Monsieur 

Si  le  plus  grand  de  vos  souhets  et  le  plus  raison- 
nable ne  trouuoit  point  d'autres  obstacles  que  la 
mer  et  les  alpes  comme  fet  le   moindre  que  vous 

ses  enfants  :  «  O  mes  fils,  nous  serions  perdus  si  nous  ne 
l'avions  été.  »  —  Plutarque  cite  encore  ce  mot  dans  la  Vie  de 
Thémistocle  et  dans  un  autre  passage,  où  il  est  question  de 
l'avantage  qu'eurent  les  villes  d'Asie  d'être  conquises  par 
Alexandre  [note  de  M.  Alexis  Pitou]. 

1.  Poussin  était  bon  prophète.  La  mort  de  Guébriant  le  fit 
remplacer  par  Turenne,  qui  lui  était  supérieur,  et  fut  vain- 
queur à  Fribourg  les  3,  5  et  9  août  1644. 

2.  Cette  lettre  est  reliée,  par  erreur,  dans  le  ms.  12347,  <^omme 
si  elle  était  datée  du  7  janvier  1649,  parce  que  Poussin  a  mal 
formé  le  dernier  chiffre  du  millésime. 


1644]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  24 1 

pouués  désirer,  vous  pouriés  vous  assurer  d'estre  en 
l'espace  de  six  sepmaines  hors  de  soupçon,  si  le  pre- 
mier comme  chascun  le  croit  ne  sauroit  manquer  de 
vous  ariuer  à  plus  forte  raison  le  dernier  qui  n'est 
rien  ne  vous  manquera  jamais  et  sependans  que  j'au- 
rei  la  vie  je  ne  cesserei  de  désirer  d'estre  entièrement 
vostre,  cependans  je  vous  suplie  me  continuer  l'hon- 
neur de  l'affection  qu'il  a  pieu  jusques  à  présent  me 
témoigner.  Je  vous  baise   très  affectueusement  les 

mains  en  qualité 

Monsieur  de 

Vostre  trèshumble  et  obéissant  seruiteur 

Poussin. 

99.  —  connoissement  a  m.  de  chantelou^ 

(Copie  de  l'Institut,  n"  49.) 

De  Rome  le  ii  janvier  1644. 

Ont  chargé  au  nom  de  Dieu  et  de  bon  sauvement 
un  seul  fois  dans  cette  Rippe  grande  Guillaume  Des- 
pers  et  Pierre  Ravel,  d'ordre  de  Monsieur  Poussin  et 
pour  conte  de  qui  appartient  sur  la  barque  nommée 
saint  François  Patron  Jean  Bronde  de  Marseille  ou 
autre  pour  lui. 

Caisses  sept  marquées  comme  de  contre  qu'ils 
disent  contenir  savoir  six  chandelliers  un  chandellier 
de  bois  doré  l'autre  un  rouleau  de  copie  de  tableaux 
et  toutte  enveloppé  de  toille  cirée  canevas,  cordée, 
séchée,  et  bien  conditionnée,  pour  de  même  con- 

I.  Le  connaissement  du  11  janvier  1644  et  la  lettre  du  12 
furent  bien  envoyés.  Chantelou  écrivit  le  sommaire  des  deux 
pièces  au  dos  de  la  feuille  du  connaissement.  Celle-ci  s'est  per- 
due et  ne  figure  pas  au  manuscrit.  Nous  donnons  le  connais- 
sement et  le  sommaire  d'après  la  copie  de  l'Institut. 
1911  16 


242  CORRESPONDANCE  [1644 

signer  ce  présiejn  voyage  à  Monsieur  Louis  Napolon  * 
de  Marseille  ou  autre  pour  lui  audit  lieu  en  lui  payant 
de  notte  soixante  trois  livres  tournois,  Dieu  le  con- 
duise à  sauvement. 

Signé. 

100.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  ^^^-  "^O 

[Enuojre  de  toutes  mes  copies  et  de  mes  guéridons. 
Il  demande  à  être  le  copiste  des  Sacremens  du  Caual- 
lier  du  Puy  de  tous  les  sept  ou  d'une  partie  ou  de  les 

faire  d'une  autre  disposition.  Il  fait  un  grand 
préambule  pour  me  persuader  ce  que  je  deurois  dési- 
rer auec  passion.] 

de  Rome  Ce  dousiesme  Jenuier.  1644. 
Monsieur 

Ausitost  quil  a  esté  possible  de  pouuoir  rousler  la 
coppie  du  Ciche  je  lay  auec  les  autres  enquaissée  en 
manière  que  je  crois  quelles  vous  seront  rendues  bien 
conditionnées.  Néanmoins  quand  vous  les  aurés 
repsues  vous  les  ferés  tendre  sur  chascune  leur  chas- 
sis  et  lauer  avec  une  esponge  et  de  l'eaue  claire  que 
vous  ferés  essuier  incontinent  auec  un  linge  demi  usé 
blanc  et  net.  Quand  elle  seront  bien  sèche  vous  y 
ferés  donner  le  vernix  par  quelqun  qui  s'en  entende. 
Si  par  hazard  le  papier  s'estoit  ataché  en  quelque  lieu 
prenés  un  peu  de  suc  d'orenge  et  frottés  doucement 
le  lieu  et  le  papier  se  destachera. 

Les  six  chandeliers  sont  enquaissés  en  six  autres 

I.  Un  Sanson  NapoUon,  de  Marseille,  est  souvent  cité  dans 
la  Correspondance  de  Peir£sc,  éd.  Tamizey  de  Larroque. 


1644]  ^^   NICOLAS   POUSSIN.  248 

quaisses  chascun  à  par  soy.  Le  plus  dilligamment  que 
nous  auons  peu.  La  cornice  dorée  y  est  enquore. 
Touttes  les  sept  susdittes  quaisses  sont  couuertes  dç 
bonne  toille  cirée  et  de  grosse  toiUe  par  dessus  et  for- 
tement liées  de  cordes.  Ayans  trouué  l'occasion  d'une 
bonne  barque  Marseillonise  qui  estoit  preste  de  par- 
tir. J'ay  prié  Monsieur  Guillaume  d'Espéot*  et  Piçrre 
ravel  marchand  francois  demourant  icy  à  Rome  de 
vous  faire  tenir  les  sept  susdites  quaisses  par  le  moyen 
de  leurs  correspSdâs  de  Marseille  et  de  Lion. 

Voisi  si  indus  une  des  polices  que  j'sLy  repsues  de* 
susdits  que  Je  vous  enuoye  l'autre  je  me  la  tiendrai 
auprès  de  moy  ainsi  comme  l'opi  coustume  de  faire. 

Les  quaisses  sont  touttes  marquées  en  teste  auec  ce 
présent  caractaire  ~^.  Les  toilles  ou  coppies  de  la 
plus  petite  quaisse  sont  au  nombre  de  noeuf.  La 
Vierge  du  Chat,  la  Vierge  qui  est  assise  et  qui  tient 
sur  son  giron  le  petit  çrist.  qui  est  celle  de  Mignat. 
celle  d'après  le  parmesan  de  Nocret.  Celle  du  vieus. 
Les  portrais  de  M^  Errard.  Le  dieu  de  pitié  du  Maire, 
Vostre  portraict  et  la  copie,  et  une  petite  coppie  d'uoi? 
vierge  en  pié  fette  de  Claude  le  rieus. 

Je  prie  à  dieu  que  le  tout  arriue  à  bon  port  et  à 
sauuement. 

Tous  les  jours  passés  jay  trotté  chés  l'un  et  çh^s 
l'autre  pour  auoir  la  patente  pour  pouuoir  tirer  hors 
de  Rome  les  huit  bust  du  Vitelleschj". 


1.  Guillaume  Des  Piots,  D'Espiots  ou  Despiots,  marchand 
fréquemment  cité  dans  les  lettres  de  Peiresc.  —  «  M.  Despiots, 
à  qui  il  ne  manque  pas  des  commoditez  à  toutes  heures  », 
comme  l'écrit  Peiresc  au  chanoine  Menestrier,  le  6  février 
1637  {Corresp.  de  Peiresc,  éd.  Tamizey  de  Larroque,  t.  V, 
p.  809). 

2.  «   La    permission   de    transporter    des    anticques   a  esté 


244  CORRESPONDANCE  [1644 

Mais  je  nayenquores  peu  rien  faire.  Il  estvray  que 
croyant  un  chascun  que  nostre  Curé  deust  mourir^ 
cela  a  été  cause  du  retardement  de  nostre  affere  que 
je  ne  cesserei  de  poursuiure  jusques  à  tant  que  j'en 
sois  dedens  ou  dehors.  Vostre  argent  est  demouré  es 
mains  du  S^  Arigoni  jusques  à  tant  que  je  sache  ce 
que  je  dois  en  faire. 

Vostre  piastre  d'argent  pour  Lorette  est  finie.  Il  ni 
manque  que  l'escritture  qui  faut  grauer  dessus.  Si 
tost  quelle  sera  prête  je  la  conseignerei  au  père 
Charles  qui  la  mandera  audit  lieu  de  Lorete. 

Jay  pensé  mille  fois  au  peu  d'amour  au  peu  de  soin 
et  netteté  que  nos  copistes  de  proffession  aporte  à  ce 
quil  imitent,  et  au  pris  quils  demandent  de  leurs  bar- 
bouilleries.  et  me  suis  esmerueillé  tout  ensemble 
comme  tant  de  personnes  s'en  délectent.  Il  est  vrai 
que  voyant  les  belles  choses  et  ne  les  pouuant  auoir 
l'on  est  contrains  de  se  contenter  des  coppies  bien  que 
mal  fettes  chose  qui  à  la  vérité  pouroit  diminuer  le 
nom  de  beaucout  de  bons  paintres  si  se  n'estoit  que 
leurs  originaux  se  voient  de  plusieurs,  qui  cognoissent 
bien  l'estrême  différence  qui  est  entre  eux  et  les  cop- 
pies. Mais  ceus  qui  ne  voyent  autre  chose  que  une 
mauuaise  imitation  croyentfacillement  que  l'original 
ne  soit  pas  grande  chose,  et  mesme  les  malings  se 

quelquefois  impossible  à  obtenir  et  jamais  n'est  aysée  »  (Louis 
Fouquet  à  Nicolas  Fouquet,  16  avril  i655). 

I.  La  santé  d'Urbain  VIII  (qui  avait  soixante-seize  ans)  était 
mauvaise  depuis  longtemps.  Fontenay-Mareuil  écrivait,  le 
1 1  février  1641  :  «  Le  pape  est  très  faible  :  on  croit  qu'il  ne 
vivra  pas  longtemps  »,  et,  le  i"  janvier  1642  :  «  La  santé  du 
pape  est  fort  abaissée  par  sa  dernière  goutte...  »  Aussi,  fin 
janvier  1642,  Richelieu  signale-t-il  à  Mazarin  «  la  caducité  du 
pape,  qui,  déchéant  à  vue  d'oeil...  ». 


1644]  ^^   NICOLAS    POUSSIN.  24$ 

scauent  bien  seruir  de  ses  copies  mal  fettes  pour 
décréditer  seux  qui  scauent  plus  que  eux.  Pensant  en 
moymesme  toute  ses  choses  jay  creu  faire  bien  et 
pour  mon  honneur  et  pour  vostre  contentement  de 
vous  faire  scauoir  que  (demourant  icy)  je  souhetterois 
estre  moymesme  le  copiste  des  tableaux  qui  sontchés 
Mf  le  Cheuallier  du  puis  ou  de  tous  les  sept  ou  d'une 
partie,  ou  bien  les  faire  d'une  autre  disposition.  Je  n 
vous  assure  Monsieur  qu'il  vaudront  mieux  que  des 
coppies,  ne  cousteront  guère  plus,  et  ne  tarderont  pas 
plus  à  estre  fets.  Et  si  se  n'eust  esté  que  depuis  vostre 
départ  jay  esté  dans  une  perpétuelle  irrésolution  j'au- 
rois  desià  commensé.  je  scais  bien  que  vous  ne  m'au- 
riés  pas  désaduoué  et  ariue  ce  qui  poura  je  suis  pour 
y  mettre  la  main  en  atendans  vostre  response.  Et 
quand  bien  il  seroit  nécessaire  de  trauailler  pour  les 
desseins  de  la  gallerie  j'atendray  à  l'un  et  à  l'autre, 
sependans  portés  vous  bien,  et  j'atendrai  à  me  con- 
seruer  pour  vous  seruir. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  seruiteur 

Poussin. 

101.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  109.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  25feb'^  1644. 

Il  promet  de  faire  un  tableau  le  meilleur  quil  aye 
encore  fet  et  rend  compte  de  différentes  choses. 
Quil  souhaithe  le  retour  de  Ml  de  Noyers  dans  les 


246  CORRESPONDANCE  [1644 

ajf »■«*  po^  voir  quelque  signe  de  grandeur  dans  nostre 
Nation.] 

De  Rome  Ce  vintcinquiesme  feburier.  1644. 

Monsieur 
à  l'heure  mesme  que  jeus  repseu  la  vostre  dernière 
du  vintedeusiesme  Januier  je  fus  saluer  M^  le  cheual- 
lier  du  Puis  et  luy  présenter  vostre  lettre,  qui  fut  lue 
en  ma  présense  elle  fust  repsue  auec  aplâudissement 
dudit  S^  et  louée  pour  le  dous  stille  que  vous  aués  à 
escrire  et  la  force  d'exprimer  la  tendresse  de  coeur 
que  vous  aués  pour  vos  amis,  de  manière  que  je  me 
treuuas  encore  raui  de  joye  d'en  auoir  oui  la  lecture 
car  comme  celle  alaquelle  vous  respondiez  fut  fette 
en  ma  faueur  la  vostre  abondoit  de  gratification  à 
mon  endroit.  Vostre  belle  médalle  d'or  fut  présentée 
huit  jours  auparant  Ainsi  comme  desià  je  vous  ay 
escrit.  Les  lettres  de  Messieurs  de  Valansé  furent 
ausi  mandées  à  Bollogne  par  voye  bien  assurée  ^ 

Or  maintenant  il  faut  que  je  vous  rende  conte  du 
reste  de  vos  affaires  de  pardesà.  Je  vous  ai  escrit  il  y 
a  desià  quelquetemps  que  je  vous  auois  enuoyé  vos 
coppies  de  tableaux  auec  vos  chandelliers  de  bois 
doré  ensemble  la  police  du  marchand  par  le  moyen 
duquel  le  tout  vous  sera  enuoyé.  Je  vous  en  enuoye 
un  autre  ci  incluse  de  l'embarquement  des  huit  bust 
du  Vitelleschi  Cest  assauoir  ceus  que  vous-même 
choisîtes  pendans  que  vous  estiés  à  Rome,  ensemble- 
ment  vostre  portraict  de  cire^  et  les  couleures  à  fres 

1.  L'oncle  et  le  neveu  :  Achille  d'Étampes  de  Valençay,  au 
service  d'Urbain  VIII,  commandait  alors  les  troupes  pontifi- 
cales; cardinal  depuis  1643;  il  réconcilia  Mazarin  et  les  Bar- 
berini  en  1645,  mort  en  1646.  —  Louis  d'Etampes,  chevalier  de 
Malte,  bailli,  puis  commandeur  de  Valençay,  agent  diploma- 
tique français  souvent  employé  dans  les  négociations  d'Italie. 

2.  S'agit-il  d'un  portrait  en  cire,  comme  par  exemple  celui 


1644]  ^^   NICOLAS    POUSSIN.  247 

pour  M^  Le  Maire  et  une  autre  pettite  quaisse  àpart. 
de  sorte  que  elles  sont  dix  en  tout,  elles  sont  touttes 
cignées  de  leur  nombre  particulier,  comme  1234 
56789  10  à  chascune  en  teste  est  l'adresse  ainsi  : 
Chés  Môs/  de  Noyers  à  Paris.  Elles  sont  touttes  con- 
tresignées de  vostre  arme.  C5me  il  y  a  à  touttes  la 
figure  d'un  flasque^  pour  monstrer  et  faire  entëdre  que 
se  sont  choses  suiettes  à  rompre.  Le  tout  est  dilligem- 
ment  enquaissé,  lié  et  garotté  de  bonne  cordes.  Le 
nom  de  chasque  portrait  est  en  un  billet  en  chasque 
quaise.  L'on  les  mandera  par  te  destroit  ainsi  l5  a 
résolu  après  auoir  bien  pensé  aux  autres  moyens.  Le 
marchand  que  l'on  doibt  recepuoir  à  Rouen  pour 
vous  les  faire  tenir  à  Paris  se  nomme  Jan  Turgus. 

Pour  ce  qui  est  de  la  lame  d'argent  pour  Loreto. 
elle  est  acomplie  et  si  se  n'eust  esté  un  peu  de  mal 
que  jay  eu  aux  genous  je  l'aurois  consignée  au  père 
Charles.  Se  sera  dieu  aidans  pour  un  de  ses  jours  II 
ne  faut  point  que  vous  croyés  qu'il  y  en  aye  une  autre 
de  fette  car  au  parauant  que  d'auoir  ordonné  celle  si 
l'on  s'est  informé  dilligemment  si  à  Loreto  chés 
quelque  argentier  il  y  auoit  quelque  chose  de  com- 
mensé  ce  que  les  pères  Jésuites  n'on  point  trouué  de 
manière  que  seus  qui  vous  ont  donné  à  entendre  le 
contraire  vous  ont  trompé,  que  vous  m'ayés  mandé 
une  autre  lettre  que  celle  que  jeus  de  vostre  par  tou- 
chans  cette  affere  je  n'en  scais  rien.  Mais  à  cette  fin 
que  vous  ne  croyés  pas  que  je  vous  aye  serui  à  l'es- 
tourdie.  Je  vous  remanderei  vostre  propre  lettre  et 
vous  voirés  ce  que  vous  m'aués  ordonné  de  faire. 

de  Louis  XIV,  conservé  à  Versailles,  dans  sa  chambre  à  cou- 
cher? 

I.  Poussin  esquisse  en  marge,  non  un  «  flasque  »,  mais  un 
croissant  placé  horizontalement,  les  cornes  en  haut,  et  dans 
lequel  s'entrecroisent  deux  palmes. 


248  CORRESPONDANCE  [1644 

Et  parceque  il  ne  reste  maintenant  que  à  faire  finir 
la  coppie  que  M^  Le  Maire  a  promis  de  finir.  (Car 
pour  le  tableau  de  S*  Pietro  Môtorio  il  ne  faut  point 
penser  de  le  faire  finir,  personne  ni  veut  atendre  et 
mesme  il  est  impossible  là  où  est  maintenant  l'origi- 
nal) du  reste  je  n'ay  point  de  lieu  chés  moy  où  je  le 
peusse  mettre  et  de  le  rousler  il  se  gastera  en  for  peu 
de  temps.  C'est  pourquoy  je  vous  y  laisserei  auiser. 
Du  reste  quand  Chaperon  retourneroit  icy  je  ne 
veux  auoir  à  faire  à  luy  non  plus  que  au  diable 
qui  l'acompagne.  Je  vous  enuoye  vostre  conte  ci 
inclus  là  où  parle  meneu  vous  pourrés  cognoistre  en 
quoy  jay  employé  vostre  argent,  et  ensemble  ce  qui 
vous  aduâsera.  plusieurs  fois  je  vous  ay  escrit  que 
j'auois  repseu  et  fet  accepter  la  lettre  de  change  des 
quatrecens  escus.  qui  ont  serui  avec  cinquante  autres 
à  paier  les  huit  bustes  sudits. 

Je  ne  tarderei  guère  à  commenser  le  tableau  que 
vous  me  commandés  que  je  face  et  se  sera  des  meil- 
leurs pinceaux  que  jaye.  vous  assurans  bien  que 
toutte  les  forces  me  manquerCt  si  n'est  le  meilleur 
de  tous  ceux  qui  sont  sortis  de  mes  mains. 

J'atens  vostre  response  sur  ce  que  je  vous  ay  mandé 
des  coppies  de  M^.  le  Cheuallier  du  puis  et  puis  nous 
nous  gouuernerons  sels  vostre  désir. 

Je  prie  à  dieu  que  M;;  donne  une  bonne  mortifica- 
tion à  ce  laron  et  ignare  de  Jaquelin^  il  mériteroit 
-/      que  l'on  le  pendit  par  les  génitoires. 

Je  prie  dieu  encores  de  tout  mon  coeur  que  les 

I.  Jacquelin,  intendant  des  bâtiments,  avait  dans  ses  attri- 
butions tout  ce  qui  touchait  aux  bâtiments  du  roi  et  aux 
artistes  logés  au  Louvre.  Il  paraît  avoir  été  un  des  principaux 
adversaires  de  Poussin  (voir  H.  Chardon,  Les  Fréart,  p.  47). 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  249 

belles  délibérations  de  Nostre  prinsesse'  ne  soient 
jamais  détournées  d'aucun  malheureux  obstacle  afïin 
que  la  postérité  puisse  voir  quelque  signe  de  grandeur 
en  Nostre  Nation.  Mais  mon  cher  maistre  nous 
sommes  en  un  étrange  ciècle.  dieu  omnipotent  vous 
tienne  tousiours  en  sa  protection  et  vous  face  prospé- 
rer en  toutte  sorte  de  biens 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  seruiteur 

Poussin 

Le  bonhomme  Tibaut  se  recommande  fort  à  vos 
bonnes  grâces.  J'ei  oublié  à  vous  dire  que  l'on  vous 
enuoyera  plus  d'un  modelle  pour  poser  vos  bustes, 
quand  vous  les  aurés. 

Je  vous  mande  une  lettre  que  ce  charlatan  de  Vitel- 
leschi  vous  escrit,  il  dit  quil  désireroit  fort  auoir  des 
nouuelles  de  M^  de  la  Varenne. 

102.    —   2'n*   COMPTE   A   ChaNTELOU. 

(Ms.  12347,  fol-  "'•) 

[Conte  de  M.  Poussin  de  ce  quil  a  mis  de  mon 

argent  à  Rome.] 

Conte. 

J'ay  repseu   277  pistoles   et   [un]   3/4.   qui    sont. 
833.  escus  Jules.  2.  Monoy  de  Rome  Les  quatrecens 
escus  n'entre  point  en  ce  conte, 
premièrement 

A   Mignart  pour  sa 
coppie     .     .     .     escus  68 

Au  Maire  pour  son 
dieu  de  pitié  ....  42 

I.  La  régente  Anne  d'Autriche. 


250  CORRESPONDANCE  [1644 

au  napolitain  pour  la 
vierge  du  Chat   ...  59 

au  Vieus  pour  sa 
vierge  à  mi-corps    .     .  12 

à  Nocret  pour  la 
vierge  du  Parmesan     .  17 

à  Angelo  Caninio 
pour  ses  desseins     .     .  12 

pour  la  façon  des 
chandelliers  de  bois  et 
bordure 60  Jules  5 

pour  la  dorrure  des 
chandelliers  et  cor- 
niche       72  Jules  5 

à  Monsieur  Tibaut  .  20 

pour  7  quaisses    .     .  18  Jules  5 

pour  l'emballage  des 
7  quaisses i5 

pour  porter  les  quais- 
ses chés  moy  ....  Jules  3 

pour  le  papier  pour 
enveloper  les  châde- 
liers Jules  4 

pour  le  port  d'un 
tableau  de  farnèse    .     .  Jules  i 

pour  Manche^  aux 
doreurs  et  menuisiers  .  Jules  6 

pour  deus  mémo- 
riaux au  commissaire  .  Jules  i 

ï.  Pour  le  pourboire.  Saint-Amant  écrira,  dans  sa   Rome 
ridicule  : 

«  Ces  gens-ci  n'ont  point  l'humeur  franche, 
A  tout  gain  leur  arc  est  bandé; 
Souvent  pour  m'avoir  regardé. 
J'ai  vu  me  demander  la  manche.  » 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  25l 

à  M»^  Tibaut     ...  16 

pour  l'argent  de  la 
piastre  pour  Loreto  et 
vis 17 

pour  la  façon  de 
laditte  piastre.     ...  i3 

pour  une  vis  de  fer  .  Jules  2 

pour  le  Restorateur 
de  l'Hercule  de  farnese.  8 

pour  port  d'un  ta- 
bleau de  farnèse .     .     .  Jules  I  1/2 

pour  le  papier  pour 
couurir  les  tableaux     .  Jules  2  1/2 

pour  le  bois  de  la 
quaisse  du  tableau  .     .  Jules  4  1/2 

pour  la  douane  des 
sept  caisses     ....  3 

pour  la  charette  qui 
les  porta Jules  3 

pour  le  seau  de  la  do- 
gana Jules  4 

pour  l'enballage  de 
la  quaisse  des  copies 
toille  cirée  chaneuas 
corde  et  toutte  la  fatige 
du  fachin  pour  aler  et  ^ 

venir  à  ripe  charger  et 
deschar,  et  autre     .     .  i  Jules  2 

pour  la  quaissette 
toille  cirée  et  port  du 
St  Paul 4  Jules  5 

pour  la  license  de 
porter  hors  de  Rome 
les  bust  de  marbre  .     .  3 


252  CORRESPONDANCE  [1644 

pour  l'escripture  pour 
grauer  sur  la  lame  .     .  i  Ju.      5 

pour  port  de  la  quais- 
se  du  portrait  de  Cire  .  baïo.  5 

pour  le  papier  pour 
enueloper  le  portrait  de 

Cire Ju.      I        baïo.  5 

pour  faire  grauer  les 
dis  lignes  en  lettre 
minscule  sur  la  placque 

d'argent 6 

pour  les  Noeuf  quais- 

ses i5  Ju.     3 

au  Vitelleschi  ...  5o 

pour  les  fascine.  .     .  .       Jules  2 

pour  deus  charettes .  Jul.     6 

pour  le  commissaire.  Jules  3 

pour  charger,  em- 
barquer, pour  l'embal- 
lage pour  une  piese  de 
toille  sirée  et  chaneuas 

et  autre tests  6 

pour  la  douane    .     .    escus  12 

pour  le  seau    .     .     .  Jul.    5 

pour   le  tableau  du 

S*  Paul escus  5o 

toute  cette  somme 
monte  à  escus. 


578.  Jul. 

I. 

bai  5 

833  Jul. 
578. 

2 
I. 

5 

auanse  255. 

I. 

5 

833. 


1644]  de  nicolas  poussin.  253 

103.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol*  ''2*) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  paris. 

[M.  Poussin  <S*e  mars  1 644. 

Tibault. 

Quil  a  enuoyé  la  lame  pour  linscription  de  Lau- 
retto  et  quil  cherche  quelque  pensée  de  tableau  pour 
moy.] 

A  Rome  Ce.  8'«ï°«^  Mars.  1644. 
Monsieur 

Ne  pouuant  faire  autrement  jay  tardé  Jusques  à 
présent  à  faire  response  à  la  vostre  dernière  du 
Sœe  feburier.  tous  les  chefs  de  laquelle  je  respondray 
maintenant  sans  rien  obmettre.  Vous  n'estes  plus  en 
paine  de  la  lettre  de  change  que  vous  me  mandastes 
pour  paier  les  bust  du  Vitelleschi  vous  ayant  escrit 
par  plusieurs  fois  que  je  l'auois  repsue. 

Les  lettres  que  vous  mandiés  au  gouuerneur  de 
Lorette  lui  furent  assurément  mandées  par  le  moyen 
du  bon  père  Charles. 

Les  bust  que  vous  mesme  vous  choisîtes  chés  Hipo- 
lite  Vitelleschi  ont  été  payés  de  vos  quatrecent  escus 
mandés  dernièrement  y  goint  cinquâte  de  vos  huit 
cens  et  trentetrois  escus.  Je  vous  ayescript  que  je  les 
auois  fet  embarquer  par  le  moyen  de  M^  Guillaume 
despior  et  Pierre  Ravel  Marchands  françois  pour 
vous  les  faire  tenir.  Je  vous  ay  mesmement  enuoyé  là 
leur  police,  et  fet  encore  scauoir  le  nom  de  leur  cor- 

I.  Le  copiste  de  l'Institut  (et  Quatremère  après  lui)  date 
cette  lettre  du  18  mars.  Poussin  et  Chantelou  ont  cependant 
écrit  fort  lisiblement  la  date  du  8. 


i54  CORRESPONDANCE  [1644 

respondant  à  Roen.  d'autans  que  nous  vous  les  man- 
dasme  par  le  destroit.  à  celle  fin  que  tardans  trop 
vous  vous  puisses  informer  du  dit  correspondant  et 
scauoir  s'il  en  a  des  nouuelles  ou  non.  Avec  la  mesme 
lettre  et  police  je  vous  enuoyas  le  compte  de  l'argent 
que  jay  employé  pour  vos  affaires  de  pardesà  et  en 
suitte  se  qui  vous  reste. 

Je  me  trouue  extrêmement  consolé  de  Testât  où 
vous  espérés  que  seront  bientost  dieu  aydans  les 
afferes  de  Monseigneur  et  que  vous  trauailliés  comme 
d'autres  vertueux  Hercules  de  purger  le  monde  de 
tirans  de  larons  et  de  hideux  monstres  dont  nostre 
pauure  France,  [qui  est]  est  toutte  misérablement 
infectée  dieu  vous  donne  la  grâce  d'en  venir  à  chef. 
J'atens  auec  impatiense  vostre  résolution  touchant 
ce  que  je  vous  ay  escrit  des  coppies  de  chés  M^  le 
Cheuallier  du  puis,  car  jay  empesché  que  l'on  les 
aye  commencée,  et  à  bonne  fin  et  auec  bon  respect, 
mais  quand  finalement  vous  les  voudrés  il  ni  aura 
empeschement  aucun. 

Monsieur  Thibaut  ces  esuanouy  de  joye  en 
lisant  ce  que  vous  m'ordonnes  de  faire  pour 
luy  et  de  l'espérance  que  vous  luy  donnez  pour 
l'aduenir.  Le  pauure  garson  auoit  bien  besçin 
no'"^.  de  vostre  Ayde.  A  tout  hasars  je  luy  auois 
donné  oultre  les  vint  escus  de  vostre  argent 
ainsi  que  vous  voirrés  sur  vostre  compte  que 
si  par  hasar  vous  n'en  eusiés  pas  esté  content 
je  vous  les  euses  remboursés  du  mien.  Mais 

ï.  «  Mettre  à  chef  on  venir  à  chef  signifie  achever,  venir  à 
bout.  Cette  expression  est  vieille  et  surannée.  »  Dict.  de  Fure- 
tière. 

2.  Cette  indication  marginale  est  de  Chantelou. 


1644]  ^^  NICOLAS   POUSSIN.  Zii 

voyans  la  bonne  volonté  que  vous  aués  pour 

luy  par  vos  dernières  lettres  jey  esté  hors  du 

doubte  là  où  j'estois  et  de  nouveau  je  luy  ay 

donné  dix  escus  pour  son  mois  de  Mars  et  ainsi 

j'iray  continuans  de  mois  en  mois  ainsi  que 

vous  me  l'ordonnés,   il  dit  que  tout  ce  qui 

modelle   est  pour  vous  et  sil  me   met  quel 

chose  en  main  je  vous  le  conseruerei  jusques 

à  tant  que  vous  en  ordonnerés*. 

Je  voudrois  bien  auoir  l'occasion  de  vous  mander 

quelque  nouuelles  de  ce  pays  icy  Ainsi  que  vous  me 

fette  la  faueur  de  m'escrire  de  ce  qui  se  passe  par 

delà.  Mais  l'on  ne  fet  autre  que  de  parler  de  la  paix, 

dieu  voille  nous  la  donner.  Un  chascunla  désire  fort  2. 

Jay  consigné  vostre  lame  d'argent  pour  Loreto.  au 

père   Charles   qui   trèsassurément  la  fera  tenir,  et 

mettre  en  son  lieu.  Nous  auons  acommodé  la  chose 

en  manière  quelle  ne  peut  manquer  et  ne  croyés  point 

M|;  Le  Cat,  car  s'est  ne  luy  déplaise  un  menteur  ni  luy 

ni  personne  n'ont  rien  fet  commencer  pour  vous  à 

Loreto  touchant  l'inscription  que  vous  vouliés  fere 

adioudre  Au  veu  que  vous  portâtes. 

Je  ne  fes  maintenant  les  soirs  autre  chose  que  de 

chercher  quelque  beu  subiec  pour  vous  faire  quelque 

table  de  réputatiô  si  je  peus.  quand  je  l'aurei  trouué 

et  résolu  je  vous  en  enuoyerei  une  idée.  Cependant 

je  demeure  éternellem^ 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobligé  seruiteur 

Poussin. 

1.  Cette  disposition  typographique  reproduit  celle  du  ma. 

2.  La  France  va  réussir  à  mettre  fin  à  cette  première  guerre 
de  Castro  par  la  paix  de  Ferrare  (3i  mars  1644),  due  aux  efforts 
du  cardinal  'Bichi,  chef  du  parti  français. 


256  CORRESPONDANCE  [1644 

Je  baise  trèshumblement  les  mains  à  Messieurs  vos 
fraires. 

104.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  114.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  1 7e  mars  1 644. 

Il  promet  de  commancer  l'ouurage  des  Sept  Sacre- 
ments et  rend  compte  des  autres  affaires.] 

de  Rome  Ce  ij*^^  mars.  1644. 
Monsieur 

J'ei  repseu  en  même  temps  deus  de  vos  très  chères 
lettres  par  l'une  et  par  l'autre  vous  me  monstres  que 
la  proposition  que  je  vous  ay  fette  touchant  les  Sept 
Sacrement  vous  a  esté  àgré  ausy  me  vas-je  préparer 
à  vous  bien  seruir,  et  laissant  à  part  les  autres  choses 
que  j'auois  pensé  de  vous  faire,  j'atendrei  seullement 
à  celles  icy.  et  auec  d'autant  plus  de  soin  et  de  plai- 
sir que  vous  me  fauorisés  de  remettre  le  tout  à  mon 
arbitre,  tant  de  la  disposition  comme  de  la  grandeur 
des  figures  et  autres  particularités.  Si  je  serei  si  heu- 
reus  que  d'auoir  la  santé  à  l'aduenir  telle  seulement 
comme  l'ay  maintenant  (néanmoins  que  la  fatigue  soit 
longue)  j'espère  les  auoir  bientost  fets.  et  principalle- 
ment  estans  délibéré  de  laisser  une  infinité  de  pra- 
tiques qui  s'offrent  tous  les  jours.  En  deux  choses 
seullement  je  me  trouue  engagé  pour  des  personnes 
à  qui  je  ne  peux  dire  non.  Mais  cela  s'acommodera 
auec  le  temps  et  sans  s'estendre  dauantage  sur  cette 
matière  seci  soit  dit  pour  tousiours. 

Je  vous  suplie  de  ne  point  traicter  de  cérimonie 
auec  vostre  seruiteur  mais  de  croire  seullement  que  je 


1644]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  257 

n'ay  rien  en  si  grande  recommandation  que  vostre 
seruice.  Tout  caque  vous  m'aués  commandé  de  faire 
icy  est  fet.  Vos  chandelliers  et  tableaus  sont  ariués  à 
Marseille.  Mo^  Despior  en  a  eu  nouuelles.  Vostre  lame 
d'argent  a  esté  enuoyée  à  Lorete.  Vos  bust  de  marbres 
sont  ariués  à  Ligorno^  mais  il  se  présente  une  diffi- 
culté car  il  ni  a  point  de  veseaus  et  ni  en  aura  point 
plustost  que  dans  un  an  qui  aillent  ou  à  S^.  Maslo  ou 
à  Rouen,  il  nia  maintenant  que  ceux  d'Holande  qui 
se  partent.  Et  d'engleterre  il  ni  faut  point  penser  à 
cause  de  la  guerre.  Je  vous  ay  vouleu  aduertir  de  ce 
qui  se  passe.  Mais  deuant  que  j'aye  vos  responses  si 
hors  de  nostre  espérance  il  se  présentoit  quelque 
occasion  nou  nous  en  seruirons.  il  m'estoit  veneu  en 
la  pensée  deuant  que  de  les  enuoyer  par  le  d'estroit. 
de  les  enuoyer  à  Lion  et  les  faire  tenir  en  quelque 
magasin,  j'usques  à  tant  que  le  sculpteur  qui  conduit 
les  statues  du  Car.  Ma.^  en  passant  par  ledit  lieu  de 
Lion  les  eust  fet  passer  jusques  à  Paris  auec  la  mesme 
dilligense  que  les  sienes.  Je  luy  en  auois  desià  parlé 
et  m'auoit  promis  de  le  faire  (car  il  est  bien  de  mes 
amis).  Mais  ne  sachant  pas  que  ce  fust  chose  bien 
assurée,  je  les  mandés  à  Ligorne  sans  atendre  de 
crainte  de  laisser  quelque  bonne  occasion.  Or  main- 
tenant qu'il  est  bientost  prest  de  se  partir  je  luy  veus 
reparler  et  voir  sil  sera  de  la  mesme  bonne  volonté 
quil  estoit  à  l'ors.  et  en  cas  quil  eust  changé  je  ne 
laisserai  pas  de  vous  les  enuoyer  à  Lion  là  où  si  par 
hazard  ils  demouroint  quelcun  de  vos  amis  passant 


1.  «  Dans  ce  temps-là,  on  disait  Ligourne  ou  Livourne,  et 
plus  souvent  Ligourne  »  (Avenel,  Corr.  de  Richelieu,  t.  VI, 
p.  847). 

2.  Le  cardinal  Mazarin. 

1911  17 


258  CORRESPONDANCE  [1644 

par  là  vous  les  pourroit  faire  porter  à  paris  il  se  part 
bien  souuent  d'ici  des  personnes  de  cognoissanse  qui 
en  passant  par  Lion  vous  pouroint  les  conduire,  mais 
pour  bien  faire  cette  affere  là  parlés  en  à  nos  bons 
amis  Serisier^  et  Pointel  qui  ont  de  bonnes  corres- 
pôdanses  et  de  bons  amis  à  Lion  par  le  moyen 
desquels  il  seroit  possible  que  vos  dits  bust  vous 
seroint  mandés  assurément  et  dilligemment  et  si  par 
hazar  nostre  dit  sculteur  s'oblige  à  faire  cette  besongne. 
vous  pouués  par  auanse  ordonner  à  Lion  par  le  moyen 
des  susdits  Serisier  et  Pointel  de  la  despense  quil 
faudra  faire,  et  comme  j'ei  dit  des  personnes  qui  en 
ayent  le  soin.  Je  vous  escriray  du  succès  de  cette 
affere  quand  il  en  sera  besoin  ayés  sollement  un  peu 
de  patiense  et  tout  ira  bien.  Ce  que  maintenant  je 
vous  dis  ne  vous  doibt  pas  mettre  en  paine  et  nous 
aurons  du  temp  à  penser  à  tout  deuant  que  les  quaisses 
soint  arriuées  à  Lion. 

Pour  finir  de  respondre  à  quelques  autres  choses 
de  vos  lettres  je  vous  prie  de  croire  que  Nostre  Sî  Père 
se  porte  fort  bien,  il  est  entièrement  hors  de  la  mala- 
die que  l'on  croioit  que  en  peu  de  temps  le  debuoit 
emporter  2. 

C'est  comme  une  folie  de  craindre  les  nouueautés 
^     et  les  brouilleries^  en  France  puis  que  l'on  ne  les 
peut  éuiter  et  que  jamais  elle  n'a  esté  autrement. 

1.  Cerisier,  négociant  lyonnais  établi  à  Paris,  en  face  Saint- 
Merri.  Grand  admirateur  de  Poussin,  il  avait  de  lui  le  Corps 
de  Phocion  emporté,  ses  Cendres  ramassées,  la  Fuite  en 
Egypte,  la  Reine  Esther  et  un  portrait  du  peintre  (Bonnaffé, 

^  Dict.  des  amateurs,  p.  5i).  Dans  le  Banquet  des  curieux,  il  se 
joint  à  Pointel  :  «  Pour  chanter  que  Poussin  n'eut  jamais  son 
pareil.  » 

2.  Urbain  VIII  mourra  cependant  bientôt,  le  29  juillet  1644. 

3.  La  Fronde  ne  commencera  qu'en  1648,  mais  son  état  d'es- 


1644]  I>E    NICOLAS   POUSSIN.  269 

Si  je  n'espérois  vous  mieux  satisfaire  auec  les  Pin- 
ceaux q'auec  la  plume  je  fuirois  leplus  que  je  pourois 
les  occasions  de  vous  peindre  quelque  chose,  ausi 
bien  que  je  fets  consiense  de  vous  importuner  de  mes 
lettres  mal  poUies  comme  elles  sont. 

Mais  puis  quil  vous  plait  [auoir]  auoir  agréable  le 
receuoir  souuent  de  mes  nouuelles  je  mettray  ausi 
souuent  la  main  à'  la  plume  comme  aux  pinceaux. 

Je  suis  vain  de  joye  de  ce  que  vous  me  fettes  scauoir 
du  gros  homme  Jaquelin.  mais  bien  dauantage  de  ce 
que  la  vertu  et  les  vertueus  auront  un  bon  protecteur 
à  l'aduenir^ 

Je  sererei  la  présente  pour  cette  heure  en  vous  bai- 
sant trèshûblem'  les  mains  moy  qui  serei  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 

105.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  "6-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  paris. 

[M.  Poussin  8  auril  1 644. 

Il  approuue  les  raisons  que  jay  eues  de  ne  me  pas 
faire  intend\  des  hastimens^  me  mande  quil  a  fait  son 

prit  se  manifestait  déjà,  à  l'occasion  de  l'opposition  entre  la 
Cour  et  le  Parlement,  sur  l'État  du  Toisé  (27  janvier  1644). 

1.  Il  était  question  que  Chantelou  remplaçât  Jacquelin, 
comme  intendant  des  bâtiments. 

2.  «  Au  commencement  de  1644,  ^^  charge  d'intendant  des 
bâtiments  fut  offerte  à  M.  de  Chantelou,  mais,  après  quelques 
hésitations,  il  refusa  par  égards  pour  de  Noyers  et  malheu- 
reusement pour  les  arts,  qui  n'eussent  pas  vu  sans  cela  pen- 
dant vingt  ans  la  triste  administration  de  Ratabon  »  (Chardon, 
Les  Fréart,  p.  60).  Ce  Ratabon  (Antoine  de,  inh.  i3  mars  1670) 


200  CORRESPONDANCE  [1644 

capital  de  Vouurage  des  sacrements  quil  y  mettra 
toute  son  estude  et  les  forces  de  son  talan 

que  l'inscription  de  Lorette  a  été  consignée  à  Mon- 
sig\  Caetane*  qui  la  f et  poser.] 

De  Rome  Ce  S'*"»*  Apuril  1644. 
Monsieur 

Je  deuois  respondre  à  la  vostre  du  cinquiesme  Mars 
par  l'ordinaire  passé.  Mais  l'incommodité  d'un  gran- 
dissime Rume  qui  m'étoit  surueneu  m'en  empescha. 
Maintenant  que  le  mal  s'est  amoindri  je  ne  veus  pas 
manquer  à  mon  debuoir.  et  en  premier  lieu  de  vous 
remercier  de  l'honneur  que  vous  m'aués  fet  de  me 
raconter  confidamment  les  raisons  pour  lesquelles 
vous  n'aués  pas  vouieu  accepter  la  charge  d'intëdans 
des  bastimens.  que  tout  le  monde  qui  vous  cognoist 
et  qui  vous  aime  souhettoit  que  vous  eussiés.  Mais 
toutes  vos  actions  estant  conduittes  par  le  moyen  de 
la  raison  vous  ne  pouués  rien  faire  qui  n'aye  une  fin 
vrayemen  vertueuse.  Tous  vos  despendans  comme 
moy  et  tant  d'autres  au  moins  se  doiuent  resiouir  que 
sependans  que  Monseigneur.  (A  qui  dieu  donne 
longue  vie)  sera,  vous  demeurerés  auprès  de  luy  et 
nostre  bon  aduocat  et  protecteur.  S'est  ceque  nous 
pouuons  souhetter  et  rien  dauantage. 

Se  n'est  pas  merueille  si  Monsieur  de  Charmois^ 

est  mentionné  dans  un  acte  du  9  juillet  1645  comme  «  con- 
seiller du  Roy,  intendant  des  bastimens  de  France  et  secrétaire 
de  M.  de  Noyers,  dem'  en  la  maison  dud.  s'  de  Noyers,  en  la 
rue  Neuve  St-Roch  ». 

1.  Lecture  douteuse. 

2.  «  C'était  un  ami  commun  de  Poussin  et  de  M.  de  Chan- 
telou  et  un  amateur  très  considéré  »  (H.  Chardon,  Les  Fréart, 
p.  19).  Sur  Martin  de  Charmois  (1609-1661),  voir  Vitet,  Jour- 
nal des  Savants,  1857,  p.  26,  29,  35,  114. 


1644]  ^E    NICOLAS    POUSSIN.  2^ 

qui  est  extrêmem'.  modeste  a  loé  le  petit  S'.  Paul  que 
je  vous  ay  fet  estant  particulièrem'.  entre  vos  mains, 
là  où  il  sera  encore  preserué  de  la  morsure  des  plus 
venimeuses  langes. 

Se  seroit  me  faire  tort  si  vous  ne  croyés  que  Je  n'aye 
en  singulière  recommâdation  les  sacrements  que  vous 
m'aués  commandé  que  Je  face.  J'en  ay  fet  mon  capi- 
tal et  se  sera  là  où  Je  metterei  toutte  mon  estude  et 
toutte  les  forces  de  mon  talent  tel  quil  est. 

Je  vous  promis  par  ma  dernière  de  vous  faire 
scauoir  en  quel  estât  estoit  l'affere  de  vos  huit  bust 
du  Vitelleschi.  J'ei  donc  seu  de  Ml  despior  que  son 
correspondant  de  Ligorne  les  auoit  fet  embarquer 
sur  un  gros  veseau  holandois  pour  Amsterdam,  où 
estans  ariués  dieu  aidans  l'on  les  remandera  à  Rouen 
au  Si;  Jan  Turgus  marchand  qui  vous  les  enuoyera  à 
Paris.  Le  dit  S^  despior  dit  que  le  port  ne  coustera 
guère  dauantage  que  si  s'estoit  pour  Rouen  à  droitture 
et  que  le  voyage  se  fet  en  deus  mois,  en  fin  soit  se  qui 
plaira  à  dieu  il  faut  patienter.  Car  il  n'est  plus  temps 
de  penser  à  un  autre  moyen. 

Le  père  Charles  m'a  mandé  une  lettre  d'un  Père 
prouinsial  Jésuite  qui  porta  la  lame  d'argent  à  Lorete 
là  où  il  dit  auoir  conseigné  laditte  lame  en  main  de 
Monseigneur  Gayetano  qui  ausi  tost  commanda 
qu'elle  fust  appliquée  en  son  lieu,  pour  ce  qui  est  de 
vos  chandelliers  et  coppies,  Je  n'en  ay  pas  eu  d'autres 
nouuelles  que  de  Marseilles  là  où  il  y  a  longtemps 
quils  estoint  ariués.  Je  crois  si  vous  ne  les  aués  rep- 
sus  que  se  sera  bientost. 

Jay  retiré  la  coppie  de  Vierge  que  le  S^  Le  Maire 
vous   a  fette  J'atens   que  vous   m'ordonniés  de  la 


202  CORRESPONDANCE  [1644 

manière  de  vous  l'enuoyer  l'on  nous  assure  que  la 
paix  est  fette  entre  le  Pape  et  messieurs  de  la  Liguée 
Nous  en  atendons  la  publication.  L'on  dit  icy  que 
Sa  Sainteté  ne  se  porte  pas  bien.  S'il  nous  manque 
dieu  nous  donne  mieux^.  H  ni  a  autre  chose  de  nou- 
ueau  en  ces  quartiers  icy. 

Monsieur  le  Cheuallier  du  Puis  et  M^  son  frère 
vous  saluent  très  affectueusem^. . 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  Seruiteur 

Poussin. 

106.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  118.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  1 5™e  auril  1 644. 

Il  mande  que  Vinscription  de  Lorette  est  posée 

quil  souhaitte  que  les  caisses  quil  ma  enuoyées 
arriuent  heureusement 

Quil  commance  le  premier  de  mes  Sacremens  quil 
prie  dieu  de  luy  donner  assés  de  vie  pour  les  acheuer 

tous  sept^.] 

De  Rome  Ce  iS^*»""  Apuril  1644. 
Monsieur 
Quand  ainsi  seroit  que  vous  eussiés  laissé  passer 

1.  La  France  (par  l'intermédiaire  du  cardinal  Bichi)  venait 
enfin  de  ramener  la  paix  en  Italie,  malgré  l'Espagne,  par  la 
paix  de  Ferrare  (3i  mars  1644),  qui  mit  fin  à  la  première 
guerre  de  Castro. 

2.  Bien  qu'Urbain  VIII  fût  favorable  à  la  France,  Poussin  ne 
pouvait  dissimuler  combien  les  Barberini,  ses  neveux,  gou- 
vernaient d'une  façon  lamentable. 

3.  Pour  la  description  des  Sept  Sacrements,  voir  Description 
des  tableaux  du  Palais-Royal  (par  Dubois  de  Saint-Gelais),  1727, 


1644]  I^E    NICOLAS    POUSSIN.  203 

encore  cet  ordinaire  sans  m'escrire  (néanmoins  que 
vos  nouuelles  me  consolent  infiniment  l'esprit)  pour- 
ueu  que  j'euses  en  fin  repseu  nouuelle  de  l'ariué  de 
vos  quaisses,  se  m'eust  esté  un  grandissime  conten- 
tem'  principallement  quand  j'euses  seu  que  ce  qui  est 
dedens  vous  eust  esté  rendu  sain  et  entier.  Car  je 
doubte  fort  quil  ni  aye  quelque  chose  de  guasté  ayant 
par  un  si  long  voyage  passé  par  tant  de  mains.  Je 
serei  certainement  en  inquiétude  jusques  atant  que 
j'en  aye  quelque  bonnes  nouuelles. 

Vos  dix  autres  quaisses  sont  par  le  voyage.  Je  crois 
assurément  quelles  arriueront  à  bon  port,  considéré 
la  bonté  de  la  saison,  il  y  a  eu  par  mer  cet  Hiuertant 
quil  a  duré  des  tempestes  et  tourmentes  extraordi- 
naires de  sortes  que  quantité  de  barques  et  de  veseaus 
ont  estes  engloutis  des  ondes  et  crois  que  sa  esté  bon- 
heur d'auoir  tardé  un  peu  à  les  enuoyer. 

Je  suis  bien  aise  que  vous  ayés  repseu  la  dernière 
police  que  je  vous  ay  enuoyée  avec  le  compte  de  la 
despense  que  jei  fette  pour  vous.  Jei  du  depuis 
employé  septante  écus  en  la  coppie  que  le  Si;  le  Maire 
a  fette.  et  vint  escus  à  M^  Thibaut.  Vous  me  mande- 
rés  sil  vous  plaist  ce  que  vous  désirés  que  je  face  du 
résidu  de  vostre  argent. 

Je  vous  prie  affectueusement  de  ne  considérer 
point  le  temps  que  j'employe  à  vous  seruir  car  je  l'es- 
time à  bonheur  et  le  fés  auec  joye.  Si  vous  vous  sou- 

in-i2,  p.  333.  —  On  sait  que  les  Sept  Sacrements  de  Chante- 
lou,  comme  ceux  de  del  Pozzo,  sont  aujourd'hui  en  Angleterre. 
Ceux  de  Chantelou  furent  achetés  120,000  francs  parle  Régent 
et  restèrent  au  Palais-Royal  jusqu'à  leur  vente,  avec  toute  la 
collection  d'Orléans,  au  duc  de  Bridgewater,  pour  1,225,000  fr. 
Ils  ont  passé  par  héritage  à  lord  Egerton,  puis  à  lord  EUes- 
mere. 


264  CORRESPONDANCE  [1644 

uiendrés  de  moi  lors  que  les  aflferes  de  delà  s'accom- 
moderont je  recepuerei  les  grâces  que  vous  me  ferés 
en  don  et  vous  en  demeurerei  à  tousiours  estroitte- 
ment  obbligé. 

Je  vous  rends  mille  grâces  de  ce  que  vous  aués  per- 
mis à  Mi;  Rémy  de  faire  la  vente  des  meubles  qui 
estoint  restés  en  la  maison  des  Thuilleries,  Ausibien 
se  gastoint  il.  L'on  en  a  tiré  cent  escus  que  je  recepue- 
rei demain. 

Je  ne  vous  répliquerei  autre  chose  pour  ce  qui  est 
de  la  placque  d'argent  de  Lorete  car  je  vous  en  ay  si 
souuent  escrit  quil  baste  elle  est  enfin  coUoquée  à  sa 
place'. 

Hier,  je  commensas  à  trauailler  à  l'un  des  Sacre- 
mens  Je  prie  dieu  quil  me  donne  la  vie  assés  longue 
pour  les  finir  tous  sept  ainsi  comme  je  souhette.  Je 
scais  bien  que  l'atendre^  est  une  fascheuse  chose  et 
quil  vous  anuira  en  Patente  de  cet  ouurage  mais  mon- 
sieur mon  cher  patrO  je  nay  que  une  main  qui  en  fin 
s'employera  pour  vous  seruir  le  plus  promtement 
quelle  pourra. 

Quand  vous  aurés  escrit  au  Vitelleschi  je  ne  man- 

1.  «  On  voit  à  côté  de  l'Evangile  un  ange  d'argent  de  la  taille 
d'un  homme  tenant  entre  ses  mains  et  présentant  à  la  sainte 
Vierge  un  enfant  d'or  du  poids  de  24  livres,  dans  un  plat  bas- 
sin de  vermeil  sur  un  coussin  d'argent;  ...  Le  coussin  sur 
lequel  repose  la  tête  de  l'enfant  porte  cette  inscription  : 

Acceptum  a  Virgine  Delphinum 
V  Gallia  Virgini  reddit. 

«  A  ce  présent,  qui  est  d'un  travail  exquis  et  qui  est  estimé 
plus  de  100,000  écus,  Louis  XIII  et  Anne  d'Autriche  joignirent 
deux  couronnes  d'or  enrichies  de  diamans,  l'une  pour  la  mère 
et  l'autre  pour  l'enfant,  que  le  pape  Urbain  VIII  fit  mettre  sur 
leur  tête  »  (J.-B.  Vanel,  Un  pèlerin  lyonnais  à  Rome  et  à 
Lorette  en  174g,  p.  71). 

2.  Poussin,  qui  avait  d'abord  écrit  :  l'attente,  a  corrigé  en  : 
Vatendre. 


1644]  I*E   NICOLAS   POUSSIN.  205 

querei  pas  de  luy  présenter  vos  lettres.  Jei  donné  à 

M^  Thibaut  les  vint  escus  en  deux  fois  dix  escus  pour 

le  mois  de  mars,  et  dix  autres  pour  le  mois  d'apuril 

Il  a  esté  raui  quand  il  a  veu  vostre  lettre  et  quil  a  seu 

que  vous  luy  ordonneriés  icy.  x.  escus  le  mois,  il 

vous  en  remercie  très  humblement,  et  parceque  il  ne 

se   présente    maintenant  autre   chose   à  vous   faire 

scauoir  je  finirei  la  présente  en  me   disant  toutte 

ma  vie 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 

107.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  120.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  Paris. 

[M.  Poussin  25  auril  1644. 

Il  me  mande  quil  trauaille  à  l'extremonction  qui 
est  un  sujet  dappelles  qui  se  plaisoit  à/«  des  transis. 

Il  parle  de  mes  coppies  après  Rafaël  et  des  guéri- 
dons quil  a  enuoiés.] 

de  Rome  ce  25'«'"«  Apuril  1644. 
Monsieur 

J'aurois  esté  extrêmement  satisfet  si  auec  la  nou- 
uelle  que  vous  m'escriués  du  3i'"''de  Mars  del'ariuée 
de  vos  caisses  j'euses  entendu  en  quelle  manière  les 
six  chandeliers  ont  esté  trouués  conserués  sil  seront 
ariués  ausi  bien  conditionnés  comme  vos  coppies 
tout  ira  bien. 

Je  vous  prie  de  croire  que  Jei  fet  mon  possible  pour 
vous  faire  bien  seruir  aus  coppies  que  l'on  vous  a 
fettes.  Mais  les  peintres  qui  les  ont  coppiées  ne  sauent 


âi56  CORRESPONDANCE  [1644 

pas  faire  dauantage  comme  je  crois,  ou  l'amour  qu'ils 
deuoint  auoir  à  i  employer  touttes  leurs  forces  aura 
esté  diminué  pour  quelque  subiec  qui  ne  m'est  pas 
assez  cogneu.  il  ne  laissent  pas  de  croire  d'auoir  fet 
des  merueilles  car  au  payement  je  m'en  suis  bien 
aperseu. 

La  dernière  coppie  que  Monsieur  Le  Maire  a  fette 
(si  bien  il  i  a  bien  pris  de  la  peine)  est  inférieure  à 
celle  de  Mignat  que  vous  aués.  Et  si  le  Vieus  auoit 
fini  la  siene  s'auroit  esté  la  moindre.  Enfin  Monsieur 
il  faut  confesser  quil  ne  se  rencontre  guère  de  per- 
sonne qui  puisse  contenter  les  intelligences  manquant 
aux  uns  les  forces  et  aux  autres  l'amour  de  la  dilli- 
gense  quil  faut  auoir  pour  bien  faire,  pour  ce  qui  est 
de  la  dernière  elle  n'empêchera  jamais  que  je  ne  vous 
face  quelque  chose  de  bien  mais  si  la  première  ne 
chemine  d'un  pied  égal,  vous  pourés  m'excuser  puis 
que  n'y  aurei  rien  espargné.  Je  trauaille  gaillardement 
à  l'Extrême  occion  qui  est  en  vérité  un  subiec  digne 
d'un  apelles  (Car  il  se  plaisoit  fort  à  représenter  des 
transis).  Je  ne  cesserei  cependans  que  je  me  trouue 
d'umeur  que  je  ne  Paye  mis  en  bon  terme  pour  une 
esbauche.  Le  dit  tableau  contiendra  diset  figures 
d'hommes  de  famés  d'enfants  jeuneset  vieus  une  par- 
tie desquelles  se  consomment  en  pleurs  et  les  autres 
prient  dieu  pour  le  moribonde 

Je  ne  vous  le  veus  pas  descrire  autrement  car  se 
n'est  pas  bien  l'offise  d'une  plume  mal  taillée  comme 
la  miene.  mais  d'un  pinceau  doré  et  bien  amanché. 
Les  premières  figures  sont  de  deus  pieds  de  hauteur  ^ 

1.  Voir,  au  Louvre,  un  dessin  d'étude  de  l'Extrême-Onction. 

2.  Les  Sacrements  de  del  Pozzo  «  n'ont  que  deux  palmes  de 
long  »  (Félibien,  p.  17). 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  267 

et  le  tableau  sera  enuiron  de  la  grandeur  de  vostre 
manne  %  mais  de  plus  belle  proportion. 

Nous  ne  scauons  point  de  nouuelles  pour  vous 
entenir.  C'est  pourquoy  je  serrerei  la  présente  en 
atendans  d'auoir  l'honneur  de  vos  commandemens 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 
Ma  famé  vous  salue  en  toutte  humilité. 
Je  vous  enuoye  avec  celle  si  une  lettre  de  M^  le 
Cheuallier  du  Puis. 

108.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  I2li) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris 

[M.  Poussin  14^  may  1644. 

Cette  lettre  est  à  remarquer  parlant  de  lextre- 
onction  qui  seule  promet  valoir  mieux  dans  la  seule 
ébauche  que  tous  les  sept  de  M.  le  Caualier  du  Puy. 

Quil  diffère  de  seruir  M.  Ton  et  M.  de  Cotances^ 

pour  trauailler  pour  moy.] 

De  Rome  Ce  i4'e«e  May.  1644. 
Monsieur 

Je  nei  peu  respondre  à  la  vostre  du  i5"«  Auril  jus- 
ques  à  maintenant  ce  que  pourtant  je  n'aurois  pas  fet 
sil  y  eust  en  icelle  quelque  chose  qui  eust  eu  besoin 
d'une  prompte  response. 

Il  n'est  plus  besoin  de  vous  mettre  en  peine  de  vos 
bust.  Car  il  y  a  longtemps  que  l'on  les  a  enuoyés  par 
le  destroit  ainsi  que  je  vous  l'ai  escript  par  plusieurs 

1.  La  Manne,  au  Louvre,  mesure  2  mètres  sur  o"49. 

2.  Voir,  sur  ce  personnage,  les  Notes  complémentaires. 


208  CORRESPONDANCE  [1644 

fois.  Nous  sommes  en  atendans  les  nouuelles  de  l'ari- 
uée  car  si  le  veseau  là  où  ils  furent  embarqués  aura 
eu  bon  temps  il  doit  estre  proche  d'Amsterdam.  Si 
vous  en  auiés  nouuelle  plustost  que  nous  vous  nous 
ferés  la  faueur  de  nou  oster  de  peine  Nous  ferons  le 
mesme  à  vous  en  vous  mandans  les  nouuelles  que 
nous  en  aurons  aprise. 

Je  scais  bien  que  Patente  de  se  que  l'on  désire  [de] 
posséder  est  une  peine  des  plus  grandes  que  l'on 
puisse  souffrir  mais  comme  vous  estes  modéré  en 
toutte  chose  je  crois  que  vous  le  serés  enquore  en 
l'atente  de  vos  tableaus.  Jay  esbauché  le  premier  fort 
nettement  de  sorte  que  l'on  peut  juger  se  quil  pourra 
estre  estans  fini.  Mf  le  Cheualier  du  Puis  l'est  veneu 
voir  qui  néanmoins  quil  face  bonne  mine  l'on  voit 
bien  quil  luy  desplairoit  si  les  sudit  tableaus  demou- 
roint  à  Rome.  Mais  parceque  ils  vont  entre  vos  mains 
et  bien  loint  d'icy  il  boit  le  calice  avec  moins  de  con- 
trecœur. Il  a  esté  estonné  de  voire  sur  un  mesme 
subiec  une  disposition  si  diuerse  et  des  actions  de 
figures  toutte  contraires  aus  siennes,  mais  en  fin  il 
faut  quil  souffre  et  luy  et  les  autres  de  voir  un  de  vos 
seuls  tableaus  qui  promet  valoir  mieus  que  tous  les 
siens  ensemble.  Je  vas  commencer  le  second,  en  aten- 
dans que  seluy  si  se  sèche  bien,  qui  est  chose  assés 
importante  en  la  peinture,  et  pour  vous  donner  à 
cognoistre  combien  je  suis  désireus  de  vous  satisfera 
et  de  vous  seruir.  jei  fet  atendre  M";  l'Euesque  de 
Constanse  jusques  à  maintenant  sans  rien  faire 
pour  luy  néanmoins  quil  y  ay  un  long  temps  quil  est 
passionné  pour  auoir  quelque  chose  du  mien.  Mf  de 
Tou*  quil  y  a  fort  longtemps  que  je  cognois  famil- 

I.  Jacques- Auguste  II  de  Thou  (1609-1677),  frère  de  l'ami  de 
Cinq-Mars;  premier  président  d'une  des  chambres  des  enquêtes 


1644]  ^E    NICOLAS   POUSSIN.  269 

lèrement  désiroit  que  je  luy  fisse  un  trespassement 
de  Crist  en  Crois  et  me  le  paioit  trèsbien.  Mais  jei 
délibéré  de  laisser  cette  pratique  pour  atendre  à  la 
promesse  que  je  vous  ay  fette.  Le  reste  des  choses 
qui  me  sont  demandée  de  bon  lieu  et  de  bonne  par 
je  n'en  parle  pas  car  il  sembleroit  que  se  seroit  pour 
me  fère  valoir.  Il  suffit  que  je  dresse  toutte  ma  pen- 
sée à  vous  seruir  et  vous  fere  quelque  chose  de  meil- 
leur que  je  n'ai  fet  par  le  passé,  sans  vouloir  penser 
à  autre  chose.  Je  vous  prie  de  vous  en  assurer. 

Si  tost  que  j'en  aurei  acompli  quelcun  je  vous  le 
manderei  incontinent  ainsi  comme  vous  le  désirés. 

Je  ne  manquerei  pas  d'aler  ses  festes  voir  les  pères 
de  Sj  Pierre  Montorio  pour  retirer  de  leurs  mains  la 
coppie  du  tableau  de  Raphaël  la  retirans  chez  moi 
ou  roulée  ou  autrement  et  quand  je  rencontrerei  l'oc- 
casion de  vous  l'enuoyer  je  la  ferei  encaisser  avec  la 
coppie  de  la  Vierge  que  le  sieur  Le  maire  vous  a  fette 
(si  au  parauant  je  ne  resois  quelque  nouuel  ordre  de 
vous)  et  vous  les  enuoyerei. 

Le  bon  M":  Tibaut  atend  auec  bien  de  l'impatiense 
la  lettre  que  vous  luy  aués  promise  il  m'a  prié  de  vous 
présenter  ses  baisemains  et  vous  faire  *  souuenir  de 
luy  en  sa  nécessité. 

Il  ni  a  rien  de  nouueau  en  cette  ville  qui  mérite 
vous  estre  escrit  L'on  atent  seullement  de  jour  à 
autre  Mo""  le  Cardinal  de  Lion^  Nostre  S\  Père  se 
porte  bien  et  l'on  ne  dit  autre 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobeissant  Seruiteur 

Poussin 

au  Parlement  de  Paris,  exilé  en  i652,  ambassadeur  en  Hol- 
lande, 1657.  Il  augmenta  la  splendide  collection  de  son  père. 
I.  Alphonse-Louis   du   Plessis  de  Richelieu,  frère  aîné  du 


270  CORRESPONDANCE  [1644 

Ma  femme  et  mon  frère  vous  baise  très  humblement 
les  mains'. 

109.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  '2^0 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  3o^  may  1644. 

Il  parle  du  tableau  de  la  pénitence  où  sera  le  Tri- 
cline  lunaire  qu'on  appelle  Signia. 

Cette  lettre  est  plaine  destitue  et  de  désir  de  me 
seruir.] 

De  Rome  Ce  3o«  May  1644. 
Monsieur 
d'autans  que  par  vostre  dernière  du  5^  May  vous  ne 
m'ordOnés  rien  de  nouueau  ains  vostre  lettre  estant 
seullement  la  response  de  mes  précédentes,  joint 
enquores  les  dernières  que  je  vous  ei  escriptes  par 
lesquelles  je  vous  ay  fet  scauoir  se  qui  se  passe.  Je 
crois  quil  n'est  pas  nécessaire  d'user  en  celle  si  de 
trop  long  discours  mais  seullement  il  suffira  que  vous 
sachiés  que  jei  retirés  chés  moy  la  coppie  du  tableau 
de  S*,  pierre  in  Montorio.  Laquelle  je  tiendrei  rous- 
lée.  Jusques  à  tant  quil  se  présente  l'occasion  de  vous 
l'enuoyer  acompagnée  de  la  coppie  du  S|;  Le  Maire. 

Du  reste  tout  va  bien  puis  que  vous  aduoués  ce  que 
jei  fet  touchans  l'enuoy  de  vos  bust  par  le  destroit.  Je 

grand  Cardinal,  dont  la  volonté  fit  un  archevêque  d'Aix  (1626), 
puis  de  Lyon  (1628).  Urbain  VIII  le  nomma  cardinal  le  21  août 
1629,  en  reconnaissance  de  la  prise  de  La  Rochelle.  —  Mignard 
peindra  pour  lui,  en  cette  année  1644,  les  copies  de  toute  la 
galerie  Farnèse,  le  chef-d'œuvre  de  Carrache;  il  y  travail- 
lera huit  mois. 
I.  Phrase  écrite  verticalement,  dans  la  marge. 


1644]  ^^    NICOLAS    POUSSIN.  27 1 

crois  certeinement  que  il  vous  seront  rendus  sains  et 
entiers. 

Jei  doubté  jusques  à  maintenant  que  vos  chandel- 
liers  ne  vous  ayent  pas  esté  portés  conserués  comme 
je  l'eusse  désirés  et  d'autans  plus  j'en  suis  en  peine 
plus  vous  vous  abtenés  de  m'en  escrire  un  mot.  Je 
vous  supplie  de  m'escrire  en  quelle  manière  ils  vous 
ont  esté  rendus,  aumoins  sela  me  seruira  pour 
quelque  autre  occasion,  qui  se  pourroit  présenter,  de 
mander  de  delà  de  semblable  chose  et  je  pourei  co- 
gnoistre  d'où  le  defFaut  peut  estre  veneu  ou  de  l'em- 
ballage ou  de  l'alge  qui  est  de  nature  aucunement 
salée,  ou  pour  les  auoir  tenus  trop  longtemps  enfer- 
més dedens  les  quaisses  ou  bien  sil  ont  esté  gastés  par 
le  peu  de  soin  de  ceux  qui  les  ont  portés. 
>  il  n'est  plus  besoin  de  vou  parler  de  la  placque  d'ar- 
gent de  Loreto  puisque  vous  scaués  bien  quelle  est  en 
sa  place. 

Je  vous  rends  grâces  infinies  de  la  récepsion  que 
avés  fette  à  M;;  La  fleur,  pour  l'amour  de  celuy  qui 
vous  est  trèshumble  seruiteur.  mais  bien  encore  da- 
uantage  de  ce  que  vous  me  promettes.  Vous  aies  mul- 
tiplians  d'autans  plus  mes  obligations  enuers  vous, 
quand  vous  scaués  si  bien  tailler  les  cheueus  à  San- 
son^  de  sorte  quil  n'aura  jamais  la  forse  de  nous  fere 
sortir  de  nostre  maison.  Je  ne  sçais  le  jugement  que 
vous  aués  fet  de  luy  par  la  lecture  que  vous  aurés 
peu  fere  de  sa  lettre  que  je  vous  ay  contremandée 
quand  pour  moy  je  crois  que  c'est  Sanson  le  foible  et 
qui  mériteroit  recepuoir  de  Mo^  une  bonne  mortifi- 
catis. 

il  n'estoit  pas  besoin  d'espandre  si  largement  les 

I.  Samson  Lepage.  Voir  lettre  du  26  novembre  1644. 


îy*  CORRESPONDANCE  [1644 

fleurs  de  vostre  réthorique  pour  me  persuader  à 
croire  ce  que  en  rians  vous  dittes  de  vous  mesme. 
Mais  je  vous  supplie  de  tenir  pour  assuré  que  je 
vous  estime  sans  comparaison  dauantage  que  ceus 
qui  sont  montés  sur  les  plus  haut  piédestaus  de 
nostre  France,  Je  resterei  dans  cette  oppinion  qui  me 
seruira  d'une  stimulation  perpétuelle  à  rechercher  les 
moyens  de  vous  bien  seruir.  Je  suis  sur  le  point  de 
vous  commencer  un  second  tableau,  de  la  pénitense 
où  il  y  aura  quelque  chose  de  nouueau.  particuliè- 
rem*  le  tricline  lunaire  quils  apelloint  Sigma*  y  sera 
obserué  pontuellement. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaftectionné  seruiteur 

Poussin. 

110.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f°'-  '^5.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  20  juin  1644. 

Il  promet  d'enuoyer  à  l'automne  l'extremonction  et 
à  Pasques  un  autre  sacrement. 

Grand  discours  touchans  la  coppie  de  S^  Pierre  in 
Montorio^  par  M.  de  S^  Chaumon.] 

De  Rome  ce  20'n«  juin  1644. 
Monsieur 
Il  ne  seroit  pas  de  besoin  que  vous  prissiés  la  peine 

I.  Triclinium,  réunion  de  trois  lits  à  trois  personnes,  pour 
prendre  le  repas  couché,  à  la  mode  des  anciens.  —  Voir  le 
dessin  de  Poussin  au  Louvre,  n"  i263  (don  de  M.  His  de  la 
Salle,  1866).  —  «  Je  possède  un  autre  dessin  du  Poussin,  Tri- 
clinio  lunare  detto  Sigma;  étude  recto  et  verso  d'une  peinture 


1644]  ^E   NICOLAS   POUSSIN.  27? 

de  respondre  à  toutte  celles  que  je  vous  escris,  seul- 
lement  je  me  contenterois  bien  d'auoir  de  vos  nou- 
uelles  lors  quil  est  question  de  vous  seruir.  principal- 
lement  la  plus  part  des  miennes  n'estant  que  une 
jointe  aux  anuis  que  le  malheur  du  ciècle  vous  pou- 
roint  aporter.  Je  voudrois  bien  pourtant  estre  capable 
de  vous  consoler  par  quelque  moyen,  mais  mon  talent 
est  de  trop  petite  estendue,  ne  pouuant  fere  autre  que 
jetter  quelque  souppirs  auec  vous. 

il  ne  faut  point  doubter  que  ne  m'ayant  jamais  (par 
tant  de  lettres  que  jey  repseues  de  vous)  parlé  de  vos 
chandeliers  que  je  ne  creuse  que  vous  n'en  auiés  pas 
du  tout  le  contentement  que  vous  en  espériés.  Mais 
maintenant  que  vous  me  spésifiés  le  dommage  qui  y* 
est  ariué  (qui  peut  estre  estremédiable)  je  ne  suis  pas 
en  tant  de  peine  que  j'estois,  m'estant  bien  imaginé 
dès  le  commensement  que  des  choses  si  fragilles  ne 
pouuoint  pas,  par  un  si  long  et  facheus  voyage  ariuer 
bien  côditionnées  quelque  dilligense  que  l'on  puisse 
aporter  en  l'emballage.  Mais  des  choses  fettes  le  Con- 
seil en  est  prins.  Nous  serons  plus  aduisés  autour  des 
choses  que  nous  auons  à  faire  à  l'aduenir. 

il  n'est  nullement  de  besoin  de  me  donner  de  la  sti- 
mulasion  à  finir  auec  amour  et  soin  les  ouurages  que 
je  vous  ay  commensées.  L'amour  que  jei  pour  vous  et 
l'enuie  de  bien  faire  ne  peuuent  estre  augmentés  par 
nul  moyen.  Touttefois  si  l'artifice  n'ariue  à  un  degré 
de  perfection  tel  comme  vous  le  dépeignés  en  l'ima- 

des  catacombes,  représentant  une  agape,  avec  l'inscription 
autographe  du  Poussin;  à  la  plume  lavé  de  bistre.  C'est,  à 
n'en  pas  douter,  le  document  dont  s'est  servi  le  maître,  pour 
le  second  tableau  de  ses  Sacrements  «  (Ph.  de  Chennevières, 
La  peinture  française,  p.  219). 

1911  18 


^74  CORRESPONDANCE  [1644 

gination  n'en  accusés  autre  que  l'exellenses  de  vos 
belles  idées  qui  ne  se  peuuent  seconder.  Je  vas  l'un  de 
ses  jours  finir  l'extrême  onction  que  jespère  vous 
enuoyer  cet  automne  dieu  aidans^  l'incommodité  des 
grandes  chaleurs  ne  me  permettent  pas  de  trauaillier 
tant  que  de  une  autre  saison.  Et  sil  sera  possible  c5e 
je  crois  vous  en  aurés  un  autre  pour  pasque.  Ainsi 
chasque  anée  je  pourrei  vous  en  enuoyer  deux.  Sil 
m'aduansera  quelque  peu  de  temps  vous  me  permet- 
trés  de  l'employer  à  quelque  autre  gentillesse  pour 
m'entretenir  en  *  l'amitié  de  quelque  miens  amis. 

Le  bon  Monsieur  Tibaut  es  resucité  d'auoir  veu  ce 
que  vous  m'escriués.  Je  luy  ay  donné  dix  escus  de 
l'argent  qui  vous  auanse  pour  le  mois  de  May.  Ainsi 
comme  vous  le  désirés,  de  sorte  que  maintenant  il  ne 
reste  de  tout  vostre  dit  argent  que  cent^  et  cinquante 
quatre  escus.  ayant  employé  depuis  le  dernier  conte 
que  je  vous  mandas,  septante  escus  pour  la  Vierge  du 
maire  et  trente  audit  Tibaut  pour  trois  mois  et  un 
escus  autour  du  tableau  de  S*  Pietro  In  Montorio.  Le 
susdit  Sieur  Tibaut  m'a  promis  de  vous  escrire  par 
cet  ordinaire  touchant  les  modelles  que  vous  désirés 
qui  me  consigne. 

Si  les  curieus  que  vous  me  nommés  auec  leur  gui- 
don^aprouue  ou  réprouue  ce  quejefespeu  de  resen- 
timen  j'en  ay  et  d'une  façon  et  d'une  autre  il  me  suf- 
firoit  bien  de  pouuoir  contenter  moymesme  sans 
prétendre  de  la  louange  de  ceux  qui  ne  furent  jamais 
loués. 

1.  L'écriture  de  Poussin  s'altère.  Par  exemple,  le  jambage 
du  d  de  aidans  est  tout  à  fait  tremblé. 

2.  Poussin,  ayant  écrit  deux  fois  le  mot  cent,  l'a  rayé  une 
fois. 

3.  Simon  Vouet  et  ses  élèves. 


1644]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  276 

Or  maintenant  il  est  temps  que  je  vous  face  scauoir 
se  qui  se  passe  autour  de  la  coppie  de  S.  Pietro  Mon- 
torio  que  jei  par  vostre  ordre  retirée  chés  moy.  Et  à 
celle  fin  que  vous  puissiés  coniecturer  plus  facille- 
ment  la  fin  des  présentes  brouilleries  je  commencerai 
de  loins. 

Monsieur  Matieu  Segraitere  de  Monsieur  le  Conte 
de  Sî  Chaumont^  nostre  embassadeur.  incontinent 
ariué  à  Rome  avec  une  furie  françoise^  me  vint  faire 
une  proposition,  que  il  auoit  à  lion  une  sœur  reli- 
gieuse quil  auoit  prié  de  luy  faire  faire  un  tableau  de 
déuotion  pour  mettre  sur  l'autel  principal  de  leur 
église  dont  le  tabernacle  n'estoit  pas  encore  fet.  Je  lui 
dit  qu'il  trouueroit  à  Rome  quantité  de  gens  quil  le 
pouroint  seruir,  il  me  demanda  si  je  le  voudrois  bien 
faire,  mais  je  luy  fis  des  escuses  desquelles  il  se  pou- 
uoit  contenter.  Du  depuis  je  ne  l'ay  plus  reueu'.  En 
suitte  de  sela.  huit  jours  au  parauant  que  je  reti- 

1.  Melchior  Mitte,  comte  de  Miolans,  marquis  de  Saint-Cha- 
mond  ou  Saint-Chamont,  seigneur  de  Chevrières  (mort  en 
1649).  Richelieu  l'avait  fréquemment  employé  dans  ses  négo- 
ciations, mais  cette  brève  ambassade  fut  sa  perte  :  Mazarin 
lui  avait  ordonné,  au  conclave,  de  faire  exclure  le  cardinal 
Pamphili,  et  Saint-Chamont  le  laissa  élire  (Innocent  X).  Dis- 
gracié et  exilé  dans  ses  terres,  à  la  fin  de  1644,  il  essaya  de 
revenir  à  la  cour  en  1645,  mais  Mazarin  répondit  qu'il  aurait 
dû  être  «  fustigé  »  pour  sa  conduite  à  Rome.  —  Ce  personnage 
très  oublié  semble  avoir  été  suspect  d'aigreur  et  d'arrogance  : 
il  souffrait  peut-être  de  voir  le  fidèle  cardinal  Bichi,  et  non  lui, 
diriger  la  politique  française  en  Italie  et  posséder  la  pleine 
confiance  de  Mazarin  (voir  Chéruel,  Hist.  de  France  pendant 
la  minorité  de  Louis  XIV,  t.  II,  p.  i5i). 

2.  Est-ce  l'ambassadeur  Saint-Chamont  ou  le  secrétaire 
Matieu  qui  vient  d'arriver?  J'inclinerais  à  croire  que  ce  serait 
Matieu,  car  Guy  Patin  écrit  à  Spon,  dès  le  12  octobre  1643,  sur 
«  M.  de  S'  Chamond  qui  s'en  va  ambassadeur  à  Rome  »  (Bibl. 
nat.,  ms.  fr.  9357). 

3.  Un  intervalle  blanc  dans  le  ms. 


276  Correspondance  [1644 

rasse  le  dit  tableau  M^  l'Ambassadeur  se  porta  à 
S*  Pietro  Montorio.  et  après  auoir  veu  la  ditte  cop- 
pie.  se  luy  sembloit  abandonnée,  il  dit  aus  Moines 
quil  faloit  la  finir  puis  quelle  auoit  esté  commensée 
pour  le  Roy. 

Peu  de  jours  après  je  fis  porter  la  ditte  coppie  chés 
moy.  Lundi  dernier  le  dit  Seigneur  Ambassadeur 
enuoya  quérir  le  Sieur  Chaperon  qui  est  de  retour  de 
Malte  le  jour^  le  jour  au  parauant  que  le  dit  tableau 
fust  retiré  luy  demandas  qui  il  estoit  brusquement  et 
pourquoy  il  auoit  abandonné  et  laissé  imparfet  une 
ouurage  commensé  pour  le  Roy  et  comme  embassa- 
deur  il  en  vouloit  auoir  cognoissanse.  Chaperon  fit 
ses  escuses  à  son  auantage  disant  que  l'argens  lui 
estoit  manqué  et  que  moy  qui  auoit  la  commission  de 
le  faire  finir  ne  l'auois  pas  vouleu  payer. 

Après  cela  je  fus  apellé  chés  Monsieur  l'Ambassa- 
deur qui  du  commensement  me  reprint  de  se  que  je 
ne  l'auois  pas  esté  saluer  et  que  j'auois  besoin  de  la 
protection  du  Roy  quil  faloit  que  je  retournasse  en 
Franse  et  que  en  cela  il  me  vouloit  fauoriser  quil 
\  auoit  assés  ouy  parler  de  moy.  Je  le  remersiais  bien 
humblement.  Alors  il  me  demanda  que  vouloit  dire 
que  le  tableau  de  S'.  Pietro  Montorio  n'auoit  pas  esté 
fini.  Je  luy  racontas  brèuement  toutte  l'Histoire.  Or 
ça  si  2  dit-il  puis  que  vous  l'aués  chés  vous  je  vous 
deffens  de  l'enuoyer  mais  escriués  en  à  Monseigneur 
de  Noyers  et  monstres  moy  la  response  quil  vous 
donnera  car  je  la  veus  voire.  Voilà  brèuement  se  qui 
se  passe  touchant  Monsieur  l'Ambassadeur. 

1.  Les  mots  le  jour  sont  redoublés,  parce  qu'à  cet  endroit 
Poussin  a  tourné  la  feuille  et  commencé  une  nouvelle  page  de 
la  lettre. 

2.  Trois  mots,  d'une  lecture  très  douteuse. 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  277 

Chaperon  d'un  autre  costé  veut  auoir  encore  rai- 
son, il  dit  que  il  a  trauaillé  longtemps  au  sudit  ta- 
bleau et  que  il  n'est  pas  satisfet  à  beaucoup  près 
de  l'argent  quil  a  repseu  et  qu'il  prétend  que  son 
esbauche  luy  soit  rendue,  et  qu'il  restitura  les  arres 
qu'il  a  repsues.  Pour  mon  particulier  je  ne  veus  point 
disputer  contre  une  beste  comme  il  est.  Je  luy  ay 
promis  de  vous  faire  scauoir  ses  prétentions  et  que  je 
luy  montrerois  vostre  response.  Il  vous  plaira  donc 
(Monsieur)  de  dresser  une  lettre  sur  ses  deus  subiects 
icy  la  quelle  je  puisse  monstrer  et  à  Monsieur  Lem- 
bassadeur  et  au  gros  Chaperon. 

Si  j'eusse  peu  faire  de  moins  que  de  vous  aniuer 
par  se  long  discours  je  l'eusse  fet  mais  il  a  esté 
nécessaire  de  vous  en  importuner.  Sependans  je  vous  * 
suplie  de  me  conseruer  le  tessor  de  vostre  Amitié  et 
demeurerei  toutte  ma  vie 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  seruiteur 

Poussin 

111.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol*  127.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Commis  de  Monseigneur  de  Noyer,  A  Paris. 

[Poussin  26^  juin  1644. 

Il  parle  du  Faune  qui  dort  quil  fera  modeller  le 

faune  qui  dort  qui  est  dit  il  une  statue  de  la  plus  belle 

manière   qui  se  trouue  entre   le  reste  des  oeuures 

greques.  Cest  celuy  dontjay  le  modelle  de  Tibault.] 

De  Rome  Ce  26'^^  Juin  1644. 
Monsieur 

Jei  repseu  la  vostre  du  29™»  May  ensemble  l'ordre 
I.  Mot  écrit  deux  fois  et  rayé  une. 


X 


278  CORRESPONDANCE  [1644 

que  vous  enuoyés  à  monsieur  Thibaut.  Je  ne  l'ay  peu 
rencontrer  jusques  auiourdhui  que  je  crois  le  trouuer 
sur  la  plase*,  là  où  je  luy  présenterei.  à  celle  fin  quil 
puisse  toucher  les  dis  escus  pour  le  présent  Mois,  il 
vous  escript  par  le  dernier  ordinaire.  Sur  le  fet  des 
modelles  quil  fet  icy.  Je  lui  procurerei  la  license  de 
modeller  un  faune  qui  dort  statue  en  vérité  de  la  plus 
belle  manière  qui  se  trouue  entre  le  reste  des  œuures 
grecques  Antiques  et  comme  la  *  ditte  figure  est  en  un 
lieu  particulier  chez  messieurs  les  *  Barberins  *  il  pour- 
roit  estre  quil  y  eust  un  peu  de  difficulté  mais  quand 
le  Cardinal  scaura  que  c'est  pour  vous  je  crois  que 
l'on  impétrera  ce  que  l'on  désire^,  par  le  mesme  ordi- 
naire passé  je  vous  fis  scauoir  se  quil  se  passoit  au- 
tour de  la  coppie  du  tableau  de  S',  Pietro  in  Monto- 
rio.  Je  vous  supplie  de  ne  manquer  pas  d'en  escrire 
de  manière  que  je  me  puisse  desbrouiller  de  cette 
affere  là  poliment.  Car  jei  ici  des  Anemis  à  qui 
mon  repos  desplaist  et  qui  seroint  bien  aise  de  le 
troubler. 

Pour  ce  qui  est  des  afferes  de  par  delà,  je  ne  seau- 
rois  que  vous  en  dire  sinon  quil  se  faut  conformer  à 
la  volonté  de  dieu  qui  ordonne  ainsi  les  choses,  et  la 
nécessité  veut  quelle  se  passent  ainsi.  Nous  auons  eu 
il  y  a  désià  quelque  bon  espase  de  temps  la  nouuelle 
de  la  disgrâce  de  M^  de  La  Motte  odancour.  en  Cata- 
logne 3,  vous  vous  pouués  bien  imaginer  que  Mes- 

1.  La  place  d'Espagne.  Le  beau-père  de  Poussin,  Dughet,  y 
logeait,  et  Poussin  en  était  peu  éloigné.  C'était  le  rendez-vous 
des  Français,  et  Poussin  s'y  promenait  à  peu  près  tous  les 
soirs  (voir  Bellori). 

2.  Le  Faune  Barberini. 

3.  Mazarin,  indigné  du  «  malheur  de  la  Catalogne  »  (lettre 
du  II   juin),  va  bientôt  faire  arrêter  La  Mothe-Houdancourt 


1644]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  279 

sieurs  les  Castiglians  font  grande  dilligense  pour 
scauoir  se  qui  se  passée  Nous  scauons  enquores  par 
Venise  que  Graueline  estoit  asiégée  par  nostre  armée 
surnommée  la  dorée^.  Que  plût  à  dieu  quelle  fust  de 
fer  seuUement  et  quelle  emportast  heureusement  la 
victoire.  Nous  auons  sceu  ausi  quil  y  a  eu  du  bruit 
entre  le  Mareschal  Gassion  et  M^  de  La  Meilleraye*. 
Mais  en  fin  tout  cela  ne  fet  point  pour  nous. 

L'on  dit  encore  que  les  afferes  de  l'Empereur  vont 
bien  mieus  que  par  le  passé"*.  Si  l'on  pipe  au  mani- 

(28  décembre  1644)  et  le  laissera  dans  le  château  de  Pierre- 
Encise  jusqu'en  1648.  —  Poussin  s'intéressait  d'autant  plus  à 
ce  maréchal  qu'il  était  neveu  de  M.  de  Noyers  et  que  certains 
prétendaient  (à  tort)  qu'il  était  victime  de  l'inimitié  de  Le  Tel- 
lier,  le  nouveau  secrétaire  à  la  Guerre  (voir  Chéruel,  op.  cit., 
t.  I,  p.  v). 

1.  «  Je  pense  qu'il  y  a  des  gens  icy  qui  ont  des  esprits  folets 
qui  leur  aportent  les  nouvelles...  »  Gueffier  à  Brienne,  2  dé- 
cembre 1647,  fol.  541  du  ms.  Cinq-Cents  Colbert  356. 

2.  «  On  y  déploya  un  faste  qui  flattait  le  duc  d'Orléans  et 
la  noblesse.  On  annonça  que  le  prince  devait  tenir  table 
ouverte  pour  tous  les  gentilshommes  qui  le  suivraient;  une  de 
ces  tables  était  de  soixante  couverts,  une  autre  de  quarante, 
et  il  y  en  avait  beaucoup  de  moins  considérables.  On  espérait 
ainsi  attirer  à  l'armée  un  grand  nombre  de  volontaires  »  (Ché- 
ruel, op.  cit.,  1. 1,  p.  278).  —  Gravelines  ne  capitula  que  le  28  juil- 
let 1644. 

3.  Mazarin  en  écrivait  à  Condé  (alors  duc  d'Enghien)  :  «  Vous 
avez  sceu  la  mauvoise  intelligence  qui  avoit  presque  tousjours 
régné,  durant  le  cours  du  siège  [de  Gravelines],  entre  MM.  les 
mareschaux  de  la  Meilleraye  et  de  Gassion;  mais  elle  a  esclaté 
tout-à-fait  sur  la  reddition  de  la  place...  —  Les  susdits  mares- 
chaux  s'estant  rencontrés  ensuite  mirent  l'espée  à  la  main  l'un 
contre  l'autre.  Cela  a  esté  accommodé;  mais  il  est  très-fas- 
cheux  que  ce  demeslé  se  soit  passé  presque  à  la  veue  des  enne- 
mys,  et  qu'il  s'en  ayt  peu  fallu  que  les  troupes  ne  se  soient 
partagées  pour  se  battre  les  unes  contre  les  autres  »  (Chéruel, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  i5). 

4.  C'était  exact.  Ferdinand  III  voulait  traiter  et,  sans  l'obsti- 
nation de  l'Espagne,  il  eût  pu  le  faire  assez  avantageusement, 
après  les  défaites  de  Guébriant  à  Rothweil  et  de  Rantzau  à 
Tutlingen,  en  1643. 


28o  CORRESPONDANCE  [1644 

ment  de  nos  afferes  comme  l'on  fet  au  jeu  de  dés  nos 
aiFeres  n'iront  que  bien. 

Si  je  rencontre  le  Vitelleschi  je  luy  diray  un  mot  sur 
ce  que  vous  m'en  escriués. 

Je  ferei  voir  à  Monsieur  le  Cheuallier  du  Puis*  ce 
que  vous  m'escriués  au  lieu  de  response  à  sa  lettre. 
Car  je  scais  qu'il  aura  fort  à  gré. 

Je  me  résiouis  de  ce  que  le  petit  S*.  Paul  vous  con- 
tente plus  d'une  fois  du  reste  ce  que  l'on  en  dira  de 
bon  ne  viendra  que  de  vous  qui  scaués  bien  deffendre 
sa  cause.  Je  vous  en  baise  les  mains  de  tout  mon 
coeur,  et  demeure  à  l'acoustumée 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  Seruiteur 

Poussin 

112.  —  Poussin  a  Ratabon  (?). 

(Félibien,  éd.  i685,  t.  IV,  p.  292.) 

26  juin  1644. 
«  Quelque  temps  auparavant  il  avoit  sceu  le  retour 
de  M.  de  Noyers  à  la  Cour.  Et  ensuite  on  le  pressoit 
fortement  d'aller  en  France,  pour  finir  seulement  la 
grande  Gallerie,  il  fit  réponse  (par  sa  lettre  du  26  juin 
1644^),  Qu'il  ne  désiroit  y  retourner  qu'aux  conditions 
de  son  premier  voyage,  et  non  pour  achever  seule- 
ment la  Galerie,  dont  il  pouvoit  bien  envoyer  de 
Rome  les  desseins  et  les  modelies.  Qu'il  n'iroit  ja- 

1.  Les  mots  du  Puis  en  surligne.  Dans  la  conversation  Pous- 
sin devait  sans  doute  désigner  Del  Pozzo  par  son  titre  seul  : 
le  Chevalier. 

2.  Il  s'agit  ici  d'une  autre  lettre  que  la  précédente,  écrite  à 
Chantelou.  Ce  fragment  est  probablement  adressé  à  Ratabon, 
le  nouvel  intendant  des  bâtiments. 


1644J  ^^    NICOLAS    POUSSIN.  28 1 

mais  à  Parispoury  avoir  l'employ  d'un  simple  parti- 
culier quand  on  luy  couvriroit  d'or  tous  ses  ouvrages 
Aussi  voyant  bien  que  les  choses  n'estoient  plus  à  la 
cour  au  mesme  estât  qu'auparavant,  il  ne  pensoit 
qu'à  travailler  à  Rome,  et  à  demeurer  en  repos  ». 

113.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f°^-  '29-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  7  aoust  1 644. 

Touchans  la  Copie  de  5'  Piètre.  Il  se  va  remettre 
au  trauail  de  l'extremonction  après  sa  santé  reuenue.] 
De  Rome,  Ce.  7"}^  Aust.  1644'. 
Monsieur 

L'incommodité  que  jei  eue  m'a  empesché  de  vous 
escrire  plustost  et  de  vous  donner  responces  de  vos 
lettres.  Les  deus  dernières  m'ont  feit  mettre  la  main  à 
la  plume  bienque  je  ne  sois  pas  du  tout  guary.  Et 
lésant  les  deux  precedëtes  (d'autans  quil  ni  a  rien  qui 
touche  vostre  seruice)  de  celles-ci  sellement  je  veus 
vous  donner  ces  deux  lignes  de  responce. 

Je  fus  cbés  Monsieur  l'Ambassadeur  luy  faire  voir 
celle  que  vous  auiés  escritte  touchant  le  tableau  de 
S*  Pietro  in  Montorio.  mais  après  l'auoir  lue  et  veu 
que  vous  prétendiés  d'estre  rembourcé  des  dépences 
que  vous  aués  fettes  il  demoura  court,  croyans  que 
les  frés  usent  esté  fets  aux  despens  du  Roy.  Quand  à 
moy  je  crois  que  le  coust  luy  en  fera  perdre  le  goust 

I.  Au  ms.  12347,  l'orthographe  et  la  ponctuation  de  cette  lettre 
ont  été  surchargées  (peut-être  lors  de  la  copie  de  l'Institut, 
vers  1755).  Nous  donnons  le  texte  de  Poussin. 


y' 


}^ 


SSS  CORRESPONDANCE  [1644 

Néanmoins  quil  ait  pensé  de  le  faire  finir  par  un 
peintre  à  bon  marché  qui  tient  chés  luy.  il  n'a  néan- 
moins rien  conclu.  Car  premièrement  il  le  veut  voirs 
tendu  chés  luy  et  le  considérer.  Lundi  prochain  je  luy 
ferei  porter,  et  l'ordinaire  venant  je  vous  escrirai  ce 
quil  aura  résolu  de  faire.  Je  monstras  à  ChapperQ  ce 
qui  estoit  escript  pour  ce  qui  touche  son  esbauche. 
Mais  je  ne  degnerois  vous  escrire  sa  réponse  parce 
que  c'est  un  bœuf  qui  n'a  ni  entendement  ni  raison. 

Je  ne  vous  escrirei  rien  sur  ce  que  peut  dire  An- 
toine de  la  Corne  de  moy  et  de  mes  ouurages.  Je 
tiens  ausi  peu  de  conte  de  luy  c5e  de  celuy  quil  le  fet 
parler. 

Vostre  tableau  de  lextremeonction  a  esté  entrelaissé 
quasi  l'espace  d'un  mois  pour  l'incommodité  que  jei 
eue.  Mais  jespère  de  continuer  à  y  trauailler  bientost. 
Se  qui  me  trauaille  le  plus  maintenant  est  que  ma 
famé  de  huit  jours  en  sa  est  encore  fort  incômodée 
mais  j'espère  que  le  mal  ne  sera  pas  long. 

Mardi  prochain  les  Cardinaux  entreront  au  Con- 
claue  pour  l'élection  du  pape  future  dieu  veille  que 
nous  soyons  mieus  gouernés  à  l'aduenir  que  par  le 
passé. 

Il  n'i  a  icy  rien  de  nouueau  qui  soit  digne  de  vous 
estre  escrit.  Cest  pourquoy  je  finiray  en  vous  baisant 
trèshumblement  les  mains. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaflfectionné  seruiteur 

Poussin. 

I,  Urbain  VIII,  élu  le  19  juillet  1623,  était  mort  le  29  juillet 
1644,  après  vingt  et  un  ans  de  pontificat.  Ouvert  le  9  août,  ce 
conclave  réunit  cinquante-cinq  cardinaux.  Les  chaleurs  le  ren- 
dirent fatigant  et  dangereux;  Innocent  X  ne  sera  élu  que  le 
i5  septembre  1644. 


1644]  de  nicolas  poussin.  283 

114.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  i3o.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
A  la  Rue  S^  Thomas  du  Louvre,  A  Paris. 

[M.  Poussin  II"  Sep^^^  1644 

Panégirique  de  Chaperon. 

Ilfinist  la  confirmation.] 

A  Rome  ce  unziesme  Septembre.  1644. 
Monsieur 

Le  longtemps  que  Monsieur  l'Ambassadeur  de 
France  a  prins  pour  résoudre  se  qu'il  debuoit  faire 
de  la  copie  du  tableau  de  S*  Pierre  in  Montorioaesté 
cause  que  jei  tardé  jusques  à  présent  à  vous  faire 
scauoir  ce  qui  en  est.  enfin  il  n'a  pas  trouué  se  qui 
cherchoit  car  il  s'estoit  imaginé  quil  estoit  plus  que 
demi  payé  de  l'argent  du  Roy  et  croyoit  le  faire  finir 
auec  peu  de  chose,  mais  quand  il  a  entendeu  quil 
faloit  restituer  cent  et  ottante  escus  et  que  pour  le 
faire  finir  l'on  luy  fesoit  de  grosses  demandes,  à  la  fin 
il  a  quitté  la  prise.  Le  père  Chaperon  cependans  n'a 
pas  manqué  de  dire  quantité  de  menteries  et  a  tasché 
à  faire  demourer  la  ditte  coppie  en  la  maison  de 
M^  l'Ambassadeur  mais  à  la  fin  l'on  c'est  mocqué  de 
luy  comme  d'un  fripô  qu'il  est.  et  l'on  me  l'a  rendu 
sans  aucune  contradictiô  il  ne  laisse  pas  toutefois  de 
dire  qu'il  veut  estre  payé  de  sa  fatigue  et  ne  veut  pas 
reprendre  le  tableau  en  rendans  les  frais  demanière 
que  en  le  prenant  de  quel  bies  l'on  voudra  l'on  le 
trouue  beste  de  tous  costés  comme  un  chapron  quil 
est  id  est  beccho. 

Vous  m'aués  escrit  par  le  passé  que  vous  désiriés 


284  CORRESPONDANCE  [1644 

que  je  vous  enuoyasse  la  susditte  coppie  telle  quelle 
est.  Si  je  le  pourrai  faire  sans  mon  dommage.  Je  vous 
l'enuoyerei  avec  la  copie  de  la  vierge  du  petit  Le 
Maire  par  la  première  occasion  qui  se  rencontrera 
bonne. 

Jei  repseu  par  cet  ordinaire  une  de  vos  lettres  en 
datte  du  i8'^«  Aoust  par  laquelle  je  vois  assés  le  soin 
quil  vous  plaist  prendre  des  interrest  de  vostre  serui- 
teur.  Je  vous  supplie  que  cette  bonne  affection  vous 
dure  autant  comme  la  déuotion  que  jei  de  vous  seruir. 

Je  veus  bien  que  vous  scachiés  Testât  où  est  vostre 
tableau  de  la  Confirmation.  Si  les  chaleurs  de  l'esté  ne 
m'eusent  pas  incommodé  de  la  façon  quil  m'ont  fet  il 
seroit  fini  et  peut  estre  dens  vostre  cabinet,  mais  il  a 
faleu  bien  souuent  mettre  les  pinceaus  à  part,  et  me 
semble  auoir  fet  assés  d'en  estre  sorti  sans  grande 
maladie,  (néanmoins  que  je  ne  sois  pas  encore  bien 
libre*  de  ma  personne.  Je  l'ei  reprins  il  y  a  quelque 
temps  et  tous  les  jours  y  trauaille  un  peu  de  sorte 
que  je  crois  l'auoir  fini  à  la  fin  de  se  mois.  Quand  il 
sera  en  estât  de  vous  le  pouuoir  enuoyer  je  ne  man- 
querei  pas  de  le  conseigner  à  un  Courrier  fidelle  et 
vous  l'enuoyer. 

Je  vous  ay  par  le  passé  enuoyé  vos  contes  et 
monstre  par  le  meneu  en  quoy  jei  employé  l'argent 
que  vous  m'aués  mandé  pour  paier  les  choses  que 
vous  auiés  ordonnés  icy  à  Rome  deuant  que  de  vous 
en  partir  Mais  vous  ne  m'en  aués  point  mandé  de  res- 
ponce.  Je  vous  supplie  de  les  reuoir  et  de  regarder  ci 
il  sont  justes.  Car  autrement  je  retournerei  de  nou- 
ueal  à  en  faire  le  calcul,  il  vous  reste  cent  et  cinquante 
quatre  escus  voyés  sil  vous  plaist  ce  que  vous  voulés 
que  jen  face.  Vous  me  ferés  la  faueur  de  me  donner 


1644]  ^^    NICOLAS   POUSSIN.  285 

un  mot  de  responce  sur  ce  subiect.  et  vous  m'oblige- 
rés  à  demeurer  comme  je  suis 
Monsieur 
Voslre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 

Poussin. 

115.  —  Poussin  a  Ghantelou. 

(Ms.  12347,  ^°'-  '^2-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  2^  octobre  1644. 

Il  mande  quil  afiny  l'extremonction  quil  l'enuerra 
au  premier  ord\^. 

Il  parle  de  la  transfiguration.] 

De  Rome  ce  2<=™«  octobre  1644. 
Monsieur 
-,  Ausi  tost  que  j'eus  repseu  vostre  dernière  du  pre- 
mier Septembre  et  que  ji  eus  trouué  celle  que  vous 
escriués  à  Monsieur  du  Noiset  je  manquas  point  de 
luy  la  présenter  en  main  propre. 

Le  resentiment  que  vous  monstres  d'auoir  eu  de 
mon  Indisposition  thémoignent  assés  la  par  que  j'ei 
en  vos  bonne  grâces  et  de  quelle  façon  il  vous  plaist 
[de]  chérir  vostre  seruiteur.  Je  vous  assure  (Monsieur) 
que  mon  mal  à  l'estomac  estoit  le  moindre  que 
j'eusses  à  lors,  et  le  non  pouuoir  continuer  l'oeuure 
commencée  pour  vous  m'affligeoit  le  plus,  veu  quil 
y  a  desià  longtemps  que  je  vous  la  debuerois  auoir 
enuoyée.  Vous  ne  debuiés  pas  craindre  ni  vous  ima- 
giner que  dens  une  mauuaise  disposition  de  ma  santé 
je  misse  la  main  à  une  chose  où  je  n'employé  que  le 
temps  où  je  me  trouue  de  bonne  veine.  Jei  mieux 


286  CORRESPONDANCE  [1644 

aimé  entrelaisser  ce  qui  estoit  commencé,  et  vous 
faire  atendre  dauantage.  que  de  mettre  en  oeuure  le 
résultans  d'un  esprit  languide.  Mais  ausitost  que  ma 
santé  a  esté  retournée  je  n'ay  pas  vouleu  perdre  le 
temps  Ains  je  l'ei  employé  en  manière  que  je  suis  à  la 
fin  demain  je  le  vernirei  pour  le  retoucher  en  quelques 
endrois.  Je  vous  le  pourois  enuoyer  par  le  prochain 
ordinaire.  Mais  je  ne  me  fis  à  tous  nos  Courriers  de 
Lion.  Je  suis  atendens  la  venue  de  Regar  qui  est  per- 
sonne assés  confidente  et  celuy  qui  porta  vostre  s'  Paul, 
il  vaut  mieus  atendre  un  peu  dauantage  et  faire  notre 
affere  plus  assurément. 

Sependans  que  je  l'aurei  es  mains  il  pouroit  estre 
que  Madame  des  Hameaux  famé  de  Monsieur  l'Am- 
bassadeur de  Venise^  ariueroit  à  temps  en  cette  ville 
pour  le  voir  j'en  serois  trèsaise  n'ayans  chés  moy  rien 
autre  de  fini  que  je  luy  pusse  fere  voir  Je  me  puis 
assurer  d'auoir  sa  visite  puisque  elle  et  Mondit  S^  l'Am- 
bassadeur m'en  ont  escrit.  Sa  esté  Monsieur  du  fraisne 
qui  m'a  donné  cette  cognoissance  là 

la  lettre  que  vous  craigniez  qui  n'eust  esté  perdue 
est  ariuée  à  bon  port.  Je  vous  ay  remercié  trèsaffec- 
tueusement  du  soin  que  vous  aués  de  mes  interest 
Comme  maintenant  je  vous  rends  une  infinité  grâces 
pour  le  même  subiec  puis  quil  vous  plaist  me  confir- 
mer par  celle  si  ceque  vous  me  promettiés  par  celle 
du  passé.  Si  cette  affere  réussit  heureusement  Je  ne 
pourei  dire  autre  qui  se  ne  soit  un  don  que  je  rep- 
sois  de  vostre  main. 

Jei  pensé  qu'il  n'estoit  pas  hors  de  propos  de  vous 

I.  Des  Hameaux,  ambassadeur  ordinaire  à  Venise,  du  3o  no- 
vembre 1642  au  5  mars  1645  (voir  Baschet,  Les  archives  de 
Venise,  p.  437). 


1644]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  287 

aduertir  que  la  coppie  de  la  transfiguratiô  de  S*.  Pietro 
In  Montorio  est  en  un  estât  tel  quelle  ne  vous  peust 
seruir  à  chose  du  monde,  et  que  vous  aies  fere  une 
nouuelle  despense  inutile.  Le  tableau  auec  la  quaisse 
la  corde  et  la  toille  cire  et  caneuas  pèsera  plus  de  cent 
liures  ou  peu  moins  et  les  marchâd  veulent  vint  sous 
pour  liure  poix  de  paris  pour  le  port.  Je  n'ay  ozé  rien 
faire  sans  premièrement  vous  en  aduertir.  J'atendrei 
vostre  responce  —  pour  vostre  coppie  de  vierge  je  vou 
l'enuoyerei  avec  Fextremonxion.  et  demeurerei  à  ja- 
mais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Poussin 
Ma  famé  vous  baise 
trèshumblement  les  mains. 

Nous  auons  un  Pape'  de  qui  l'on  espère  beaucoup 
de  bien  dieu  le  veille  2. 

116.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  134.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  à  Paris. 

[M.  Poussin  3o^  octobre  1644. 
Il  menuoye  le  tableau  de  lextremontion  et  la  cop- 
pie de  vierge  du  maire. 

1.  Innocent  X  (Jean-Baptiste  Pamfili)  (né  en  1572,  mort  le 
7  janvier  i655);  élu  le  i5  septembre  1644,  malgré  les  avis  anté- 
rieurs d'Urbain  VIII  et  l'hostilité  de  Mazarin,  par  l'appui  des 
Barberins,  qui  n'allaient  pas  tarder  à  regretter  cette  impré- 
voyance. Poussin  sera  vite  détrompé  sur  le  fait  de  ce  pape, 
dévoué  à  la  politique  espagnole. 

2.  Phrase  écrite  verticalement  et  en  marge. 


288  CORRESPONDANCE  [1644 

//  mande  quau  contraire  des  autres  vieillissans^  il 
se  sent  enflammé  dun  grand  désir  de  bien  faire.] 

De  Rome  Ce  Bo"?^  octobre  1644. 
Monsieur 
Je  vous  enuoye  la  coppie  de  la  Vierge  de  farnèse 
fette  delà  main  de  Mo^  Le  Mère,  et  le  tableau  que  je 
vous  ay  fet.  Demain  à  midi,  je  consignerai  es  mains 
du  courrier  de  Lyon,  nommé  Bertolin,  qui  est  celui 
qui  porta  vostre  tableau  de  la  Manne,  sans  atendre  le 
partement  de  Regart,  dont  je  vous  auois  parlé  par 
mes  dernières.  J'ay  espérance  quil  ariuera  à  bon 
port  et  bien  conditionné,  d'autant  que  j'userei  dilli- 
gence  à  le  faire  bien  encaisser  et  bien  couurir.  La 
caisse  sera  scellée  de  mon  cachet  de  la  confiance^, 
et  l'adresse  sera.  A  Monsieur  de  Chantelou  à  la  rue 
S*  Thomas  du  Louure.  Je  payerei  le  port  de  vostre 
argent  jusques  à  Lion.  Le  courrier  vous  l'enuerra  par 
le  messagier  à  Paris.  Et  parce  que  la  caisse  n'est  pas 
encore  fête,  je  ne  saurois  vous  dire  ce  quelle  pè- 
sera ;  mais  par  le  premier  ordinaire  vous  serés  aduerti 
du  tout.  Je  vous  enuoyerei  vostre  conte  fet  plus  exac- 
tement que  par  le  passé,  à  celle  fin  que  vou  sachiés 
en  quoy  vostre  argent  a  esté  despencé  que  vous  voyés  ce 
qui  aduansera.  Je  vous  supplie  au  mesme  temps  qu'il 
vous  plaira  me  respondre  de  m'enuoyer  un  mot  de 

y  I.  Poussin  avait  cinquante  ans  (né  le  i5  juin  1594,  plutôt  que 

le  i5  juin  iSgS). 

2.  «  Cet  heureux  voyage  [à  Paris,  en  1641]  ressemble  à  une 
navigation  incertaine;   et  cette  pensée  qui  est  sienne,  il  l'a 
exprimée,  arrivé  à  Paris,  dans  le  sceau  de  sa  bague,  y  faisant 
graver  la  figure  de  la  Confiance,  avec  les  cheveux  épars,  et 
X  qui,  des  deux  mains,  tient  un  vaisseau,  avec  l'inscription  Con- 

fidentia  N.  P.,  Confiance  de  Nicolas  Poussin,  et  tel  le  décrit 
Cortari  »  (Bellori,  Le  Vite  de'  pittori,  etc.,  trad.  Rémond, 
p.  36).  —  Des  fragments  de  ce  sceau  de  cire  se  trouvent  après 
un  grand  nombre  de  lettres  du  ms.  12347. 


1644]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  289 

quittance  ou  descharge  car  jei  fet  des  repsues  du  dit 
argent.  Le  payement  dudit  tableau  est  du  tout  remis  à 
vostre  volonté,  car  Je  scais  bien  que  vous  considérés  le 
temps  et  la  fatigue  que  j'y  ay  mise,  néanmoins  que  se 
soit  ce  qui  y  est  moins  de  considérable.  Je  vous  sup- 
plie deuant  que  l'on  le  voye  de  le  faire  orner  d'une 
corniche  faite  d'or  matte  et  quelle  aye  ses  membres 
délicats.  Quand  vous  aurés  considéré  le  dit  ouurage 
vous  me  ferés  l'honneur  de  m'en  escrire  vostre  senti- 
ment à  la  réale. 

Je  ne  vous  diray  autre  chose  sur  ce  subiec,  et  fini- 
ray  la  présente  en  espérance  que  vous  me  donnerés 
subiect  de  continuer  à  vous  faire  les  autres  pièces  avec 
encore  plus  de  soin  et  d'amour  que  je  n'ay  fet  la  pré- 
sente; d'autans  que  comme  je  vieillis  je  me  sens  au 
contraire  des  autres,  enflammé  d'un  grand  désir  de 
bien  fere  et  particulièrement  pour  vous  qui  estes  mon 

idole. 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 

117.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  i36.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  Paris. 

[M.  Poussin  6^  nouembre  1644. 
Il  enuoie  le  tableau  de  lextremonction. 
Il  y  a  oublié  quelque  chose  à  faire  que  les  Italiens 
apellent  dit-il  trascurragine.] 

De  Rome  Ce  ô"?*  Nouembre,  1644. 
Monsieur 
Lundi  passé  dernier  jour  d'octobre  je  conseignas  une 
1911  19 


290  CORRESPONDANCE  [1644 

quaisse  au  courrier  de  Lion  nommé  Bertolin  dans 
laquelle  est  rouslé  le  tableau  de  l'extrême  oncsion  que 
je  vous  ay  fet  et  ensemble  la  coppie  d'une  des  Vierges 
de  Farnese  coppiée  de  M^  le  Maire  le  tout  bien  en- 
quaissé  couuert  et  lié  de  bonne  corde,  cachettée  en 
trois  lieus  de  mon  cachet  ordinaire  auec  l'adresse 
clouée  dessus  et  escritte  en  parchemin.  A  Mo""  de 
Chantelou  Rue  S^.  Thomas  du  Louure  à  Paris.  Le 
port  est  payé  jusques  à  Lion.  Le  susdit  courrier  la 
doit  conseigner  au  messagier  de  Lion  à  Paris.  Je  vous 
en  ay  mandé  lettre  d'aduis  par  le  mesme  ordinaire, 
sous  le  plac  adressé  à  Monsieur  Rémy.  Vous  ferés 
fere  dilligense  de  le  retirer,  et  quand  vous  l'aurés 
repseu  vous  scaués  trop  bien  les  caresses  quil  luy  fau- 
dra fere  deuant  que  de  le  laisser  voirs  à  personne. 

Je  n'en  atends  point  de  response  jusques  à  tant  que 
vous  Payés  considéré.  Si  vous  m'en  mandé  sans  flatter 
vostre  sentiment  vous  m'obligerés  beaucoup.  Sil  y  a 
quelque  subtil  qui  reprenne  une  chose  que  jay  oublié 
à  corriger,  vous  lui  pourrés  dire  que  le  péché  ne 
vient  pas  d'ignorance  mais  de  ce  que  les  Italiens 
apellent.  Trascouragine^  Je  ne  m'en  suis  aperseu 
que  quant  je  lay  destaché  pour  vous  l'enuoyer.  un 
jour  je  vous  diray  ce  que  c'est  et  vous  le  ferés  racom- 
moder  car  il  est  trèsfacille. 

Je  vous  enuoye  le  conte  général  de  ce  que  jay  des- 
pensé pour  vostre  seruice.  Vous  voirés  ce  qui  vous 
reste  qui  sont  à  mon  conte  cent  et  cinquante  sept 
escus.  Vous  m'ordDnerez  [ce  qui  vous  plaira]  le  paye- 
ment du  susdit  tableau  en  la  façon  quil  vous  plaira. 
Je  scais  bien  et  ne  doubte  point  que  vous  me  don- 
nerés  courage  de  faire  la  suitte  auec  amour  et  plaisir. 

I.  Le  mot,  écrit  en  grosses  lettres,  est  très  lisible.  Il  signifie  : 
négligence,  manque  de  soin. 


1644]  I>E    NICOLAS    POUSSIN.  29 1 

Celuy  que  jay  pensé  de  faire  maintenant  contient  vint- 
quatre  figures,  sans  le  fonds  où  il  doibt  auoir  de  l'ar- 
chitecture mais  je  ni  toucherei  point  jusques  à  tant 
que  jaye  eu  response  de  celuy  que  je  vous  ay  enuoyé. 
Je  garde  tousiours  vostre  coppie  de  S'.  Pierre  Monto- 
rio,  en  atendans  de  vos  nouuelles.  Si  se  n'est  point 
chose  qui  vous  soit  moleste  ditte  moy  quelque  chose 
de  vos  bust  de  marbres.  Vous  este  trop  reteneu  auec 
vostre  seruiteur. 

Monsieur  Tibaut  vous  baise  trèsaffectueusement  les 
mains,  il  vous  apelle  son  bienfacteur.  Je  vous  assure 
quil  est  pour  faire  grande  passade.  Je  vous  prie  de  ne 
perdre  point  la  bonne  affection  que  vous  aués  pour 
lui  et  de  vous  en  souuenir. 

Je  nay  autre  pour  le  présent  à  vous  faire  scauoir 
sinon  que  je  vous  demeure  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsdeuot  Seruiteur 

Poussin 
Je  baise  trèshumblement  les  mains  à  Mo^  deChante- 
lou  vostre  frère. 

118.  —  2«   COMPTE    A   ChANTELOU. 

(Ms.  12347,  fol-  i38.) 

double  d'espagne  277  3/4,  viennent  à  833 
[escus  de]  escus  Jules  .2.  de  cette  Monoye 
de  Rome. 

Despence  fette. 
à  Monsieur  le  Maire  pour  la  coppie  du  dieu     ^  <a 

^e  pitié 42 

pour  la  dorure  des  six  chandeliers  ...     72     5 

I.  Les  colonnes  sont  tracées  à  la  règle  dans  le  manuscrit. 
C'est  d'une  disposition  très  claire. 


S   i 

3      o 


2g2  CORRESPONDANCE  [1644 

[pour  la  doreure  de  la  corniche] 

pour  le  bois  des  six  chandelliers ....     60 

pour  la  coppie  de  Mignart 68 

pour  la  coppie  du  Napolitain 54 

pour  la  coppie  du  Vieus 12 

pour  la  copie  de  Nocret 17 

pour  les  desseins  de  Janange  Canin     .     .     12 
pour  tout  lemballage  des  six  quaises  de  ta- 
bleaux       i5 

pour  le  port  des  dittes  quaises  chés  moy  .  3 

à  Monsieur  Tibaut 20 

pour  la  façon  des  quaises  des  Chandelliers.       8     5 
pour  le  papier  et  ficelle  pour  enueloper 

lesdits  châdeliers 4 

pour  le  por  d'un  tableau  de  farnèse  chés 

moy I 

pour  la  Manche  aux  doreurs  et  menuisiers.  6 

pour  deus  memoriaus i 

à  Monsieur  Tibaut 10 

pour  l'argent  de  la  lame  pour  Lorete   .     .     17 
pour  la  façon  de  la  ditte  lame     ....      4 

pour  une  vis  de  fer 2 

pour  l'escriture  du  papier  pour  tailler  sur 

la  lame  d'argent i     5 

pour  la  grauure  de  l'escripture  sur  la  lame 

d'argent 6 

pour  la  restoration  de  l'Hercule  de  Far- 
nèse du  Sculpteur  Rondoni 8 

pour  le  port  d'un  autre  tableau   ....  i     5 

papier  pour  rouler  les  tableaus    ....  25 

pour  la  quaisse  des  tableaux 46 

pour  la  douane  des  six  ^  quaisses     ...      3 

pour  le  port  à  Ripe  grande 3 

pour  fere  cachetter  les  dittes  quaisses  .     .  4 


1644]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  293 

per  il  faquin  Jouannino 12 

pour  le  port  du  petit  Sî  Paul 45 

pour  la  bulle  ou  permission  de  porter  hors 
de  Rome  les  huit  bust  de  marbre     ...      3 

pour  un  faquin 5 

papier  pour  enueloper  le  portrés  de  cire   .  i     5 

pour  neuf  quaises  pour  mettre  les  bustes  .     i5     3 

au  Vitellesque 5o 

pour  des  facines 2 

pour  le  port  de  quaisses  à  Ripe    ....  6 

pour  le  commissaire  de  Ripe 6 

pour  le  faquin  Jouannino  pour  toille  corde 

et  emballage  charger  et  décharger    ...       18 

pour  la  doane 12 

pour  le  petit  tableau  de  Sî  Paul  .     .     .     .     5o 
pour  la  coppie  de  la  Vierge  de  monsieur 

Le  Maire 70 

à  Monsieur  Tibaut  pour  Mars  et  April     .     20 
pour  faire  destacher  la  coppie  de  S*  Pierre 
Montorio  de  là  où  les  moines  l'auoint  mis 
et  pour  le  déclouer  et  le  porter  chés  moy 

avec  le  châssis i 

pour  fere  desclouer  et  reporter  de  chés 

Mo!"  l'ambassadeur  chés  moy  le  dit  tableau.  3 

pour  la  Cassette  de  lextremoction   ...  4 

pour  le  papier  un  Jul i 

pour  la  toille  cirée  corde  et  emballage.     .  6 

pour  le  port  de  la  ditte  caisse  jusques  à 

Lion 10 

la  ditte  quaisse  pèse  vintecinq  Hures  de  Rome. 
Some      675  Jules.  5.  baiochi  .5. 

tout  833 

675 

reste         157 


294  correspondance  [1644 

119.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  iSg.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  à  Paris. 

[M.  Poussin  ig^  nouembre  1644. 

Cette    lettre    est  plaine   d'amitié.   Il  dit  que  je 
receuray  lextremonction  sans  estre  malade  et  des 
mains  du  messager  de  Lion  et  non  pas  dun  prebtre.] 
A  Rome  Ce  q^^  nouembre  1644. 
Monsieur 
Si  ce  n'eust  esté  l'impertinense  de  celuy  qui  me  rend 
ordinairement  les  lettres  qui  me  viennent  de  Paris, 
j'eusse  fet  il  y  a  longtemps  responce  à  vos  deux  der- 
nières l'une  du  dernier  septembre  et  l'autre  du  qua- 
triesme  octobre,  mais  m'aiant  esté  rendues  trop  tard, 
jei  différé  jusques  à  maintenant  à  vous  escrire. 

Je  suis  tout  joyeux  de  scauoir  que  vos  bust  sont 
ariués  bien  conditionnés.  Jei  désià  parlé  à  M'^Tibaut 
des  cheualles^  que  vous  voudriés  qui  modellast  et  luy 
et  moy  nous  aurions  délibéré  de  quelque  chose.  Si  se 
n'eust  esté  quil  est  employé  à  faire  deux  figures  stuc- 
quées  pour  la  cavalcate  du  Pape^  chose  grandement 
pressée  et  de  peu  de  proffit.  Ausi  tost  qu'il  aura  fet 
nous  trauaillerons  pour  vous. 

Je  vous  remercie  trèsaffectueusement  du  soin  que 
vous  aués  de  mes  interest  que  vous  montrés  estre 
aussi  grand  comme  des  vostres  propres. 

Ne  trouués  point  estrange  si  l'on  vous  a  fet  paier 
tant  pour  le  port  de  vos  quaisses  puis  quil  a  faleu 

1.  Il  semble  que  Poussin  parle  de  chevalets,  non  de  chevaux 
(voir  la  lettre  suivante). 

2.  Innocent  X  avait  été  couronné  le  4  octobre  1644. 


1644]  ^^    NICOLAS    POUSSIN.  29$ 

passer  par  la  main  des  larrons  et  non  de  marchand. 
Auec  tout  cela  il  les  faut  remercier  bien  humblement 
de  la  paine  quil  ont  prise  et  du  seruice  quil  ont  fet 
c'est  la  mode  qui  court. 

Si  j'eusses  eu  le  bonheur  de  vous  reuoir  encore  une 
fois  en  cette  ville  je  n'aurois  plus  eu  de  regret  de 
mourir  o  dieu  quelle  joye  jaurois  eue  de  reuoir  encore 
une  fois  la  personne  que  j'aime  et  honore  sur  tous  les 
hommes  du  monde.  Monsieur  de  La  Boissière'  me 
fet  beaucoup  du  tort  il  faut  quil  veille  mal  à  luy 
mesme  d'auoir  refusé  la  compagnie  d'un  personnage 
qui  auroit  esté  sa  consolation  et  son  bonheur.  Je 
crois  que  son  voyage  n'en  eust  pas  esté  si  long  ni  si 
fâcheux  quil  sera.  Car  il  debueroit  estre  maintenant 
icy,  si  se  n'est  quil  s'entretienne  à  Marceille  pour  auoir 
l'occasion  de  passer  sur  les  gallères  qui  viennent 
pour  porter  en  France  Monsieur  le  Cardinal  de  Lion. 
Si  son  retardement  est  pour  cela  j'en  serei  tout  joyeux 
car  oultre  qu'il  passera  assurément  sans  craindre  les 
corsaires  de  Final  il  aura  bonne  compagnie  pour 
jusques  à  Rome  mesme  de  Monsieur  Gueffier  qui  se 
sert  du  mesme  passage,  dieu  le  veille  amener  en 
bonne  santé.  Lorsque  je  scaurei  quil  sera  arriué  je  ne 
manquerei  pas  de  luy  aler  offrir  humblem^  mon  ser- 
uice. 

Sans  mentir  je  me  console  en  quelque  manière  de  ce 
que  vous  recepuerés  l'extrême  oncsion  sans  estre 
malade  et  deuant  que  jaye  entendu  les  plaintes  que 
commensiés  à  fere  de  ne  pas  recepuoir  se  sacrement 

I.  M.  de  la  Boissière  était  le  fils  de  M.  de  Noyers.  Il  semble- 
rait, d'après  ce  passage,  avoir  décliné  l'invitation  de  M.  de 
Chantelou  de  l'accompagner  à  Rome,  ce  qui  ne  démentirait 
guère  l'épithète  de  «  benêt  »  que  lui  décoche  Tallemant  des 
Réaux  (voir  la  lettre  suivante). 


2q6  correspondance  [1644 

au  temps  que  je  vous  l'auois  promis,  vous  le  recepue- 
rés  non  pas  dun  prebtre  mais  du  messagier  de  Lion. 
Comme  par  deux  fois  conséqutives  je  vous  ay  escript 
vous  aurés  par  le  mesme  moyen  et  tout  ensemble  la 
coppie  de  la  Vierge  que  vous  désiriés  que  je  vous 
enuoyasse  de  manière  quil  vous  semblera  que  j'ayes 
eu  réuélation  de  vostre  désir,  car  tout  a  esté  fet  deuant 
que  d'auoir  repseu  vos  dernières. 

Puis  que  vous  désirés  une  autre  demie  douzeine. 
ou  au  moins  quatre  autres  bust.  je  veus  auant  que  de 
passer  par  les  mains  de  ce  Masquignon  de  Vitelles- 
chi  chercher  par  tout  Rome  sans  quil  en  sache  rien 
si  je  puis  et  puis  au  pis  aler  nous  irons  à  son  maga- 
sin voir  sil  y  aura  moyen  de  tirer  quelque  chose  hors 
ses  mains  de  Harpie. 

Je  tiens  touiours  roulée  la  coppie  de  la  transfigura- 
tion dont  je  vous  ay  escrit  plusieurs  fois  et  ne  scais 
quelle  occasion  prendre  autre  que  celle  des  marchand 
pour  vous  l'enuoyer.  Je  suis  atendans  vostre  response 
sur  ce  subiect. 

Je  vous  ay  enuoyé  un  conte  de  la  despence  fette  de 
vostre  argent  un  peu  plus  exacte  et  plus  à  vostre 
aduentage   que   celuy  du   passé.  Vous   prendrés   la 
painne  de  le  repasser  et  en  fere  proeuue  pour  ce  que 
je  désire  vous  rendre  conte  d'un  obole  comme  il  est 
de  mon  debuoir  et  comâdés  moy  sans  m'espargner 
sependans  que  je  vis  car  après  moy  il  ni  a  personne 
qui  vous  seruira  de  si  bon  cœur 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Poussin 

Ma  famé  vous  baise 
trèsaffectueusement  les 
mains. 


1644]  I>E    NICOLAS   POUSSIN.  297 

Mes  trèshumbles  baissemains 
à  Messieurs  de  Chantelou. 

120.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo'-  H0-) 
A  Monsieur  de  Chantelou,  A  Paris. 

[M.  Poussin  25^  nouembre  1644. 

Il  parle  de  sa  Maison  et  du  tableau  de  l'extremonc- 
tion.] 

De  Rome  Ce  26«»«  Nouembre.  1644. 
Monsieur 
Moyennant  l'aide  de  dieu  je  crois  que  à  cet  heure  vous 
aurés  repseu  le  tableau  de  l'extrêmontion  auec  la 
coppie  du  Sî  Le  Maire  que  je  vous  enuoyas  sous  le 
dernier  octobre  ainsi  côe  je  vous  en  ay  donné  auis 
par  plusieurs  fois,  de  sorte  quil  n'est  plus  besoin  de 
faire  des  veux  pour  le  garder  de  mauuaises  rencontres, 
sil  vous  sera  rendeu  bien  conditionné  et  que  l'ouurage 
vous  satisface  en  quelque  manière  se  me  sera  un  con- 
tentement des  plus  grand  que  je  puisse  recepuoir.  Je 
vous  ay  suplié  de  m'en  escrire  vostre  sentiment  à  la 
Reale  sans  flatterie  car  se  seroit  fere  tort  à  vous,  et  à 
moy,  Je  n'en  atens  pourtant  point  de  nouuelies  jusques 
à  tant  que  vous  l'ayés  veu  auec  son  ornement  et  à 
son  jour. 

Jei  porté  la  lettre  que  vous  escriués  à,  M^  du  Noiset 
ausitost  que  je  l'ei  eu  repsue. 

Je  n'ay  point  entendeu  aucune  nouuelle  de  Mon- 
sieur de  la  Boissière.  J'atens  la  venue  de  Mf  Gueffier 
pour  m'informer  de  luy  sil  ne  la  point  ou  veu  ou 
rencontré  par  les  chemins. 

I.  Chantelou  écrit  le  25  au  lieu  du  26. 


298  CORRESPONDANCE  [1644 

Nous  trauaîllerons  aux  dessein  de  quelque  gentil 
cheualles  pour  poser  vos  bustes  l'un  de  ses  prochains 
jours  le  Sieur  Tibaut  et  moy.  il  s'est  mieux  porté 
sans  aucune  comparaison  es  figures  quil  a  fettes  pour 
l'arc  triomphal  de  la  Cavalcate  du  Pape  que  tous  les 
autres  sculpteurs.  Je  vous  assure  quil  réussira  très 
habille  homme. 

Je  garderei  l'esbauche  de  S*  Pietro  Montorio  jusques 
à  tant  quil  se  présente  quelque  occasion  facille  de 
vous  l'enuoyer.  Car  du  reste  il  ni  fault  point  penser 
ainsi  comme  je  crois. 
V  Que  le  sieur  Sanson^  face  ce  quil  poura,  et  que 

Monsieur  l'Ambassadeur  escrit  ce  quil  aura  vouleu  à 
M^  le  Conte  de  brionne'.  Je  ne  luy  ay  jamais  dit  que 

1,  Cet  important  passage  répond,  terme  pour  terme,  au  bre- 
vet expédié  à  Samson  Lepage,  le  8  novembre  1644,  et  dont  Jal 
cite  le  passage  le  plus  important  [Dict.,  p.  997)  :  «  Le  Roy  bien  mé- 
moratif  d'avoir  cy  devant  accordé  au  s'  Samson  Lepage,  mares- 
chal  des  logis  de  son  régiment  des  gardes  suisses,  par  son  bre- 
vet du  20  mai  1642,  confirmatif  de  celuy  du  5  novembre  i638, 
la  conciergerie  du  pavillon  de  la  cloche,  situé  dans  son  grand 
jardin  des  tuileries...,  lequel  pavillon  a  depuis  esté  occupé  par 
le  s'  Poussin,  peintre,  jusques  à  son   retour  à  Rome,  lequel 

r  s'en  estant  retourné  sans  avoir  déclaré  s'il  avoit  dessein  de 

revenir  en  France  s'habituer  aud.  logement,  S.  M.  avoit 
ordonné  au  s'  Lepage  de  retarder  d'en  prendre  possession  jus- 
qu'à ce  qu'elle  eust  esté  informée  de  la  volonté  dud.  Poussin, 
et  que  pour  cet  efFect  Elle  auroit  commandé  d'en  escrire  au 
s'  marquis  de  S'  Chamont,  son  Ambassadeur  extraordinaire  à 
Rome,  lequel  par  sa  lettre  en  date  du  26  septembre  dernier, 
auront  mandé  que  «  led.  s'  Poussin  s'estoit  expliqué  qu'il  ne 
«  pouvoit  se  résoudre  de  s'acheminer  à  Paris  et  que,  quand  il 
«  y  viendroit  jamais,  de  loger  dans  lad.  maison  en  laquelle  il 
«  a  esté  incommodé  pour  beaucoup  de  raisons,  et  mieux,  qu'il 
«  l'avoit  remise  entre  les  mains  du  s'  de  Noyers,  Intendant  des 
«  Bastiments,  il  y  a  plus  d'un  an...  »  permet  à  Lepage  d'en 
prendre  possession  »  (Arch.  nat.,  E.  9299). 

2.  Poussin  a  écrit  plutôt  Brionne  que  Brienne.  Il  s'agit  cepen- 
dant de  Henri- Auguste  de  Loménie,  comte  de  Brienne,  lôgS- 
1666.  Il  resta  aux  affaires  extérieures  de  i638  à  i663,  par  la  pro- 


1644]  Ï^E    NICOLAS   POUSSIN.  299 

je  ne  voulois  plus  retourner  en  france.  Mais  au  con- 
traire, et  pour  ce  qui  est  de  la  maison,  je  luy  dit  que 
je  l'auois  remise  à  mon  partement  es  mains  de  Mon- 
seigneur de  Noyers  qui  de  sa  grâce  me  l'auoit  con- 
seruée  jusques  à  maintenant.  Voilà  surquoy  il  a 
fondé  ce  quil  a  escrit.  Le  reste  du  peu  de  discours 
quil  me  tint  il  n'est  aucunement  conuenable  de  vous 
le  redire;  mais*  il  montre  assés  la  malignité  de  son 
coeur,  et  ne  le  peut  cacher,  du  reste  je  n'ay  point 
d'armes  assés  fortes  pour  réparer  les  coups  de  la 
méchanceté  de  l'enuie  et  de  la  rage  de  nos  françois 
sinon  en  soufifrans  et  en  prenant  patiense.  il  est  vray 
que  mon  bonheur  ne  despent  nullement  de  là  il  est 
mieux  fondé.  Je  vous  supplie  pourtant  d'auoîr  un  peu 
de  soin  de  cette  affere  car  elle  touche  Monseigneur. 

Monsieur  le  Cheuallier  du  Puis  vous  baise  les  mains. 

Monsieur  escusés  si  je  vous  escris  sur  ce  papier  mal 
poly  J'auois  commencé  la  lettre  et  quasi  fini  quand  je 
m'en  suis  aperceu' 
Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Poussin 

J'espère  bien  auec  un  peu  de  temps  de  trouuer 
quelque  bust.  sans  passer  par  les  mains  du  Vitelles- 
chi.  mais  il  faudroit  de  l'argent  tout  prest. 

tection  d'Anne  d'Autriche  et  malgré  Mazarin.  C'était  un  homme 
désintéressé,  qui  traversa  honnêtement  la  Fronde.  —  Dans  le 
catalogue  de  ses  tableaux,  écrit  par  lui,  le  29  octobre  1662, 
sous  forme  d'une  épître  latine,  il  cite  un  Moïse  sauvé  et  un 
Moïse  foulant  la  couronne  de  Pharaon,  tous  deux  de  Poussin. 

1.  Mais  surcharge  parce  que,  rayé. 

2.  En  effet,  le  verso  du  folio  140  du  ms.  12347  porte  les 
traces  de  lignes  légères,  début  d'un  croquis  à  la  plume,  qui 
figure  une  sorte  de  cintre  surbaissé.  Poussin  avait  commencé 
à  écrire  la  lettre  sans  s'assurer  si  le  verso  était  blanc. 


300  CORRESPONDANCE  [1645 

Je  ne  laisse  pas  de  chercher  sans  faire  bruit  en  aten- 
dans  de  vos  nouuelles. 

121.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  141.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  A  Paris. 

[M.  Poussin  dernier  auril  1645. 
Quil  a  trouué  trois  belles  testes  antiques. 
Et  quil  ne  pourra  meuuojrer  qu'un  tableau. 
Que  sijauois  changé  de  dessein  il  les  gardera  po\ 
luy.] 

A  Rome  Ce  dernier  Auril  1645. 
Monsieur 

Vostre  dernière  m'a  osté  d'une  peine  trèsgrande  où 
je  me  trouuois.  Car  n'ayant  point  reseu  de  vos  nou- 
uelles en  un  long  espase  de  temps  je  craignois  que 
vous  ne  fussiés  retombé  malade.  Or  maintenant  que 
je  suis  certain  de  vostre  entière  garison  je  m'en  résiouis 
comme  ayant  recouuert  le  plus  grand  trésor  que  l'on 
ay  en  se  monde.  Je  suis  très  joyeus  de  scauoir  que 
Monseigneur  est  en  bonne  santé'.  Mais  d'autre  part 
vous  me  fettes  une  mortification  quand  vous  dittes 
quil  me  veut  remersier  des  assistances  que  jei  donnés 
à  Mo^  de  la  boissière^  à  son  ariuée  à  Rome  veu  que 
je  ne  l'ay  de  rien  serui  ains  je  crains  plustost  de  l'auoir 

1.  M.  de  Noyers  avait  conservé,  dans  sa  retraite,  quelque 
part  d'autorité  (voir  le  brevet  du  peintre  Nocret,  Arch.  de  l'Art 
français,  t.  V.  Documents,  m,  p.  2o3). 

2.  «  Il  (M.  de  Noyers)  a  laissé  un  pauvre  benêt  de  fils  »  (Tal- 
lemant  des  Réaux,  Hist.,  t.  II,  p.  i5),  et  en  note  :  «  Le  fils  de 
M.  de  Noyers,  appelé  La  Boissière,  ne  manque  nullement  d'es- 
prit; c'est  une  espèce  de  visionnaire  et  d'avaricieux  qui  mène 
une  vie  retirée,  et  qui  ne  s'occupe  guère  à  rien.  On  a  retiré 
sur  lui  la  terre  de  Dangu  que  son  père  avait  achetée  sans 
prendre  bien  garde  à  sa  sûreté.  Il  l'a  perdue;  il  vit  encore 
en  l'an  1672.  » 


1645]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  3oi 

importuné,  plust  à  dieu  que  je  l'eusse  peu  fere  mais 
il  a  vouleu  réseruer  cet  honneur  là  à  quelcun  qui 
mérite  plus  que  moy  qui  suis  inutile,  et  qui  n'ay  que 
la  bonne  volonté,  qui  véritablement  ne  se  verra  Jamais 
diminuer  à  l'endroit  de  tous  ceux  qui  appartienent  à 
MSseigneur. 

Auiourdhui  jei  esté  présenter  A  Monsieur  du  Noi- 
set  la  lettre  qu€  vous  luy  mandés  la  quelle  il  a  repsue 
courtoisement  et  après  l'auoir  lue  il  m'a  assuré  quil 
auroit  soin  particulier  de  l'affere  que  vous  lui  recom- 
mandés, de  mon  costé  je  serei  dilligent  soliciteur  de 
la  mesme  chose. 

Jei  esté  chés  le  Signeur  Arrigoni  banquier  à  Rome 
correspondant  de  Monsieur  Lumague  à  Paris,  pour 
reuoir  la  lettre  de  change  que  vous  m'enuoyaste  der- 
nièrement là  où  nous  auons  trouué  que  le  payement 
qui  m'ont  fait  est  bon  et  juste,  et  que  la  quittanse  que 
jei  fette  n'est  que  de  quatre  cents  seize  escus  de  dix 
Jules  de  soixante  baioques^  Voisiune  descharge  que 
jei  tirée  de  la  propre  main  dudit  Arigoni.  où  estoit 
présent  M^  Gierico  bancquier  françois  et  Monsieur 
Tibaut.  Je  vous  enuoye  la  ditie  descharge  enclose  en 
cette  présente,  de  manière  que  vous  pouués  cognoistre 
d'où  vient  que  l'on  vous  veut  fere  rembourser  cinq 
cens  escus  —  Mais  de  cela  vous  traictterés  auec 
M^  Lumagne. 

Sur  donc  l'argent  qui  vous  auance  qui  sont  trois 
cent  et  vint  trois'  escus  je  continuerei  à  payer  dix 
escus  par  mois  au  bon  M.\  Tibaut  et  se  quil  sera 
besoin  de  débourser  pour  le  négose  de  l'aumosnier  de 
Monseigneur,  le  reste  demeurera  en  lieu  assuré  en 


1.  L'écu  romain,  de  100  baïoques,  valait  5  fr.  36. 

2.  trois  au-dessus  de  quatre,  rayé. 


302  CORRESPONDANCE  [164$ 

atendans  que  vous  m'ordonniés  ce  que  vous  voulés 
que  j'en  face. 

Jei  desia  reconneu  avec  le  soin  et  la  dilligense  trois 
belles  testes  de  marbre  antique,  des  six  ou  quatre  que 
vous  m'ordonnaste  de  vous  trouuer  pour  acheuer  la 
douzeine  dont  vous  en  aués  desià  huit.  Ainsi  comme 
vous  m'ordonnastes  par  la  vostre  du  dernier  Sep- 
tembre. Mais  sil  arriuoit  pour  quelque  occasion  à  moy 
incogneue  que  vous  vous  pentissiés  de  la  pensée  que 
vous  eûtes,  ne  vous  mettes  point  en  peine  car  je  les 
tiendray  pour  moy.  toutefois  je  continuerei  la  re- 
cherche des  autres  en  atendans  de  vos  nouuelles. 

Je  vous  prie  de  *  m'escuser  *  si  pour  cette  Anée  je 
ne  [vous]  pourrei  enuoyer  autre  que  un  de  vos  tableaux 
des  Sacrements,  m'ayant  esté  impossible  de  mettre  la 
main  à  tous  les  deux  que  je  vous  auois  promis 

Monsieur  Pointel  est  auiourdhuy  ariué  à  Rome  en 
bonne  santé  dieu  merci.  Je  ne  sais  pas  sil  fera  banque 
ou  non  mais  si  vous  voulés  quelque  fois  remettre  de 
l'argent  en  cette  ville  vous  pourries  vous  seruir  de 
Ml  Gierico  qui  est  galant  homme  et  bien  reisonnable. 
Monsieur  Remy  a  par  son  moyen  remis  icy  de  l'ar- 
gent à  quatre  et  demi  pour  cent. 

Nous  ne  vous  auons  pas  enuoyé  encore  les  Modelles 
des  piédestaus  ou  escabelles  pour  poser  vos  testes  de 
marbre  mais  nous  vous  les  enuoirons  bien  tost. 
M^  tibaut  les  pourra  modeller  ou  aumoins  nous  vous 
les  ferons  voir  en  dessein  avec  leur  mesures.  Jei 
beaucoup  de  lettres  à  escrire  pour  cet  ordinaire  c'est 
pourquoy  je  vous  suplie  de  vous  contenter  de  ces 
deux  lignes  pour  maintenant. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobligé  Seruiteur 

Le  Poussin 


1645]  de  nicolas  poussin.  3o3 

122.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 
(Ms.  12347,  fol.  209 1.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  l'aisné^  à  Paris. 

A  Rome  ce  i5  may  1645. 
Monsieur 
La  venue  en  cette  ville  de  nostre  loyal  ami  M"^  Poin- 
tel.  ne  m'a  pas  apporté  le  seul  contentement  de  sa 
présense  mais  coniointement  celuy  que  jei  eu  d'en- 
tendre de  vostre  santé  et  de  l'honneur  que  vous  me 
fettes  en  vous  voulans  bien  souuenir  de  moy  de  qui 
la  seruitu  que  je  vous  ay  vouée  estoit  demeurée  in- 
fructueuse jusques  à  cet  heure  quil  vous  plaist  m'ho- 
norer  de  vos  commandemens.  en  désirans  que  je  vous 
serue  d'un  petit  tableau  sur  bois  de  la  grandeur  du 
Sî  Paul  de  M";  votre  frère,  vous  m'indiques  le  subiect 
par  la  vostre  du  i8f^  Mars  à  laquelle  ses  présentes 
lignes  seruiront  de  response.  Vous  assurant  quil  ni  a 
personne  au  Monde  pour  qui  je  me  porterei  auec  tant 
d'affection  comme  pour  vous  en  la  facture  de  se  petit 
ouurage  que  j'espère  fere  seruir  de  thémoins  de  la 
grandeur  du  désir  que  jei  d'estre  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  Seruiteur 
Le  Poussin 
Je  baise  trèshumblement  les 
mains  à  Messieurs  de  Châtelou 

I.  Poussin  écrit  le  chiffre  5  d'une  façon  qui  le  fait  ressem- 
bler à  un  9.  C'est  pourquoi,  quand  on  a  relie'  le  ms.  12347  (^"^ 
i858),  le  relieur  s'est  trompé  et  a  mis  cette  lettre  en  1649.  Le 
copiste  de  1755  n'avait  pas  fait  cette  erreur  et  avait  bien  daté 
cette  lettre  de  1645,  mais  il  écrit  le  17  au  lieu  du  i5,  alors  que 
Poussin  a  tracé  le  5  de  i5  exactement  comme  le  5  de  1645. 


^04  CORRESPONDANCE  [1645 

et  Chambre*  de  qui  je  suis 
trèshumble  Seruiteur. 

123.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  H^O 
A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  28  may  1645. 

Il  parle  de  la  confirmation  quelle  est  plus  riche  que 
lextremonction. 

Que  Ion  a  jette  toutes  les  formes  que  jauois  fet 
mettre  au  palais  Bentiuoglio^.] 

A  Rome  Ce  28"^"  May.  1645. 
Monsieur 
Je  suporte  patiamment  la  mortification  que  vous  me 
donnés  par  vostre  dernière  du  27  Auril.  Les  reproches 
que  vous  me  fettes  d'auoir  manqué  de  vous  finir  pour 
Pasques^  le  tableau  que  je  vous  auois  promis  sont 
trop  petites  Je  mériterois  plus  aspre  repréhension.  La 
promesse  que  je  vous  auois  fette  de  vous  finir  deus 
de  vos  Sacrement  par  an  ne  dériuoit  que  d'une  vo- 
lonté particulière  que  j'aurei  tousiours  de  vous  seruir 
et  si  j'eusse  esté  assuré.  (Comme  je  suis  maintenant) 
de  la  volonté  que  vous  aués  trèsferme  de  continuer 
cette  despense.  Cest  la  vérité  que  je  ne  me  fusse 
engagé  auec  personne  ainsi  comme  jei  fet.  Mais 
(Monsieur)  assurés  vous  que  pour  atendre  vous  ne 
perderés  rien.  Permettes  moy  que  je  finisse  ce  que 
jei  commensé  pour  autruy.  et  je  vous  promés  pour  la 

1.  Roland  Fréart  de  Chambray.  Paul   de  Chantelou   écrit 
souvent  le  nom  de  son  frère  :  Chambré. 

2.  Celui  du  fameux  nonce  Bentivoglio  (1579-1644). 

3.  En  1645,  Pâques  fut  le  16  avril. 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  3o5 

seconde  fois  que  je  ne  m'employerei  que  pour  vous  à 
qui  je  désire  sur  toutte  chose  de  complaire.  Je  vous 
enuoyerei  dieu  aidans  une  Confirmation  deuant  que 
l'anée  soit  expirée  laquelle  est  en  bonne  ordre  et 
esbauchée  fort  poliment,  elle  est  plus  riche  de  figures 
de  l'extrême  onction,  et  crois  dieu  Aidans  quelle  la 
poura  bien  acompagner. 

Je  suis  très  aise  que  vous  approuuiés  la  recherche 
des  bust  que  jei  fette  d'autans  que  jen  ay  déia  achepté 
trois.  J'espère  que  bientost  j'en  recouureray  un  qua- 
triesme.  qui  sera  le  conte  que  vous  désirés.  6t  si  vous 
voulés  monter  à  la  demie  douzeine  je  continuerei  de 
chercher.  Vous  m'en  escrirés  un  mot  [au]  à  la  pre- 
mière occasion. 

Jei  pensé  que  se  sera  une  bonne  occasion  de  vous 
faire  tenir  les  dittes  testes  quand  monsieur  Tibaut 
sera  de  retour  pour  frâse  car  estant  fort  commode  à 
porter  sur  des  mulets  il  sera  facille  de  les  fera  porter 
de  Lion  à  Rouane.  sans  courir  dangier  de  les  gaster. 
Un  mulet  du  moins  en  portera  deux,  de  manière  que 
les  frais  ne  seront  pas  grands  ayant  la  commodité  de 
l'eaue  par  tout  le  reste  du  chemina 

Jei  continué  à  donnera  Monsieur  Tibaut  dix  escus 
le  mois  de  l'argent  que  vous  aués  icy.  ainsi  comme 
vous  m'aués  ordonnés.  Jei  parlé  au  bon  Monsieur 
Pointel  tuchant  la  remise  de  l'argent  que  quelquefois 
vous  remettrés  icy.  il  m'a  prié  de  vous  faire  ses 
humbles  baise-mains,  et  m'a  dit  quil  ne  fesoit  icy 
aucun  négose.  Mais  que  vous  vous  pouriés  seruir  de 
Monsieur  Gierico  le  fils  duquel  demeure  en  cette 
ville,  il  est  honneste  et  se  contente  de  peu  de  proffit. 

I.  Par  la  Loire  et  le  canal  de  Briare  (commencé  en  1604, 
il  ne  fut  achevé  qu'en  1642). 

191 1  20 


V 


3o6  •   CORRESPONDANCE  [1645 

Nous  ne  nous  sommes  point  hastés  de  vous  enuoyer 
les  desseins  des  piédestaus  ou  escabelles  que  nous 
vous  auions  promis  voulans  au  parauant  voir  les  plus 
beaus  qui  soint  à  rome  lors  que  nous  alons  voirs  les 
vignes  ^ 

Le  Sieur  Tibaut  n'ayans  seu  auoir  license  de  model- 
1er  commodém*  l'Hercule  de  farnèse  s'est  résoleu  de 
se  seruir  de  la  forme  que  vous  fîtes  fere  et  en  tirer  un 
ject  que  l'on  conseruera^.  Luy  et  moy  nous  nous 
sommes  d'autant  plus  tost  résolus  de  fere  cela  comme 
nous  craignons  quil  n'ariuast  de  cette  forme  cQe  des 
autres^  qui  touttes  ont  esté  rompues  et  jettée  avec  les 
videnges  de  la  cour  du  palais  mazarin. 

Monsieur  du  Noiset  vous  mande  l'incluse  il  m'a  dit 
que  c'estoit  ce  que  vous  désirés  de  luy.  il  n'a  vouieu 
rien  pour  l'expédition  et  monstre  d'estre  fort  vostre 
affectionné. 

Je  n'ei  pas  encore  veu  M";  le  Cheuallier  du  Puis 

1.  Ces  «  vignes  »  étaient  les  villas  princières  des  environs  de 
Rome.  Par  exemple,  Board  écrit,  le  28  juin  1648  :  «  La  signora 
Olympia  (l'amie  d'Innocent  X)  est  à  sa  vigne  qui  se  purge  » 
(Bibl.  nat.,  ms.  fonds  Dupuy  348).  —  «  Il  (Poussin)  évitoit 
autant  qu'il  pouvoit  les  compagnies,  et  se  déroboit  à  ses  amis, 
pour  se  retirer  seul  dans  les  Vignes  et  dans  les  lieux  les  plus 
écartés  de  Rome,  où  il  pouvoit  avec  liberté  considérer  quelques 
statues  antiques,  quelques  vues  agréables,  et  observer  les  plus 
beaux  effets  de  la  nature  »  (Félibien,  Entretiens,  p.  12). 

2.  Roland  de  Chambray,  dans  la  préface  du  Traité  de  la 
peinture  de  Léonard  de  Vinci,  i65i,  dit  à  son  frère  Paul  de 
Chantelou  :  «  Vous  continuastes  à  faire  former  plusieurs 
figures  et  bas-reliefs,  particulièrement  la  Flora  et  le  Hercule 
du  Palais  Farnèse,  duquel  il  y  a  présentement  un  iect  à  Paris.  » 

3.  «  On  dit  que  M.  Chanteloup  avait  fait  jeter  cent  belles 
figures  à  Rome.  Je  serai  bien  marri  si  nous  en  sommes  pri- 
vés et  des  belles  copies  qu'il  faisait  faire  »  (Bourdelot  à  Cass. 
del  Pozzo,  de  Paris,  18  avril  1643). 


1645]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  Soj 

mais  au  premier  ordinaire  je  vous  donnerei  nouuelles 
des  Miroirs  avec  lesquels  il  reguarde  les  petis  obiects. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Le  Poussin. 

124.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  145.) 

[M.  Poussin  18^  juin  1645. 

Il  tesmoigne  vouloir  reuenir  enfrance 

Il  déclame  contre  linjustice  de  luy  oster  sa  Maison 
et  se  loue  comme  se  cognoissant  bien^.] 

A  Rome  Ce  i8'««>e  Juin.  1645. 

Monsieur 

J'aurois  matière  de  vous  escrire  beaucoup  si  Je  vou- 
lois  respondre  aux  serimonies  que  vous  fettes  auec 
moy.  par  la  dernière  dont  il  vous  a  pieu  m'honnorer. 
Je  diray  seullement  que  la  lecture  de  vos  lettres  ne 
me  peut  jamais  apporter  que  de  la  consolation  du  bien 
et  de  la  joye.  Ce  m'est  un  foment  qui  me  va  augmen- 
tant l'affectiO  que  jei  de  vous  seruir.  ne  vous  imagi- 
nés donc  point  que  je  perde  le  temps  à  les  lire  ni 
mesme  à  y  respondre.  Ce  seroit  moy  mesme  qui 
debuerois  estre  le  premier  à  vous  fere  mes  excuses 
enceque  vous  employant  en  des  choses  d'importanse 
je  vous  en  peus  diuertir  par  mes  inportunités.  qui 
sont  si  fréquentes.  La  confianse  que  jei  en  vostre 
bonté  sera  cause  que  mesmement  par  cette  présente 

I.  Il  semble  que  Chantelou,  qui  n'avait  d'abord  écrit  que  se 
loue,  ait  ajouté,  d'une  écriture  plus  tremblée  (c'est-à-dire  peut- 
être  beaucoup  plus  tard)  :  comme  se  cognoissant  bien. 


3o8  CORRESPONDANCE  [1645 

je  viendrey  vous  importuner  de  nouueau  et  vous 
prier  de  me  prester  vostre  ayde  en  un  négose  que 
vous  scaués  qui  m'importe.  Mo^)  vous  scaués  que 
mon  absense  a  esté  cause  que  quelques  téméraires 
se  sont  imaginés  que  puisque  jusques  à  cet  heure 
je  n'estois  point  retourné  en  france  depuis  que  j'en 
suis  parti  j'auois  perdu  l'enuie  di  jamais  retourner. 
Cette  fausse  Croyanse.  sans  aucun  autre  Raison 
les  a  poussés,  à  chercher  milles  Inuentions  pour 
tacher  à  me  rauir  iniustement  la  Maison  quil  pleut 
au  feu  Roy  de  trèsheureuse  mémoire,  me  donner  ma 
vie  durant.  Vous  scaués  bien  quil  ont  porté  l'affere  si 
aduant  que  il  ont  obteneu  de  la  Royne  license  de  la 
posséder  et  m'en  mettre  dehors.  Vous  scaués  que  pour 
ce  fere  il  ont  composé  de  fauses  lettres  portantes  que 
j'auois  dit  que  je  ne  retournerois  jamais  en  France.- 
affin  que  par  ces  fausetés  la  Roine  leur  accordas  plus 
facillement  une  chose  du  tout  iniuste.  Je  suis  au 
désespoir  de  voir  que  une  iniustice  semblable  ne 
trouve  point  d'ostacle.  Maintenant  que  j'auois  enuie 
de  retourner  jouir  de  la  douceur  de  la  patrie  là  où 
finallement  chacun  désire  mourir  je  me  vois  oster  ce 
qui  m'inuitoit  le  plus  à  retourner  de  par  delà,  est  il 
possible  quil  ni  aye  personne  qui  veille  deffendre  mon 
droit,  qui  se  veille  dresser  contre  l'insolense  d'un 
homme  vil  d'un  laquais,  est  il  possible  quil  ni  aye 
personne  qui  deffende  mon  parti.  Les  francois  ont 
il  *  si  peu  de  sentiment  pour  leurs  Nourrisons  qui 
honnorent  par  leur  vertu  leur  pais  et  leur  patrie? 
veut  on  souffrir  que  un  homme  comme  Sanson. 
mette  dehors  de  sa  maison  un  vertueux  cogneu  de 
toutte  Leurope.  du  reste  c'est  l'interest  du  public. 
C'est  pourquoy  Monsieur  je  vous  supplie  au  moins 


1645]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  SoQ 

sil  ni  a  point  d'autre  remède  de  faire  entendre  aux 
honneste  gens  le  tort  que  l'on  me  fet.  et  vous  soyés 
mon  protecteur  en  ce  que  vous  pourés.  Oultre  tout 
cesi  je  nei  point  esté  payé  de  mes  fatigues  * .  J'auois  une 
grande  enuie  de  retourner  cet  autonne.  (Ainsi  comme 
vous  en  cognoissés  une  partie  des  Occasions  Jei  deià 
à  cet  effet  accommodé  une  partie  de  *  mes  afferes  et 
si  je  suis  secoureu  à  temps  j'espère  estre  en  France 
pour  la  tousaint.  que  si  l'iniustice  a  plus  de  lieu  que 
la  Raison,  se  sera  alors  que  j'aurai  occasion  de  me 
plaindre  de  l'ingratitude  de  mon  pais,  et  seroi^  con- 
trains de  mourir  loint  de  ma  patrie  comme  un  exilé 
ou  bani.  Je  ne  vous  importunerei  point  dauantage 
sur  se  subiec.  et  n'en  diray  plus  rien  jusques  à  tant 
que  vous  m'en  ayés  donné  quelque  mot  de  response. 

Je  suis  touiours  après  la  découuerte  de  quelques 
belle  testes  de  marbre  antiques,  mais  finallement  je 
crois  qu'il  faudra  que  vous  vous  contentiés  de  ceque 
l'on  peut  trouuer  ne  pouuant  recouurer  ceque  l'on 
désireroit. 

Vostre  tableau  de  la  Confirmation  demeurera  ainsi 
quil  est  en  atendans  la  saison  plus  commode  pour 
trauaillier.  Le  commencemen  de  cet  esté  icy  nous 
espouuente.  la  chaleur  estant  venue  tout  à  coup  exes- 
siue. 

Nous  auons  en  cette  ville  le  bon  Monsieur  du 
fresne^  de  l'imprimerie  qui  se  porte  for  bien.  Hier  au 
soir  en  m'entretenant  auec  luy  il  me  dit  quelque 
chose  sur  l'enuie  que  vous  aués  de  reuoir  une  autre 

1.  Phrase  écrite  en  marge. 

2.  Seroi  surchargeant  estre. 

3.  Trichet  Dufresne  était  alors  à  Rome  comme  bibliothé- 
caire de  Christine  de  Suède  (voir  Ph.  de  Chennevières,  Peintres 
provinciaux,  t.  III,  p.  142). 


3 10  CORRESPONDANCE  [1645 

fois  Rome,  Je  prie  à  dieu  que  cela  soit  deuant  que  je 
meure  à  celle  fin  que  je  peusse  encore  un  coup  jouir 
de  vostre  présense. 

Du  reste  Monsieur  je  vous  suplie  que  sil  ariuoit  le 
cas  que  l'on  peut  tirer  quelque  argent  de  la  maisO' 
que  vous  scaués.  par  ceux  qui  la  désire  posséder  de 
n'empescher  pas  que  cela  n'aye  effet  et  vous  m'oblige- 
rés  à  demourer  à  jamais. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Le  Poussin 
Je  baise  trèshumblement  les  mains  à  M^  de  Chan- 
telou  vostre  frère  de  qui  je  suis  Seruiteur  trèsaffec- 
tionné. 

125.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  146.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  3^  Juillet  1 645. 
Il  me  félicite  de  V accès  que  jay  auprès  de  M.  le 
Duc  d'Anguin  2.] 

A  Rome  Ce  S'^^^  Juillet  1645. 
Monsieur 
il  y  a  huit  jours  que  je  debuois  respondre  à  la  vostre 
dernière  du  24'n«.  May  Mais  ne  l'ayant  pas  repsue 
àtemps  jei  remis  la  partie  à  cet  ordinaire,  il  ni  a  point 

1.  Le  mot  maison  a  été  surchargé  du  mot  tholle,  lapsus  pro- 
bable pour  hôtel.  Le  copiste  de  l'Institut,  et  ensuite  Quatre- 
mère,  p.  219,  laissent  le  mot  en  blanc. 

2.  Cette  charge  de  secrétaire  paraît  avoir  été  seulement 
honorifique  et  temporaire.  Le  grand  Condé  marchait  au  secours 
de  Turenne,  avec  qui  il  allait  remporter  la  victoire  de  Nord- 
lingen,  le  3  août  1645. 


1645]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  3ll 

de  *  doubte  quil  ne  vous  scauroit  rien  succéder  de 
bien  que  je  ni  prenne  part  comme  celuy  qui  dépent 
de  vous  et  qui  vous  ayme  et  lionnore  au  dernier 
degré  C'est  pourquoy  je  me  suis  resiouy  à  la  nouuelle 
quil  vous  a  pieu  me  donner  de  l'accès  que  vous  aués 
auprès  de  la  personne  d'un  prince  du  mérite  de  Mo""  le 
duc  d'Anguin  ^ .  La  fragillité  de  la  fortune  des  hommes 
a  tousiours  besoin  de  puissants  et  gaillards  estançons. 
Néanmoins  que  l'on  die  quil  ne  se  faut  point  lier  aux 
princes  ni  au  fils  des  hommes  là  ou  il  ni  a  point  de 
salut.  Néanmoins  nous  voyons  bien  souuent  que 
l'homme  est  un  dieu  à  l'Homme.  Je  me  resiouirei 
dauantage  de  cette  rencontre  quand  je  scaurei  quelle 
sera  à  vostre  côtentem'. 

Auiourdhui  je  me  suis  informé  à  personnes  fort 
entendues  en  matière  de  gants  d'odeurs  de  sauonnettes 
et  de  tout  ceque  vous  désirés  que  je  vous  enuoye.  il 
m'ont  dit  que  si  l'on  atendoit  jusques  à  l'autonne  que 
pour  les  gants  ils  seroint  bien  meillieurs  que  ceux  que 
l'on  trouue  maintenant  qui  sont  fets  de  l'anée  passée^. 
Les  autres  choses  que  vous  désirés  se  font  en  la 
mesme  saison.  C'est  pourquoy  si  vous  pouués  atendre 
vous  serés  bien  mieux  serui.  J'atendrei  donc  vostre 
response  sur  se  subiect. 

Pour  se  qui  est  de  l'argent  que  vous  aués  remis  en 
cette  ville  pour  seruir  à  la  despense  de  vos  tableaux 
de  vos  testes  de  marbre  et  à  la  pension  que  vous  con- 
tinués à  M^   Tibaut   est  bien  desià  diminué.  C'est 

1.  Sur  le  prestige  qu'exerçait  alors  Condé,  voir  H.  Char- 
don, Les  Fréart,  p.  88. 

2.  Il  y  avait  une  saison  pour  les  gants  :  «  ...  lesquels  sont 
assez  misérables  chez  les  marchands,  si  on  ne  prend  soin  de 
les  voir  faire  soi-même  dans  la  saison  qui  est  passée.  »  Board, 
Corr.,  fonds  Dupuy  348,  2  décembre  1647. 


3l2  CORRESPONDANCE  [1645 

pourquoy  il  sera  nécessaire  d'en  mander  de  l'autre  si 
vous  voulés  continuer  vos  dépenses.  Je  vous  enuoye- 
rei  à  la  première  commodité  la  despense  que  jei 
fette  jusques  à  présent.  Je  vous  supplie  de  me  m'es- 
crire  si  vous  voulés  que  je  vous  trouue  une  demie 
douzeine  de  ses  busts  antiques  ou  si  vous  serés 
cotent  de  quatre  que  sil  est  ainsi  vous  estes  désià 
serui.  Autre  chose  que  je  ne  vous  peus  faire  scauoir 
pour  cet  heure  que  le  Courrier  est  prêst  à  partir,  et 
que  le  chaud  de  l'esté  m'afflige  puissamment  et  de 
telle  manière  quil  a  faleu  abandonner  les  pinceaux. 
Si  cependant  je  me  pourrei  conseruer  la  santé  je  l'es- 
timerei  à  bonne  fortune. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 

126.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fo^'  '47-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Conseillier  du  Roy 
et  secrétaire  de  Monseigneur  le  Duc  D'Anguin,  Paris. 

[M.  Poussin  2g^  juillet  1645. 

Touchant  mes  busts.] 

De  Rome  Ce  29"»^  Juillet  1645. 

Monsieur 
Jei  repseu  en  mesme  temps  deus  de  vos  lettres  l'une 
en  datte  du  2'^'"«  Juillet'  que  je  crois  la  dernière 
l'autre  n'a  point  de  datte,  à  l'ouuerture  desquelles  je 
trouuas  celle  que  vous  adressiés  à  Monsieur  du  Noi- 
set  à  ^  qui  je  ne  la  peus  pas  présenter  mais  je  la  lais- 

1.  Juillet  en  surcharge  de  Guin, 


1645]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  3l3 

sas  à  un  de  ses  hommes  de  chambre  qui  luy  donna  à 
son  retour  de  la  ville  là  où  il  estoit  aie. 

Je  suis  tout  délibéré  de  fere  enquaisser  l'un  de  ses 
jours  les  quatre  testes  de  marbre  que  je  vous  ay 
trouuées.  quoy  que  il  y  aura  de  la  difficulté  à  les  fere 
sortir  de  Rome  à  ceque  un  mien  ami  m'a  dit.  mais 
néanmoins  j'espère  les  tirer  dehors.  L'une  est  le  por- 
tret  du  dernier  ptolomée  frère  de  Cléopâtre  ainsi 
comme  l'on  le  peut  cognoistre  par  les  médalles.  une 
teste  la  plus  noble  qui  se  voye.  Je  l'auois  fette  restorer 
pour  me  la  tenir  dedens  ma  petite  sale'  et  prendre 
plaisir  de  la  voir  souuent.  mais  ayant  trouué  trop  de 
difficulté  à  en  trouuer  d'autres  à  honneste  prix,  je  me 
suis  résoleu  de  me  priuer  du  plaisir  de  la  posséder, 
[pour]  préférant  vostre  contentement  au  mien  propre. 
La  seconde  est  une  belle  grande  teste  de  famé  de 
bonne  et  grande  manière  qui  regarde  vers  le  ciel.  Je 
l'ei  eue  par  fortune  en  un  lieu  là  où  elle  n'estoit  pas 
cogneuee,  elle  a  esté  premierem»  à  Chérubin  Albert ^ 
fameus  peintre,  puis  à  ces  héritiers  scauoir  à  un 
Médecin  que  je  cognois  famillièrem'  il  y  a  long- 
temps. Vous  y  verres  quatre  petis  trous  desus  et  des- 
sous chacune   oreille   deus  de   chaque  costé  là  où 

1.  Poussin  possédait  une  petite  collection  d'antiques,  si  nous 
en  jugeons  par  le  mémoire  de  ce  qui  en  restait  à  vendre  en  1678 
(Bibl.  nat.,  ms.  fonds  Moreau  349,  fol.  247,  et  Arch.  de  l'Art 
français,  t.  VI,  p.  ibi)  : 

Treize  bustes  de  marbres  [Numa,  Lucius  Verus,  Cléopâtre, 
Ptolémée,  son  frère  Auguste,  Caligula,  Faustine  l'Ancienne, 
Drusilla,  Britannicus  et  Néron  jeune,  Antinous,  Mercure,  un 
Faune),  trois  statues  de  marbre  [Flore,  Cupidon,  Hercule), 
trois  statuettes  [Vénus,  Bacchus,  Lucius  Verus),  un  buste  de 
Galba  (en  bronze)  et  trois  vases  d'albâtre;  sans  parler  de  la 
Fortune  de  Jean  de  Bologne  (en  bronze). 

2.  Chérubin  -  Zaccharie  -  Mathieu  Alberti,  célèbre  surtout 
comme  graveur  sur  cuivre.  Il  était  mort  en  cette  même  année 
1645. 


3 14  CORRESPONDANCE  [1645 

autrefois  pendoint  quelques  ornemens.  Je  ne  scaurois 
bonnement  juger  si  c'est  un  portret  ou  une  teste  fette 
à  plaisir,  tan  y  a  que  l'on  l'apelloit  chés  les  albert  la 
Lucrèce.  Elle  a  sa  drapperie  jusques  aux  mammelles. 
La  tierse  est  un  portret  sans  doubte  de  Julia  Augusta. 
grande  du  naturel  auec  son  bust  jusques  aux  mamelles. 
La  quatriesme  semble  un  drusus  c'est  un  jeune  homme 
sans  barbe  d'un  aspect  assés  fier  qui  auec  les  autres 
tiendra  bien  sa  place. 

Les  quatre  viennet  à  couster  cent  et  soisante  escus. 
Le  Roy  cinquante  escus.  La  lucrèse  cinquante  et  les 
deux  autres  trente  escus  l'une  de  manière  que  rabatu 
septante  escus  pour  les  sep  mois  de  M";  Tibaut  de 
trois  cents  et  vintetrois  qui  vous  restoint.  après 
m'estre  fini  de  paier  de  Lextreme  oncion.  il  vous  reste 
maintenant  nonante  trois  escus  surquoy  il  faut  fere 
la  despence  de  l'enquaissement  de  vos  bust  et  autre 
despenses,  il  faut  vous  achepter  les  gants  les  essences 
sauonnettes  et  pommades  que  vous  désirés  lesquelles 
choses  ne  vous  seront  point  enuoyer  plustost  que  d'icy 
à  trois  sepmaines  ou  un  mois  car  après  m'estre  con- 
seillé à  ceus  qui  s'en  entendent  chascun  m'a  assuré  que 
je  ne  trouuerois  rien  de  bon  si  je  n'atendois  jusques 
au  dit  temps  parceque  maintenât  touttes  ses  marchan- 
dises là  sont  vieilles  et  rances  Mais  il  y  a  desià 
quelque  temp  que  l'on  trauaille  aux  nouuelles  les- 
quelles je  vous  enuoyerei  de  la  manière  que  vous  les 
désirés  et  l'argent  qui  manquera  je  l'aduancerei  du 
mien  jusque  à  tant  que  vous  ayés  fet  la  remise  nou- 
uelle  que  vous  m'aués  indiquée. 

pour  ce  qui  est  de  vostre  tableau  jei  réserué  l'au- 
tomne prochain  pour  le  finir  et  vous  l'enuoyer.  Si 
nous  viuons  jusques  dens  im  an  en  bonne  santé  je 
vous  en  finirei  deux.  Mais  pour  cette  anée  vous  vous 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  3l5 

contenterés  de  la  Confirmation  que  jei  commensée. 
Je  croyois  me  débarrasser  d'une  partie  de  mes  fa- 
cendes*.  mais  la  chaleur  nous  afflige  si  fort  que  l'on 
ne  sauroit  rien  fere.  Un  chacun  est  tombé  en  tant  de 
langeur  que  c'est  une  chose  estrange  ausi  tout  Rome 
est  rempli  de  malades  et  se  meurent  grande  quanté  de 
personne  dieu  nous  veille  continuer  la  santé  affin  que 
nous  soyons  tousiours  en  estât  de  vous  seruir. 

Monsieur  Tibaut  a  besoin  de  vostre  aide  il  vous 
baise  bienhumblement  les  mains.  Je  fet  responce  à 
Monseigneur  sur  la  lette  de  laquelle  il  m'a  fauorisé  — 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin 

Je  vous  suplie  Monsieur  d'acheuer  la  susescritte  de 
la  lettre  de  monseigneur  et  vous  m'obligerés  extrê- 
mement. 

127.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  148.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  20^  aoust  1645. 

Il  parle  de  la  difficulté  dauoir  congé  de  tirer  mes 
4  bustes  de  Rome. 

Que  la  confirmation  est  un  tableau  qui  luy  couste 
six  mois  de  temps,  quil  nen  fait  quune  teste  en  un 
jour. 

Il  parle  du  petit  tableau  de  S^  Jean  de  mon  frère.] 
A  Rome  Ce  2o*^">^  Aust.  1645. 
Monsieur 
Vostre  dernière  en  datte  du  23'^™«  juillet  est  arriuée 

I.  Facondes  ou  facendes  :  les  choses  qui  doivent  être  faites, 
comme  dans  agenda,  légende,  etc. 


3l6  CORRESPONDANCE  [1645 

fort  à  propos  pour  ce  qui  concerne  la  despense  que 
vous  m'auiés  ordonné  que  je  fisse  alentour  de  cer- 
tains gants  et  autres  choses  car  j'estois  sur  le  point  de 
les  achetter  et  vous  les  enuoyer  ce  que  je  retarderei 
suiuant  l'ordre  que  vous  m'en  donnés 

Pour  ce  qui  est  des  bust  de  marbre  je  vous  en  ay 
achetté  quatre  et  crois  y  auoir  bien  employé  vostre 
argent^  il  faut  maintenant  estudier  aux  moyens  de  les 
tirer  hors  de  Rome  et  vous  les  enuoyer.  Les  choses 
de  Rome  se  sont  bien  changées  dessous  ce  Papat  icy. 
et  nous  n'auons  point  de  faueur  en  Court^.  J'apréhens 
pour  cela  que  je  n'aye  de  la  peine  pour  impétrer  la 
license  de  transporter  les  testes  susdittes  car  aucuns 
m'ont  assuré  que  le  Cardinal  Pamphile  depuis  un 
mois  en  sa,  a  ordonné  que  aucune  chose  antique  ne 
fust  transportée  hors  de  Rome.  La  raison  est  que  il 
voudroit  que  ce  qui  est  à  vendre  seruist  d'ornement 
à  la  ville  qui  fet  fere'  sans  le  payer  —  ou  bien  l'auoir 
pour  bien  peu  de  chose.  Nonobstant  j'essayerei  par 
tous  les  moyens  du  monde  d'auoir  cette  difficille 
license''  Je  vous  en  manderei  des  nouuelles  quand 
j'en  aurei  fet  les  tentatifs 

1.  A  cet  endroit  de  sa  lettre,  Poussin  a  fait  un  astérisque  et 
il  a  écrit  en  marge  :  ils  coustent  cent  et  soixàte  escus. 

2.  Alors  qu'Urbain  VIII  (1623-1644)  avait  été  favorable  à  la 
•^      France,  Innocent  X  (1644-1655)  soutenait  les  Espagnols.  Guet- 
fier,  notre  chargé  d'affaires,  au  milieu  de  difficultés  sans  cesse 
renaissantes,  pouvait  écrire  qu'il  était  «  comme  marchant  sur 
des  espines  »  {Corr.,  Cinq-Cents  Colbert  356,  fol.  175). 

3.  La  villa  Pamphili,  bâtie  par  l'Algarde,  à  un  kilomètre  de 
V,        la  ville,  non  loin  de  la  promenade  du  Poussin;  les  jardins  sont 

les  plus  grands  et  les  plus  beaux  dans  le  voisinage  de  Rome. 

4.  Louis  Fouquet  écrit  à  son  frère,  le  surintendant  :  «  Il  est 
absolument  impossible  que  l'on  achète  ici  quelque  chose  de  la 
nature  de  celles  qui  ne  sortent  qu'avec  licence,  comme  marbre 
et  une  infinité  d'autres,  sans  qu'une  partie  de  Rome  ne  le  sache. 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  3l7 

La  grande  et  fascheuse  chaleur  de  l'Esté  a  mis  mes 
aflferes  assés  en  derrière  n'ayans  quasi  peu  rien  faire 
depuis  le  commëcem^  de  Juin  jusques  à  maintenant 
que  nous  sommes  estoufés.  La  grande  quantité  de 
maladies  et  la  mortalité  qui  cour  a  fet  que  je  nei 
pensé  à  autre  chose  que  me  conseruer  la  santé  C'est 
pourquoy  si  je  peux  finir  vostre  tableau  de  la  Con- 
firmatiO  et  vous  l'enuoyer  pour  la  fin  de  l'anée  je 
croirei  auoir  fet  beaucop.  il  contient  vintquatre 
figures  casi  touttes  entière  sans  l'architecture  de  der- 
rière, de  manière  quil  ne  faut  pas  moins  de  cinq  ou 
six  mois  pour  le  bien  finir  et  puis  (Monsieur)  si  vous 
le  considérés  se  ne  sont  pas  des  choses  que  l'on  puise 
faire  en  siflans  comme  vos  peintres  de  paris  qui  en  se 
jouant  font  des  tableaux  en  vintequatre  heure,  il  me 
semble  que  je  fets  beucoup  quand  je  fes  une  teste  en 
un  jour  pourueu  quelle  face  son  effet  C'est  pourquoy 
je  vous  supplie  de  mettre  l'impatiense  françoise  à 
part  car  si  j'auois  autant  de  haste  comme  ceux  qui  me 
pressent  je  ne  ferois  rien  de  bien.  Ne  me  proposés 
point  pour  d'autre  que  pour  vous  de  nouueaus 
ouurages  car  se  seroit  aux  despens  que  je  reserue 
pour  vous  seruir.  Monsieur  de  Chantelou  vostre  frère 
m'a  escrit  par  deux  fois  quil  désireroit  bien  que  je 
luy  fisse  un  petit  batesme  de  S',  Jan  de  la  grandeur 
de  vostre  S^.  Paul.  Je  confesse  que  je  ne  peux  luy  rien 
refuser  Mais  comme  jei  juré  de  jamais  ne  rien  fere  de 

Il  en  faut  parler  au  Pape,  mesme  des  moindres;  il  faut  avoir  la 
déposition  du  commissaires  des  visites  pour  les  antiques;  il  faut 
soliciter  la  permission  de  Sa  Sainteté;  il  faut  obtenir  le  congé 
du  cardinal  camerlingue  ou  vice-camerlingue;  il  faut  une 
patente  de  la  chambre  apostoliques;  il  faut  des  visites  de 
douanes,  des  compositions  avec  la  douane,  d'autres  menus 
droits  de  poste,  des  traités  et  des  embarquements  avec  les 
capitaines  »  (cité  par  Bonnaffé,  Le  surintendant  Fouquet,  p.  38). 


3l8  '  CORRESPONDANCE  [1645 

si  petit  (m'ayant  ce  petit  ouurage  offensé  notablement 
la  vue)*  et  m'estant  impossible  de  le  seruir  si  promp- 
tement  qu'il  voudroit  je  vous  supplie  de  seruir  de 
médiateur  et  de  faire  que  l'on  trouue  tempérament  à 
ses  deus  difficultés 

Si  se  n'estoit  que  Je  me  trouue  engagé  en  des  choses 
quil  y  a  longtemps  que  jei  entreprinse.  Je  m'aplique- 
rois  soullement  alentour  de  vos  Sacremens.  Ce  que 
jei  bien  enuie  de  faire  aussitôt  quand  je  serés  dépes- 
ché  de  mes  embarras.  Je  crois  vous  en  fere  deux  l'anée 
qui  vien.  Car  je  suis  trèsbien  résolu  de  ne  m'engager 
plus  auec  personne  que  auec  vous  à  qui  je  serei  toutte 
ma  vie 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiieur 
Le  Poussin 
Il  ni  a  rien  icy  pour  M|; 
de  Lisle^  assurés  vous  en. 

Monsieur  Tibaut  vous  baise  trèshumblement  les 
mains. 

Il  n'auanse  icy  de  vostre  argent 
que  nouante  trois  escus. 

128.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  H9-) 
A  Monsieur  de  Chantelou^  à  Paris. 

[M.  Poussin  i5^  octobre  1645. 

1.  Poussin  a  biffé  la  parenthèse,  que  nous  conservons  pour 
la  clarté  du  texte. 

2.  Le  sieur  de  l'Isle,  agent  diplomatique  à  Gênes  et  en  Alle- 
magne. Peut-être  le  même  que  M.  de  Lisle  Sourdière,  cité 
dans  la  lettre  du  22  juin  1648  et  dont  Félibien  nous  apprend, 
Entretiens,  p.  18,  qu'il  posséda,  après  M.  Gillier,  le  Moïse  qui 
frappe  le  rocher. 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  BlQ 

Mande  que  pour  faire  sortir  mes  bustes  II  tentera 
touttes  voies  mesmes  les  illicites 

quil  seruira  mon  frère  mais  à  m.es  despens.] 

A  Rome  Ce  quinziesme  octobre.  1645. 
Monsieur 

il  n'est  pas  besoin  de  remplir  cette  demie  fuille  de 
papier  de  friuoles  et  parolles  ou  conceptions  inutiles, 
puis  que  elle  ne  suffira  que  pour  contenir  les  choses 
quil  est  nécessaire  que  vous  sachiés  et  premièrement 
je  veus  bien  vous  aduertir  que  ses  jours  passés  j'auois 
quelque  espéranse  d'obtenir  la  license  de  pouuoir 
faire  sortir  vos  quatre  testes  de  marbres  hors  de 
Rome  et  vous  les  enuoyer  à  la  première  commodité 
à  Lion.  Mais  sur  ses  entrefettes  le  Cardinal  Antoine  * 
Camerlingo  aiant  esté  contraint  de  s'absenter  secrè- 
tement de  Testât  eclésiastique.  Incontinent  que  l'af- 
faire a  esté  descouuerte  le  pappe  a  pourueu  à  tous  les 
offices  de  la  Chambre,  en  leuant  dehors  ceux  qui  y 
estoint  sous  le  dit  Cardinal  et  y  mettant  ceux  qui  luy 
a  pieu  particulièrement  le  Cardinal  Sforze^a  esté  fet 
Vicecamerlingo.  Ce  qui  sera  cause  que  désormais  je 
crains  fort  de  trouuer  de  nouuelles  difficultés  pour 
obtenir  la  susditte  license.  et  à  cause  de  cette  nou- 
ueauté  n'ayant  aucune  cognoissance  de  ceux  qui  sont 
entrés  èsdits  offices  il  faudra  du  temps  pour  des- 
couurir  les  moyens  quil  faudra  tenir  pour  impétrer 
ce  que  je  demande,  pourueu  quil  ni  aye  de  nouuelles 
difficultés.  Vous  ne  croiriés  jamais  de  quelle  sorte  de 
gens  nous  sommes  gouuernés.  Mais  en  fin  je  tenterei 

1.  Antonio  Barberini,  cardinal  camerlingue,  s'enfuit  de  Rome 
pour  Gênes  dans  la  nuit  du  3o  septembre  1645.  Il  se  rendit  à 
Monaco,  puis  à  Turin  et  enfin  en  France. 

2.  Le  cardinal  Frédéric  Sforza,  Romain,  de  la  grande  famille 
de  ce  nom;  promu  au  cardinalat  par  Innocent  X;  homme  de 
grand  mérite,  mais  de  la  faction  espagnole. 


320  CORRESPONDANCE  [1645 

touttes  les  vois  possibles  Jusques  aux  illicites  encores 
quâd  se  debueroit  estre  à  mon  propre  dommage.  Car 
de  parler  au  Pape  de  semblable  choses  se  seroit 
chercher  sa  disgrâce. 

Monsieur  Tibaut  auoit  eu  quelque  pensée  de  par- 
tir cet*  autonne  ainsi  que  je  vous  auois  escrit,  Mai  il 
a  estimé  le  melieur  de  passer  encore  icy  cet  luer  et  le 
printemps  qui  vient  se  partir  d'icy.  L'argent  que  vous 
luy  ordonniés  pour  son  voyage  lui  seruira  pour  pas- 
ser l'iuer  en  fesant  encore  quelque  estude  nouuelle. 
il  vous  escrira  touchant  serteine  choses  que  je  ne  vous 
peux  escrire  en  si  petit  espace. 

Je  trauaille  journellement  à  vostre  tableau  de  la 
Confirmation  lequel  ne  pourra  vous  estre  enuoyé 
que  à  la  fin  de  décembre.  Le  trauail  est  trèsgrand  et 
la  manière  de  laquelle  je  le  finis  ne  se  scauroit  fere 
tost  oultre  le  grand  trauail  quil  y  a. 

L'anée  prochaine  si  jei  la  santé  j'en  ferei  dauantage 
car  je  ne  me  veus  engager  désormais  à  nulle  autre 
chose  que  à  vous  seruir.  S'estoit  pourquoy  si  j'eusse 
peu  remettre  le  seruise  que  monsieur  vostre  frère 
désire  de  moy  à  un  autre  temps,  tant  rhoins  j'aurois 
esté  diuerti.  Mais  comme  je  ne  peux  le  refuser  estant 
une  personne  que  j'Honnore  extrêmement.  Vous  per- 
mettrés  que  je  vous  dérobe  le  temps  qu'il  faudra  pour 
le  seruir  ou  bien  vous  suporterés  le  mal  de  la  patience 
d'autans  plus  que  vous  ne  fériés  Si  vous  nous  acordés 
l'une   de   ses  deux    choses  je   pourroi   satisfere   en 
quelque  manière  à  l'un  et  à  l'autre 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsdouot  Seruiteur 
Poussin 

I.  cet  surchargeant  ces. 


1645]  de  nicolas  poussin.  321 

129.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  fol*  i5o.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  Leisné^  A  Paris*. 

A  Rome  Ce  i5™^  octobre  .1645. 
A  la  demande  que  vous  m'aués  fette  du  petit  tableau 
du  babtesme  de  S*  Jan  deux  difficultés  (.Ainsi  comme 
vous  scaués)  se  sont  rencontrées  en  un  mesme  temps. 
Scauoir  la  petitesse  et  le  temps.  Auquelles  vous  aués 
trouué  le  remède.  M'ayant  remis*  la  grandeur  à  ma 
volonté.  Mais  j'auois  oublié  à  vous  dire,  que  le  temp 
qui  me  restera  désormais  l'ayant  totallement  dédié  au 
seruise  de  monsieur  vostre  fraire.  Je  ne  le  peux  em- 
ployer pour  autruy  sans  luy  faire  tort.  Je  vous  sup- 
plie donc  de  traicté  de  cette  difficulté-là  auec  luy.  et 
sil  veut  vous  acorder  vostre  demande?  Vous  voirés 
bien  que  ce  que  je  pourray  contribuer  du  mien  pour 
vous  seruir  ne  vous  sera  pas  espargné.  puisque  j'es- 
time un  grand  bon  heur  d'auoir  quelque  occasion  de 
vou  témoigner  que  je  serei  toutte  ma  vie 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  Seruiteur 
Le  Poussin 

130.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12847,  fol'  i5'-) 
A  Monsieur  de  Chantelou^  A  Paris. 

[M.  Poussin  12^  nouembre  1645. 

1.  Lettre  bien  écrite,  en  écriture  plus  grosse. 

2.  En  marge  :  remis. 

1911  21 


322  CORRESPONDANCE  [1645 

//  parle  des  bustes^  du  Crusifix  pour  M.  de  Tou 

quil  trauaille  à  la  confirmation.] 

De  Rome  Ce  i2™«  Nouembre  .1645. 
Monsieur 

Je  n'ei  encore  peu  rien  faire  touchans  la  license  de 
tirer  hors  de  Rome  les  quatre  teste  de  marbre  que  je 
vous  ay  achettées.  L'absense  du  Cardinal  Atoine  a 
fet  changé  tous  les  offices  de  la  Chambre,  mais  l'on 
n'a  pourueu  encore  personne  de  celuy  de  Commissere 
sans  la  patente  duquel  nous  ne  pouuons  rien  faire. 
C'est  pourquoy  il  faut  patienter,  il  ni  a  aucun  autre 
remède.  Monsieur  Tibaut  passera  encore  icyl'Hyuer 
puisque  vous  lui  en  donnés  la  commodité  de  sorte 
que  j'espère  entre  ci  et  le  temps  quil  partira  pouuoir 
par  quelque  moyen  impétrer  la  license  nécessaire 
pour  le  transport  des  testes  sus  dittes.  Et  tascherei  de 
faire  en  sorte  que  passant  à  Lion  il  [les]  puisse  vous 
les  conduire  à  paris.  Mais  si  le  malheur  vouloit  quil 
falust  atendre  dauantage  que  la  partanse  dudit  Tibaut 
trouuans  la  commodité  je  vous  les  enuoyerois  par  le 
destroit. 

Vostre  tableau  de  la  Confirmation  est  en  bon  terme. 
Je  n'atens  à  nulle  autre  chose  que  à  le  bien  finir.  Se 
qui  sera  sil  plait  à  dieu  à  la  my  décembre,  ne  vous 
estonnés  point  (Mr)  du  longtemps  que  je  mes  pour 
finir  un  tableau  seul  car  il  contien  vintedeus  figures 
sans  les  choses  accessoires  qui  sont  au  fons.  Toutte 
fois  j'espère  à  l'aduenir  auoir  commodité  de  vous 
seruir  plus  promptement  que  par  le  passé.  Et  si  ce 
n'estoit  que  jei  commencé  une  mort  de  Crist^  pour 
Monsieur  de  Tou  je  vous  assure  quil  ni  a  personne 

I.  Cette  Crucifixion  fut  achetée  plus  tard  par  Jacques  Stella. 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  32^ 

qui  me  peust  faire  donner  un  coup  de  Pinseau  pou 
autre  que  pour  vous.  Sur  cette  promesse  que  je  vous 
faits,  en  atendans  le  reste  vous  me  ferés  la  grâce  de 
vous  contenter  de  celuy  cy  que  Je  finis  pour  cette 
anée^ 

Incontinent  qu'il  sera  en  estât  de  vous  l'enuoyer  je 
vous  le  ferei  tenir  par  le  Courrier  de  Lion  et  l'en- 
quaisserei  si  bien  quil  ne  courra  aucun  pril  de  se 
gaster 

J'atens  vostre  response  Monsieur 

Vostre  trèshumble  Seruiteur 

Le  Poussin. 

131.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  »52.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  A  Paris. 

[10  décembre  1645. 

Il  me  mande  que  le  tableau  de  la  confirmation  est 
fini  et  quil  atend  de  mes  nouuelles  pour  me  lenuoyer^ 

quil  na  pu  encore  auoir  licence  po^,  les  4  busts.] 
de  Rome  Ce  io™«  décembre  1645. 
Monsieur 

Jei  différé  de  vous  escrire  pendans  que  vous  auiés 
encores  la  larme  à  l'oeil  mais  l'espasse  de  deus  mois 
vous  ayant  donné  le  loisir  de  penser  quil  ne  faut 
point  [penser]  pleurer  les  bienheureus.  Je  m'imagine 
que  vous  serés  retourné  en  vous  mesme,  et  que  vostre 
esprit  affligé  du  trespas  de  nostre  bon  Seigneur  2.  aura 

1.  La  suite  de  la  lettre  est  écrite  en  marge. 

2.  «  Il  mourut  en  son  chasteau  de  Dangu  vn  Vendredy 
20.  d'Octobre  à  une  heure  après  midy,  l'année  1645,  en  la  56* 
de  son  âge,  ...  »  (R.  de  Chambray,  dédicace  du  Parallèle  de 


324  CORRESPONDANCE  [1645 

repris  sa  solidité  ordinaire.  Sur  cette  croyanse  je 
vous  escris  ses  deus  lignes  tant  pour  vous  faire  sou- 
uenir  de  vos  affaires  de  par  desà  comme  pour  vos  faire 
scauoir  Testât  où  elles  sont.  En  premier  lieu  vostre 
tableau  de  la  CôfirmatiO  est  fini  de  tout  point.  Il  est 
réussi  for  riche  en  figures  et  des  autres  parties  il  ne 
doibt  rien  à  l'extrême  onction.  Je  ne  m'efforserei  point 
dauantage  à  vous  le  dépeindre  car  s'est  une  chose  quil 
faut  voirs.  Si  j'eusse  repseu  la  réponse  des  dernières 
que  je  vous  ay  escrittes  je  vous  l'aurois  enuoyé, 
deuant  que  l'Anée  eust  esté  finie.  Je  m'assure  que 
vostre  absense  de  paris  et  le  destourbier  qui  vous  est 
surueneu  vous  en  auront  empesché  mais  ausi  tost  que 
je  scaurei  que  vous  estes  en  volonté  de  le  recepuoir  je 
vous  l'enuoyerei  et  commenserei  les  autres  si  vous  le 
trouués  agréable 

Vos  bust  sont  encores  chés  Moy.  N'ayant  seu  trou- 
uer  encores  le  moyen  d'auoir  la  license  de  les  porter 
hors  de  Rome,  il  est  vray  que  un  grand  Rume  dont 
je  suis  encore  IncQmodé  m'a  empesché  de  solisiter 
l'affaire,  mais  assurés  vous  que  je  vas  maintenant  fere 
mon  possible.  Car  jy  veus  employer  si  peu  d'amis 

l'Architecture  antique  avec  la  Moderne,  i65o).  Poussin  dut 
regretter  cette  «  mort  intempestive  et  précipitée,  qui  vint 
esteindre  ce  flambeau  de  la  Vertu  »  (Ibid.,  op.  cit.).  —  «  Le 
14  novembre  1645,  fut  fait  au  Noviciat  des  Jésuites  le  service 
solennel  du  sieur  De  Noyers  secrétaire  d'État,  âgé  seulement  de 
56  ans  et  5  mois,  et  non  de  61,  comme  il  était  porté  par  le 
mémoire  qu'on  avait  donné.  Auquel  service  officia  l'Evêque  de 
Chartres  en  présence  de  tous  les  parents  du  défunt.  Son  corps 
y  avait  été  aporté  dès  le  samedi  précédent  et  ayant  été  reçu 
par  tous  les  Religieux  dudit  Noviciat  tenants  chacun  un  cierge 
blanc,  qui  l'accompagnèrent  jusques  au  milieu  de  la  Nef  de 
l'Église,  il  y  fut  posé  sous  un  dais  de  velours  noir  chargé  de 
ses  armoiries  et  mis  ensuite  dans  la  cave  qui  est  sous  le  chœur 
de  cette  Église  »  [Galette  de  1645,  p.  1096). 


1645]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  32$ 

que  jei  icy.  Et  vous  ne  scauriés  croire  le  regret  que 
jei  de  ne  pouuoir  vous  satisfere  plus  tost.  Tout  le 
mal  que  jy  trouue  c'est  que  nous  auons  afere  à  des 
tirans  et  nos  anemis^.  Cela  pourtans  ne  m'oste  pas 
l'espéranse  de  vous  les  enuoyer  —  ou  tost  ou  tard. 

Jey  continué  à  donner  à  monsieur  Tibaut  les  dix 
escus  par  mois  que  vous  luy  aués  ordonnés,  de  ma- 
nière quil  n'auanse  de  tout  vostre  argent  que  cin- 
quante trois  escus,  qu'il  faut  que  je  réserue  pour  le 
reste  des  despenses  qui  faudra  faire,  à  la  fin  je  vous 
rendrei  fidellement  conte  de  tout  car  je  ne  cherche 
que  vostre  contentement  et  satisfaction 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Le  Poussin 

Monsieur  Pointel  vous 
baise  très  humblement 
les  mains  et  à  messieurs 
vos  frères 
comme  je  fets  de  tout  mon  coeur 

132.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  fol-  «54.) 

A  Monsieur  De  Chantelou  L'aisné,  à  Paris. 

De  Rome  Ce  20"«  januier  .1646. 

Monsieur 

Néanmoins  que   Monsieur   de   Chantelou  vostre 

Puiné  ne  m'aye  rien  respondu  sur  ce  que  je  luy  auois 

escrit  touchant  le  temps  quil  faloit  que  je  dérobasse 

sur  celuy  que  je  m'estois  proposé  d'employer  à  la  façon 

I.  Confirmé  par  Board,  Corr.^  fonds  Dupuy,  22  juin  1648). 


326  CORRESPONDANCE  [1646 

de  ses  set  Sacremens,  s'est  assés  puis  que  vous  m'as- 
sures quil  en  est  content,  et  sil  eust  refusé  à  vous  et 
à  moy  se  qui  estoit  juste,  nous  lussions  prins  de  puis- 
sance absolue,  pour  mon  particulier  je  vous  assure 
Monsieur  que  je  suis  trèsdésireus  de  vous  seruir  que 
si  j'auois  ausibien  le  pouuoir  de  le  bien  fere  vous  vous 
pourries  assurer  d'auoir  deuant  quil  soit  un  an  le  plus 
bel  ouurage  qui  se  soit  jamais  fet.  Jy  employerei 
toutte  mon  Industrie  et  tel  quil  sera  je  m'assure  bien 
que  vous  le  recepuerés  de  trèsbon  oeil.  Je  scais  assés 
là  où  s'étend  la  bénignité  de  vostre  naturel  et  l'estime 
que  vous  fettes  des  hommes  de  bonne  volonté.  Je  ne 
manquerei  pas  de  vous  faire  scauoir  quand  j'aurei 
commensé  à  vous  seruir.  Le  tableau  de  la  Confirma- 
tion que  jei  fini  pour  Monsieur  vostre  fraire.  seroitil 
y  a  longtemps  chésvous  si  j'auois  repceu  de  ses  nou- 
uelles.  Mais  ne  sachant  ce  quil  en  estoit  ni  là  où  il 
estoit ^  je  l'ei  teneu  jusques  à  maintenant,  et  ne  l'en- 
uoyerei  point  que  je  ne  sache  quil  soit  à  paris.  Je 
vous  souhette  toutte  sorte  de  foelicité  et  demeure  à 

jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur. 

Le  Poussin. 
Je    baise    trèshumblement    les    mains    à    M;;   de 
Chambrey. 

Monsieur  Pointel  vous  baise  trèshumblement  les 
mains. 

133.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo'-  '55.) 

A  Monsieur  De  ChUtelou  le  Jeune,  à  Paris. 
[M.  le  Poussin  2i^januier  1646. 
I .  Paul  de  Chantelou  résidait  souvent  au  Mans,  sa  ville  natale. 


1646]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  327 

//  escript  sur  la  mort  de  M.  de  Noyers^ 
sur  les  difficultés  de  tirer  les  4  bustes  de  Rome.] 
A  Rome  Ce  2i«»«  Januier  1646. 
Monsieur 
Le  long  espasse  de  temps  qui  s'est  passé  sans  que 
j'aye  repseu  de  vos  nouuelles  me  mis  plusieurs  fois 
en  paine  et  m'a  fet  doubler  de  vostre  santé  ou  de 
quelque  autre  accident.  Enfin  le  doubte  là  où  j'estois 
a  esté  deslié  par  les  nouuelles  du  trespas  de  nostre 
unique  et  Cher  maistre.  triste  subiec  sur  lequel  je  ne 
veus  pas  vous  entretenir.  Car  se  seroit  renouueller 
vos  douleurs.  Mais  d'un  autre  costé  il  ne  faut  point 
que  vous  croyés  que  se  soit  un  malheur  quil  vous 
soit  ariué  * .  Si  jei  de  la  peine  à  auoir  la  license  de 
tirer  hors  de  Rome  vos  quatre  testes  de  marbre  auec 
la  patiense  on  vient  à  bout  de  toutte  choses.  Vous  les 
aurés  tost  ou  tard.  L'affaire  n'est  point  enquore  déses- 
pérée. Au  jourdhui  jei  esté  chés  le  nouueau  commis- 
sere  (lequel  a  fet  ses  jours  passés  la  visite  des  dittes 
testes)  pour  voir  en  quel  estât  estoit  nostre  affere. 
il  m'a  respondu  quil  en  auoit  parlé  à  l'auditeur  de  la 
chambre,  et  que  ledit  auditeur  luy  auoit  promis  d'en 
parler  au  Cardinal  Panphile.  et  que  il  esperet  enbref 
me  mander  la  license  jusques  chés  moy.  Je  ne  man- 
querei  pas  de  mon  costé  à  soliciter.  Les  nouueautés 
qui  tous  les  jours  ariuent  en  cette  ville  touchant  le 
fet  de  messieurs  les  Barbarins^  sont  cause  des  difïi- 


I.  Ces  «  nouveautés  »  étaient,  en  effet,  des  plus  graves. 
Innocent  X  méditait  ouvertement  la  ruine  des  Barberini,  à 
qui  il  devait  son  élection.  Ceux-ci  s'enfuirent  de  Rome  le 
16  janvier  1646.  «  L'on  voye  des  rigueurs  et  violences  si  estranges 
contre  ces  M"  les  Barberins  qu'il  semble  qu'on  s'abandonne 
icy  à  toute  sorte  d'extrémités  sans  regarder  aucun  des  incon- 
vénients qui  en  peuvent  ariver  »,  écrivait  Gueffier  le  16  janvier 
1646.  —  Enfin,  Innocent  X  lança,  le  20  février  1646,  une  bulle 


328  CORRESPONDANCE  [1646 

cultes  qui  se  rencontre,  Car  il  ne  sort  rien  d'icy  que 
premièrement  l'on  n'en  face  mille  Informations  et 
recherches,  il  y  a  de  plus  un  ordre  particulier  du 
Cardinal  Panfile  de  ne  laisser  sortir  de  Rome  aucune 
anticaille.  Mais  tout  cela  ne  nous  empeschera  pas  que 
un  jour  nous  ne  venions  au  bout  de  nostre  entreprise. 

Pour  ce  qui  est  du  dernier  tableau  que  je  vous  ay 
fini  je  vous  l'aurois  enuoyé  pour  le  temps  que  je  vous 
l'auois  promis.  Mais  n'ayant  point  repseu  les  lettres 
que  vous  m'auiés  promis  de  m'enuoyer.  Jei  pensé 
quil  seroit  à  propos  de  les  atendre.  Mais  tout  cela 
n'est  aucune  désauenture  au  contraire.  Je  l'estime 
un  bon  heur.  Le  temps  a  esté  si  facheus  depuis 
Nouembre  jusques  à  maintenant,  et  ne  cesse  point, 
il  tombe  tant  de  pluies  et  fet  de  si  grandes  humidités 
quil  y  a  longtemps  que  l'on  n'en  a  veu  de  pareilles, 
de  sorte  que  il  eust  peu  courir  risque  ou  de  se  perdre 
ou  de  se  gaster.  Je  vous  l'enuoyerei  par  un  temps 
plus  commode,  et  incontinent  que  celle  que  vous  me 
promettes  me  sera  rendue.  Vous  ne  deués  pas  croire 
que  je  prétende  plus  grande  récompense  du  dit  tableau 
pour  i  auoir  plus  de  figures  que  à  l'autre  que  vous 
aués*  Je  ne  prends  pas  garde  à  si  peu  de  chose,  il 
pourroit  estre  *  que  il  y  en  eust  moins  à  ceux  qui  sont 
à  faire  néanmoins  que  tous  seront  riches  selon  leur 
subiec.  Si  vous  plaist  donc  (Monsieur)  me  traicter 
comme  par  le  passé  je  serei  c5tent  et  très  satisfet. 

Il  ne  m'auanse  de  vostre  argent  que  quarante  trois 
escus  que  je  reseruerei  pour  seruir  au  frais  quil  fau- 

violente  contre  les  Barberini.  Elle  porta  au  comble  l'hostilité 
de  Mazarin  et  de  la  cour  de  France,  qui  venait  d'accueillir 
^        brillamment  les  fugitifs. 

I.  L'Extrême-Onction  présente  seize  figures  et  la  Confirma- 
tion, vingt-deux. 


1646]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  329 

dra  faire  alentour  de  vos  marbres  et  port  de  vostre 
tableau.  Et  sil  reste  quelque  chose  j'en  tiendrei  conte 
comme  s'est  la  raison. 

Il  faudra  un  jour  que  je  vous  enuoie  vostre  coppie 
de  S'  Pietro  in  Motorio  car  que  voulés  vous  que  j'en 
face,  en  fesant  glasser  certeines  drapperies  qui  sont 
laissées  pour  cet  effet  il  peu  estre  mis  en  quelque 
autel  et  pourroit  paroistre  mieux  que  quelconque 
original  de  nos  peintres  de  france.  vous  me  ferés 
scauoir  vostre  volonté. 

Si  je  vous  peus  enuoyer  vos  marbres  je  les  enuoye- 

rei  à  Lion  et  là  en  lieu  assuré  on  vous  les  conseruera. 

Jusques  à  tant  que  Monsieur  Tibaut  en  passant  vous 

les  conduisse  à  Paris.  Le  pauvre  garson  est  for  triste 

de  la  perte  que  nous  auons  fette.  il  vous  baise  les 

mains  et  se   confesse  vostre   trèsobligé.  et   moy  je 

demeure  à  jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin. 

134.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  ^°^-  '^7-) 

A  Monsieur  De  Chantelou  L'einé,  à  Paris. 

De  Rome  Ce.  2"".^  feburier,  1646. 
Monsieur 
Jei  repseu  la  vostre  du.  5".*  januier  avec  une  lettre 
de  change  de  nouante  et  quatre  pistoles  d'espagne. 
que  Monsieur  vostre  fraire  m'a  fet  expédier.  J'en 
serei  payé  au  temps  conuenable.  Je  vous  remercie 
en  particulier  de  la  peine  que  vous  aués  bien  vouleu 
prendre  de  me  l'enuoyer  en  l'absense  de  Monsieur  de 


33o  CORRESPONDANCE  [1646 

Chantelou.  S'est  acroistre  le  nombre  des  grandes 
obbligations  que  je  vous  doibs. 

par  la  dernière  lettre  dont  je  vous  ay  importuné 
vous  aurés  veu  en  quelle  disposition  j'estois  de  vous 
seruir.  et  par  celle  si  je  vous  assure  que  je  n'ay  pas 
atendu  que  vous  me  commâdassiés  de  rechef.  Car  au 
parauant  que  d'auoir  repseu  vostre  dernière  j'auois 
résoleu  la  disposition  du  Babtesme  de  S'.  Jean  que 
vous  désirés  que  je  face.  C'est  grande  faneur  que  vous 
me  fettes  de  vouloir  bien  donner  Introduction  en 
vostre  cabinet  à  si  peu  que  je  scais  fere.  veu  que  vous 
n'y  tenés  rien  qui  ne  soit  digne  de  l'excellense  de 
vostre  goust  auquel  je  confesse  parauanse  de  ne  pou- 
uoir  ariuer  que  de  bien  loint.  quoy  que  s'en  soit  je 
ferei  mon  possible  pour  vous  bien  seruir  et  vostre 
bénignité  suppléra  au  reste. 

J'enuoye  par  l'ordinaire  prochain  le  tableau  de  la 
Confirmation  à  M^  vostre  fraire.  Je  luy  en  commense 
un  autre  d'un  triclin  à  l'antique  qui  sera  chose  nou- 
uelle  à  voirs.  Cependant  je  demeure  inuiolablement 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin. 

Je  baise  les  mains  à  Monsieur  de  Chambrey, 

135.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  i58.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  Le  Jeune^  à  Paris. 

[M.  le  Poussin  4^  feburier  1646. 

Il  enuoye  le  tableau  de  la  Confirmation. 


1646]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  33 1 

//  mande  quil  va  trauailler  à  la  pénitence.] 

De  Rome  Ce  4'"«  feurier.  1646. 
Monsieur 

Jei  repceu  la  vostre  du  dernier  jour  de  l'An,  avec 
une  lettre  de  change  de  nouante  quatre  pistoles  d'es- 
pagne.  sur  lesquelles  je  prendrei  deus  cents  et  cin- 
quante escus  pour  le  payement  du  dernier  tableau  de 
la  Confirmation  que  jei  fet  pour  vous,  de  ce  qui  auan- 
sera  des  nouantes  pistoles  je  vous  en  tiendrei  conte 
demain  cinquiesme  de  se  mois  je  le  conseignerei  es 
mains  du  Courrier  de  Lion  nommé  Regart.  Je  l'adres- 
serei  chés  Messieurs  Vanschor  qui  vous  l'enuoyeront 
à  Paris  par  le  messager.  Il  vous  plaira  de  payer  le 
port  de  Lion  à  Paris.  Je  payerei  de  vostre  auanse  le 
port  d'isi  à  Lion.  Quand  vous  l'aurés  repseu  vous 
voirés  la  dilligense  que  jei  eusée  à  celle  fin  quil  ne 
puisse  estre  offensé  par  le  voyage.  Si  d'auenture  vous 
trouuiés  en  iceluy  quelque  moisisure  ne  vous  en 
estonnés  point  car  il  n'est  verni  que  de  blanc  d'oeuf 
lequel  vous  ferés  oster  auec  de  l'eaue  et  une  esponge 
et  le  ferés  vernir  auec  un  vernis  fin  et  légier.  Vous 
scaués  le  reste  des  caresses  quil  luy  faudra  faire  pour 
le  faire  parestre.  J'atens  que  vous  m'en  escriuiés  ingé- 
nuem'  vostre  sentiment.  Je  vas  trauailler  à  un  tricline 
que  je  crois  qui  vous  donnera  du  plaisir,  après  celuy 
là  je  ferei  le  babtesme  de  Crist. 

Jei  obteneu  à  la  fin  la  license  pour  tirer  hors  de 
Rome  vos  quatre  testes  de  marbre.  Je  vous  les  euses 
enuoyée  présentement  auec  les  hardes  du  Cardinal 
Masarin  mais  pour  quantité  de  respects  je  ne  l'ei  pas 
vouleu  faire.  J'aime  mieux  prendre  une  autre  occa- 
sion. Je  vous  escrirei  de  cela  tout  au  long  dens  peu 
de  temps. 


332  CORRESPONDANCE  [1646 

J'escris  à  Monsieur  Scaron'  un  mot  en  réponse  de 
la  siene  où  «  je  *  le  *  prie  *  de  m'excuser  si  je  ne  le  peus 
seruir  pour  le  présent.  Je  vous  jure  Monsieur  quil 
m'est  impossible. 

Puis  quil  vous  plaist  de  vous  souuenir  de  mes 
Interest  je  serés  bien  ayse  lors  que  l'on  vous  rembour- 
sera de  se  qui  vous  est  deu,  que  encore  l'on  me  paias 
ce  que  le  Roy  me  doit  [de  reste]  Si  vous  pouuiés  faire 
cela  pour  moy  je  n'en  serois  pas  ingrat,  du  reste  que 
vous  me  proposés  il  n'importe  pas  que  vous  en  met- 
tiés  en  peine,  il  me  suffit  de  scauoir  la  bonne  volonté 
que  vous  aués  de  mon  bien  Je  vous  en  serei  toutte 
ma  vie  obbligé.  Je  vous  supplie  de  me  rendre  un  mot 
de  response  sur  ce  que  je  vous  ay  escrit  touchant 
vostre  coppie  de  Si  Pierre  in  Montorio.  Car  je  n'en 
scaurois  que  faire.  Je  vous  souhette  fœlicité  perpé- 
tuelle, et  serei  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin. 

Monsieur^ 
Il  y  a  huit  jours  que  j'estois  demouré  d'accord  auec 
le  Courrier  nommé  Regart  de  vous  enuoyer  vostre 
tableau  de  la  Confirmation,  mais  sa  valise  se  trou- 
uant  trop  courte,  dit  quil  ne  s'en  vouloit  pas  charger 
de  manière  que  jei  esté  contrainct  d'atendre  set  ordi- 
naire pour  vous  l'envoyer.  Demain  au  matin  i2«=  de 
féurier  je  le  conseignerei  es  mains  du  Courrier  de 
Lion  nommé  L'espine  lequel  m'a  promis  de  le  por- 

1.  Sur  les  relations  de  Poussin  et  de  Scarron,  voir  Ph.  de 
Chennevières,  La  peinture  française,  p.  276. 

2.  Dans  le  ms.  12347,  ^"  haut  du  fol.  i5g.  C'est  un  long 
post-scriptum  à  la  lettre  du  4  février  et  non  une  lettre  spéciale. 


1646]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  333 

ter.  Messieurs  Van  Schore  de  Lion  vous  l'enuoyeroni 
à  Paris  en  dilligense. 

La  semaine  prochaine  je  chercherai  les  moyens  de 
vous  faire  embarquer  vos  marbres.  Jei  fet  bien  de 
n'auoir  pas  pris  l'occasion  de  celle  qui  emporta  il  y 
a  quelque  jours  les  hardes  du  Cardinal  Mazarin  car 
elle  a  esté  arestée  à  Civitavecchia  sous  de  faut  pré- 
textes, toutes  les  quaisses  ont  portées  au  Chasteau. 
et  là  séquestrées  l'on  les  a  ausi  touttes  ouuertes  et 
desclouées,  chose  qui  m'auroit  grandement  despieu 
si  le  mesme  fust  ariué  aux  vostres. 

Quand  j'aurei  fet  la  despense  qu'il  est  nécessere 
pour  les  faire  embarquer,  et  que  j'aurei  payé  le  port 
de  vostre  tableau  jusques  à  Lion.  Je  vous  enuoyerei 
le  conte  des  frais  que  jei  fets  pour  vous.  Jei  esté  payé 
de  la  lettre  de  change,  de  nouante  et  quatre  pistoles 
d'espagne. 

136.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  160.) 

A  Monsieur  De  Chantelou, 
Rue  S^  Thomas  du  Louure,  A  Paris. 

[M.  Poussin  25  feburier  1646. 

Il  menuoye  le  tableau  de  la  confirmation  Et  les 
quatre  bustes  Et  les  comptes  de  ce  quil  a  manie'.] 

De  Rome  Ce  vintecinquiesme  feurier.  1646. 
Monsieur 

il  y  a  qinze  jours  que  je  vous  escriuis  que  j'auois 
repseu  la  lettre  de  change  des  nonante  quatre  pistoles 
que  le  Sieur  Arigoni  me  paya  à  temps  desquelles  jei 
pris  deus  cents  cinquante  escus  pour  le  paiement  du 


334  CORRESPONDANCE  [1646 

tableau  de  la  Confirmation  que  je  vous  enuoyas  le 
disiesme  de  ce  mois  par  le  courrier  de  Lion  nommé 
L'espine.  il  vous  sera  enuoyé  de  Lion  à  paris  par 
Monsieur  Vanschore.  Je  vous  ay  prié  par  ma  précé- 
dente et  vous  en  suplie  encore  par  celle  si  de  m'en 
dire  vostre  avis  ingenuem*  à  celle  fin  que  estant 
aduerti  de  certaine  choses  que  vous  i  pourrés  notter 
je  m'efforse  à  l'aduenir  de  faire  mieus.  le  premier  que 
je  ferei  sera  la  Madeleine  chés  Sim5,  J'en  ay  fet  la 
pensée  qui  réussira  for  bien  en  oeuure. 

Jei  finallement  fet  embarquer  vos  quatre  testes  de 
marbre  sur  la  barque  du  Patron  Louis  Vesian  d'Arles 
Le  reste  vous  le  lires  sur  la  lettre  d'embarquement 
>•  cy  incluse^  d'Arles  elles  seront  portées  par  le  Rosne 
à  Lion  et  seront  conseignées  à  M^  Hugues  de  la  bel. 
Rue  de  flandres.  Là  où  elles  vous  seront  soigneuse- 
ment gardées  jusques  à  tant  quil  se  présente  bonne 
occasion  de  vous  les  porter  à  Paris.  Je  vous  ferei 
scauoir  le  reste  en  temps  et  en  lieu. 

Je  vous  enuoye  vostre  conte  par  lequel  vous  verres 
en  quoy  l'argent  que  jei  repseu  depuis  un  an  a  esté 
employé  et  ce  qui  vous  auanse. 

Nous  conseruerons  soigneusement  la  forme  de 
l'Hercules  et  quand  Monsieur  Tibaut  se  partira  je  la 
ferei  porter  chés  moy.  pour  jusques  à  tant  que  vous 
m'ordonniés  se  quil  en  faudra  faire,  autre  chose  ne 
vous  peus,  je  escrire  maintenant  sinon  que  je  demeure 
à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 
Le  Poussin 

1.  Cette  lettre  est  perdue. 


1646]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  335 

Si^  vous  trouués  le  conte  Juste  il  vous  plaira  m'en- 
uoyer  un  mot  de  descharge. 

137.  —  4*  COMPTE  A  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^^^-  '6i.) 

despense  ^. 
L'anée  passée  je  repseus  du  Sieur 

Arigoni escus     417 

Cett  anée  jei  repseu    .     .     .     escus    282 
pour    l'entrer    payement   de    l'extrê- 

monxion escus      g3 

pour    les    quatre    testes    de    Marbre 

Antiques 160 

pour  douze  mois  à  M""  Tibaut    .     .     .     120 
pour  le  payement  de  la  Confirmation.     25o 
pour    la   license   de    porter  hors  de 
Rome  les  quatre  testes  de  marbre  .     .        2 

pour  le  notaire  et  le  seau i 

pour  le  canon  dans  lequel  est  le  tableau 

de  la  Confirmation i 

pour  la  caisse  de  bois  dudit  tableau    .  Jule  4 

pour  le  port  du  tableau  à  Lion  ...        7 
pour  un  faqin.  qui  porta  et  raporta 

plusieurs  fois  les  testes 6 

pour  porter  les  caisses  chés  moy  et 

décendre  les  testes i 

pour  les  quatre  caisses  au  menuisier  .         5  i 

pour  porter  les  testes  de  chés  moy  à 

Ripa 3 

1.  Cette  phrase  est  écrite  en  marge. 

2.  Poussin  a  écrit  ce  mot  au  revers  du  compte,  après  avoir, 
selon  l'habitude,  plié  la  feuille  en  huit. 


336  CORRESPONDANCE  [1646 

pour  quarante  fachines i 

pour  endosser  la   patente    (nouuelle 

mengerie  de  la  douane) 6 

pour  le  commissere  de  ripe,  qui  y  met 

le  seau i 

pour  le  menuisier  qui  vint  à  ripe  des- 
clouer les  caisses  et  les  resclouer.  (car 
l'on  veut  reuoir  à  ripe  tout  ce  que  l'on 
transporte,  néanmoins  quil  ait  esté  veu 

au  parauant 3 

.pour  le  port  de  quatre  caisses  jusques 

en  Arles 6 

pour  la  douane 2 


655  es 


Lèuant  de    699. 


655.  Jules  7 


reste      43.  Jules  3 

La  teste  de  Ptolomée  Auletes.  5o 
La  teste  de  la  Lucrèse  .  .  .  5o 
La  teste  de  la  Jule  Auguste  .  3o 
La  teste  de  druse 3o 

138.  —  Poussin  a  CHANTELotJ. 

(Ms.  12347,  fo^'  1^2.) 

A  Monsieur  De  Chantelou  Le  Jeune  ^ ,  A  Paris. 

[M.  Poussin  8  auril  1 646. 

I.  Paul  Fréart  de  Chantelou  était  né  le  25  mars  1609.  Ses 
deux  frères  étaient  plus  âgés  que  lui  :  Jean  Fréart  (M.  de 
Chantelou  l'aîné),  né  le  i5  février  1604;  Roland  Fréart  (M.  de 
Chambray),  né  le  i3  juillet  1606.  i..  :^^^^  ^ 


1646]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  337 

//  tesmoigne  lajoye  quil  a  que  jaye  receu  le  tableau 
de  la  confirmation.] 

De  Rome  Ce  S"^*  Auril.  1646. 
Monsieur 

Vostre  dernière  lettre  m'a  raui  le  Coeur  de  conten- 
tement et  de  joye  d'auoir  entendu  par  icelle  que  vous 
aués  repseu  bien  conditiOné  vostre  tableau  de  la  Con- 
firmation. Je  vois  tous  les  jours  ariuer  tant  de  dis- 
grâces à  nos  Courriers  que  quand  je  leurs  consigne 
quelque  chose  pour  vous  faire  tenir  je  n'ay  jamais  de 
bien  jusques  à  tant  que  j'aye  repseu  les  nouuelles  de 
son  ariuée  à  Paris.  Je  suis  donc  grâces  à  dieu  hors  de 
cette  peine.  J'espère  que  nous  aurons  bientost  nou- 
uelles de  l'ariuée  de  vos  bust  ou  à  Arles  ou  à  Lion. 
Je  m'assure  bien  que  vous  aurés  repseu  la  lettre  d'em- 
barquement que  je  vous  Ay  enuoyée.  Par  la  mesme 
occasion  et  à  mesme  temps  j'aurois  enuoyé  vostre 
coppie  de  S'.  Pierre  in  Montorio.  Mais  je  ne  scauois 
pas  encore  si  vous  vouliés  que  je  vous  l'enuoyasse. 
Je  ne  manquerei  pas  alla  première  cSmodité  de  vous 
l'enuoyer.  Vous  aurés  repseu  au  mesme  temps  le 
conte  de  la  despense  que  jei  fette  de  vostre  argent.  Si 
vous  le  trouués  bon.  J'en  atens  un  mot  de  descharge, 
en  ce  fesant  j'aurei  occasion  de  me  contenter  grande- 
ment et  vous  m'obligerés  à  chercher  les  moyens  de 
vous  seruir  de  mieux  en  mieux  à  l'aduenir. 

Jei  enuoyé  vostre  lettre  à  M^  le  gouuerneur  de 
Loreto  qui  la  recepuera  assurément. 

Je  n'ay  point  encore  commensé  le  petit  tableau  de 
Monsieur  de  Chantelou  vostre  fraire  d'autans  que  jei 
les  mains  à  une  chose  que  je  ne  veus  pas  quitter 
quelle  ne  soit  fette,  alors  j'aurei  l'esprit  libre  et  ne 
m'apliquerei  à  autre  chose  que  à  vous  seruir. 
191 I  22 


338  CORRESPONDANCE  [1646 

Je  ne  m'aresterei  pas  dauange  à  répliquer  sur  les 
louanges  que  vous  fettes  sur  le  tableau  que  vous  aués 
repseu  le  dernier,  mais  je  m'efforserei  bien  de  mieux 
fere  celuy  que  maintenant  je  vas  commencer  — 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin. 

139.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  i63.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Rue  S^  Thomas  du  louure,  à  Paris. 

[3^  juin  1646. 

Mande  qu'il  a  fini  le  crusifix  de  M.  de  Tou^  quil 

ne  peut  trauailler  pour  Scarron  de  long  temps 

quil  fera  le  petit  S^  Jean^  de  monfrère^.] 

De  Rome  Ce  3«l«  Juin.  1646. 
Monsieur 

C'est  trop  tarder  sans  vous  escrire.  et  d'autant  plus 
tost  je  le  deuois  fere  puis  que  j'auois  à  respondre  à 
deus  desvostres.  Les  turbulenses  qui  sont  ariuées  en 
cette  ville  et  l'apréhension  que  nous  auons  eu  de 
quelque  grand  malheur  a  fet  oublier  à  plusieur  leur 
propre  deuoir.  Jei  esté  l'un  de  seus  qui  pour  pouuoir 
à  mes  afferes  plus  particulières  ay  comme  oublié  à 
vous  fere  response.  Mais  maintenant  que  jei  eu  le 
temps  de  reprendre  haleine  et  me  resouuenir  du 
deuoir.  Je  satisferei  à  l'une  des  vostre  (qui  est  rem- 
plie d'une  infinité  de  louange  sur  le  tableau  de  la 
Confirmation)  auec  l'humilité,  auec  une  confession 

t.  Jean,  surchargeant  Pol. 

2.  Tout  ce  sommaire  est  d'une  écriture  très  fine. 


1646]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  339 

quil  est  vray  que  vous  me  fette  une  bonne  ^  leçon,  et 
une  promesse  que  je  vous  fets  ausy  d'essaier  à  mieux 
fere  à  l'aduenir  que  je  n'ay  fet  par  le  passé 

En  la  seconde  vous  me  voulés  disposer  à  fere  un 
tableau  pour  Mo""  Scaron  vostre  bon  ami  et  compa- 
triotte^  (à  condition  touttefois  que  ce  nouuel  ouurage 
ne  retarde  point  vos  sacremens).  Je  vous  jure  Mon- 
sieur que  cela  ne  se  peut  pas  fere  et  il  est  nécessaire 
que  vostre  ami  se  résolue  à  une  longue  patiense. 
parceque  maintenant  que  je  me  trouue  auoir  fini  le 
crusifix^  de  Monsieur  de  THou  (qui  m'a  embarassé 
grandement)  jei  fermement  délibéré  de  n'entreprendre 
rien  quelque  proffit  quil  y  peut  auoir.  deuant  que 
d'auoir  fini  vos  set  Sacrements  à  la  seulle  réserue  du 
Si  Jean  que  jei  promis  à  Mo'  vostre  frère. 

Je  croyois  au  surplus  vous  escrire  quelque  chose 
touchant  l'ariuée  de  vos  testes  de  marbre,  mais  je 
n'en  aypeu  auoir  jusques  à  maintenant  aucune  nou- 
uelles.  il  est  vray  quil  faut  un  longtemps  pour  les  fere 
monter  par  le  rosne  jusques  à  Lion,  et  la  commodité 
ne  se  trouue  que  en  certain  temps  de  l'anée.  il  suffira 
quil  soint  à  Lion  lors  que  Mo' Thibaut  ou  Monsieur 
Pointel  passera  en  france. 

il  n'est  pas  resonnable  d'oster  la  pratique  au  gazet- 
tier  en  matière  de  ce  qui  s'est  passé  en  cette  ville 
entre  le  parti  Spagnol  et  le  nostre"*,  il  vous  en  régalera 

1.  En  marge  :  bonne. 

2.  En  effet,  Paul  de  Chantelou  et  Scarron  étaient  nés  au 
Mans  et  y  résidaient  souvent. 

3.  Le  catalogue  de  Smith  {A  catalogue  raisonné,  etc.,  p.  58) 
place  cette  Crucifixion  dans  la  collection  de  sir  Lawrence 
Dundas,  Bart. 

4.  Il  s'agit,  —  non  pas,  comme  le  dit  Quatremère,  p.  370,  de 
l'agression  des  Espagnols  contre  l'envoyé  du  roi  de  Portugal 
(en  1645),  —  mais  du  conflit  de  préséance  entre  l'Almirante  de 


340  CORRESPONDANCE  [1646 

à  plain  et  de  bon  stille.  Je  vous  diray  seullement  que 
nous  atendons  la  redition  d'orbetello^  assiégé  par 
nostre  armée  naualle  chose  qui  en  vérité  donne  bien 
à  penser  à  tous  ces  peuples  de  dessà. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin. 

140.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  164.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  à  Paris. 

[M.  Poussin  2g^  juillet  1646. 

Mande  que  les  4  bustes  sont  arriués  à  Lion.] 
De  Rome  Ce  vintnœuf  Juillet.  1646. 
Monsieur 

il  est  vray  quil  y  a  trop  de  temps  que  je  ne  vous  ay 
pas  fet  entendre  de  mes  nouuelles.  Sena  point  esté 
aucune  Indisposition  de  ma  santé  qui  m'en  aye 
empesché.  mai  le  peu  de  subiect  qui  s'est  présenté 
joint  auec  un  peu  de  paresse.  Je  vous  aurois  escrit 
comme  vos  quaisses  estoint  ariuées  à  Lion  et  quelle 
estoint  chés  Monsieur  de  La  Bel  marchand.  Mais 
parceque  le  dit  Signeur  de  La  Bel  m'a  fet  scauoir 
quil  vous  auoit  escrit  quil  les  auoit  resues  et  que 
mesme  il  s'offroit  de  vous  les  enuoyer  à  Paris  si  vous 
en  estiés  content  la  croyanse  que  jey  eue  que  vous 

Castille,  ambassadeur  d'obédience,  et  le  cardinal  d'Esté,  pro- 
tecteur de  France.  On  en  verra  le  récit  tout  au  long  dans  les 
dépêches  de  Gueffier  [Corr.,  Cinq-Cents  Colbert  358). 

I.  Orbitello  ne  sera  prise  cependant  qu'en  1647,  par  une 
seconde  expédition.  Dans  la  première,  partie  de  Toulon  le 
26  avril  1646,  l'armée  navale  débarqua  le  10  mai;  la  tranchée 
fut  ouverte  le  i5,  mais,  le  14  juin,  le  jeune  duc  de  Brézé  fut 
tué  dans  une  bataille  navale,  et  l'armée,  privée  de  son  chef, 
leva  le  siège  le  18  juillet. 


1646]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  3^1 

m'en  escririés  un  mot  m'a  fet  atendre  jusques  à  pré- 
sent à  vous  en  parler. 

Si  j'estois  que  de  vous  j'atendrois  le  retour  ou  de 
Monsieur  Tibaut  ou  de  Monsieur  Pointel  qui  en  s'en 
retournant  vous  les  peuuent  faire  porter  fidellement. 
Jei  payé  le  port  de  Arles  à  Lyon.  C'est  assauoir  qua- 
rante cinq  liures  douze  soûl,  prix  qui  me  semble 
exorbitans.  et  je  m'esmerueille  que  vous  ne  perdiés 
l'enuie  d'auoir  de  ses  bust  qui  couste  tant  à  porter, 
il  est  vray  que  l'argent  ne  doib  seruir  que  à  nous  con- 
tenter. Si  vous  n'aués  eu  à  temps  les  modelles  des 
piédestaux  que  Monsieur  Tibaut  vous  auoit  promis 
sena  pas  esté  faute  de  le  soliciter,  mais  je  l'ei  telle- 
ment trouué  ataché  à  ses  modelles,  quil  semble  quil 
luy  facent  oublier  toutte  autre  chose  et  de  plus  le 
pauure  homme  s'est  trouué  malade  l'espase  de  deux 
mois  sans  argent  et  sans  en  pouuoir  gagner,  schose 
qui  luy  auoit  engendré  un  si  grande  mélancolie  que 
nous  croyons  quil  deuiendroit  phisique'.  Mais  main- 
tenant il  se  porte  mieux,  il  m'a  prié  de  vous  fere  ses 
escuses  et  ses  baisemains.  L'automne  prochain  la 
nécessité  le  chassera  d'isy. 

J'escrirei  à  M.  Scarron  comme  vous  m'aués  solicité 
de  luy  fere  quelque  chose  et  l'impossibilité  que  j'y 
treuue  pour  maintenant. 

Néanmoins  que  la  trèsgrande  chaleur  de  l'esté  m'in- 
commode extrêmem'  je  ne  laisse  pas  de  trauailler 
quelque  peu  à  vos  Sacremens  qui  désormais  s'auan- 
seront  puissamment  pour  ce  que  je  me  trouué  plus 
'desgagé  que  je  n'ay  esté  par  si  deuant. 

1.  «  Il  étoit  d'un  caractère  taciturne,  qui  le  tenoit  trop  ren- 
fermé en  lui-même  et  l'empêchoit  de  se  produire,  et  rien  n'est 
si  contraire  pour  le  développement  des  talents  »  (Mariette, 
Abecedario,  t.  IV,  p.  195). 


34^  CORRESPONDANCE  [1646 

Pour  ce  qui  est  des  six  autres  teste  de  marbre  que 
vous  désirés  je  suis  d'opinion  quil  faudra  que  vous 
atendiés  à  un  autre  temps.  Toutefois  je  m'informerei 
des  moyens  quil  faudroit  tenir  pour  auoir  et  pour 
tirer  hors  de  Rome  les  dittes  testes. 

Vous  scaurés  de  delà  comme  a  réusy  le  Siège 
d'Orbetelle^  aussi  bien  et  mieux  que  nous  qui 
sommes  icy. 

Je  finirei  en  vous  baisant  trèshumblement  les  mains 

moy  qui  suis  à  jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsaflfectionné  Seruiteur 

Le  Poussin 
Je  n'ay  encore  rien  commensé 

pour  Monsieur  vostre  frère 
mais  je  le  seruiray  à  la  première 
rifrescate. 

141.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  ï652.) 

[M.  Poussin  23^  septembre  1646. 

Mande  quil  a  été  malade  35  jours 

Mande  que  les  4  husts  sont  à  Lion.] 
Monsieur 

après  auoir  esté  malade  l'espase  de  trentecinq  jours 
et  n'ayant  pas  encore  recouuert  la  santé  entièrement, 
vous  ne  trouuerez  pas  estrange  sil  vous  plaist  la 
bréuité  de  la  présente. 

1.  Il  déplaît  à  Poussin  d'insister  sur  cet  échec.  Sa  délicatesse 
patriotique  n'aurait  guère  été  comprise  à  Paris,  où  l'on  se' 
réjouissait  de  cet  échec,  car  on  prétendait  que  cette  expédition, 

—  pourtant  si  inquiétante  pour  l'influence  espagnole  en  Italie, 

—  n'était  qu'une  vengeance  personnelle   de  Mazarin  contre 
Innocent  X. 

2.  La  moitié  inférieure  du  fol.  166  du  ms.  12347,  ^^  é\.&ït 
écrite  l'adresse,  a  été  déchirée. 


1646]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  343 

il  y  a  un  mois  ou  enuiron  que  ne  pouuans  escrire 
et  sachant  que  le  Sieur  Tibaut  estoit  en  délibération 
de  repasser  les  monts  je  le  priés  de  vous  escrire  un 
mot.  touchant  le  port  de  vos  quatre  quaises  qui  sont 
chés  Monsieur  de  Label  à  Lion.  Si  d'auenture  il  ne 
vous  en  a  pas  escrit  il  me  semble  qui  a  grandement 
manqué  et  ne  peus  comprendre  la  cause  quil  en  a 
empesché  si  se  n'est  sa  trop  grande  Timidité  naturelle. 

il  estoit  nécessaire  de  vous  faire  scauoir  quil  faloit 
que  vous  fissiés  quelque  Remise  d'argent  à  Lion  pour 
subuenir  aux  frais  quil  faudra  faire  pour  faire  con- 
duire les  dittes  quatre  quaisses  de  Lion  à  Paris  Car 
le  pauure  garçon  ne  vous  peut  auenser  chose  du 
monde  veu  quil  a  esté  contraint  d'emprunter  de  l'ar- 
gent pour  faire  son  voyage. 

Pour  mon  particulier  je  souhette  la  santé  pour  pou- 

uoir  continuer  le  reste  de  vos  Sacrements  et  je  vous. 

promés  que  incontinent  que  je  pourrei  manier  les 

pinceaux  je  les  employerei  du  tout  à  vostre  Seruise. 

Excusés  ma  débilité  je  ne  peux  plus  escrire. 

Monsieur 

•Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné 

Seruiteur 
A  Rome  23'»«  Septembre.  1646. 

Le  Poussin. 

142.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  ^67.) 

A  Monsieur  Dechantelou^ 
Rue  S^  Thomas  du  Louure,  à  paris*. 

[M.  Poussin  7e  octobre  1646, 

I.  L'adresse  porte,  au-dessous,  la  mention  :  franc  pour 
Paris,  et  au-dessus,  à  gauche,  d'une  écriture  très  fine  :  3  fr. 
a  M'  legendre  (sans  doute  le  nom  du  receveur  de  la  poste). 


344  CORRESPONDANCE  [1646 

//  enuoye  des  gants 

Parle  du  siège  de  Porto  Longone.] 

De  Rome  Ce  Septiesme  Octobre  1646. 
Monsieur 

Je  vous  aurois  enuoyé  par  l'ordinaire  passé  les 
gants  de  frangipane  que  vous  désirés  mais  ma  santé 
n'estant  encore  bien  assuré  et  le  temps  estant  fort 
incOmode  je  fus  contrainct  de  remettre  la  partie  à  set 
ordinaire.  Jei  employé  un  mien  ami  cognoissant  en 
matière  de  ses  gants  à  celle  fin  de  n'estre  pas  trompé 
et  que  vous  fusiés  bien  serui,  il  y  en  a  la  moitié  pour 
homme  et  la  moitié  pour  famé  et  une  douzeine  en 
tout,  il  ont  cousté  demi  pistole  le  paire  qui  sont 
dishuit  escus  et  un  Jule  pour  la  toille  cirée.  Je  vous 
les  enuoye  auec  le  paquet  de  M""  Gierico  banquier  et 
vous  les  recepuerés  de  son  père  à  Paris  il  demeure 
tout  deuant  la  grand  porte  de  Sî  Inocent  à  l'enseigne 
du  bras  d'or  vous  en  payerés  le  port  de  Rome  à  Paris 
(Je  l'use  payé  icy.  car  il  m'auanse  encore  du  vostre 
onze  escus  et  quelques  Jules)  mais  le  dit  Sieur  Gierico 
m'a  dit  qu'il  estoit  mieux  de  le  payer  de  delà. 

Quan  vous  aurés  repseu  lesdits  gants  escriués  moy 
franchement  sil  ont  réusi  comme  vous  désiriés.  Je 
vous  assure  quelque  dilligence  que  l'on  puisse  faire 
il  y  a  tousiours  danger  d'estre  trompé  par  cet  Infâme 
peuple  icy. 

Maintenant  que  je  me  porte  bien  je  me  dispose  à 
reprendre  les  pinceaux  pour  la  suitte  de  vos  Sacre- 
ments. 

Monsieur  de  La  Mailleraye  bat  la  forteresse  de 
port  Longon  qui  est  en  l'isle  de  Lebbe.  On  a  opinion 
quil  le  prendra  bientost,  ce  qui  fet  ouurir  les  yeux 


1646]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  345 

aux  Italiens,  et  aux  Spagnols  serrer  la  bouche  car  ils 

ne  disent  pas  un  mot^ 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 

Le  Poussin. 

143.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol-  '69.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  A  Paris. 

[M.  Poussin  21^  octobre  1646. 

Il  mande  quil  finist  le  3^  Sacrement.] 

A  Rome  Ce  21»^  Octobre  1646. 
Monsieur 

Je  vous  supplie  de  ne  croire  pas  que  se  soit  ma 

faute  si  vous  ne  recepués  pas  vos  douze  paire  de 

gants  au  temps  que  je  vous  ay  escrit  que  vous  les 

debuiés  recepuoir  chez  monsieur  Giericot.  J'ai  eusé 

toutte  la  dilligense  à  moy  possible  pour  vous  les 

enuoyer  promtement.  hier  il  me  fut  dit  pour  chose 

assurée   que  les  dits  gants  auoint  esté  retardés  en 

cette  ville  pour  un  autre  ordinaire,  de  manière  que 

vous  les  recepuerés  quinze  jours  plus  tard  que  vous 

ne  croyés  et  huit  plus  tard  que  je  ne  pensois.  La 

faute  est  venue  du  sieur  Giericot  qui  demeure  icy 

lequel  ne  peut  faire  son  paquet  pour  le  dépat  du 

Courrier. 

I.  La  France  prenait  sa  revanche  de  l'échec  d'Orbitello.  Le 
8  octobre  1646,  les  maréchaux  de  la  Meilleraye  et  du  Plessis- 
Praslin  enlevèrent  Piombino,  qui  appartenait  au  prince  Ludo- 
visio,  neveu  d'Innocent  X,  et  Porto-Longone,  dans  l'île  d'Elbe, 
le  29  octobre.  Le  pape,  effrayé  de  ces  succès,  rétablit  les  Bar- 
berini  dans  leurs  biens  et  leurs  charges. 


346  CORRESPONDANCE  [1646 

Je  suis  journellement  apliqué  à  l'auansement  de 
vos  Sacremens.  Si  se  n'eust  esté  ma  maladie  je  vous 
aurois  enuoyé  par  cet  ordinaire  le  tableau  que  je 
finis'  maintenant,  lequel  j'espère  vous  fere  tenir  à  la 
fin  de  nouembre.  et  incontinent  je  me  promés  de 
mettre  la  main  à  l'autre.  Je  m'estois  bien  promis  de 
vous  en  enuoyer  deux  cette  année.  Se  que  j'eusse  fet 
si  se  n'eust  esté  m5  indisposition  qui  m'a  fet  perdre 
le  plus  beau  temps  de  toute  l'Anée. 

Je  vous  ay  escrit  il  y  a  longtemps  que  Monsieur 
Tibaut  repassoit  en  france  cet  automne,  et  que  il 
seroit  fort  à  propos  de  luy  ordonner  à  Lion  de  l'ar- 
gent pour  le  port  de  vos  bust  de  Lion  à  Paris.  Mon- 
sieur Serisier  que  vous  cognoissés  bien  est  mainte- 
nant audit  Lion  vous  pourries  vous  seruir  de  luy  en 
cet  aflfere  là.  Si  non  je  crois  que  le  dit  Tibaut 
seiournera  quelque  temps  en  la  ditte  ville  de  Lion 
que  si  sela  est^  vous  vous  pourrés  faire  entendre 
facillement. 

Je  n'ay  autre  chose  à  vous  escrire  maintenant  sinon 
que  à  tousiours  je  demeurerei 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  obligé  Seruiteur 

Le  Poussin 

144.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  '^ol-  n^-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  A  Paris. 
[M.  Poussin  18  nouembre  1646. 

i., que  je  finis,  écrit  deux  fois. 
2.  est,  écrit  deux  fois. 


1646]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  d^ 

Mande  le  départ  du  petit  Tihault  etq^  va  semployer 

aux  Sacrements.] 

De  Rome  ce  iS""*  nouembre.  1646. 
Monsieur 

en  fin  le  Sieur  Tibaut  après  auoir  recongneu  que 
la  demoure  de  Rome  n'est  bonne  que  à  ceux  qui  ont 
de  l'argent  à  y  dépenser,  s'est  résoleu  de  s'en  partir, 
en  soupirant  touttefois  et  auec  le  regret  q'ont  acous- 
tumé  de  sentir  seux  qui  l'ont  goustée  lors  qui  sont  yi^ 
contraint  de  la  quitter.  Il  fera  toute  les  dilligenses  à 
luy  possible  pour  vous  conduire  les  quatre  testes  de 
marbres  qui  sont  à  Lion  chés  Monsieur  de  Label 
marchand  [à  Lion]  et  d'autans  plus  facillement  puis 
que  deuant  que  de  partir  de  cette  ville  il  a  repseu 
lettres  de  vous  qui  l'asurent  de  trouuer  les  moyens 
chés  le  dit  Sieur  de  Label  pour  vous  les  conduire 
jusques  à  Paris. 

Je  l'aurois  chargé  du  tableau  que  je  vous  ay  finy 
si  se  n'eust  esté  que  le  Courrier  de  Lion  ira  plus 
vitte.  et  me  semble  la  voiye  la  plus  assurée.  Jei  pensé 
encore  dauantage  quil  seroit  nécessaire  d'atendre 
vostre  ordre  comme  vous  aués  acoustumé  de  faire, 
et  incontinent  que  je  l'aurei  repseu  vous  l'enuoyer. 
Cependans  je  ne  perderei  point  le  temps  car  je  vas 
incontinent  mettre  la  main  à  l'autre.  J'aurois  sans 
doubte  mis  en  exécusion  ma  promesse  si  se  n'eust 
esté  la  maladie  qui  m'a  fet  perdre  le  plus  beau  temps 
de  toutte  l'anée.  Si  dieu  me  donne  la  santé  j'espère 
que  en  bref  vous  les  aurés  tous  set  car  jei  mis  à  part 
toutte  autre  faconde.  J'atens  de  vos  nouuelles  en 
demourant  comme  à  l'acoustumée 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné  Seruiteur 

Le  Poussin. 


348  correspondance  [1647 

145.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  'T'O 

[M.  Poussin  4'^  fehurier  164^. 

Il  me  donne  aduis  de  Venuoy  du  batesme 

quil  a  la  main  à  la  penitense  qui  sera  superbe 

me  mande  que  Tibaut  a  achepté  à  Lion  5o  bustes 

quil  a  receu  le  Hure  de  M.  Scarron 

que  la  forme  du  Hercules  se  gaste.] 

De  Rome  Ce.  ^'^^  feburier.  1647. 
Monsieur 

quoy  que  sous  le  septiesme  du  passé  je  vous  aye  ' 
importunas  d'une  de  mes  lettres,  laquelle  vous  aura 
auisé  de  l'enuoy  de  vostre  troisiesme  tableau  des  Set 
Sacrements  comme  je  l'ei  consigné  au  Courrier  de 
Lion  nommé  Tome,  que  jei  esté  paie  de  vos  cent  pis- 
toles  par  Monsieur  Giericot  demourant  icy  à  Rome 
et  que  je  vous  aye  fet  scauoir  se  quil  estoit  nécessaire 
de  vous  escrire.  Jei  délibéré  à  cet  ordinaire  de  vous 
répéter  les  choses  jà  dittes  avec  une  jointe  d'autre 
choses  tant  de  celles  que  j'auois  oubliées  comme  de 
celles  qui  depuis  sont  ariuées. 

Depuis  le  depar  de  Monsieur  Tibaut,  de  cette  ville 
pour  aler  à  Paris  il  m'a  escrit  de  Lion  que  pour 
quelque  incommodité  quil  luy  estoit  suruenue  en  sa 
santé  il  auoit  esté  contrainct  de  seiourner  en  laditte 
ville  plus  quil  ne  pensoit,  et  que  ce  destourbier  auoit 
esté  un  des  tours  de  souplesse  que  la  fortune  scait 
faire  quant  il  luy  plaist,  et  quand  elle  veut  se  moquer 
des  pauures  hommes  ses  subiects  —  meslans  tou- 
siours  le  mal  auec  le  bien  et  le  bien  auec  le  mal. 
assesonnant   ainsy  les  choses  pour   nous   les   faire 


1647]  I>E    NICOLAS   POUSSIN.  349 

mieux  sentir.  Ce  malheur  quil  estimoit  tel  se  peu  de 
retardement  luy  fit  faire  un  rencontre  de  cinquante- 
deux  tant  bust  antiques  que  de  figures  de  marbre 
toutte  lesquelles  choses  il  a  eues  (il  faut  dire  pour 
rien).  Voilà  un  heureus  voyage  poureueu  que  le  reste 
s'ensuiue.  —  Se  succès  innopiné  m'a  incontinent  fet 
penser  que  il  n'estoit  plus  nécaissaire  de  vous  cher- 
cher des  testes  de  marbre  en  cette  ville  puis  que 
bientost  vous  en  auriés  à  choisir  car  je  crois  que 
vous  serés  le  premier  à  qui  le  Sieur  Tibaut  les  fera 
voirs  quand  il  seront  ariués  à  paris. 

de  deux  autres  choses  maintenant  il  est  nécessaire 
de  vous  auertir  et  de  délibérer  sur  icelles.  —  La  pre- 
mière  est  de  la  forme   de  l'Hercule   de   Farnèse 
laquelle  est  demourée  à  l'abandon  en  la  maison  là 
où  demouroit  le  Sieur  Tibaut  de  manière  que  l'on 
m'a  aduisé  que  quelques  Insolens  (mesmes  ceux  à 
qui  elle  a  esté  comise  en  garde)  [qui]  en  ont  tiré 
quelque  jet  la  nuit  en  secret.  Etparceque  c'est  dom- 
mage que  la  forme  d'une  si  belle  chose  aille  en 
ruine  —  et  que  je  n'ei  point  de  lieu  pour  la  mettre 
a  couuert  chés  moy.  Je  voudrois  scauoir  ce  que 
vous  voulés  que  l'on  en  face. 
La  seconde  est  vostre  coppie  de  la  transfiguration 
de   S'  pietro   In   Montorio    que    je   voudrois  vous 
enuoyer  car  elle  se  pourrira  rouslée  chés  moy  si  ell 
y   demeure    dauantage.  Voyés    si    de    l'argent   qui 
m'auanse  du  vostre  vous  voulés  que  je  face  despense 
ou  non  et  sortons,  je  vous  supplie,  de  l'une  et  de 
l'autre  de  ces  afferes. 

Je  crois  auec  l'aide  de  dieu  que  maintenant  vous 
aurés  ou  serés  pour  recepuoir  vostre  tableau  derniè- 
rement enuoyé.  Incontinent  que  vous  l'aurés  repseu 


350  CORRESPONDANCE  [1647 

VOUS  me  ferés  la  faueur  de  m'en  donner  aduis.  Sepen- 
dans  j'ay  la  main  au  quatriesme  qui  sera  superbe 
dieu  aydans.  Je  continuerei  à  tout  le  reste  sans  inter- 
mission dieu  [aidans]  le  veille. 

J'ei  repseu  du  maistre  de  la  poste  de  france  un 
Hure  ridicule  des  frénésies  de  Monsieur  Scarron^ 
Sans  lettre  et  sans  scauoir  qui  me  l'enuoye.  Jei  par- 
coureu  le  susdit  Hure  [pour]  une  seule  fois  pour  tou- 
siours.  Si  j'estois  obbligé  de  dire  mon  sentiment  des 
œuures  de  se  bon  malade  je  dirois  sauf  vostre  respect 
Y     quil  fet  des  merueilles  car  il  a  le  cul  rond  et  fet  les 
estrons  carrés,  pardonnes  à  ma  liberté. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Poussin. 

146.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  173.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Conseiller  et  Maistre  d'Ostel  ordinaire  du  Roy^^ 

A  Paris, 

[M.  Poussin  24^  mars  164^. 

Il  mande  la  Joye  quil  a  eue  daprendre  que  le  cou- 

1.  Paul  Scarron  (4  juillet  1610-7  octobre  1660).  Après  le  très 
vif  succès  du  Recueil  de  quelques  vers  burlesques,  1643,  il  avait 
publié  Le  Typhon  ou  les  Gigantomachies  en  1644,  une  pre- 
mière Suite  des  œuvres  burlesques  en  1646,  puis  une  seconde 
en  1647. 

2.  Chaque  charge  de  maître  d'hôtel  était  évaluée  5o,ooo  livres. 
Elles  se  multiplièrent  jusqu'au  nombre  de  170,  mais,  en  avril 
1664,  leur  nombre  fut  réduit  à  12.  Chantelou  fui  peut-être  atteint 
momentanément  par  cette  réduction,  puisque  la  lettre  du 
II  mai  i653  lui  donne  encore  ce  titre,  et  que  celle  du  7  juin 
i655  ne  le  porte  porte  plus,  mais  le  titre  reparaît  avec  la  lettre 
du  24  décembre  1657  jusqu'à  la  fin  de  la  correspondance,  en 
i655. 


1647]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  35 1 

rier  qui  portait  le  haptesme  ayant  esté  tué  le  tableau 
aye  été  sauué. 

Dit  quily  aurait  plusieurs  choses  à  dire  sur  la  dif- 
férente manière  de  ce  tableau  qui  estait  trouué  trop 
doux  renuoye  au  Bocalin.] 

A  Rome  Ce  24™*  Mars.  1647. 
Monsieur 
Si  vous  eustes  l'alarme  lors  que  l'on  vous  assura 
que  le  Courrier  auquel  j'auois  consigné  vostre  tableau 
du  babtesme  auoit  esté  tué  entre  Turin  et  Suse  au 
retour  quil  fesoit  de  Rome  à  Lion.  J'eus  encores  ma 
bone  part  de  la  paour  lors  que  cette  nouuelle  nous 
fut  apportée  par  l'ordinaire  qui  venoit  de  Lion  à 
Rome.  Mais  lors  que  Je  parlas  au  mesme  Courrier  et 
quil  m'assura  que  la  valise  du  deffunt  n'auoit  point 
esté  touché  joint  quil  me  dit  et  m'afirma  que  ma 
quaissette  estoit  fermée  dedens,  cette  bonne  nouuelle 
rasséréna  mô  Ame  troublée  et  me  mit  l'esprit  en 
repos.  Mais  lors  que  Monsieur  de  Label  auquel  il 
estoit  recommandé  m'escrit  quil  auoit  reseu  la  sus- 
dite quaisse  et  que  le  lendemain  il  vous  la  deuoit 
enuoyer  à  Paris  je  me  sentis  grandement  consolé,  e 
maintenant  quil  est  ariué  sain  et  entier  entre  vos 
mains  j'en  suis  raui  de  joye  il  resteroit  maintenant 
plusieurs  choses  à  vous  dire  sur  ce  que  vous  m'en 
escriués  lesquelles  seroint  de  longue  déduction  assés 
pour  amplir  plusieurs  pages  de  papier,  mais  le 
temps  quil  faudroit  emploier  en  un  long  discours  de 
peu  d'utilité  seruira  à  auanser  le  tableau  de  la  péni- 
tense  où  maintenant  je  trauaille.  Si  le  batesme  que 
vous  aués  repseu  semble  à  quelcun  trop  doux,  quil 
lisent  la  response  que  Traian  Bocalin  fet  faire  à 
■  Apollo  à  ceux  qui  disoint  que  la  tarte  du  Guarino. 


352  CORRESPONDANCE  U^A7 

id  est  il  Pastor  fido)  leur  sembloit  trop  douce.  Sil  ne 
sont  contens  de  la  répartie.  Je  les  prie  de  croire  que 
je  ne  suis  point  de  ceux  qui  en  chantans  prennent 
tousiours  le  mesme  ton.  et  que  je  scais  varier  quan 
je  veus^  Et  vous  mesme  (Monsieur)  vous  en  pourrés 
estre  le  Juge.  Et  à  vostre  ordinaire  fauorisés  une  per- 
sonne qui  voudroit  en  vous  seruant  faire  des  Mer- 
ueilles.  Je  vous  ei  escrit  touchant  le  rencontre  que 
Monsieur  Tibaut  a  fet  à  Lion  demanière  que  je  ne 
chercherei  point  de  bust  sans  un  nouuel  ordre 

Monsieur  Vostre  trèshumble  et  trèsafifectionné  Ser- 
uiteur 

Le  Poussin. 

147.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  174.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 

Conseillier  et  Maistre  D'Hostel  ordinaire  du  Roy^ 

Rue  S^  Thomas  du  louure,  Paris^. 

[M.  Poussin  7«  auril  164^. 

Touchans  le  batesme. 

Cette  lettre  est  notable  pour  ce  quil  dit  du  tableau 
du  Baptesme  et  de  luy. 

Dit  quil  enuerra  à  la  my  May  le  tableau  de  la 
pénitence. 

1.  «  Il  avait  de  grands  égards  à  traiter  différemment  tous 
les  sujets  qu'il  représentait,  non  seulement  par  les  différentes 
expressions,  mais  encore  par  les  diverses  manières  de  peindre, 
les  unes  plus  délicates,  les  autres  plus  fortes;  c'est  pourquoi 
il  était  bien  aise  qu'on  connût  dans  ses  ouvrages  le  soin  qu'il 
en  prenait  »  (Félibien,  Entretiens  sur  les  Vies,  etc.,  t.  II,  p.  328). 

2.  En  bas,  à  gauche  :  franc  pour  Paris. 


1647J  DE   NICOLAS   POUSSIN.  353 

//  parle  de  Tibault.] 

A  Rome  Ce  7»^  Auril.  1647. 
Monsieur 

J'auoûe  ce  qui  est  trèsvéritable  que  toutes  les  lettres 
dont  il  vous  plaist  souuent  me  fauoriser  m'apportent 
tout  à  la  fois  du  proffit  et  du  contentement.  Vostre 
dernière  du  quinziesme  Mars  a  fet  en  moy  le  mesme 
effet  que  celles  dVi  passé  et  quelque  chose  encore  de 
plus,  parceque  par  icelle  vous  me  fettes  scauoir  sans 
aucune  feintise  ny  couleur  le  sentimement  que  l'on  a 
eu  du  dernier  tableau  que  je  vous  ay  enuoyé.  Je  ne 
suis  point  marri  que  l'om  me  reprengne  et  que  l'on 
me  critique.  Ji  suis  acoustumé  il  y  a  longtemps,  car 
jamais  personne  ne  m'a  espargné.  Mais  au  contraire 
jei  esté  souuent  le  but  où  la  médisanse  a  tiré  et  non 
pas  seuliement  la  repréhension.  Se  qui  à  la  vérité  ne 
m'a  pas  apporté  peu  de  proffit.  parceque  cela  a  empes- 
ché  que  la  présomption  ne  m'aie  aueuglé  et  m'a  fet 
cheminer  cautement  en  mes  œuures  chose  que  je  veus 
obseruer  toutte  ma  vie.  Et  bien  que  ceus  qui  me  [me] 
reprennent  ne  me  peuuent  pas  enseigner  à  mieux  fere 
ils  seront  cause  néanmoins  que  j'en  trouuerei  les 
moyens  de  moy  mesme.  Une  seulle  chose  [seulie- 
ment] je  desirerei  tousiours  et  ne  l'aurei  jamais  et 
n'oserois  mesme*  la  dire  pour  n'estre  blasmé  de  pré- 
tension trop  grande.  Je  passerei  donc  à  vous  dire  que 
lors  que  je  me  mis  en  la  pensée  de  peindre  le  susdit 
tableau  de  la  manière  quil  est  en  même  temps  je 
deuinas  le  jugement  que  l'on  en  feroit  il  y  a  icy  de 
bons  témoins  qui  vous  l'assureront  de  viue  vois.  Je 
n'ignore  pas  que  le  vulgere  des  Peintres  ne  disent 
que  l'on  change  de  manière  si  tant  sois  peu  l'on  sort 
[de  son]  ordinaire  car  la  pauure  peinture  est  réduite 
1911  23 


354  CORRESPONDANCE  [1^47 

à  l'estampe  ^  Je  pourois  dire  mieus  si  je  disois  à  la 
sépulture'  (si  hors  de  la  main  des  grecs  quelcun  l'a 
jamais  vue  viuante).  Je  vous  pourrois  dire  des  choses 
sur  se  subiect  ici  qui  sont  très  véritables  et  cognues 
de  personne,  il  les  faut  donc  passer  sous  silense.  Je 
vous  prierei  seullement  de  recepuoir  de  bon  oeil 
comme  s'est  vostre  coustume,  les  tableaux  que  je  vous 
enuoyerei  bien  que  tous  soint  différem^  dépeint  et 
coUoriés  vous  assurant  que  je  ferei  tous  mes  effors 
pour  satisfere  à  l'art  à  vous  et  à  moy. 

et  parceque  j'espère  pour  la  mi  May  ou  enuiron 
vous  enuoyer  celuy  de  la  pénitense  j'en  recepuerei  le 
paiement  de  Monsieur  Giericot  Ainsi  comme  vous 
l'aué's  ordonné  —  sans  perdre  le  temp  pour  atendre 
vos  lettres  de  change. 

demain  au  matin  je  ferei  porter  la  forme  de  l'Her- 
cule de  Farnèse  en  lieu  assuré,  et  la  coppie  de  la 
trâsfiguratio  je  vous  l'enuoyerei  à  la  première  occasion 
qui  se  présentera  par  le  destroit. 

Pour  ce  qui  est  du  procéder  de  M'i  Tibaut  enuers 
vous  et  du  peu  de  satisfaction  qui  vous  donne,  j'en 
demeure  estonné  et  je  vous  assure  que  ji  ay  esté 
trompé,  il  est  vray  que  je  l'ai  recongneu  estimer  trop 
se  quil  fet  et  en  estre  par  trop  jalons,  ausi  d'un  autre 
costé  je  ne  pouuois  pas  le  forcer  de  me  mettre  en 
main  ses  modelles  lorsque  vous  me  dites  de  les  reti- 


1.  «  Si  j'entends  bien  ces  mots,  il  veut  dire  que  la  peinture 
n'ose  plus  inventer,  mais  va  se  répétant,  comme  une  planche 
est  répétée  par  l'estampe,  ne  consiste  plus  qu'en  «  clichés  », 
bref  ne  vit  plus,  car  c'est  par  les  combinaisons  neuves  que 
l'art  est  vivant  »  (Paul  Desjardins,  La  méthode  des  classiques 
français,  p.  i85}. 

2.  Le  mot  sépulture  est  très  clair  dans  le  ms.,  c'est  à  tort 
que  l'on  a  souvent  lu  :  sculpture. 


1647]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  355 

rer  particulièrement  m'aiant  assuré  quils  estois  tous 
vostres,  et  que  luy  mesme  vous  les  porteroit.  S'il  i  a 
eu  de  la  duplicité,  je  n'en  ay  rien  seu.  L'on  ne  voit 
pas  dedens  le  coeur  des  hommes.  Je  mi  suis  fié 
encore  [manière  que]  et  je  commense  à  craindre  qu'il 
ne  me  paye  comme  vous. 

il  ni  a  maintenant  personne  à  Rome  qui  face  bien 
un  portraict  ce  qui  sera  cause  que  je  ne  vous  enuoye- 
rei  pas  si  tost  celuy  que  vous  désirés 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

148.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  '7^-) 

A  Monsieur  De  Chantelou^ 

cortsi  Et  Maistre  d'Osîel  ordinaire  du  Roy^ 

Rue  S^  Thomas  du  louure,  A  Paris*. 

[M.  Poussin  3^  juin  164']. 
Il  enuoye  le  tableau  de  la  pénitence 
dit  quil  ny  a  qua  lire  l'euangile  pour  lentendre 
Parle  quil  a  la  forme  de  Lhercule  chês  lui. 
Parle  du  retour  de  M.  Pointel  un  des  hérétiques 
qui  ayme  ses  ouurages,  quil  a  peur  quon  le  lapide  sil 
ne  se  taist  quil  nestplus  temps  dilluminer  les  aueugles, 
que  J.  Christ  mesme  enfust  mal  voulu,] 

De  Rome  Se  3«ne  Juin  1647. 
Monsieur 
Sil  estoit  nécessaire  de  vous  raconter  la  cause  pouf- 

I.  En  bas,  à  gauche  '.franc  pour  Paris. 


356  CORRESPONDANCE  [1647 

quoy  jei  tardé  jusques  à  maintenant  à  faire  response 
à  vostre  dernière  du  27'?«  mars  cette  fueille  de  papier 
ne  suffiroit  pas,  et  partant  j'userei  de  breinte  et  vous 
direi  que  par  icelle  comme  ausi  par  les  deux  présé- 
dentes  je  me  suis  aperseu  que  le  tableau  du  babtesme 
que  vous  aués  repseu  le  dernier  ne  vous  a  pas  si 
satisfet  comme  les  deus  précédens.  quoy  que  auec 
belle  manière  vous  esseyés  de  me  consoler  et  taschés 
à  vous  en  contenter.  Vous  deués  vous  assurer  que  ji 
ay  procédé  avec  le  mesme  amour  dilligense.  Jy  ay 
employé  le  mesme  temps  que  aux  autres  précédens 
w  et  que  le  désir  de  faire  bien  est  tousiours  égal.  Mais 

le  succès  de  toutte  nos  entreprises  ne  réusit  pas  tou- 
siours auec  le  mesme  bon  heur  et  que  tous  les  hommes 
du  monde  on  esté  subiects  à  cette  maladie  Je  n'adiurei 
aucun  exemple  car  il  y  a  trop. 

Je  vous  enuoye  maintenant  la  penitense.  que  jei 
fette  Je  ne  sey  si  elle  suffira  pour  effacer  la  coulpe 
des  fautes  passées.  Je  ne  vous  ferei  là  dessus  aucun 
prologue  car  le  subiec  est  représenté  en  manière  quil 
me  semble  quil  n'a  pas  besoin  d'interprète  pourueu 
seuUement  que  l'on  aye  leu  l'euangille.  Je  l'ei  con- 
seigné  au  courrier  nommé  Moslart  il  est  franc  de 
port  jusque  à  Paris.  J'en  ai  payé  quatre  pistoles  et 
jamais  ne  l'a  vouleu  porter  à  moins.  Le  prix  me 
semble  extra  ordinaire,  mais  parceque  cette  mesme 
difficulté  m'a  fet  perdre  huit  jours  de  temps  ne  m'es- 
tant  peu  accorder  de  prix  auec  le  courier  précédent 
et  pour  n'atendre  pas  à  l'autre  ordinaire  à  vous  l'en- 
uoyer  lequel  peut  estre  m'eust  tretté  encore  pis  (par- 
ceque il  sentrentêdent  comme  larrons  en  foere)  Jei 
donné  à  celuy  si  se  quil  a  vouleu.  Il  s'est  obligé  de 
vous  l'enuoyer  à  Paris  par  le  messager.  Néanmoins 


1647]  ^^    NICOLAS    POUSSIN.  SSj 

Je  l'ei  recommandé  à  Monsieur  de  l'Abel  de  Lion  et 
à  M^  Serisier.  quand  vous  l'aurés  repseu  et  considéré 
vous  m'en  escrirés  sii  vous  plaist  vostre  sentiment 
sans  adulatiC. 

Jei  repseu  pour  payement  du  dit  tableau  de  la  péni- 
tense.  de  Monsieur  Giericot  la  somme  de  deux  cents 
cinquante  escus  Monoye  de  Rome.  (Je  luy  ay  fet 
croire  d'auoir  repseu  d'aillieurs  cinquâte  escus,  affin 
quil  pense  quil  me  soit  payé  cent  pistoles)  lesquel  il 
vous  plaira  luy  paier  conforme  aux  lettres  de  change 
que  je  luy  ay  fettes  première  et  seconde  à  huit  jours 
de  vue  —  et  vous  plaira  de  m'en  donner  aduis.  Jei 
commensé  le  cinquiesme  qui  représentera  l'ordre  de 
prebtrise.  et  continuerei  di  trauaillier  si  la  trop  grande 
chaleur  de  l'esté  ne  m'en  empesche  et  si  dieu  me 
consède  la  santé  dens  un  an  je  me  promès  d'auoir 
fini  tous  les  sept. 

Jei  fet  porter  chés  moy  la  forme  de  l'Hercule  qui 
occupe  la  Moitié  de  Ma  maison  là  où  je  la  conser- 
uerei  tant  que  il  vous  plairra. 

Je  ne  vous  enuoyerei  point  la  coppie  de  S'  Pietro 
in  Montorio  que  quand  les  veseaux  de  S^  Maslo  se 
partirons  de  ses  cartiers 

Je  vous  aurois  présentement  enuoyé  le  conte  de  la 
despense  que  jei  fette  pour  vous  depuis  nostre  der- 
nier conte  mais  je  suis  trop  pressé  se  sera  par  la  pre- 
mière occasion 

Je  serois  bien  aise  de  scauoir  si  le  petit  Tibaut 
vous  a  contenté  et  si  vous  aués  achetté  quelcun  de 
ses  marbres.  Nous  n'entendons  aucunement  de  ses 
nouuelles  et  nous  ne  scauons  sil  est  vif  ou  mort. 

Vous  verres  bientost  à  Paris  un  de  vos  affectionnés 
qui  retourne  d'icy.  il  est  de  ces  hérétiques  qui  croyent 


358  CORRESPONDANCE  ['647 

V"  que  Vostre  Seruiteur  le  Poussin,  a  quelque  talent  en 
la  peinture  qui  n'est  pas  commune  Mais  jei  peur  que 
l'on  ne  le  lapide  sil  ne  se  tait,  car  il  n'est  plus  temps 
de  illuminer  les  aveugles;  Crist  mesme  en  fut  mal 
vouleu. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsdéuotieus 
Seruiteur 
Le  Poussin 

149.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  178.) 

[M.  Poussin  10*  Juin  164^. 

Il  parle  de  lenuojr  du  4^  Sacrement  et  quil  trauaille 
au  cinquiesme.] 

De  Rome  Ce.  lo'f^Juin  1647. 
Monsieur 

au  deffaut  de  celle  que  je  vous  escriuis  il  y  a  huit 
jours  je  vous  aduertis  que  je  vous  enuoyas  le  qua- 
triesme  de  vos  tableaus  où  est  représenté  la  péni- 
tense.  Je  le  conseignas  au  Courrier  de  Lion  nommé 
Moslart.  à  condition  quil  vous  le  feroit  tenir  à  Paris 
franc  de  port  ayant  repseu  icy  à  Rome  pour  cet  effet 
quatre  pistoles  dont  j'en  ay  tiré  repsue  vous  ferés  dil- 
ligense  de  le  retirer  de  cbés  le  messager  quand  il  sera 
ariué  à  Paris 

Jey  esté  payé  par  les  mains  de  Monsieur  Giericot 
que  vous  rembourserés  sil  vous  plaist.  quand  vous 

I.  Pointel  «  avoit  tant  de  passion  pour  les  ouvrages  de  son 
ami,  que  bien  loin  de  les  vendre,  il  n'auroit  pas  voulu  s'en 
priver  seulement  pour  un  jour  »  (Félibien,  Entretiens,  etc., 
p.  342). 


1647]  ^^    NICOLAS    POUSSIN.  35^ 

aurés  repseules  lettres  de  changes  première  et  seconde 
à  huit  jours  de  vue  que  je  lui  ei  fettes. 

Je  vous  enuoye  auec  la  présente  le  conte  de  l'argent 
que  jey  despensé  pour  vous  depuis  le  dernier  jusques 
à  maintenant  si  vous  le  trouués  bon  il  vous  plaisra 
me  mander  une  descharge  affin  que  il  ni  aye  que 
redire  en  nos  afferes. 

J'atendrei  que  les  veseaus  de  Si  Maslo  se  partent 
d'icy  pour  vous  enuoyer  vostre  coppie  de  la  transfi- 
guration. 

Je  serois  bien  ayse  de  scauoir  si  vous  aués  changé 
de  délibération  touchant  les  autres  sis  testes  de 
marbre  que  vous  vouliés  que  je  vous  achettasse  ou 
si  vous  aués  trouué  celles  que  le  petit  Tibaut  a  empor- 
tées de  Lion  à  Paris  à  vostre  goust.  et  si  vous  en  aués 
pris  se  qui  vous  manquoit. 

Jei  fini  d'esbaucher  le  cinquiesme  de  vos  Sacre- 
mens  que  j'espère  qui  réussira  de  bonne  manière  Si 
la  chaleur  de  l'esté  est  trop  incommode  je  ne  ferei 
que  ourdir,  mais  si  '  elle  est  *  modérée  je  cOtinuerei 
au  finiment  de  ce  cinquiesme  que  je  pourrei  vous 
enuoyer  au  commensement  de  cette  automne. 

Je   ne  scaurois  pour  cet  heure  que  vous   escrire 
dauentage  sinon  que  je  vous  prie  de  croire  que  vous 
n'aués  point  de  seruiteur  qui  vous  soit  plus  déuo- 
tieux  que  moy  et  qui  serei  tousiours 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsaffectionné 

Seruiteur 
Le  Poussin 
Monsieur  le  Cheuallier 
du  Puis  vous  baise 
les  mains  comme  ausi  M^  son  frère. 


360  CORRESPONDANCE  [^^47 

150.  —  5«  COMPTE  A  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol-  246'-) 

du  dernier  conte  que  je  vous  enuoyas 
il  vous  restoit  quarante  trois  escus  et  trois  Jules 
joint  auec  cinquante  escus  que  j'eus  de  surplus 
quand  je  fus  payé  dernièrement  du  baptesme.  Le 
tout  fet  nonante  trois  escus  trois  Jules. 

Sur  quoy. 
Jei  despensé  pour  le  port  de  quatre  quaisses  d'Arles 
à  Lion  quarante  sinq  livres  douze  soûls  qui  disent  de 
cette  monnoye  treze  escus  set  Jules  .     .     i3     7 
pour  une  douzaine  de  père  de  gants 

dishuit  escus  et  un  Jule 18     i 

pour  le  port  du  tableau  du  babtesme 

à  Lion  noeuf  escus 9 

pour  le  canon  dudit  tableau  sept  Jules  7 

pour  la  quaisse  de  bois  cinq  Jules  .     .  5 

pour  le  papier  un  gros i 

demi  gros  pour  porter  le  dit  canon  et 
demi  gros  pour  la  ditte  quaisse  chés  moy.  i 

pour  faire  desmonter,  porter  et  re- 
mettre ensemble  la  forme  de  l'Hercules 
chés  moy  trois  escus  et  demi    ....      35 
pour  le  canon  du  dernier  tableau  de 

la  pénitense  —  Jules  sept 7 

pour  le  porter  demi  gros 1/2 

pour  la  quaisse  de  bois  cinq  Jules  .     .  5 

I.  Ce  compte  a  été  placé  par  erreur  dans  le  ms.  12347  après 
la  lettre  du  2  août  1660.  On  peut  voir,  par  les  articles  qu'il 
renferme  et  le  texte  de  la  lettre  du  10  juin  1647,  que  nous 
l'avons  rétabli  à  la  date  qui  lui  convient. 


1647]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  36 1 

pour  me  la  porter  demi  gros.     ...  1/2 

pour  un  gros  de  papier i 

pour  le  port  de  la  quaisse  où  est  le  dernier  tableau 
de  la  pénitense  jusques  à  paris  douze  escus    .     .     12 

Le  tout  fet  cinquante  huit  escus  Jules  noeuf 

il  me  reste  de  vostre  trente  quatre  escus  quatre  Jules 

Si  le  Conte  n'est  Juste  je  me  remest. 

151.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  179.) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 
Cons\  et  Maistredostel  ordinaire  du  Roy,  à  Paris. 

[M.  Le  Poussin  28'  juillet  164'j. 

Il  donne  aduis  quil  a  enuoyé  le  4^  tableau  et  que 

dans  le  mois  suiuant  il  enuerra  le  cinquiesme .] 

De  Rome  le  28«»«  Juillet  1647. 
Monsieur 

J'atens  de  jour  à  autre  que  vous  m'escriués  si  vous 
aués  repseu  le  quatriesme  de  vos  tableaux  lequel  je 
vous  enuoyas  par  le  Courrier  de  Lyon  nommé  Mos- 
lard.  franc  de  port  pour  Paris.  Je  vous  en  escriuis 
consécutiuem^  par  deux  ordinaires.  Je  vous  fis  scauoir 
par  mes  lettres  comme  j'auois  esté  payé  dudit  tableau 
par  le  Sieur  Giericot  banquier  demeurant  en  cette 
ville,  à  cet  effet  que  je  vous  enuoyas  deux  lettres  de 
change  première  et  seconde  en  vertu  desquelles  vous 
le  deuiés  rembourser.  Je  vous  enuoyas  en  mesme 
tems  un  conte  de  l'argent  que  jei  despensé  pour  vous 
depuis  le  conte  dernier  jusques  à  présent  duquel  si 
vous  le  trouués  bon  il  vous  plaira  m'enuoyer  un  mot 
de  quittanse. 

il  me  semble  assés  à  propos  de  vous  escrire  ses 


302  CORRESPONDANCE  [1647 

deux  lignes  par  Anticipation  par  lesquelle  je  vous 
donne  aduis  que  j'espère  au  quinziesme  du  mois  pro- 
chain vous  enuoyer  le  cinquiesme  de  vos  Sacrements, 
à  celle  fin  que  si  vous  estes  enquores  hors  de  Paris 
vous  puissiés  ordonner  à  quelcun  des  vostres  de  le 
retirer  ou  du  coche  ou  du  messager,  parceque  je  ne 
scais  par  quelle  voye  l'on  vous  les  fet  tenir  de  Lion 
à  Paris  néanmoins  que  je  recommande  à  Lion  de 
vous  les  enuoyer  par  la  voye  la  plus  brèue. 

Le  gros  [villain]  Chaperon  est  de  retour  en  cette 
ville  aux  despens  une  autre  fois  du  bon  Monsieur 
Renard,  Il  se  vante  de  rauoir  son  tableau  et  dit  quil 
a  ordre  de  le  finir  pour  le  Roy  aux  despens  duquel  y 
a  esté  commensé.  Je  ne  scais  si  son  dessein  réussira. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  Seruiteur 

Poussin. 

152.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  fol.  180.) 

A  Monsieur  de  Chantelou  L'aisné. 

De  Rome  le.  17".=  Aust.  1647. 
Monsieur 
bien  quil  y  aie  longtemps  que  j'obserue  le  Silense 
enuers  vous  ne  croyés  pas  pour  cela  que  j'aye  mis  en 
oubli  la  promese  que  je  vous  ay  fette.  Si  elle  s'eust 
pu  accomplir  pour  vous  escrire  souuent  il  y  a  long- 
temps que  vou  sériés  satisfet.  Je  m'estois  persuadé 
que  ce  qui  s'estoit  dit  une  fois  fust  pour  tousiours. 
Jay  encore  à  faire  deux  des  tableaus  de  Monsieur  de 
Chantelou  lesquels  ausi  tost  que  j'aurei  finis  si  vostre 


1647]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  3(53 

patiense  se  peut  estendre  jusques  là  et  vous  et  moy 
nous  aurons  mainteneu  nostre  promesse  réciproque 
car  vous  serés  le  premier  serui  comme  celui   que 
j'Honnore  pardessus  les  autres 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

153.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^^^'  '^^O 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Cons\  et  Maistre  d'Hostel  ordinaire  du  Roy^  à  Paris. 

[M.  Poussin  ig^  aoust  164J. 

Il  parle  de  Parriuée  du  tableau  de  la  pénitence  et 

de  l'enuojr  de  celui  de  l'ordre.] 

De  Rome  le  ig»*  Aust.  1647. 
Monsieur 

bienque  vostre  dernière  du  lo"»*  juillet  ne  me  dise 
rien  de  l'ariuée  à  Paris  de  vostre  tableau  de  la  péni- 
tense.  par  les  lettres  de  mes  amis  je  suis  aduisé  quil 
est  ariué  à  bon  port  et  que  la  quaisse  est  en  vostre 
maison  là  où  l'on  la  gaurde  jusques  à  vostre  retour 
du  mans.  Cette  nouuelle  m'a  osté  de  la  peine  là  où 
j'estois  car  je  n'ay  point  de  repos  jusques  à  tant  que 
je  sache  que  ce  que  je  vous  enuoye  soit  ariué  heu- 
reusement. Il  y  a  quelque  temps  que  je  vous  fis  sca- 
uoir  que  pour  le  quinsiesme  du  mois  d'Aust  ou  enui- 
ron  je  vous  enuerrois  le  cinquiesme  de  vos  sudits 
tableaux.  Ce  que  jei  acompli  auiourdhui  l'ayant  con- 
seigné  au  Courrier  de  Lion  nommé  Claude  Marie 
Scarampe  qui  dit  estre  fort  vostre  seruiteur.  Le  port 


364  CORRESPONDANCE  [1647 

est  payé  Jusques  à  Lion.  Je  l'ei  recommandé  à  Mon- 
sieur Serisier  et  à  son  deffaut  à  Monsieur  de  l'Abel  à 
celle  fin  quil  vous  soit  enuoyé  ausitost  à  Paris.  Il 
seroit  nécessaire  que  vous  escrissiés  un  mot  de  lettre 
audit  sieur  de  l'Abel  et  le  prier  de  ne  se  lasser  point 
de  prendre  le  soin  de  vous  enuoyer  les  deux  autre 
qui  sont  à  faire  lorsque  je  les  luy  adresserei.  Car 
pour  Monsieur  Serisier  il  sera  absent  de  Lion  estant 
délibéré  de  venir  voir  Litalie  cet  automne  prochain. 

Jei  repseu  le  payement  de  se  dernier  tableau  comme 
encore  du  pénultime  de  Monsieur  Gericot.  C'est 
assauoir  cent  pistoles  d'italie.  desquelles  il  vous 
auanse  cinquante  escus  desquel  auec  le  résidu  du 
passé  je  vous  tiendrés  conte. 

Il  vous  plura  rembourser  le  dit  Giericot  en  vertu 
des  lettres  de  changes  première  et  seconde  qui  vous 
seront  présentées. 

J'atens  comme  de  coustume  le  jugement  que  vous 

ferés  de  ses  deux  tableaux,  sependant  que  j'atendrei 

au  Animent  des  deux  autres  et  demeure  comme  de 

coustume     UGolrf: 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

154.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  i83.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Cons[  et  Maistre  d'Ostel  ordinaire  du  Roy, 

Rue  S^  Thomas  du  Louure,  à  Paris. 

[M.  Poussin  premier  Sep^*^'  164J. 


1647]  Ï>E   NICOLAS   POUSSIN.  365 

//  escript  quil  a  la  main  au  sixième  sacrement 

Et  incontinent  après  il  trauaillera  au  7™*.] 

A  Rome  le  premier  Septembre  1647. 
Monsieur 

Jei  repseu  la  vostre  du  23"*  Juillet  ensemblement 
une  descharde  de  l'argent  que  jei  employé  à  vos  ser- 
vices, du  résidu  je  vous  en  tiendrei  conte  trèsfidelle. 

L'ordinaire  passé  je  vous  fis  scauoir  que  j'auois 
conseigné  au  Courrier  de  Lion  nommé  Scarampe.  le 
cinquiesme  de  vos  tableaux,  et  que  Monsieur  Serisier 
ou  de  l'Abel  auroint  le  soin  de  vous  le  faire  tenir  à 
Paris  ce  que  j'espère  quils  feront  trèsassurément. 
Par  la  mesme  je  vous  donnas  aduis  que  j'auois  rep- 
seu de  M'^  Giericot  la  somme  de  cent  pistoles  que  je 
vous  supliois  de  luy  rembourser  en  vertu  des  lettres 
de  changes  première  et  seconde  qui  vous  seront  pré- 
sentées. De  se  dernier  payemen  il  vous  auanse  cin- 
quâte  escus  que  jei  mis  auec  les  trentequatre  et  demi 
qui  reste  du  nostre  dernier  conte. 

Sur  le  second  chef  de  vostre  lettre  je  trouue  matière 
de  vous  escrire  de  belles  choses  si  j'auois  comme 
vous  le  talent  de  bien  dire,  mais  il  vaudra  mieux 
que  je  m'estudie  aux  choses  plus  aparantes  que  les 
paroles  et  tascher  d'oresnauant  en  fesant  mieux  oster 
à  moy  ^  mesme  le  doubte  que  l'on  puisse  faire  mau- 
uais  jugement  de  mes  oeuures  car  en  se  fesant  je  vous 
satisferei  et  à  moymesme. 

Jei  la  main  présentement  au  sisiesme  des  Sacre- 
mens  qui  réussira  bien  comme  j'espère.  C'est  celuy 
où  est  représentée  la  Cesne  de  Crist  auec  ses  apostres 
j'espère  quil  sera  fini  pour  la  fin  d'octobre,  et  incon- 


366  CORRESPONDANCE  [1647 

tinent  je  mettrei  (comme  l'on  dit)  le  Mariage  sur  le 
chantier.  Cependant  je  demeure  à  l'acoustumée. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  poussin 
Jei  fet  vos  baisemains  à  Monsieur 
le  Cheuallier  du  Puis  qui  vous 
les  rend  à  usure. 

155.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^o-'-  ^^4-) 

A  Monsieur  De  Chantelou, 
Cons\  et  Maistre  d'ostel  ordinaire  du  Roy,  A  Paris. 

[M.  Poussin  3^  nouembre  164J. 

Il  mescript  sur  la  mort  de  M.  deuoit  ' 

Et  des  friponneries  du  petit  Tibault.] 

De  Rome  le  S'f*  Nouembre.  1647. 
Monsieur 

Si  se  n'estoit  vostre  propre  vertu  qui  vous  sert  de 
bouclier  pour  parer  les  coups  de  la  disgrâce  certai- 
nement vous  sériés  en  danger  d'en  recepuoirdes  pro- 
fondes playes,  lors  q'uelle  décoche  sur  vous,  comme 
des  poignantes  flèches  la  perte   de  vos  meillieurs 

1.  Ce  sommaire  de  Chantelou  est  fort  embarrassant  :  d'une 
part,  on  ne  lui  connaît  aucun  ami  du  nom  de  Devait,  et, 
d'autre  part,  le  contenu  de  cette  lettre  confirme  sans  conteste 
sa  date  du  3  novembre  1647,  interdisant  ainsi  toute  relation 
avec  la  mort  de  Voiture,  survenue  en  mai  1648,  et  que  Pous- 
sin déplore  dans  sa  lettre  du  22  juin  1648.  On  peut  supposer 
que  Chantelou,  écrivant  plus  tard  les  sommaires  des  lettres, 
et  ne  se  rappelant  plus  la  date  exacte  de  la  mort  de  Voiture, 
aura  confondu  avec  celui-ci  l'autre  ami  dont  Poussin  parlait 
d'ailleurs  en  termes  très  généraux. 


1647]  '      ^^    NICOLAS   POUSSIN.  367 

amis.  Je  vous  dis  sesi  sans  vouloir  entreprendre  de 
faire  le  confortateur.  à  qui  comme  dit  l'italien,  non 
dole  il  capo.  Vous  aués  souffert  généreusement 
d'autres  secousses  que  celle  si  que  le  temps  (seul 
médecin  de  telles  maladies)  vous  a  rendue  supor- 
tables.  Se  mal  présent  se  passera  de  mesme, 

Sependans  je  vous  ay  apresté  un  Souper  où  est 
représenté  celuy  qui  nous  a  montré  comment  il  faut 
souffrir*  toute  choses,  si  entre  les  amertumes  que 
vous  supportés  vous  i  pouuiés  trouuer  quelque  peu 
de  ragoust.  se  me  sera  une  grande  satisfaction.  Mon- 
sieur Serisier  qui  est  noueu  veneu  en  cette  ville  prie 
auec  moy  Monsieur  de  Label  de  vous  le  faire  tenir. 
Le  por  sera  payé  jusques  à  Lion  à  l'acoustumée. 

Jei  esté  payé  par  Monsieur  Giericot  et  pour  cet 
effet  il  vous  plaira  de  le  rembourser  conforme  aux 
lettres  de  changes  qui  vous  seront  présentées. 

Pour  ce  que  vous  m'escriués  touchant  le  petit 
Tibau.  Je  suis  d'acord  auec  vous  que  s'est  un  ingrat 
et  de  plus  un  trompeur.  Non  vous  seuUem'  ni  moy 
en  sommes  mal  satisfet  mais  encores  tous  ceux  qui 
l'ont  cogneu  et  pratiqué  icy  maintenant  s'en  pleignent 
car  aux  uns  il  doib  de  l'argent  et  ne  leur  escrit  point 
aux  autres  ils  leur  a  manqué  de  foy.  Il  est  difficile  de 
cognoistre  les  personnes  dissimulées  si  se  n'est  auec 
un  longtemps.  Quand  à  moy  je  vous  jure  que  j'y  ay 
esté  trompé,  et  n'usse  jamais  cru  que  il  se  fust  porté 
si  mal  en  vostre  endroit  car  il  m'a  juré  cent  fois  que 
tout  ce  qui  fesoit  icy  estoit  à  vostre  seruise  et  que 
quand  il  seroit  de  retour  qu'il  vous  donneroit  à  choi- 
sir ou  de  ses  modelles  propres  ou  de  ceux  qui  gette- 
roit  estant  dilligemment  réparés.  Quand  il  dit  qu'il 

I.  Souffrir  surchargeant  supporter,  qui  a  été  rayé. 


368  CORRESPONDANCE  [1647 

n'a  pas  fet  grand  chose  sependans  que  vous  l'aués 
entreteneu  il  dit  vrai  et  peut  estre  l'a  il  fet  exprès 
parceque  il  a  esté  quelque  fois  trois  et  quatre  mois 
sans  rien  faire.  M^  Pointel  en  sera  témoin  il  s'amu- 
soit  à  fere  l'amour  auec  une  Loraine  qui  dit  qui  luy 
a  promis  de  l'espouser.  ou  à  faire  des  modelles  pour 
vendre,  et  cependant  qu'il  a  eu  vostre  argent  je  crois 
qu'il  n'a  modellé  que  un  des  chenaux  de  Monte 
Cauallo'.  Je  voyés  bien  le  tout  et  m'en  desplaisoit 
mais  je  ne  pouuois  pas  pénétrer  si  auant  que  je  peuse 
cognoistre  ses  pensées  et  mauuaises  résolutions,  les- 
quelles maintenant  vous  aués  descouuertes. 

Il  est  vray  que  il  a  modelé  le  Faune  qui  dor  par  la 
faueur  que  lui  fit  Nicolas  Mingin  sculpteur  du  Car- 
dinal Barbarin  sans  que  j'en  impétrasse  la  license  du 
dit  Cardinal  laquelle  je  luy  auois  promis  d'auoir  si 
ledit  Mingin  luy  eust  niée. 

En  fin  demandés  luy  cequil  a  modelé  depuis  auril 
jusques  en  Nouembre  de  l'an  1645.  C'est  cequil  a  fet 
ou  peu  plus  [s'en  manque]  sependant  qu'il  a  repceu 
vos  apointements.  Le  papier  me  manqueroit  si  je 
voulois  vous  dire  tout  ceque  jei  descouuer  depuis 
qu'il  est  parti  d'icy  vous  pouués  sans  scrupule  le  traic- 
ter  comme  un  homme  fallacieux.  Jei  fet  pour  luy  ce 
que  je  ne  ferois  pas  à  un  mien  parent  jusques  à  luy 
prêter  de  l'argent  en  sa  maladie  et  pour  faire  son 
voyage  et  demeure  si  mal  recognoissant  que  il  ne 
m'a  pas  seullement  escrit  un  seul  mot  depuis  qu'il  est 
en  france. 

Il  y  a  [déjà]  longtemps  que  jei  fet  emballer  vostre 

I.  Il  est  souvent  question,  au  xvii"  siècle,  de  ces  deux  statues, 
encore  placées  devant  le  Quirinal  (voir  Dumesnil,  Hist.  des 
plus  célèbres  amateurs  italiens,  p.  474). 


1647]  ^^   NICOLAS   POUSSIN.  36g 

coppie  de  S'  Pietro  In  Montorio.  pour  ne  perdre 
point  l'occasion  de  vous  l'enuoyer  quand  elle  se  seroit 
présentée.  C'est  pourquoy  si  vous  vous  accordés  auec 
Mo^  Renard  il  est  raisonnable  que  vous  mettiés  en 
conte  se  qu'il  a  cousté  à  emballer,  qui  importe,  vint 
et  six  Jules. 

Se  sont  des  tours  de  se  gros  bouffie  de  Chappron 
qui  à  la  fin  trompera  le  pauure  renard  qui  est  ausi 
simple  comme  un  oyson'. 

Je  crains  que  en  atendant  la  résolution  dudit 
renard  l'occasion  ne  se  perde  de  vous  l'enuoyer.  Si 
vous  n'estes  pas  d'accord,  toute  fois  j'atendrei  vos 
ordres. 

Nous  sommes  à  cinquante  lieux  seuUement  d'un 
téatre  où  journellement  il  se  représente  d'estranges 
tragédies  qui  est  la  pauure  Naples^  dieu  nous  pré- 
serue  de  semblables  misères  vous  scaurés  de  delà 
autant  et  plus  qui  si  passe  journellement  comme  nous 
qui  en  sommes  voisins. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  poussin 

Jei  oublié  à  vous  dire  que  je  cognois  bien  Stella. 

Je  baise  trèshumblement  les  mains  à  Monsieur  de 
Chantelou  vostre  fraire 

Monsieur  Gueffier  m'a  donné  un  second  liure  et 
une  lettre  de  Monsieur  Scarron,  allaquelle  je  m'étois 

1.  En  1649,  Chapron  publiera  à  Rome,  sous  les  auspices  de 
Renard,  la  gravure  des  Loges  de  Raphaël  au  Vatican. 

2.  L'insurrection  de  Masaniello,  véritable  émeute  de  la  faim, 
éclata  le  7  juillet  1647.  Masaniello  fut  tué  le  16,  mais  les  Napo- 
litains venaient  de  rompre  définitivement  avec  l'Espagne,  le 
3o  octobre. 

1911  24 


^70  CORRESPONDANCE  [1^47 

disposé  de  respondre.  Mais  l'on  m'a  dit  qu'il  estoit 
mort.  Ce  qui  a  esté  cause  de  me  faire  retirer  la  main 
de  la  plume.  Je  vous  supplie  (Monsieur)  la  première 
fois  que  vous  me  ferés  l'honneur  de  m'escrire  de  me 
faire  scauoir  s'il  est  mort  ou  viuant  et  vous  m'oblige- 
rés  infiniment. 

156.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  i86.) 

A  Monsieur  de  Chantelou 

Cos'^,  et  Maistre  dostel  ordinaire  du  Roy, 

Rue  S^  Tomas  du  louure,  A  Paris. 

[M.  Poussin  24^  nouembre  164^. 
Traité  des  modes  ^ . 

//  promet  de  nemptoier  ses  pinceaux  pour  personne 
quil  naye  achevé  les  7  Sacremens. 

Il  fait  un  grand  discours  sur  les  diuers  modes 
quobseruèrent  les  gregs  dans  la  peinture  et  les  poètes 

et  orateurs.] 

De  Rome  le  24«e  Nouembre.  1647. 
Monsieur 

Celle  si  seruira  de  response  à  vos  deus  dernières 
l'une  du  23«  octobre  et  l'autre  du  premier  d«  courant. 
J'obserue  la  promesse  que  je  vous  ay  fette.  C'est  assa- 
uoir  que  je  n'employerei  mes  Pineeaus  pour  per- 
sonne que  pour  vous  que  je  n'aye  fini  vos  Set  Sacre- 
ments, et  partant  après  vous  auoir  enuoyé  la  Scesne 
qui  est  le  sisiesme  jei  mis  la  main  au  dernier  qui  est 
celuy  que  vous  dittes  affectionner  le  moins.  Je  me 

1.  La  lettre  de  Poussin  est  d'une  écriture  menue  et  très  ser- 
rée. Dans  le  sommaire  de  Chantelou,  les  mots  :  Traité  des 
modes  ne  paraissent  pas  de  son  écriture. 


1647I  DE    NICOLAS    POUSSIN.  87! 

promes  poutant  qu'il  ne  réussira  pas  inférieur  à  celuy 
des  six  qui  vous  plaist  le  plus. 

Jei  esté  paie  du  dernier  tableau  que  je  tous  ay 
enuoyé  par  un  Commis  pour  M"^  Giericot  Ausi  comme 
vous  aurésveu  parla  lettre  de  change  que  vous  aurés 
repsue  et  celle  que  je  vous  ay  escritte  de  l'enuoy 
dudit  tableau  lequel  je  m'assure  que  vous  aurés  rep- 
seu  deuant  la  présente. 

Je  me  suis  résolu  de  seruir  Monsieur  de  Lysle  puis 
que  vous  me  le  commandés,  néanmoins  que  je  m'es- 
tois  proposé  de  faire  désormais  quelque  chose  comme 
pour  moy  sans  m'assuiettir  dauantage  aui  caprise 
d'autrui  et  principallement  de  ceux  qui  ne  voyent  que 
par  les  yeux  d'autrui.  il  faut  néanmoins  que  le  dit 
Signeur  se  résolue  à  une  chose  difficile  à  un  fran- 
cois  qui  est  la  patiense. 

Jei  fetvos  baisemains  à  Monsieur  le  Cheuallier  du 
Puis  qui  vous  fet  le  mesme  auec  sa  courtoisie  ordi* 
naire. 

Touchant  ce  que  vous  m'escriués  par  vostre  der- 
nière, il  est  aisé  de  vous  oster  le  soupson  que  vous 
aués  que  je  vous  honnore  moin»  et  que  j'aye  moins 
d'amour  pour  vous  que  pour  quelque  autre.  Sil  estoit 
ainsi  pourquoy  vous  aurois  je  préféré,  depuis  l'espase 
de  cinq  ans  à  tant  de  personne  de  mérite  et  de  qua- 
lité qui  ont  désiré  très  ardamment  que  je  leur  fisse 
quelque  chose  et  qui  m'ont  offert  leur  bourses  pour 
subiect  me  suisje  contenté  d'un  prix  si  modique  que 
n'ay  pas  vooileu  prendre  cequc  vous  mesme  m'aués 
offert,  pourquoy  esse  que  après  vous  auoir  enuoyé  le 
premier  de  vos  tableaux  composé  de  saize  ou  dishuit 
figures  seuUement  et  que  je  pouuois  faire  les  autres 
du  mesme  nonbre  ou  plustost  les  diminuer  pour  venir 


372  CORRESPONDANCE  [1647 

plustost  afin  d'une  si  longue  fatigue  je  les  ei  enrichis 
de  plus  sans  penser  à  aucun  interrest  autre  que  à 
gagner  vostre  bienueillanse. 

Pourquoy  esse  que  jei  employé  tant  de  temps  tant 
couru  dessà  et  delà  par  chaud  et  par  froid  pour  vos 
autres  seruises  particuliers  si  se  n'a  esté  pour  vous 
témoigner  combien  je  vous  honnore.  Je  n'en  veux 
pas  dire  dauantage  il  faudroit  sortir  des  termes  de  la 
seruitu  que  je  vous  ay  vouée.  Croyés  certainement 
que  jei  fet  pour  vous  ce  que  je  ne  ferei  pour  personne 
viuante.  et  que  je  continuerei  tousiours  dedens  la 
volonté  de  vous  seruir  de  tout  mon  coeur.  Je  ne  suis 
point  homme  légier  ni  changeant  d'affection  quand 
je  l'ei  mise  en  un  subiec. 

Si  le  tableau  de  Moïse  trouué  dans  les  Eaux  du 
Nil  que  possède  Mo^  Pointel  vous  a  donné  dans 
l'amour,  esse  un  témoignage  pour  cela  que  je  l'aye 
fet  auec  plus  d'amour  que  les  vostres.  Voyés  vous  pas 
bien  que  c'est  la  nature  du  subiec  qui  est  cause  de  cet 
effet,  et  vostre  disposition,  et  que  les  subiect  que  je 
vous  traitte  doiuent  estre  représentés  par  une  autre 
manière.  C'est  en  cela  que  consiste  tout  l'artifice  de 
la  peinture,  pardonnes  à  ma  liberté  si  je  dis  que  vous 
vous  estes  monstre  précipiteus  dans  le  jugement  que 
vous  aués  fet  de  mes  ouurages.  Le  bien  juger  est 
trèsdifficille  si  l'on  n'a  en  cet  art  grande  Théorie  et 
pratique  jointes  ensemble.  Nos  apetis  n'en  doiuent 
point  juger  sellement  mais  la  raison. 

C'est  pourquoy  je  vous  veux  aduertir  d'une  chose 
d'importanse  qui  vous  fera  cognoistre  ce  quil  faut 
obseruer  en  la  représentation  des  subiect  qui  se 
dépeignent. 

Nos  braues  Anciens  grecs  Inuenteurs  de  touttes  les 


1647]  Ï>E    NICOLAS   POUSSIN.  SyS 

belles  chose'  trouuèrent  plusieurs  Modes  par  le 
moyen  des  quels  il  ont  produit  de  Merueillieus 
effets. 

Cette  parolle  Mode  signifie  proprement  la  raison 
ou  la  mesure  et  forme  de  laquelle  nous  nous  seruons 
à  faire  quelque  chose,  laquelle  nous  abstraint  à  ne 
passer  pas  oultre  nous  fesant  opérer  en  touttes  les 
choses  auec  une  certaine  médiocrité  et  modération, 
et  partant  telle  médiocrité  et  modération  n'est  autre 
que  une  certaine  manière  ou  ordre  déterminé,  et 
ferme  dedens  le  procéder  par  lequel  la  chose  se  con- 
serue  en  son  estre. 

Etans  les  Modes  des  ansiens  une  composition  de 
plusieurs  choses  mises  ensemble  de  leur  variété  nais- 
coit  une  certeine  différense  de  Mode  par  laquelle  l'on 
pouuoit  comprendre  que  chascun  d'eux  retenoit  en 
soy  je  ne  scais  quoy  de  varié  principallement  quand 
touttes  les  choses  qui  entroint  au  composé  étoint 
mises  ensemble  proportionnément  d'où  procédoit 
une  puissanse  de  induire  l'âme  des  regardans  à 
diuerses  passions  de  là  vint  que  les  sages  antiens  atri- 
buèrent  à  chascun  sa  propriété  des  effets  qu'il  voyoint 
naistre  d'eus  pour  cette  cause  il  apellèrent  le  Mode 
dorique  stable  graue  et  séuère  et  luy  appliqoint 
matières  graues  séuères  et  plaine  de  sapiense. 

et  passant  de  là  aux  choses  plaisantes  et  joieuses 
il  usoint  le  mode  frygien  pour  auoir  ses  Modulations 
plus  menues  que  aucun  autre  mode  et  son  aspec  plus 
Aygu.  Ses  deus  manières  et  nulle  autres  furent  louées 
et  aprouuées  de  Platon  et  Aristote  estimant  les  autres 

I.  «  Il  formait  toujours  ses  pensées  sur  ce  qu'il  avait  lu  des       J>ç* 
tableaux  des   anciens  peintres   grecs  »  (Félibien,  Entretiens, 
t.  II,  p.  35i). 


'3^4  CORRESPONDANCE  U^47 

inutiles  ils  estimèrent  se  Mode  véhément  furieus  très- 
séuère  et  qui  rend  les  personnes  estonnés. 

J'espère  deuant  qu'il  soit  un  an  dépeindre  un  subiec 
auec  se  Mode  frigien.  Les  subiects  de  guerres  épou- 
uentables  s'acommode  à  cette  manière 

il  voulurent  encore  que  le  Mode  Lydien  s'acom- 
modast  aux  choses  lamentables  parce  qu'il  n'a  pas  la 
modestie  du  Dorien  ni  la  séuérité  du  Frigien. 

L'ypolidye  contient  en  soy  une  certaine  Suauité  et 
Douceur  qui  remplit  l'ame  des  regardans  de  joye.  il 
s'acommode  aux  matières  diuines  gloire  et  Paradis. 

Les  Ansiens  inuentèrent  le  Ionique  avec  lequel  ils 
représentoint  danses  baccanalles  et  festes  pour  estre 
de  nature  joconde. 

Les  bons  Poètes  ont  usé  d'une  grande  dilligense  et 
d'un  merueillieux  artifice  pour  accommoder  aux  vers 
les  paroles  et  disposer  les  pieds  selon  la  conuenanse 
du  parler.  Comme  Virgile  a  obserué  par  tout  son 
poème,  parceque  à  touttes  ses  trois  sortes  de  parler, 
il  acommode  le  propre  son  du  vers  auec  tel  artifice 
que  proprement  il  semble  qu'il  mette  deuant  lesyeus 
auec  le  son  des  paroles  les  choses  desquelles  il  traicte. 
de  sorte  que  où  il  parle  d'amour  l'on  voit  qu'il  a  arti- 
ficieusement  choisi  aucunes  parolles  douces  plai- 
santes et  grandement  gratieuses  à  ouir,  de  là  où  il  a 
chanté  un  fet  d'Arme  ou  descrit  une  bataille  nauale 
ou  une  fortune  de  mer  il  a  choisi  des  parolles  dures 
aspres  et  déplaisentes  de  manière  que  en  les  oyant  ou 
prononsant  ils  donnent  de  l'epouuentement.  de  sorte 
que  si  je  vous  auois  fet  un  tableau  ou  une  telle  manière 
fust  obseruée  vous  vous  imaginerés  que  je  ne  vous 
aimerois  pas. 


1647]  I>E    NICOLAS    POUSSIN.  SjS 

Si  se  n'estoit  que  se  seroit  plustost  composer  un 
liure  que  escrire  une  lettre  je  vous  auertirois  de  plu- 
sieurs importantes  choses  qui  faut  considérer  en  la 
Peinture  affin  que  vous  cogneussiés  emplement  com- 
bien je  m'estudie  à  vous  bien  seruir.  Car  bien  que 
vous  soyez  trèsintelligent  en  toutte  choses  je  crains 
que  la  pratique  de  tant  d'Insensés  et  Ignorants  qui 
vous  enuironnent  ne  vous  corrompent  le  jugement 
par  leur  contagion.  Je  demeure  à  l'acoustumée 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsfidelle 

Seruiteur 

Le  Poussin. 

157.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  188.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  Paris. 

[Cette  lettre  respond  à  ce  que  je  lui  auois  escrit  du 
Moise  de  M.  Pointel. 

Il  parle  de  son  portrait. 

Et  quil  va  songer  à  la  Vierge  que  je  luy  demande.] 
A  Rome  le  22™*  décembre  1647. 
Monsieur 

Vous  réitérés  par  la  vostre  du  8™«  nouembre  ce  que 
vous  m'auiés  escrit  par  une  précédente  à  laquelle  jei 
répondu  peut  estre  trop  au  long  et  innutillement  car 
je  vois  que  vous  demeurez  ferme  en  l'oppinion  que 
vous  auiés  que  j'aye  serui  M^  Pointel  auec  plus 
d'amour  et  de  dilligense  que  vous.  Si  je  n'eusse  creu 
que  vous  estiés  plus  intelligent  en  Peinture  que  luy 
je  n'eusse  pas  manqué  de  tascher  à  vous  satisfera 


376  CORRESPONDANCE  [1647 

auec  ce  que  les  Italiens  apellent  Leccatura%  mais  au 
contraire  tenant  pour  certain  que  vous  vous  attachiés 
à  l'artifice  et  aux  bonnes  obseruations  je  me  suis 
qand  et  quad  immaginé  de  vous  bien  satisfere  par  les 
ouurages  que  je  vous  ay  enuoyés  lesquelles  jei  touttes 
fettes  auec  le  plus  de  soin  et  amour  qu'il  m'a  esté 
possible.  Jei  le  dernier  par  les  mains  là  où  j'obserue- 
rei  dilligeamment  ce  que  vous  aimés  tant  es  choses 
que  possèdent  les  autres,  puis  que  je  ne  trouue  point 
d'autre  moyen  de  m'entretenir  en  bonne  oppinion  de 
vous  estre  le  plus  affectionné  seruiteur  de  tous  les 
hommes  comme  en  vérité  je  vous  suis. 

Je  vous  ei  escris  que  pour  vostre  respect  je  serui- 
rois  Mo""  de  Lysle  Je  lui  ei  trouué  la  pensée.  Je  veus 
dire  la  conception  de  l'idée  et  l'ouurage  de  l'esprit 
y  est  conclu^.  Ce  subiect  est  un  passage  de  la  mer 
rouge  par  les  Israélites  fugitifs.  Le  composé  est  de 
.27.  figures  principallem'^. 

Pour  ce  qui  est  de  mon  portraict  je  m'efforsereî  de 
vous  donner  satisfaction  et  de  la  vierge  que  vous 
désirez  que  je  vous  face,  dès  demain  je  me  veus 
mettre  la  ceruelle  sendessus  dessous  pour  trouuer 
quelque  nouueau  caprice  et  nouuelle  inuention  pour 
exécuter  à  son  temps,  et  le  tout  pour  vous  empescher 
sette  cruelle  jalousie  qui  vous  fet  paroistre  une  Mouche 
grosse  comme  un  Eléphant. 

Les  pluies  les  inondations  l'extraordinaire  humi- 

1.  Le  caractère  de  ce  qui  est  léché. 

2.  Voir  Pau]  Desjardins,  La  méthode  des  classiques  fran- 
çais, p.  191. 

3.  Cela  contredit  ces  indications  du  catalogue  de  Smith  : 
«  N°  26  :  Le  Passage  de  la  mer  Rouge,  peint  pour  le  marquis 
de  Voghera,  à  Turin,  parent  de  del  Pozzo. 


1648]  DE  NICOLAS  POUSSIN.  Byy 

dite  qui  nous  enuironne  m'a  tellement  enrumé  que 
je  ne  scaurois  escrire  dauentage^ 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsafectionné 

Seruiteur 
Le  Poussin 
il  faudra^  premièrement  lauer  d'eaue  claire  auec 
une  esponge  l'essuyer  auec  un  linge  blanc  sans  pouel 
le  laisser  sécher  et  le  vernir  d'un  vernix  légier.  pou 
fere  reuenir  la  fraîcheur  au  tableau  de  la  Scesne  que 
vous  aués  repseu  le  dernier. 

158.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  190.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Maistre  D'Ostel  ordinaire  du  Roy^  à  Paris. 

[M.  Poussin  7  2  Januier  1648. 
Il  est  bien  aise  que  j'aye  esté  content  du  tableau  de 
la  Sene. 
Parle  du  Tifon  de  M.  Scarron^  ne  luy plaist  point , 

1.  Poussin  demeurait  à  l'abri  des  inondations,  mais  il  y  avait 
disette  de  pain  à  Rome,  que  les  Espagnols  affamaient  pour 
subvenir  aux  besoins  de  leurs  troupes  occupées  à  soumettre 
Naples.  —  Board  nous  relate  le  chagrin  d'Innocent  X  devant 
ce  double  fléau,  de  l'inondation  et  de  la  famine  :  «  Samedi  à 
son  réveil  il  pleura  longtemps  de  ce  qu'il  avait  eu  cette  dis- 
grâce dans  son  Pontificat  et  sur  la  fin  de  ses  jours  d'entendre 
le  Peuple  crier  par  les  rues  qu'il  mourait  de  faim,  et  que  le 
Tybre  se  soit  enflé  et  débordé  si  avant  dans  la  ville  ces  jours 
ci,  et  y  a  causé  tant  de  désordres  »  {Corr.,  9  décembre  1647). 

2.  Tout  ce  paragraphe,  verticalement,  en  marge. 


^ 


378  CORRESPONDANCE  [1648 

voudrait  bien  ne  point  veoir  son  virgile  et  ne  point 
trauailler  pour  lujr.l 

De  Rome  le  \2^^  Ganuier  .1648. 
Monsieur 

J'aurois  peut  estre  encore  différé  dauantage  à  vous 
escrire  si  auiourdhui  je  n'auois  repseu  de  vos  lettres. 
Le  retardement  a  procédé  d'une  Indisposition  qui 
m'est  venue  il  y  a  quelque  temps  et  de  laquelle  je  me 
trouue  trauaillé.  Jei  une  douleur  à  la  teste  qui  du 
front  me  respond  à  la  nuque.  Je  ne  peus  tousser  ni 
faire  autre  effort  sans  souffrir  grande  douleur.  Si  le 
mal  me  dure  vostre  dernier  tableau  demeurera  en 
Testât  qu'il  est.  mais  ausi  tost  que  je  me  porterei  bien 
je  continuerei  à  y  trauailler. 

La  Satisfaction  que  vous  me  témoignés  d'auoir  du 
tableau  de  la  Scesne  que  je  vous  ay  enuoyé  le  der- 
nier me  console  grandement  car  le  plus  grand  plaisir 
que  j'aye  au  monde  est  de  pouuoir  vous  faire  quelque 
chose  qui  vous  plaise,  et  ni  a  rien  qui  me  peust  fâcher 
que  quand  vous  croiriés  autrement. 

J'auois  désià  escrit  à  Monsieur  Scarron  en  res- 
ponse  de  celle  que  je  repsus  auec  son  Tiphon  bour- 
lesque  mais  celle  que  jei  repsue  auec  la  vostre  me 
met  en  nouuelle  peine.  Je  voudrois  bien  que  l'enuie 
qu'il  luy  est  venue  luy  fust  passée  et  que  ma  peinture 
ne  luy  plust  non  plus  que  me  plest  son  bourlesque. 
Je  suis  marri  de  la  peine  qu'il  a  prins  de  me  l'enuoyer 
mais  se  qui  me  fasche  dauantage  il  me  menasse  d'un 
sien  Virgille  trauesti\  et  d'une  épitre  qu'il  m'a  desti- 
née dans  le  premier  liure  qu'il  imprimera,  il  prétend 

I.  Le  Virgile  travesti  parut  en  effet  de  1648  à  i652;  il  faut 
reconnaître  que  Scarron  s'en  lassa  plus  vite  que  le  public  et 
le  laissa  inachevé. 


1648]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  3jl^ 

me  faire  rire  comme  les  estropiés  comme  luy;  mais 
au  contraire  J'en  debuerois  pleurer,  voyant  que  un 
nouueau  Hérostrate  se  trouue  en  nostre  pais.  Je  vous 
dis  cesi  en  confiense  ne  désirant  pas  qu'il  le  sache.  Je 
luy  escrirei  tout  autrement  que  je  ne  fets  à  vous. 
J'esseierei  à  le  contenter  au  moins  de  parolles.  ma 
teste  ne  me  permet  pas  d'escrire  dauantage.  Je  de- 
meure à  tousiours 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur 

Le  Poussin 
Désormais  je  vous  ferei 

tenir  mes  lettres  par 

Monsieur  Giericot. 

159.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^^^-  '9'0 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Conseillier  et  Maistre  d'Hostel  ordinaire  du  Roy, 

Rue  S^  Toma  du  louure,  A  Paris  K 

[28^  mars  1648. 

Il  m'enuoye  le  Mariage  dernier  des  7  Sacrements'^, 
mande  quil  m'enuerra  son  portrait  auec  la  Vierge 
en  grand. 

Quil  va  trauailler  au  tableau  de  mon  frère.] 
de  Rome  le  23°»*  Mars  .1648. 
Monsieur 
Il   y   a   huit  jours   que   j'auois  délibéré  de  vous 

1.  Dans  le  coin  inférieur  gauche  de  l'adresse,  en  petits  carac- 
tères :  port  dix  sol:(. 

2.  Achetés  par  le  Régent  120,000  francs,  les  Sept  Sacrements 


380  CORRESPONDANCE  [1648 

enuoyer  le  tableau  du  mariage  ainsi  que  je  vous 
auois  promis  par  ma  précédente,  mais  n'ayant  pas 
trouué  que  le  courrier  qui  se  partit  fust  homme 
fiable  jei  remis  la  partie  à  ce  présent  ordinaire  auquel 
je  l'ei  consigné  enquaissé  à  l'ordinaire  auec  son  canon 
et  bien  condisionné.  Le  courrier  se  nomme  Berte- 
lemi  Sibour.  Le  port  est  payé  jusques  à  Lion.  La 
caisse  est  adressée  à  Monsieur  de  Label  lequel  je  prie 
de  vous  la  faire  tenir  assurément  Si  elle  ariue  à  bon 
port  comme  les  autres  que  vous  aurés  repsues  je 
pourrei  dire  auoir  mis  fin  à  vos  set  pièses  des  Sacre- 
ments. Il  sera  nécessaire  de  lauer  et  reuernir  le  dit 
ouurage  car  je  n'y  ei  mis  rien  que  un  peu  de  glere 
d'œuf  de  crainte  quil  ne  s'atachas  au  papier  qui  est 
au  dedens.  Je  vous  supplie  de  le  resepuoir  de  bon 
œil  comme  vous  aués  fet  les  autres.  J'y  ey  fet  mon 
possible  et  l'ey  enrichi  de  figures.  Comme  vous  voyés 
jei  esté  l'espase  de  plus  de  4  mois  à  le  faire  n'ayant 
eu  rien  en  recommandation  que  chercher  les  moyens 
de  vous  satisfaire,  que  si  j'aurei  réusi  selon  ma  fin  je 
serei  le  plus  content  homme  du  monde.  Je  crois  que 
vous  me  ferés  la  faueurdem'en  escrire  vos  sentiment 
auec  liberté  et  sans  feindre  comme  vous  aués  acous- 
tumé  de  faire. 

Pour  se  qui  regarde  mon  portrait  je  tascherei  à 
vous  l'enuoyer  auec  la  Vierge  en  grand  que  vous 
désirés  que  je  vous  face  quand  j'aurei  un  peu  de 
temps. 

Je  vous  enuoye  inclus  en  cette  lettre  le  conte  de  la 

de  Chantelou  furent  acquis  par  le  duc  de  Bridgewater  pour 

jf.  la  somme  énorme  de  1,225,000  francs.  Ils  sont  restés  depuis, 

'•»  dans  la  même  collection,  en  Angleterre.  Les  Sept  Sacrements 

de  del  Pozzo  sont  aussi  en  Angleterre,  chez  le  duc  de  Rutland. 


1648]  DE   NICOLAS    POUSSIN.  38l 

dépense  que  jei  fette  pour  vous  depuis  le  mois  d'Aust 
de  l'année  passée  jusques  à  présent  par  lequel  vous 
verres  ce  qui  vous  auanse. 

Je  n'ei  pas  esté  encores  payé  du  Sieur  Giericot 
quand  je  l'aurei  esté  je  vous  en  escrirei  affin  que  à 
l'ordinaire  il  vous  plaise  le  rembourser. 

Je   m'en  vas  mettre  la  main  au  petit  tableau  du 
babtesme  de  ^  S^  Jan  pour  monsieur  de  Chantelou 
vostre  frère  que  je  prie  de  croire  qu'il  me  souuien 
bien  de  ce  que  je  promés  à  mes  bons  patrons. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

160.  —  6^  COMPTE  A  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  192.) 

Dépense  fette  depuis  le  mois  d'Aust  dernier  passé. 
Sur  .33.  escus  qui  vous  auançois  du  dernier  Conte.  — 

pour  l'embalage  de  la  Copie  escus                juies 

de  S*  Pierre  Montorio    .     .     .  i                    4 

pour  la  quaisse i                    2 

pour  le  canon  du  tableau  de  la 

pénitense 7 

pour  la  quaisse 4 

pour  le  papier  et  port     ...  i 

pour  le  port  de  Rome  à  Lion.  8                     5 
pour  la  quaisse  du  tableau  de 

la  Scesne 4 

pour  le  canon 7 

pour  la  porter  et  pour  le  papier.  i 
pour  le  Courier  ou  le  port  à 


382  CORRESPONDANCE  [1648 

Lion 8 

pour    le    dernier    tableau    ou 

quaisse 4 

pour  le  canon  ......  7 

pour  le  papier  et  Cœt.    .     ,     .  i 

pour  le  port  à  Lion  ....       7 

29  7 

à  leuer  sur 
33 


29  7 


reste  04         moins  7  Jules 

161.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^*  '9^^-) 

A  Monsieur  de  Chantelou. 

[M.  Poussin  24^  may  1 648. 

Quil  est  rauy  quejay  receu  le  dernier  tableau.] 
De  Rome  le  24'ne  May  1648. 
Monsieur 

Je  ne  reçois  jamais  de  vos  lettres  que  je  ne  rep- 
çoiue  quant  et  quant  une  très  grande  joye  et  un 
extrême  contentement  mais  cette  dernière  m'a  raui 
pour  plusieurs  occasions.  La  première  m'a  osté  d'une 
grande  Inquiétude  où  j'estois  de  n'auoir  eu  aucune 
nouuelle  du  dernier  tableau  que  je  vous  enuoyas  de- 
puis que  je  le  conseignas  au  Courrier.  Je  scais  que 
maintenant  vous  l'aués  repseu  bien  conditionné.  La 
seconde  c'est  que  vous  me  tesmoignés  estre  satisfet 

I.  Cette  lettre,  dont  l'original  forme  le  fol.  193  du  ms.  12347, 
se  trouve  recopiée  sur  le  verso  du  fol.  191,  d'une  écfitUfc  à 
l'encre  noire,  qui  paraît  très  postérieure  à  Chantelou. 


1648]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  383 

et  que  vous  agréés  les  fatigues  que  jei  fettes  pour 

vous  seruir.   C'est  tout  ce  que  je  peux  désirer.  Je 

remplirois  bien  cette  fueille  de  papier  de  paroUes 

inutiles   et  vainnes  qui   en  fin  ne  concluroint  rien 

sinon  que  je  vous  suis  et  serei  tousiour  trèshumble 

seruiteur  que  je  vous  suis  extrêmement  obbligé  que 

je  vis  et  mourei  tel.  Sependans  je  vous  fés  trèshumble 

réuérense. 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 

Le  Poussin. 

162.  — ■  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  194.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Cons\  et  Maistredostel  ordinaire  du  Roy,  à  Paris. 

[22  juin  1648. 

Cette  lettre  respond  à  celle  que  je  luy  auois  escritte 
sur  la  mort  de  M.  de  Voiture  ^  mon  cher  amy  et  est 
de  grande  moralité. 

Dit  quil  voudrait  que  les  7  tableaux  des  Sacre- 
ments fussent  conuertis  en  7  autres  des  tours  plus 
signalés  que  la  Fortune  a  faits  aux  hommes.] 

A  Rome  le  22™«  juin  .1648. 

Ma  joye  c'est  redoublée  en  la  lecture  de  cette  vostre 
seconde  lettre  par  laquelle  vous  m'assures  que  vous 
prenés  quelque  plaisir  à  considérer  l'ouurage  que  je 
vous  ay  fet.  L'amitié  qui  vous  a  pieu  me  témoigner 

I.  Le  convoi  de  Voiture,  pour  «  ses  entrailles  »,  avait  eu 
lieu  à  Saint-Eustache  de  Paris,  le  mardi  26  mai  1648  [Dict. 
de  Jal). 


X 


384  CORRESPONDANCE  [1648 

VOUS  en  rendra  juge  fauorable  Je  me  flatte  de  cette 
oppinion  m'esloignans  de  tout  autre  croyanse.  —  Je 
souhetterois  sil  estoit  possible  que  ses  set  Sacrements 
feussent  conuertis  en  set  autres  histoires  où  fussent 
représentées  viuement  les  plus  estranges  tours  que  la 
fortune  aye  jamais  joué  aux  hommes,  et  particuliè- 
rement à  ceux  qui  se  sont  moqués  de  ses  effors.  Ces 
exemples  ne  seroint  pas  à  l'auenture  de  petit  fruit 
rapellant  l'homme  par  leur  veue  à  la  considération  de 
la  vertu  et  de  la  sagesse  qui  faut  aquérir  pour  demeurer 
ferme  et  immobile  aux  efforts  de  cette  folle  aueugle. 
Mais  il  ni  a  que  l'extrême  sagesse  et  l'extrême  stupidité 
qui  se  puissent  exempter  de  ses  tempestes  l'une  estant 
au  delà  l'autre  au  desà.  et  ceux  qui  sont  de  la  moyenne 
trempe  sont  subiects  à  sentir  ses  rigeurs.  Je  sereis 
asseuré  qu'ils  vous  toucheroint  plus  viuement  si  vous 
n'étiés  désormais  hors  d'aprentissage  et  que  vous  ne 
pussiés  voir  sans  beaucoup  d'estonnement  la  perte  de 
vos  amis.  Ceux  qui  ne  font  que  méditer  lors  quils 
sont  assaillis  de  quelque  disgrâce  et  quil  en  sont  tou- 
chés au  vif  il  trouuent  bien  que  l'expériense  est  autre 
que  l'imagination.  Mais  vous  M°r/  qui  aués  supporté 
constamment  la  perte  de  la  plus  chère  chose  que  vous 
eusiés,  vostre  fermeté  peut  elle  estre  renuersée  de  se 
coup  assés  moindre  que  le  premier?  il  faut  soutenir 
se  choc  et  tout  autre  quel  quil  soit  et  faire  riaillir  au 
dehors  tout  les  efforts  du  malheur,  et  quoy  que  je 
voie  en  cette  vostre  lettre  je  ne  scay  quoi  de  mol,  vous 
vous  scaurés  bien  tost  remettre  en  vostre  ferme  et 
constante  asiette. 

L'inuention  de  couurir  vos  tableaus  est  exellente, 
et  les  fere  voir  à  un  à  un  fera  que  l'on  s'en  lassera 
V        moins,  car  les  voyans  tous  ensemble  rempliroit  le 
sens  trop  à  un  coup. 


1648]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  385 

Monsieur  de  Lysle  la  Sourdière  aura  je  m'assure 
esté  échaudé  en  l'achat  qu'il  aura  fet  trop  précipite- 
ment  de  quelcun  de  ses  tableaus.  J'en  ay  odoré 
quelque  chose.  Il  tombe  à  la  Françoise  d'une  extré- 
mité en  une  autre  s'an  sarester  au  milieu  d'autans 
que  je  le  sens  extrêmement  froid,  et  l'enuie  que  j'auois 
de  le  seruir  deuien  encore  de  glace  sil  ne  la  réchauffe 
bien  tost  par  quelque  bonne  résolution. 

Jei  ébauché  le  petit  tableau  de  Mo^.  vostre  fraire  et 
esayerei  de  le  finir  cet  esté  il  est  sur  une  petite  table 
de  ciprès  :  escriués  moy  sil  vous  plaist  à  qui  vous 
voulés  que  je  le  consigne  et  que  je  l'adresse  quand  il 
sera  fini.  Je  suis  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur 

Le  Poussin. 

163.  —  Poussin  a  Ghantelou. 

(Ms.  12347,  f°''  '9^0 

[M.  Poussin  2«  aoust  1648. 
Il  parle  des  affaires  du  temps  du  gouuernement. 
Il  dit  quil  aurait  desja  fet  faire  son  portrait^  que 
Mignard  est  celuy  qui  les  fait  le  mieux ^  mais  etc. 
Il  promet  f^  de  son  mieux  po'^  la  Vierge. 
Il  menuoye  quelques  scisses  pour  orner  le  Ptolo- 
mée  et  le  Drusus^  qu'il  faudra  les  modeller  et  en  veoir 
toutes  les  vues.] 

A  Rome  le  2^"  Aust  .1648. 
Monsieur 
Celle  si  deueroit  seruir  de  response  à  deux  des 
vostres  mais  ayant  je  ne  scais  comment  esgaré  la  pre- 
1911  25 


K 


386  CORRESPONDANCE  [1648 

mière  et  ne  me  resouuenant  pas  bien  de  se  quelle 
contenoit  elle  respond  à  la  dernière  seullem^.  A  la 
vérité  les  affaires  de  delà  ne  me  sont  pas  si  indiffé- 
rentes que  je  ne  désire  comme  bon  françois  quelle  ne 
soint  mieux  conduites  quelles  n'ont  esté  depuis 
quelques  anées  en  sa^  et  si  se  grand  désordre  (comme 
il  ariue  souuent)  pouuoit  estre  cause  de  quelque 
bonne  réforme,  pour  mon  particulier  j'en  serois 
extrêmement  joyeus.  Je  m'imagine  que  tout  homme 
de  bien  sera  du  mesme  sentiment.  Mais  je  crains  la 
malignité  du  Ciècle  vertu  consiense  Religion  sont 
banies  d'entre  les  hommes  il  n'i  a  que  le  vice  la  four- 
berie et  l'intérest  qui  régnent,  tout  est  perdu  je  déses- 
père le  bien  tout  est  rempli  de  malheur.  Les  remèdes 
que  l'on  aplique  n'ont  point  assés  de  puissanse  pour 
oster  le  mal  Si  nous  n'ostons  la  Cause  nous  perdons 
nostre  temps  que  sert  il  de  taillier  le  doit  si  le  bras 
est  pourri.  La  chutte  de  se  vilain ^  que  vous  scaués 
ne  me  résiouit  point  car  j'atens  auec  Impatiense  ce 
qui  deburoit  suiure. 

auec  le  temps  je  pourroi  seruir  Monsieur  Scarron 
mais  pour  rnaintenant  je  suis  trop  engagé. 

J'atens  la  dernière  résolution  de  Monsieur  de  Lysle 
laquelle  m'inporte  fort  peu  de  quelque  costé  qu'elle 
penche. 

J'auroisdésia  fet  faire  mon  portrait  pour  vous  l'en- 
uoyer  ainsy  comme  vous  désirés.  Mais  il  me  fasche 

1.  C'était  la  Fronde  qui  commençait.  La  Chambre  de  Saint- 
Louis  (3o  juin  1648)  puis  tout  le  Parlement  réclamaient  la 
suppression  des  intendants.  Mazarin  temporisait;  il  avait 
sacrifié  d'Émery,  et  la  reine  consentit  à  supprimer  les  inten- 
dances dans  le  ressort  du  Parlement  de  Paris,  11  et  18  juillet. 

2.  Quel  est  ce  «  vilain  ».'"  Peut-être  Retz?  (éd.  de  Quatre- 
mère,  p.  375). 


1648]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  '         887 

de  despenser  une  dixaine  de  pistoles  pour  une  teste 
de  la  façon  du  Sieur  Mignard  qui  est  celuy  que  je 
cognois  qui  les  fet  le  mieux,  quoy  que  frois  piles  far- 
dés et  sans  aucune  facillité  ni  vigeur. 

Pour  ce  qui  est  de  la  Madonne  je  donneroi  com- 
mensement  cet  hiuer  dieu  aydans,  et  ny  metterei 
point  la  main  que  premièrement  je  ni  aye  bien  pensé 
car  jy  veus  employer  tout  mon  talent  — 

il  m'est  souueneu  que  vous  me  demandiés  par  la 
première  lettre  quelque  sqytze  d'abis  à  l'antique  pour 
l'ornement  de  vos  deux  testes  de  Marbres  s'est  assa- 
uoir  le  Druse  et  Phtollomée  Je  vous  en  enuoye  quatre 
trois  Loriques  pour  le  ptollomée.  et  l'autre  auec  la 
trabée*  pour  le  drusus  Je  vous  enuoye  ces  quatre 
sqytzes  seullement  pour  vous  témoigner  comme  je 
veux  estre  prompt  à  vous  obéir  ^  quoy  que  je  ne  croye 
pas  qu'ils  puisent  seruir  car  il  faudroit  les  modeller 
et  les  voir  de  relief  pour  mieux  en  congnoistre  la 
suitte  et  la  vraye  forme  par  touttes  les  vues,  il  ne 
seroit  pas  mal  à  propos  de  chercher  par  les  galeries 
de  paris  quelque  chose  qui  peust  seruir  vous  m'en 
escrirés  et  sil  sera  nécessaire  je  vous  enuoyerei  deux 
petis  modelles  fet  d'après  les  meillieurs  bust  qui  soint 
en  cette  ville. 

J'atens  la  response  de  se  que  je  vous  ay  escrit  tou- 
chant le  petit  tableau  de  M^  de  Chantelou  vostre 
fraire. 

Vostre  coppie  de  S^  pierre  in  Montorio  est  aten- 
dans  le  retour  des  veseaux  de  S^  Maslo  lesquels  ariués 

1.  La  lorique  était  la  cuirasse  et  la  trabée,  la  toge  d'apparat 
(voir  Daremberg  et  Saglio,  Dict.  des  antiquités  grecques  et 
romaines,  art.  lorique  et  trabée). 

2.  En  marge  :  obéir. 


388  CORRESPONDANCE  [1648 

je  ne  manquerei  pas  de  vous  l'enuoyer  comme  vous 
scaués  que  j'aurois  fet  il  y  a  longtemp  si  se  n'eust 
esté  ce  retardement  pour  cause  *  de  Monsieur  Renart. 
Nostre  Armée  Naualle  passa  Hier  à  Fiumicino^ 
pour  aler  à  Naples  dieu  veille  que  tout  réussise  à 
nostre  auantage  se  sera  un  Miracle. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

164.  —  Poussin  a  Chantelou  l'aîné. 
(Ms.  12347,  fol.  197.) 

A  Monsieur  De  Chantelou  l'aisné,  Au  Mans. 

De  Rome  le  iS'o^  Septembre  .1648. 
Monsieur 
Jei  enuoyé  à  Monsieur  de  Chantelou  vostre  fraire 
le  petit  tableau  du  baptesme^  S^  Jean  que  vous  aués 
désiré  que  je  vous  fisse  quand  vous  m'eûtes  enuoyé 
la  mesure  et  que  j'eus  considéré  le  petit  espase  que 
j'auois  pour  représenter  un  si  grand  subiec  et  en 
mesme  temps  consulté  auec  la  débilité  de  mes  yeux 

1.  La  flotte  française  avait  déjà  fait  des  tentatives  de  ce 
genre,  en  1647.  Celle-ci,  en  1648,  fut  trop  tardive  :  depuis  le 
i3  juillet,  la  flotte  était  inactive  à  Porto-Longone  et  Gueffier 
s'en  plaignait.  La  crainte  des  chaleurs  de  Naples  arrêta  la 
démonstration,  qui  échoua.  —  «  Fiumicino,  qui  est  l'embou- 
chure du  Tibre  dans  la  mer  »  (Gueffier,  Corr.,  fol.  178). 

2.  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  tableau  avec  le  n°  432  du 
Louvre  :  Saint  Jean  baptisant  sur  les  bords  du  Jourdain,  peint 
avant  1640  pour  Cass.  del  Pozzo. 


1648]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  889 

et  le  peu  de  fermeté  de  ma  main',  qui  en  mesme 

temps  se  déclarèrent  ne  pouuoir  faire  ce  que  je  dési- 

rois  et  ne  pouuoir  que  de  bien  loint  suiure  mon  peu 

d'intelligense.  Je  me  fusse  excusé  enuervous  et  eusse 

laissé  di  mettre  la  main  mais  doubtans  que  vous  ne 

l'explicassiés  au  rebours  je  me  résolus  d'y  faire  mon 

possible  ce  que  jei  fet  en  vérité.  Vous  l'accepterés 

donc  sil  vous  plaist  d'ausi  bon  coeur  comme  sil  estoit 

mieus.  Jei  proportionné  le  prix  à  l'ouurage  que  je 

peus  encore  amoindrir  si  vous  le  commandés  Sepen- 

dans  je  vous  baise  les  mains  en  toute  humilité  et  suis 

à  jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

165.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fo^'  '99') 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Cons\  et  Maistre  d'ostel  ordinaire  du  Roy,  à  Paris. 

[M.  Poussin  22»  nouembre  1648. 

Il  mande  qu'il  enuoye  le  petit  tableau  de  mon  frère. 

Il  me  promet  une  vierge.] 

De  Rome  le  22'ne  nouembre  .1648. 
Monsieur 

il  y  a  longtemps  que  je  debuois  respondre  à  vos 

I.  En  effet,  l'écriture  de  Poussin  s'alourdit.  —  «...  les  infir- 
mités du  corps,  qui  souvent  le  travaillaient.  Il  avait  un  batte- 
ment et  tremblement  du  pouls  qui  l'empêchait  de  dessiner,  et 
c'est  pourquoi  quelques-uns  de  ses  dessins  ne  sont  pas  d'un 
trait  bien  sûr  et  paraissent  faits  d'une  main  tremblante.  Avec 
l'âge  la  main  devint  si  débile  que  cela  lui  était  un  empêche- 
ment à  travailler  »  (Bellori,  Le  Vite  de'  pittori,  etc.,  trad, 
Rémond,  p.  35). 


SgO  CORRESPONDANCE  [1648 

deux  dernières  l'une  est  du  vintsisiesme  Aut  à  laquelle 
j'aurois  respondeu  quand  je  vous  escriuis  que  je  vous 
adresserei  le  petit  tableau  de  Monsieur  vostre  fraire 
si  je  l'euse  resue  à  temps,  par  celle  là  vous  me  fites 
l'honneur  de  m'escrire  ce  qui  se  passoit  à  Paris  néan- 
moins que  désià  nous  le  sussions  car  nos  anemis  qui 
ne  dorment  jamais  en  fesoint  par  tout  les  feus  de 
goye^  Depuis  ce  temps  là  jei  esté  fort  incommodé 
d'un  dangereus  rume  que  me  causa  une  subite  muta- 
tion de  temp  du  chaud  au  froid  de  manière  que  les 
montagnes  voisines  se  virent  blanches  de  nege  au 
quiziesme  d'octobre  et  les  pluyes  et  vents  ont  duré 
jusques  à  maintenant  Sependans  mon  mal  c'est  passé 
seullement  il  me  reste  un  peu  de  mal  au  front  après 
le  repas  qui  ne  m'empesche  pas  de  m'apliquer  quelque 
peu.  Cela  m'a  empesché  que  je  n'aye  escrit  à  per- 
sonne. Vous  me  fette  scauoir  par  vostre  dernière  du 
lyme  octobrc  que  vous  aués  repseu  celle  que  je  vous 
auois  enuoyée  pour  vous  aduertir  que  Monsieur  Poin- 
tel  vous  deuoit  rendre  la  petite  quaisse  où  estoit  le 
babtesme  de  S^  Jean  que  jei  fet  pour  Monsieur  de 
Chantelou.  et  que  vous  auiés  satisfet  le  sieur  Giericot 
pour  le  remboursement  du  payement  que  j'auois  rep- 
seu de  luy  pour  le  dit  tableau.  Le  reste  de  la  lettre 
est  comme  conforme  à  la  teneur  de  la  précédente. 
Là  où  vous  me  ramenteués  mon  portrait,  et  que  je 
pense  à  la  Vierge  que  je  vous  ay  promis  de  faire.  Vous 
pouués  bien  vous  assurer  que  tant  que  je  viuray  je 

I.  On  ne  se  rappellera  jamais  trop  combien  à  cette  époque, 
Rome,  l'Italie,  toute  l'Europe  sont  divisées  par  le  grand  duel 
franco-espagnol.  Louis  XIII  et  les  politiques  de  sa  génération 
détestaient  réellement  tout  ce  qui  était  espagnol  (voir  le  Journal 
d'Héroard).  «  Vous  ne  sauriez  croire  les  belles  espérances  que 
ces  gens-ci  conçoivent  d'un  renversement  général  de  la 
France...  »  (Board,  Corr,,  7  septembre  1648). 


1648]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  Sçi 

ferei  mon  possible  pour  vous  seruir  et  obéir,  plust  à 
dieu  que  le  pouuoir  fust  proportionné  à  la  bonne 
volonté. 

Mais  pource  qui  est  de  vos  bust  je  ne  scaurois  vous 
rien  enuoyer  qui  vous  puisse  bien  seruir  vous  pouués 
faire  modeller  quelcun  de  ceus  qui  sont  aux  galleries 
de  delà  car  il  y  en  a  d'ausi  bons  comme  icy. 

Je  ne  manquerei  pas  à  vous  enuoyer  si  je  peus 
vostre  transfiguration  par  la  voye  que  vous  aués  désiré. 

Je  vous  suis  redeuable  de  trois  escus  et  trois  jules 
du  vieux  conte,  qui  seront  employés  à  vostre  seruice 
ou  descontés  sur  ce  que  je  vous  ferei  à  l'aduenir. 

Quand  j'aurei  trouué  la  pensée  de  la  Vierge  je  vous 
en  enuoyerei  un  squize  auant  de  mettre  la  main  à 
l'oeuure. 

Je  suis  atendans  ce  que  vous  aura  semblé  du  petit 
babtesme.  par  un  mot  de  lettre  dont  j'espère  que  vous 
m'onnorerés. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur 

Poussin* 

Je  baise  les  mains  à  Monsieur  de  Chantelou  vostre 
frère  de  qui  j'atens  les  mesmes  faneurs  que  de  vous. 

166.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^o^-  20^-) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Maistre  dostel  ordinaire  du  Roy^  à  Paris. 

[M.  Poussin  ig^  décembre  1648. 

I.  Faute  de  place,  Poussin  a  signé  dans  le  coin,  et  il  a  écrit 
la  phrase  suivante  dans  la  marge,  verticalement. 


393  CORRESPONDANCE  [1648 

//  parle  du  tableau  quil  a  enuoyé  à  mon  frère ^  dit 
quil  espère  quil  y  aura  plus  lieu  de  le  louer  de  la 
vierge  que  je  luy  demande. 
Aduertit  de  lenuoy  de  la  transfiguration.] 

De  Rome  le  19.  décembre.  1648. 
Monsieur 
Je  n'oserois  doutter  de  vos  Jugemens  et  ne  me  peus 
assés  assurer  sur  les  louenges  que  vous  me  donnés. 
L'honneur  que  vous  me  fettes  de  m'aymer  peut  faire 
comme  les  lunettes  qui  font  voir  les  choses  plus 
grandes  quelle  ne  sont.  Vos  aplaudissements  sont 
trop  grands  pour  le  peu  de  mérite  que  peut  auoir  un 
ouurage  lequel  je  n'eusse  osé  offrir  aux  yeux  de  Mon- 
sieur vostre  fraire  ni  aus  vostres  si  se  n'eust  esté  l'as- 
suranse  que  jay  il  y  a  longtemps  de  votre  bienueil- 
lanse  sur  laquelle  je  me  suis  fondé  m'assurant  bien 
que  considérant  ma  bonne  volonté  vous  en  excuseriés 
l'imperfection. 

Si  la  vie  et  la  santé  me  durent  j'espère  de  vous  don- 
ner occasion  plus  légitime  de  faire  des  Ancomes'  sur 
la  Vierge  que  vous  désirés  que  je  vous  fase.  et  mon 
portraict  la  pourra  acompagner. 

Jei  conseigné  à  Mo"^  Oton  marchand  frâcois  la  copie 
de  la  transfiguration  pour  vous  l'enuoyer  par  le  des- 
troit.  Je  diray  le  reste  unautrefois. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

I.  Grec  :  encômia,  louanges. 


1649]  de  nicolas  poussin.  3g3 

167.  —  Poussin   a   Chantelou  l'aîné. 

(Ms.  12347,  fol.  2o3.) 

A  Monsieur  de  Chantelou\  Au  Mans. 

De  Rome  le  19  décembre.  1648. 
Monsieur 

L'estime  que  je  vois  que  vous  aués  fette  du  petit 
ouurage  que  je  vous  ay  enuoyé,  ne  procède  point  de 
sa  valeur  ni  de  sa  beauté  mais  seullement  la  courtoi- 
sie qui  vous  est  naturelle  et  inséparable  vous  porte  à 
ce  faire.  Celle  dont  vous  m'aués  régalé  escrite  sous 
le  22.  octobre  est  une  coppie  du  petit  tableau  dépeinte 
assés  mieus  que  l'original.  Vous  aués  bien  remarqué 
ce  qu'il  y  a  et  ce  qui  y  manque.  Mais  vous  scaués 
bien  ausy  ce  que  je  vous  en  ay  escrit.  Je  ne  vous  l'ay 
dédié  qu'à  la  Mode  de  Michel  de  Montagne  non  pour 
bon,  mais  tel  que  je  l'ay  peu  fere^.  Sil  est  tout  vray 
qu'il  vous  aye  semblé  comme  vous  me  l'escriués  je 
peus  dire  trèsaseurément  que  sa  bonne  fortune  aura 
suppléé  à  son  peu  de  mérite.  Je  vous  en  demeure 

toutte  ma  vie 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobligé 

Seruiteur 

Le  Poussin. 

168.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^o^'  2o5.) 

A  Monsieur  De  Chantelou,  Paris. 

[M.  Le  Poussin  ly^januier  164g. 

1.  Chantelou  l'aîné  (Jean  Fréart  de). 

2.  Montaigne,  Essais,  II,  10,  Des  livres. 


394  CORRESPONDANCE  [1649 

//  mande  quil  seruira  M.  Scarron  pour  lamour  de 
moy, 

quil  commencera  la  Vierge  que  je  luy  demande  et 

quil  menuerra  son  portrait.] 

De  Rome  le  ij^^  Geanuier.  1649. 
Monsieur 

il  seroit  nécessaire  de  répliquer  plusieurs  choses 
dittes  par  le  passé  si  j'auois  à  respondre  maintenant 
à  tous  les  point  devostre  dernière  du  i9™«  décembre. 
Je  vous  direi  seullement  que  j'espère  bientost  vous 
enuoyer  mon  portrait  que  vous  désirés.  Jei  ausi 
trouué  une  compositiD  du  tableau  de  la  Vierge  que 
plusieurs  fois  vous  m'aués  monstre  de  souhetter.  Je 
le  commenserei  quand  vous  me  l'ordonnerés,  et  non 
point  plus  tost. 

monsieur  Scarron  m'a  escrit  un  mot  pour  me 
faire  souuenir  de  la  promesse  que  je  luy  ay  fette. 
auquel  jei  respondu  et  promis  de  rechef  de  m'eflfor- 
cer  de  le  satisfaire  à  vostre  solicitation  plus  qu'à  la 
sienne  car  il  ni  a  rien  en  quoy  je  ne  m'engageasse 
pour  vostre  respect 

Je  vous  ay  désià  auerti  que  j'auois  enuoyé  par  les 
marchands  de  S'.  Maslo  vostre  coppie  de  la  transfi- 
guration de  S*  pierre  du  Mont. 

Nous  auons  icy  de  bien  estranges  nouuelles  d'An- 
gleterre', il  y  a  quelque  nouueautés  ausy  à  Naples^. 
La  Pologne  est  sendessusdesous'.  dieu  veille  par  sa 

1.  Comme  l'écrit  M'  de  Motteville  :  «  L'étoile  était  terrible 
contre  les  rois.  »  Mis  en  accusation  le  i"  janvier,  Charles  I" 
allait  être  exécuté  le  3o  janvier  1649. 

2.  Gueffier  écrivait  au  comte  de  Brienne  :  «  C'est  tout  de  bon 
que  la  confusion  est  grande  au  royaume  de  Naples...  »  (18  jan- 
vier 1649).  —  "  Les  affaires  de  Naples  vont  en  empirant...  » 
(25  janvier)  {Corr.,  Cinq-Cents  Colbert  358). 

3.  Une  formidable  révolte  des  cosaques  du  Dnieper  éclata 


1649]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  SgS 

grâce  préseruer  nostre  frace  de  se  qui  la  menasse  ^    ^ 
Nous  sommes  icy  dieu  scais  comment.  Cependans   \ 
c'est  un  grand  plaisir  de  viure  en  un  siècle  là  où  il 
se  passe  de  si  grande  chose  pourueu  que  l'on  puisse 
se  mettre  à  couuert  en  quelque  petits  coings  pour     ; 
pouuoir  voir  la  Comédie  à  son  aise.  Je  suis  à  jamais    | 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

169.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^-  ^07*) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Cons\  et  Maistre  d'ostel  ordinaire  du  Roy,  A  Paris. 

[M.  le  Poussin  y^feb^^  164g. 

Il  promet  de  mettre  la  main  à  la  Vierge  en  grand 
et  de  menuoyer  son  portrait.] 

A  Rome  le  Septiesme  feburier.  1649. 
Monsieur 

puis  que  vous  continués  dans  la  volonté  que  je 
mette  en  exécution  la  pensée  que  jey  fette  de  la  Vierge 
en  grand.  Je  commencerai  à  la  première  commodité 
à  luy  donner  quelque  commencement  et  si  je  peus  je 
la  finirei  cette  année.  J'aurei  soin  de  luy  faire  faire 
une  belle  corniche  entaillée  et  dorée  superbemen.  Je 

au  moment  de  la  mort  subite  de  Ladislas  IV  (20  mai  1648)  : 
«  Il  ne  restait  qu'à  considérer  de  quel  côté  allait  tomber  ce 
grand  arbre  ébranlé  par  tant  de  mains  et  frappé  de  tant  de  coups 
à  sa  racine  ou  qui  en  enlèverait  les  rameaux  épars  »  (Bossuet, 
Oraison  funèbre  de  la  Palatine). 

I.  Dans  la  nuit  du  5  au  6  janvier  1648,  Anne  d'Autriche  avait 
emmené  le  roi  à  Saint-Germain. 


396  CORRESPONDANCE  [1649 

VOUS  enuoyerei  en  mesme  temps  le  portrait  que  je 
vous  ay  promis  et  plustost  si  je  peus. 

Jei  trouué  la  disposition  d'un  subiect  bachique 
plaisant  pour  M^  Scarron.  Si  les  turbulanse  de  Paris 
ne  luy  font  point  changer  d'oppinion.  je  le  commen- 
cerei  cette  anée  à  mettre  en  bon  estât. 

Ce  que  vous  m'escriués  des  affaires  de  delà^  est 
tout  comforme  à  ceque  tout  le  monde  en  dit.  dieu 
veille  que  le  tout  se  termine  à  la  gloire  de  dieu  et  au 
bien  et  repos  de  nostre  pauure  patrie.  Quand  il  sera 
I       ainsi  nous  en  ferons  les  feus  de  joye  mais  jusques  là 
nous  ne  pouuons  pas  rire  de  bon  cœur^.  Il  ni  a  rien 
en  cette  ville  digne  de  vous  escrire  pour  le  présent. 
Je  vous  souhette  la  bonne  santé  et  la  tranquillité  de 
l'esprit  sependans  que  je  demeure  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

170.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^'  208.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Cons^  et  Maistre  d'Ostel  ordinaire  du  Roy^  A  Paris. 

[M.  Poussin  2*  May  164g. 

1.  La  Fronde  éprouvait  des  échecs  répétés  :  le  28.  janvier  1649, 
c'était  la  débandade  du  régiment  du  cardinal  de  Retz  {La  pre- 
mière aux  Corinthiens),  le  8  février,  le  combat  de  Charenton. 

2.  Gueffier  écrivait  au  comte  de  Brienne  :  «  Nous  sommes  en 
une  peine  extrême  de  tant  des  méchants  bruits  qui  courent 
ici,...  que  la  Reine  ne  se  trouvant  pas  même  en  sûreté  à  Saint- 
Germain,  s'en  venait  à  Lyon  »  (i"  février).  —  «  Vous  jugerez 
bien  que  nous  sommes  ici  en  une  très  mauvaise  posture  par 
les  confusions  que  vous  voyez  à  Paris,...  »  {Corr.,  8  février  1649, 
Cinq-Cents  Colbert  358). 


1649]  ^^   NICOLAS    POUSSIN.  SqJ 

Cette  lettre  est  depuis  le  blocus  de  Paris 

parle  du  tableau  de  S^  Pieîro  in  Montorio.] 

De  Rome  le  2™«  May.  1649. 
Monsieur 

depuis  la  Guerre  Parisienne^  Jusques  à  maintenant 
je  n'ay  point  eu  l'honneur  d'auoir  de  vos  nouuelles. 
Je  ne  scais  point  si  vous  aués  esté  enfermé  comme  les 
autres  dens  cette  misérable  ville  ou  si  à  bonne  heure 
vous  vous  en  estes  retiré.  Monsieur  Pointel  m'a  escrit 
depuis  le  traicté  d'acord,  et  me  raconte,  plusieurs 
schoses  merueillieuses  qui  se  sont  passées  en  tout  le 
temp  que  le  blocus  a  duré  mais  il  ne  me  fet  aucune 
mention  de  vous.  Cela  m'a  mis  en  peine.  Car  je  serois 
infiniment  résouy  de  scauoir  si  vous  n'aués  point 
souffert  durant  tout  se  fascheus  temps. 

il  y  desià  longtemps  que  jey  conseignas  à  Monsieur 
Oton  Marchand  la  quaisse  où  est  la  coppie  de  S' Pierre 
In  Montorio  pour  vous  l'enuoyer  par  le  destroit  sur 
les  veseaus  de  Sî  Maslo  Mais  dernièrement  après  luy 
auoir  demandé  sil  n'en  auoit  point  de  nouuelles.  il 
me  dit  que  oui  et  quille  estoit  ariuée  à  Marseille  et 
quil  la  feroit  porter  auec  ses  marchandises  delà  à 
Paris  Ce  qui  m'estonna  beaucoup  d'autant  que  c'estoit 
le  contraire  de  ce  qui  m'auoit  promis.  Je  vous  ay 
vouleu  auertir  de  tout  cela  à  celle  fin  que  vous  sachiés 
que  ce  que  l'on  a  fet  a  esté  contre  la  promesse  que 
l'on  m'auoit  fette  et  quil  ni  a  nullement  de  ma  faute. 

Jei  laissé  de  commancer  vostre  grande  Vierge  de 
qui  jei  trouué  une  assés  belle  pensée.  M'imaginant 
que  vous  auiés  d'autre  soins  que  de  tableaux  dedens 

I.  Cette  guerre  était  terminée.  Le  28  février  1649,  ^^  Parle- 
ment avait  entamé  des  négociations,  qui  aboutirent  au  traité 
de  Rueil,  le  12  mars.  Mais  si  Paris  était  pacifié,  la  Fronde 
provinciale  commençait. 


398  CORRESPONDANCE  [1649 

les  désordres  où  vous  estes  trouué  depuis  trois  mois. 
Gependans  j'atens  vos  commandemens  et  demeure  à 
jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

171.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  210.) 

A  Monsieur  De  Chantelou^  Paris. 

[M.  Poussin  24^  may  164g. 

Il  déplore  la  misère  de  la  France  et  me  promet  la 
Vierge  en  grand  et  son  portrait.] 

A  Rome  le  24.  May.  1649. 
Monsieur 

Jei  repseu  celle  dont  il  vous  a  pieu  m'onnorer 
datée  du  premier  apuril.  par  laquelle  vous  me  man- 
dés à  peu  près  le  panure  estât  auquel  ont  esté  '  et 
sont  de  présent  les  affaires  de  nostre  panure  France. 
Je  vous  assure  que  tout  ceque  vous  voyés  a  esté 
préueu  de  quelques  Anées  en  sa  mesme  des  simples 
personnes,  mais  se  qui  a  surprins  tout  le  monde  et 
ce  qui  fet  augurer  nostre  totale  Ruine  est  l'accord  que 
l'on  a  fet  quand  il  falloit  plustost  mourir.  L'on  estoit 
le  plus  fort  chascun  estoit  prest  de  bien  faire,  et  l'on 
c'est  laissé  pipera  sertte  nous  sommes  la  moquerie 

I.  Ce  passage  surprend.  Poussin  était  trop  peu  «  mazarin  », 
semble-t-il,  pour  souhaiter  qu'au  lieu  de  traiter  à  Rueil  la 
cour  n'eût  soumis  les  Frondeurs  de  Paris  de  vive  force. 


1649]  ^^   NICOLAS   POUSSIN,  899 

de  tout  le  monde  et  personne  ne  nous  plaindra  quand 
il  nous  ariuera  tout  le  mal  du  monde.  L'on  nous  met 
parallèle  auec  les  Napolitains,  nous  serons  traictés 
égallement.  L'auenir  où  nous  pensons  le  moins  est 
plus  à  craindre  que  le  présent,  mais  laissons  y  pen- 
ser à  ceux  à  qui  il  touche  le  plus,  sauuons-nous  si 
nous  pouuons  cacher  sous  la  peau  de  la  brebis  et 
éuitons  les  sanglantes  mains  du  Ciclope  enragé  et 
furieus. 

Juse  donné  commensement  à  vostre  Vierge  en 
grand  si  se  n'eust  esté  les  mauuaises  nouuelles  que 
journellem*  nous  ariuons  de  Paris  que  ces  mauuais 
francois  mettoint  désià  à  sac  par  leurs  discours 
enragés,  nous  n'en  espérions  que  la  Ruine  nos  ane- 
mis  se  vanioint  que  bientost  cette  superbe  ville  ser- 
uiroit  d'exemple  aux  autres  à  jamais  par  sa  ruine 
totale.  Toutes  ses  choses  me  fesoint  facillement 
croire  que  vous  pensiés  à  tout  autre  chose  que  à  orner 
vos  maisons  de  nouuelles  peintures.  Je  suis  bien 
joyeus  d'auoir  été  trompé  dans  mon  Jugem»  et  de 
cognoistre  que  rien  ne  vous  peut  empescher  vostre 
curiosité.  Je  vas  préparer  une  toille  pour  à  la  pre- 
mière commodité  donner  commensement  à  une 
ouurage  que  je  vous  promés  de  faire  avec  toutte  sorte 
d'amour  et  de  dilligense  Et  si  l'esté  n'est  pas  trop 
incommode  je  pourei  bien  i  mettre  la  main  au  plus- 
tost  que  si  je  ne  peus  se  sera  au  plus  long  l'automne 
prochain.  Et  pour  mon  portrait  je  ne  manquerei  pas 
non  plus  de  vous  l'enuoyer  incontinent  qui  sera  fet. 

Tous  les  nouuelles  que  je  vous  pourois  escrire  de 
se  pais  ici  ne  sont  que  tristes  et  indignes  de  raconter. 
Gesi  seullement  les   Espagnols   ont   banni   l'arche- 


400  CORRESPONDANCE  [1649 

uesque  filomarino^  et  enuoyé  M^  le  duc  de  Guyse  en 
Espagne  prisonnier^.  Le  prince  de  Gallicano'  est  en 
cette  ville  sous  sa  paroUe  les  Espagnols  l'obligent  de 
remener  sa*  auec  lui  à  Naples  Le  duc  de  Montesar- 
chio  par  promesse  et  par  torture  a  descouuer  plu- 
sieurs secrés  au  préiudise  de  beaucoup  de  grands '. 
L'on  va  mener  en  Espagne  la  nouuelle  espouse  pour 
continuer  la  race  des  fous®.  Le  pape  fet  faire  l'Aust 
et  vendenge  pour  le  Duc  de  Parme  au  duché  de 
Castres'^.  L'Aflfricain  fet  flotte   et  le   trouue   armé 

1.  Il  n'était  pas  étonnant  que  Poussin  le  connût,  car  son 
dévouement  aux  Barberini  lui  avait  valu  le  chapeau  de  car- 
dinal. 

2.  C'était  la  fin  de  la  folle  équipée  de  cet  aventurier  de 
marque.  Le  6  avril  1648,  les  Espagnols  s'étaient  fait  livrer  une 
porte  de  Naples  et  le  duc  avait  été  pris  dans  la  campagne. 
«  Il  est  venu  avis  que  le  Comte  d'Ognate  [vice-roi  de  Naples] 
a  fait  transporter  M.  de  Guise  en  Espagne  sur  une  galère  ren- 
forcée :  il  a  découvert  que  quelques  grands  avaient  dessein  de 
le  sauver  »  (Board,  Corr.,  17  mai  1649,  ms.  fonds  Dupuy). 

3.  De  la  maison  des  Colonna  ;  dévoué  à  la  France  (voir 
Gueffier,  Corr.,  7  mai  1646,  Cinq-Cents  Colbert  358). 

4.  Poussin  a  sauté  un  mot  :  peut-être  femme. 

5.  «  Ce  que  lesdits  Napolitains  publièrent  icy  que  le  prince 
de  Montesarchio  estoit  mort  empoisonné  ne  s'est  pas  trouvé 
véritable  :  mais  ils  disent  à  cette  heure  avoir  avis  certain  que 
les  Espagnols  l'ont  fait  mourir  dans  les  gesnes  et  tourmens 
quils  luy  ont  fait  donner  pour  luy  faire  confesser  quelque 
chose  quils  désiroient  scavoir  de  luy  »  (Gueffier  au  comte  de 
Brienne,  17  mai  1649). 

6.  Marie-Anne-Thérèse  d'Autriche  (1634-1696),  fille  de  l'em- 
pereur Ferdinand  II,  seconde  femme  de  Philippe  IV  (voir  la 
lettre  de  Gueffier  du  3i  mai  1649,  ms.  Cinq-Cents  Colbert  358, 
fol.  760). 

7.  C'est  la  seconde  guerre  de  Castro.  Innocent  X,  irrité  du 
meurtre  de  l'évêque  qu'il  avait  nommé,  rouvrit  les  hostilités  : 
«  ...  si  le  pape  sans  faire  autre  ataque  se  contente  qu'on  face 
la  récolte  dans  le  duché  de  Castro,  led'  Duc  [de  Parme]  est 
résolu  d'en  faire  de  mesme  dans  le  Bolognois  ou  dans  le  Fer- 
rarois  pour  se  récompenser  de  ce  qui  luy  sera  pris  dans 
ledj  Duché  »  (Gueffier  au  comte  de  Brienne,  21  juin  1649). 


1649]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  4OI 

puissamment.  Les  italiens  mettent  Jules  au-dessus 
de  Caesar. 
Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 

Le  Poussin 
J'ei  veu  icy  Monsieur  du  Fraisne  qui  l'est  en  bonne 
santé  pour  vous  retourner  voirs^ 

172.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.   12347,  fo^'  212.) 

[M.  Poussin  20^  juin  164g. 

Il  mande  que  si  la  Vierge  estait  finie  il  penserait  à 
la  canuertian  de  5'  Paul  qui  est  un  beau  sujet  que 
sil  eust  seu  que  je  leusse  vaulu  il  ne  se  serait  pas 
engagé. 

Quil  a  fini  un  de  ses  partraits  quil  va  cammancer 

lautre  et  menuerra  celuy  qui  réussira  le  mieux.] 

De  Rome  le  20™«  Juing.  1649. 
Monsieur 

Toutte  les  fois  que  vous  m'aués  honnoré  de  vos 
lettres  je  n'ay  jamais  manqué  à  vous  le  faire  scauoir 
par  mes  responses  et  vous  en  remercier.  Si  quelques 
unes  d'icelles  ne  m'ont  point  esté  rendues  je  ne  peus 
deuiner  d'où  cela  procède,  touttes  celles  que  mon- 
sieur Pointel  m'enuoye  me  sont  rendeues  fidellem'  et 
nulle  ne  se  pert. 

il  n'est  nullement  nécessaire  que  vous  me  rafrai- 
chissiés  la  mémoire  de  ce  que  je  vous  ay  promis  de 
faire  car  jei  vostre  contentem^  en  trèsparticulière 
recommandation,  ausi  je  vous  assure  que  je  mettray 

I.  Post-scriptum  en  marge,  verticalement. 

191 I  26 


402  CORRESPONDANCE  [1649 

la  main  à  vostre  vierge  en  grand  le  plustost  que  je 
pourrei  et  si  elle  estoit  fette  maintenant  vous  pouués 
vous  assurer  que  trèsvolontiers  j'embrasserois  le 
subiect  que  vous  me  proposés  de  la  Conuertion  de 
S*  Paul  vostre  Patron  car  outre  que  le  subiec  est 
trèsbeau  je  ne  scaurois  rien  faire  pour  personne  qui 
cognoisse  si  bien  que  vous  les  choses  bien  fettes.  Si 
j'eusse  sceu  que  cette  pensée  vous  fust  venue,  je  ne 
me  serois  pas  si  fort  engagé  comme  jey  fet  auec  des 
personnes  que  je  vous  pospose*  de  bien  loing  —  mais 
un  peu  de  temps  me  fera  contenter  l'un  et  l'autre. 

Jei  fet  l'un  de  mes  portraits  et  bientost  je  commen- 
cerei  l'autre  Je  vous  enuoyerei  celuy  qui  réussira  le 
mieux,  mais  il  n'en  faut  rien  dire  sil  vous  plaist, 
pour  ne  point  causer  de  jalousie.  Je  vous  remercie  de 
vos  nouuelles  lesquelles  je  ne  peus  contréchanger  ni 
ayant  rien  encore  en  évidense  de  cequeses  Messieurs 
icy  ont  conseu.  L'on  continue  de  faire  des  Soldars 
que  l'on  enuoye  à  Bollogne  et  à  Castres  mais  l'on 
croit  que  se  soit  une  fainte*.  Les  Vénitiens  disent 
auoir  deffet  l'armée  naualle  du  Turc'.  Amen. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

î.  Latinisme  :  des  gens  que  je  place  bien  loin  derrière  vous. 

2.  Confirmé  par  Gueffier,  lettre  du  14  juin  1649.  —  La 
feinte  consistait  en  ce  que  le  pape  en  voulait  surtout  à  Piom- 
bino,  que  les  Français  tenaient  depuis  1647. 

3.  Voir  la  lettre  de  Gueffier  au  comte  de  Brienne,  14  juin 
1649. 


1649]  i>e  nicolas  poussin.  4o3 

173.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  2i3.) 

A  Monsieur  Dechâtelou, 
Rue  5*  Tomas  du  Louure,  A  Paris*. 

[M.  Poussin  22  aoust  164g. 

Po.  M.  Puques. 

Il  promet  à  ma  prière  de  j^  un  enlèuement  dEu^ 
rope  po^  M.  Puques; 

dit  que  c'est  un  sujet  remply  d'épisodes  jolis  quil 

faut  un  toille  de  12  [ou\  palmes"^  de  long  et  6  de 

hauteur.] 

A  Rome  le  22"»^  Aust.  1649. 
Monsieur 

Jei  repseu  par  les  ordinaires  derniers  deus  de  vos 
lettres  auquelles  je  n'ay  point  respondeu  d'autans 
quelles  ne  contenoint  rien  de  nouuea.  mais  par  cet 
ordinaire  dernier  vous  m'aués  honnoré  d'une  autre  à 
la  quelle  je  n'ay  pas  vouleu  manquer  de  faire  response 
et  vous  confirmer  par  icelle  l'extrême  désjr  que  jei  de 
vous  seruir  et  que  je  vas  me  disposant  autans  comme 
je  peus  à  l'exécusion  de  ce  que  vous  désirés  de  moy. 
et  je  veus  bien  que  tout  le  monde  sache  que  vous 
pouués  tout  sur  moy  et  que  il  ne  faut  point  que  vous 
usiés  de  cette  parolle  du  peu  de  crédit  que  vous  y 
aués.  Je  me  résiouis  que  vous  me  donniés  l'occasion 
de  vous  en  faire  la  preuue.  par  ce  que  vous  me  deman- 
dés pour  Monsieur  Pucques'  vostre  ami.  lequel  je 

1.  En  petits  caractères,  à  gauche  :  franc. 

2.  «  La  palme  de  Rome  dont  on  se  sert  à  présent  est  de 
8  pouces  3  lignes  »  (Félibien,  Entretiens,  p.  16).  Environ  o"223. 

3.  «  Le  Poussin  composa  pour  lui  l'enlèvement  d'Europe  » 
(BonnafFé,  Dict.  des  amateurs,  p.  260). 


4Ô4  CORRESPONDANCE  [1649 

seruirei  pour  vostre  respect  sans  lequel  il  n'y  a  récom- 
pense ni  payement  qui  me  peust  faire  entreprendre 
rien  de  nouueau.  me  trouuant  le  plus  engagé  que 
j'aye  esté  jamais.  Le  subiec  de  Leurope  est  forbeau 
remply  d'épisodes  for  goûtés,  mais  il  y  a  beaucoup  à 
faire,  et  la  disposition  requiert  une  toille  de  dix  ou 
douze  palme  de  longueur  et  au  moins  six  de  hauteur, 
et  sur  tout  il  faut  que  ledit  Signeur  face  bonne  muni- 
cion  de  patiense.  et  tout  yra  bien. 

il  me  desplaist  infiniment  du  mal  qui  vous  assailly 
et  dieu  veille  quil  se  contente  de  vous  auoir  visité 
une  fois.  C'est  un  mauuais  hoste.  Il  faut  tascher  à 
le  banir  et  luy  faire  si  mauuaise  mine  qui  ni  retourne 
jamais.  Je  le  souhette  de  tout  mon  coeur. 

Je  vous  remercie  de  vos  nouuelles.  L'on  dit  icy  que 
le  duc  de  Parme  a  esté  battu  sur  le  Bollognois^ 
nous  atendons  la  prinse  de  Castres  2.  Les  espagnols 
semblent  s'aprester  pour  faire  quelque  entreprinse  en 
Italie  ou  en  Prouense.  où  l'on  dit  que  tout  va  en 
Ruine ^.  L'on  dit  que  les  affaires  de  bordeaux^  ne 
sont  pas  acommodées.  dieu  nous  ayde. 

Vostre  trèshumble 

Seruiteur 
Le  Poussin 


î.  Cette  défaite,  grandement  exagérée  à  Rome,  se  réduisait 
au  fait  que  l'armée  du  duc  de  Parme  n'avait  pu  forcer  le  pas- 
sage du  pont  de  Lenza  (Gueffier,  Corr.,  23  août  1649). 

2.  Voir  la  lettre  de  Gueffier  au  comte  de  Brienne,  23  août 
1649.  La  bourgade  prise,  Innocent  X  la  fit  raser  et  une  pyra- 
mide fut  élevée,  avec  l'inscription  :  Qui  fU  Castro. 

3.  Board  écrit,  de  Porto-Longone,  le  5  juillet  1649  :  «  On  ne 
parle  ici  que  des  désordres  de  Provence...  » 

4.  La  Fronde  provinciale  fut  assez  grave  à  Bordeaux  en  1649 
et  plus  encore  en  i65o.  Les  pires  nouvelles  étaient  colportées 
par  les  Espagnols  sur  l'état  des  trois  grandes  provinces  de 


1649]  ^^  nicolas  poussin.  405 

174.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  2i5.) 

A  Monsieur  De  Chditelou,  A  Paris. 

[M.  Poussin  ig^  septembre  164g. 

Il  me  mande  quil  a  commencé  son  portrait  et  que 
sil  nest  acheué  cette  année  il  y  aura  de  l'impossibilité.] 
De  Rome  le.  igi^^  Septembre.  1649. 

Monsieur 

quoy  que  pour  vous  bien  témoigner  ce  que  je  vous 
suis  ne  debuerois  plus  user  de  parolles  mais  d'effets 
nanmoins  j'espère  tant  en  vostre  courtoisie  que  vous 
recepuerés  encore  celle  sy  d'ausy  bon  œil  comme  sy 
elle  vous  témoignés  l'acomplissement  de  ce  que  il  y 
a  si  longtems  que  vous  désirés  de  moy.  Car  la  bonne 
volonté  que  jei  de  vous  seruir.  et  l'impossibilité 
s'étant  trouués  ensemble  d'une  forse  égalle  ont  fet 
chés  moy  une  grande  guerre.  Mais  en  fin  l'une  com- 
mensant  à  céder  à  l'autre,  m'a  permis  de  donner  un 
peu  de  commencement  à  mon  portraict  lequel  sil 
n'estoit  fini  en  tout  le  reste  de  cette  Anée  vous  pour- 
ries vous  assurer  que  l'impossible  auroit  emporté  la 
victoire.  Ce  que  je  ne  crois  pas  pour  tant,  au  surplus 
je  vous  prie  de  me  compassionner  qui  me  trouue 
engagé  plus  que  je  n'ay  esté  en  toutte  ma  vie. 

Nous  scauons  tous  icy  le  retour  du  Roy  et  de  sa 
Court  à  Paris  et  se  qui  si  est  passé  encores.  mais  ceux 

Guyenne,  Languedoc  et  Provence  :  on  les  tient,  écrit  Gueffier 
le  23  août  1649,  pour  «  tout  à  fait  révoltées  »;  quant  à  la  France, 
on  publiait  «  que  tout  y  estoit  plus  embrouillé  que  jamais  ». 


406  CORRESPONDANCE  [1649 

qui  cognoissent  la  bêtise  et  l'inconstanse  des  peuples 
ne  s'étonnent  nullement  de  ce  qui  font^. 

Nous  auons  icy  grande  Quantité  de  maladies  mais 
non  contagieuses  il  ni  a  rien  de  nouueau  digne  de 
vous  escrire. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

175.  —  Poussin  a  Jacques  Stella. 

(Félibien,  éd.  1706,  p.  41.) 

Il  fit  aussi  pour  Mr.  Scarron  un  ravissement  de 
Saint  Paul;  et  pour  le  Sieur  Stella  un  Tableau  où 
Moïse  frappe  le  rocher,  tout  différent  de  celui  qu'il 
avoit  fait  autrefois  pour  Mr.  de  Gillier.  Ce  fut  au 
sujet  de  cet  ouvrage  qu'il  écrivit  une  lettre  (en  Sep- 
tembre 1649)  au  sieur  Stella,  par  laquelle  il  lui 
témoigne 

«  qu'il  a  été  bien-aise  d'apprendre  qu'il  en  étoit 
content,  et  aussi  d'avoir  su  ce  qu'on  en  disoit.  Et 
parce  qu'on  avoit  trouvé  à  redire  sur  la  profondeur 
du  lit  où  l'eau  coule,  qui  semble  n'avoir  pu  être  fait 
en  si  peu  de  temps,  ni  disposé  par  la  nature  dans  un 
lieu  aussi  sec  et  aussi  aride  que  le  désert  où  étoient 
les  Israélites,  il  dit  «  qu'on  ne  doit  pas  s'arrêter  à 
cette  difficulté.  Qu'il  est  bien-aise  qu'on  sache  qu'il 
ne  travaille  point  au  hazard,  et  qu'il  est  en  quelque 
manière  assez  bien  instruit  de  ce  qui  est  permis  à  un 

I.  La  cour  revint  de  Compiègne  à  Paris  le  18  août  1649. 
Poussin  fait  sans  doute  allusion  à  l'accueil  enthousiaste  que 
les  Parisiens  firent,  non  seulement  au  roi,  mais  encore  à 
Mazarin. 


1649]  ^^    NICOLAS   POUSSIN.  4O7 

Peintre  dans  les  choses  qu'il  veut  représenter, 
lesquelles  se  peuvent  prendre  et  considérer  comme 
elles  sont  encore  ou  comme  elles  doivent  être.  Qu'ap- 
paremment la  disposition  du  lieu  où  ce  miracle  se  fit 
devoit  être  de  la  sorte  qu'il  l'a  figurée,  parce  qu'autre- 
ment l'eau  n'auroit  pu  être  ramassée,  ni  prise  pour 
s'en  servir  dans  le  besoin  qu'une  si  grande  quantité 
de  peuple  en  avoit,  mais  qu'elle  se  seroit  répandue 
de  tous  côtes.  Que  si  à  la  création  du  monde  la  terre 
eût  reçu  une  figure  uniforme,  et  que  les  eaux  n'eussent 
point  trouvé  des  lits  et  des  profondeurs,  sa  superficie 
auroit  été  toute  couverte,  et  inutile  aux  animaux; 
mais  que  dès  le  commencement  Dieu  disposa  toutes 
choses  avec  ordre  et  raport  à  la  fin  pour  laquelle  il 
perfectionnoit  son  ouvrage.  Ainsi  dans  des  événe- 
^  mens  aussi  considérables  que  fût  celui  du  frapement 
du  rocher,  on  peut  croire  qu'il  arrive  toujours  des 
choses  merveilleuses;  de  sorte  que  n'étant  pas  aisé  à 
tout  le  monde  de  bien  juger,  on  doit  être  fort  retenu, 
et  ne  pas  décider  témérairement.  » 

176.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  ^o^-  216.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  A  Paris. 

[M.  Poussin  8"  octobre  164g. 

3  escus  de  reste. 

Il  mande  quil  menuerra  son  portrait  sur  la  fin  de 

l'année  —  quil  faut  quil  fasse  deux  tableaux  auant  que 

de  trauailler  à  la  vierge  en  grand  quil  songera  à 

une  conuertion  de  S^  Paul.] 

A  Rome  le  S^^  octobre.  1649. 
Monsieur 

La  vostre  du  disiesme  Septembre  et  la  dernière  du 


408  CORRESPONDANCE  [1649 

dissept  quoy  que  de  teneur  bien  différentes  n'ont 
point  produit  en  moy  de  diuers  effets  par  la  première 
vous  me  fettes  des  reproches  que  autrefois  vous 
m'aués  fettes  les  quelles  ne  m'ont  aucunement  altéré, 
parceque  je  peus  (pouruu  que  Je  viue)  vous  oster  tout 
le  soupson  que  vous  pourries  auoir  de  la  Seruitu  que 
je  vous  proffesse  mais  se  pendans  ne  trouués  point 
mauuais  si  encore  je  fais  part  de  mes  ouurages  à 
quelcun  de  mes  amis  tout  ce  qui  va  d'un  costé  n'est 
pas  bien.  Vous  dittes  que  la  promesse  que  je  vous  ay 
fette  n'est  point  de  la  qualité  de  celles  qui  se  peuuent 
atendre  auec  modération,  mais  ausy  ne  faut  il  vou- 
loir que  se  qui  se  peut.  La  tortue  ne  sauroit  suiure 
règle,  par  celle  que  je  vous  escriuis  en  datte  du  vint 
et  deuziesme  d'aust  vous  aués  veu  de  quelle  sorte  je 
vous  respecte  et  combien  je  suis  vostre.  Car  nul  autre 
que  vous  ne  m'auroit  jamais  fés  promettre  ce  que  je 
vous  promis  pour  monsieur  Pucques  me  trouuant 
engagé  à  plus  d'une  vinteine  de  personnes  de  qual- 
lité.  ausy  la  response  quil  vous  a  pieu  me  faire  sur 
icelle  me  témoigne  bien  ce  que  vous  m'escriués  par 
la  première  que  les  imaginations  que  vous  aués  de 
moy  ne  vous  viennent  que  par  Interualles.  Si  vous 
voulés  considérer  toutte  choses  sans  passion  elle  ne 
vous  reuiendrOs  jamais. 

Je  vous  enuoyerei  les  meillieurs  gants ^  quejepour- 
ray  trouuer  et  le  plus  tost  que  je  pourrei.  Jei  repceu 
les  six  pistols  mentionnées  en  la  lettre  de  Change  que 
vous  m'aués  enuoyée  comme  vous  verres  par  la  quit- 
tanse  que  j'en  ay  fette  à  M""  Gericot.  Sil  falloit  quelque 
chose  dauantag  je  vous  suis  débiteur  de  trois  escus 

I.  Il  semble  que  c'était  la  spécialité  de  Rome  (Board  en 
achète  pour  le  chevalier  de  Sévigné,  fol.  216). 


1649]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  409 

et  quelque  Jules  de  qui  je  vous  tiendrei  bon  compte. 
Je  m'efForserei  de  vous  enuoier  mon  portraict  à  la  fin 
de  cette  anée  Mais  pour  la  Vierge  il  faut  que  je  face 
deux  tableaux  au  parauant.  que  di  mettre  la  main. 
Cet  Hiuer  je  trauaillerei  à  la  Composition  de  l'His- 
toire de  St  Paul  et  auec  le  temps  et  la  paille  se 
mûrissent  les  nèfles.  Sependans  je  vous  remercie  infi- 
niment de  vos  nouuelles.  Nous  verrons  si  les  italiens 
seront  meillieurs  acteurs  en  cette  comédie  que  les 
francois  cependans  c'est  à  nos  despens  et  sur  nostre 
téatre  que  tout  se  fera. 
Je  demeure  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  poussin 

177.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  218.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^  A  Paris*. 

[M.  Poussin  18^  octobre  164g. 
Il  menuoye  des  gants  que  je  luy  auois  demandé.] 
A  Rome  le  i8*"«  octobre  1649. 
Monsieur 
Jei  fet  ce  que  Jey  peu  cette  sepmaine  passée  pour 
trouuer  de  bons  Gants  à  la  frangipane  et  pour  ce  fair 
y  ay  employé  mes  amis  qui  ont  prié  la  Signora  Mada- 
lena  (famé  fameuse  pour  les  parfuns^)  en  ma  faueur. 

1.  En  petits  caractères,  en  bas  et  à  gauche  de  l'adresse  -.port 
doti^e  sol^. 

2.  Board  nous  confirme  sa  réputation  :  «  M.  de  Mauroy, 
frère  de  l'intendant  des  finances  [un  client  de  Poussin],  m'a 


410  CORRESPONDANCE  [l65o 

J'y  ay  employé  ausy  son  propre  nepueu  qui  est  de 
mes  amis,  elle  m'en  a  donné  une  douzeine  de  paire 
des  meillieurs  quelle  scait  faire.  Ausy  ay  je  eu  faueur 
au  prix  car  il  ne  coûtent  que  dishuit  escus\  Je  vous 
les  enuoye  par  cet  ordinaire  et  vous  les  recepuerés 
par  le  moyen  de  M"^  Giericot  à  qui  je  les  ay  consi- 
gnés, trèsbien  conditionés  et  [à]  qui  vous  en  payerés  le 
port  de  Rome  à  paris.  Je  vous  supplie  quand  vous  les 
aurés  repseu  de  m'escrire  sil  vous  auront  pieu.  Cela 
me  seruira  assés  ou  pour  fuir  entièrement  le  com- 
merse  de  se  peuple  icy  ou  pour  m'assurer  quil  se 
trouue  encore  quelque  fidellité  en  quelcun  d'eus. 

pour  ce  qui  est  de  nos  autres  affaires  je  vous  en 
escriuis  la  sepmaine  passée  et  seroit  superflu  de  vous 
en  dire  autre  chose  maintenant. 

Nous  auons  eu  par  cet  ordinaire  d'assés  bonnes 
nouuelles  de  la  Court  et  semblent  que  vos  popheties 
se  veillent  acomplir.  Je  demeure  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

178.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  lettre  121.) 

De  Rome  le  22^  Janvier  i65o. 
Monsieur 
J'aurois  maintenant  satisfait  à  la  promesse  que  je 

fait  des  compliments  de  la  part  de  M.  de  Trilport.  Je  l'ai 
adressé  à  M.  Valeran  [maître  des  postes]  pour  avoir  des  huiles 
de  la  Sig"  Magdalena...  »  [Corresp.,  7  juillet  1649). 

I.  C'était  peu,  vu  la  qualité,  car  Board  écrit  que  les  gants 
coûtent  une  et  une  demi-pistole  la  paire  (la  pistole  de  trois 
écus). 


l65o]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  4II 

VOUS  avois  faitte  de  vous  envoyer  mon  portrait  si  la 
volonté  que  j'en  avois  n'eut  point  rencontré  d'obstacle. 
Monsieur  l'Ambassadeur^  a  tant  fait  que  Je  n'ai  pu 
faire  de  moins  que  de  lui  promettre  de  faire  pour  le 
commencement  de  cette  année,  une  Vierge  portée  par 
quatre  Anges  3,  que  je  lui  ai  finie  de  devant  hier  seu- 
lement, ce  qui  a  été  cause  que  j'ai  laissé  plusieurs 
choses  en  arrière.  Chose  semblable  m'est  arrivé  sou- 
vent c'est  pourquoi  il  ne  se  faut  pas  étonner  si  quelque 
fois,  ce  que  j'ai  promis  de  faire  en  un  temps  se  trans- 
porte en  un  autre.  Je  vous  suplie  de  croire  que  j'ai 
un  déplaisir  particulier  de  vous  faire  tant  attendre  et 
que  au  plus  tôt  qu'il  me  sera  possible  j'accomplirai 
ma  promesse.  Vous  m'obligerés  grandement  de  ce 
que  vous  remettes  à  commodité  les  autres  choses  que 
vous  désirés  que  je  fasse.  Car  je  me  trouve  trop 
embarassé.  J'espère  que  la  première  fois  que  vous  me 
ferés  l'honneur  de  m'écrire  vous  me  ferés  scavoir  les 
nouvelles  de  delà  je  demeure  à  jamais 

Monsieur,  Votre  très  humble 

et  très  obéissant  serviteur 
Signé  :  Le  Poussin. 

1.  La  copie  de  l'Institut  porte  en  marge  cette  note  au  crayon  : 
«  M.  de  Créqui,  je  crois.  »  Cependant,  l'ambassadeur  à  Rome 
en  i65o  n'était  pas  Créqui,  mais  le  commandeur  Louis  de 
Valençay,  qui  était  arrivé  pour  remplacer  Fontenay-Mareuil 
le  mercredi  4  juillet  1649  (d'après  Board,  Corr.)  et  qui  y  sera 
encore  en  i653.  Le  duc  de  Créqui  (1623-1687)  ne  sera  ambassa- 
deur à  Rome  qu'en  1662.  C'est  cependant  pour  lui  que  Pous- 
sin peindra,  en  i65i,  «  une  Vierge  dans  un  païsage,  accompa- 
gnée de  plusieurs  figures  »  (Félibien,  Entretiens,  p.  48). 

2.  Fr.  Villot,  dans  le  Catalogue  du  Louvre,  p.  275,  croit  que 
c'est  la  célèbre  petite  Assomption,  n"  429. 


412  CORRESPONDANCE  [l65o 

179.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  lettre  122.) 

de  Rome  i3«  Mars  i65o. 
Monsieur, 

Ce  seroit  avec  grand  contentement  que  je  ferois 
réponse  à  Votre  dernière,  si  j'avois  quelque  bonne 
nouvelle  à  vous  écrire  sur  le  sujet  des  tableaux  que 
je  vous  ai  promis,  mais  particulièrement  de  celui  de 
mon  portrait,  que  je  n'ai  pas  pu  encore  finir.  Je  con- 
fesse ingénument  que  je  suis  paresseux  à  faire  cet 
ouvrage  auquel  je  n'ai  pas  grand  plaisir  et  peu  d'ha- 
bitude, car  il  y  a  vingt-huit  ans  que  je  n'ai  fait  aucuns 
V"  portrait \  néanmoins  il  le  faut  finir  car  j'aime  bien 
plus  votre  satisfaction  que  la  mienne.  Les  autres 
choses  que  je  vous  ai  promises  se  feront  à  leur  temps. 

Pour  Monsieur  de  Mauroi^  et  de  ce  qu'il  désire  que 
j'observe  au  tableau  de  la  Nativité  qu'il  veut  que  je 
lui  fasse.  Il  n'y  a  nulle  difficulté,  la  résolution  qu'il  a 
faite  d'attendre  me  plait  sur  toutes  choses,  à  mesure 
que  la  vigeur  me  vas  manquer  les  années  s'augmentent 

1.  H.  Chardon  [Les  Fréart,  p.  78)  ne  connaît  de  Poussin, 
\ji<    outre  ses  deux  portraits  de  lui-même,  que  ceux  de  Duquesnoy 

^  et  de  Clément  IX  (Giulio  Rospigliosi).  C'est  celui  de  Duques- 
noy (mort  le  12  juillet  1643)  qui  doit  remonter  à  vingt-huit 
ans.  Cependant,  Smith,  dans  son  Catalogue  raisonné,  men- 
tionne encore  un  portrait  de  la  collection  de  la  marquise  de 
Bute,  à  Luton,  où  Poussin  se  serait  peint  vers  la  quarantaine. 
Ce  portrait  serait  peut-être  la  copie  dont  Poussin  parle  au 
début  de  sa  lettre  du  29  mai  i65o. 

2.  «  En  i653,  il  fit  pour  M.  de  Mauroy,  Intendant  des 
Finances,  une  Nativité  de  Notre  Seigneur,  et  les  Pasteurs  qui 
viennent  l'adorer  »  (Félibien,  Entretiens,  p.  44).  —  Je  crains 
que  M.  Bonnaffé  ne  se  trompe  quand  il  parle  d'une  Ado- 
ration «  des  Mages  »  chez  M.  de  Mauroy  {Dict.  des  Amateurs). 


l65o]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  4l3 

et  le  travaille  qui  est  le  moyen  de  bientôt  succom- 
ber sous  le  faix  si  je  n'y  trouve  remède.  Je  demeure 
à  jamais 
Monsieur, 

Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 
Signé  :  Le  Poussin. 

J'ai  reçu  il  y  a  peu  d'heurs  la  dernière  qu'il  vous 
a  plut  m'écrire;  laquelle  étant  assés  conforme  à  la 
précédente.  Ce  peu  de  réponse  servira  pour  touttes 
les  deux.  Je  vous  remercie  de  vos  nouvelles  qui  sont 
un  peu  contraire  à  celles  qui  courrent  entre  le  com- 
mun. Continués  moi  vos  grâces  sil  vous  plait. 

180.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Copie  de  l'Institut,  lettre  i23). 

de  Rome  le  8^  Mai  i68o^ 

Monsieur 

J'espère  bientôt  amoindrir  le  nombre  des  choses 
que  je  vous  ai  promises.  Celle  que  vous  montrés  dési- 
rer le  plus  étant  à  bon  terme.  Je  serois  après  pour  la 
finir  du  tout  mais  j'attend  qu'elle  soit  bien  assonnée. 
J'ai  peu  de  chose  à  faire  cependant  laquelle  entant 
faitte,  je  finirai  la  vôtre  misérablement  et  vous  l'en- 
voyerai  aussitôt.  Je  confesse  que  votre  patience  a  été 
très  grande  aussi  ne  seriés-vous  pas  si  acomplis.  si 
cette  vertu  là  vous  manquoit.  Je  vous  prie  de  croire 
que  je  n'en  ai  point  abusé  n'ayant  pas  été  à  moi  jusque 
à  présent.  J'honnore  trop  votre  mérite  et  j'ai  trop  bon 
souvenir  des  choses  passées  pour  vous  donner  aucun 

I.  Lapsus  du  copiste,  pour  i65o. 


414  CORRESPONDANCE  [l65o 

sujet  de  me  reprendre  de  trop  d'ignorance   ou  de 
méconnoissance. 

Je  vous  remercie  des  nouvelles  que  vous  m'écri- 
ves, je  ne  m'en  réjouis  ni  je  ne  m'en  fâche,  ne  sachant 
pas  les  effets  que  doivent  produire  à  l'avenir  les 
choses  qui  se  passe  maintenant;  il  ne  se  passe  ici 
rien  de  nouveau  plus  remarquable  que  les  miracles 
qui  se  font  si  fréquamment  que  c'est  merveille  La 
procession  de  Florence'  y  a  apporté  un  crucifix  de 
bois  de  co...  à  qui  la  barbe  est  venue,  et  les  cheveux 
lui  croissent  tous  les  jours  de  plus  de  quatre  doigts. 
L'on  dit  que  le  Pape  le  tondra  l'un  de  ses  jours  en 
sérémonie. 

Monsieur 

Votre  très  humble  et 

et  très  obéissant  serviteur 

Signé  :  Le  Poussin. 

Monsieur  Scarron  votre  ami  est  sur  le  chantier. 

Je  lui  baise  les  mains. 

181.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  lettre  124.) 

de  Rome  ce  29»  Mai  i65o. 
Monsieur 

J'ai  fini  le  portrait  que  vous  désiriés  de  moi.  Je 
pouvois  vous  l'envoyer  par  cet  ordinaire.  Mais  l'im- 
portunité  de  quelques  uns  de  mes  amis  qui  en  désirent 
avoir  la  copie,  sera  cause  de  quelque  retardement. 
Je  vous  l'envoyerai  néanmoins  le  plus  tôt  qu'il  me 
sera  possible. 

Monsieur  Pointel  aura  celui  que  je  lui  ai  promis 

I.  Voir  la  Galette  de  i65o,  n»  79,  p.  693. 


l65o]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  4l5 

en  même  temps  duquel  vous  n'aurés  point  de  jalou- 
sie car  j'ai  observé  la  promesse  que  je  vous  ai  faitte 
aiant  choisi  le  meilleur  et  le  plus  resemblant  pour  ' 
vous\  vous  en  voirés  la  différence  vous  même.  Je 
prétends  que  ce  portrait  vous  doit  être  un  signe  de 
la  servitu  que  je  vous  ai  voué,  d'autant  que  pour  per- 
sonne vivante  je  ne  ferois  ce  que  j'ai  fait  pour  vous 
en  cette  matière.  Je  ne  vous  veux  pas  dire  la  peine 
que  j'ai  eu  à  faire  ce  portrait,  de  peur  que  vous  me 
croyés  que  je  le  veuille  faire  valoir.  Il  me  suffira 
quand  je  scaurai  quil  vous  aura  plust.  Je  pourai 
envoyer  en  même  temps  à  Monsieur  l'Abée  Sçarron 
son  tableau  du  Ravissement  de  S'  Paul,  que  vous 
verres  et  vous  prirés  de  m'en  dire  votre  sentiment'. 

Les  autres  choses  que  je  vous  ai  promises  se  feront 
avec  le  temps.  Je  vous  écris  ces  deux  lignes  ici  pour 
vous  prier  de  croire  que  si  j'ai  tardé  de  satisfaire  à 
votre  curiosité.  Je  n'oublie  pas  ce  que  je  vous  doit 
qui  est  d'être  toutte  ma  vie 

Monsieur 

Votre  très  humble  et 

très  obéissant  serviteur 

Le  Poussin. 

182.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Copie  de  l'Institut,  lettre  12b.) 

de  Rome  ce  igt  Juin  i65o. 
Monsieur 

Ce  seroit  une  grande  sotise  à  celui  qui  voudroit 

I.  Ce  sera  aussi  l'avis  du  Bernin  quand  il  verra  les  deux     n 
portraits  à  Paris  en  i665  {Ga![ette  des  beaux-arts,  février  1877). 

a.  On  sait,  par  Florent  Le  Comte  [Catalogue  du  Poussin), 
que  Scarron  céda  son  Ravissement  de  saint  Paul  à  Jabach,  V' 


41 6  CORRESPONDANCE  [l65o 

entreprendre  de  contenter  tout  le  monde;  mais  de 
tâcher  à  satisfaire  à  ses  amis  c'est  une  chose  qui  sied 
bien  à  un  honnête  homme,  j'avois  délibéré  de  vous 
envoyer  mon  portrait  à  l'heure  même  que  je  l'eus  fini, 
affin  de  ne  pas  vous  le  faire  désirer  plus  long  temps; 
mais  quelqu'un  de  mes  bons  amis  aiant  désiré  ardem- 
ment en  avoir  la  copie.  Je  n'ai  pu  honnêtement  lui 
refuser,  c'est  ce  qui  a  été  la  cause  que  Je  l'ai  retenu 
jusque  à  présent.  Je  vous  l'envoyé  par  cet  ordinaire 
dilligemment  encaissé  comme  j'ai  coutume.  Je  prie 
Mf  Serisier  mon  ami  de  vous  l'envoyer  à  Paris  aus- 
sitôt qu'il  l'aura  reçu  à  Lion  et  croi  que  vous  le  rece- 
vrés  bien  conditionné.  J'ai  prié  à  votre  deffaut,  A 
Monsieur  Pointel  de  le  retirer  et  vous  le  garder  tout 
encaissé  jusques  à  votre  retour  à  Paris  si  vous  en 
étiés  absent.  Dans  huitaine  le  dit  Sf  Pointel  recevra 
celui  que  j'ai  fait  pour  lui.  et  vous  en  serés  le  juge  de 
l'un  et  de  l'autre  :  mais  je  m'assure  de  vous  avoir 
tenu  la  promesse  que  je  vous  ai  faitte  car  celui  que 
je  vous  dédis  est  le  meilleur  et  très  bien  resemblant. 
Je  vous  suplie,  Monsieur,  d'accepter  de  bon  coeur  ce 
mien  portrait  tel  qu'il  est,  et  vous  prie  de  croire  que 
l'original  est  autant  votre,  comme  la  copie. 
Monsieur 

Votre  très  humble  et  très  obéissant 

Serviteur 
Le  Poussin. 


d'où  il  passa,  par  le  duc  de  Richelieu,  «  dans  le  cabinet  de 
Sa  Majesté  »  (c'est  le  n°  433  du  Louvre).  Aussi  le  tableau  ne 
figure-t-il  pas  dans  l'inventaire  dressé  après  le  décès  de  Scar- 
ron  (A.  de  Boislisle,  Revue  des  Questions  historiques,  1893). 


l65o]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  417 

183.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  lettre  126.) 

de  Rome  le  3«  Juillet  i65o. 
Monsieur, 

Si  vous  chérissiés  mes  ouvrages,  j'ai  à  grande  gloire 
que  vous  les  possédiés.  Je  sens  tous  les  jours  les  avan- 
tages que  j'en  retire,  aussi  confesserai-je  toujours  de 
vous  être  grandement  obligé.  La  place  que  vousvou- 
lés  donner  à  mon  portrait  en  votre  maison  augmente 
mes  dettes  de  beaucoup.  Il  y  sera  aussi  dignement 
comme  fut  celui  de  Virgille  au  musée  d'Augustes. 
J'en  seroi  aussi  glorieux  comme  s'il  étoit  chés  les 
Ducs  de  Toscanne  avec  ceux  de  Léonard  Michel 
L'Ange  et  Raphaël.  Je  suis  en  impatience  que  vous 
Payés  reçus;  et  de  sçavoir  s'il  vous  aura  plust.  J'ai 
fait  la  dilligense  que  j'ai  pu  pour  le  faire  resembler, 
quoique  avec  incommodité,  ceux  qui  l'ont  vu  ici  l'ont 
trouvé  fort  reconnoissable. 

Je  suis  fort  aise  que  Monsieur  de  Chambrai  se  sou- 
vienne de  moi  et  qu'il  me  commande  quelque  chose, 
je  le  servirai  de  tout  mon  cœur. 

Je  vous  remercie  de  vos  nouvelles  quoi  qu'elles  ne 

soient  bonnes  pour  nous  n'y  en  Italie  n'y  en  France. 

Nous  avons  perdus  Piombin  et  nous  perderons  Lon- 

gon^  et  puis  ici  à  Rome  Guai  a  noi^. 

Monsieur 

Votre  très  humble 

et  très  obéissant  serviteur 

Poussin. 

1.  Le  17  juin  i65o,  le  gouverneur  de  Piombino  s'était  laissé 
surprendre  et  les  Espagnols  reprirent  Porto-Longone  le  16  juil- 
let, après  quarante-sept  jours  de  siège. 

2.  Guai  a  noi,  malheur  à  nous,  gare  à  nous.  Les  Français 

191 i  27 


^iS  CORRESPONDANCE  [l65o 

184.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Copie  de  l'Institut,  lettre  127.) 

de  Rome  ce  29*  Aoust  i65o. 
Monsieur 

Il  n'y  a  non  plus  de  proportion  entre  l'estime  que 
vous  faitte  de  mon  portrait  et  les  louanges  que  vous 
me  donnés,  qu'entre  le  mérite  de  cet  œuvre  et  la 
récompense.  Vous  êtes  exclusif  partout.  Je  me  pro- 
mettois  bien  que  vous  receveriés  le  petit  présent  de 
bon  oeuil,  mais  je  n'attendois  rien  d'avantage  et  ne 
prétendois  pas  que  vous  m'en  eussiés  de  l'obligation. 
J'étois  assés  content  d'avoir  lieu  en  votre  cabinet  en 
peinture,  sans  remplir  ma  bourse  de  pistolles.  Cest 
une  espèce  de  Tirannie  que  de  me  rendre  tant  votre 
redevable,  que  jamais  je  ne  ne  puisse  aquitter  ma 
dette. 

J'ai  lu  l'Épître  Liminaire  de  Monsieur  de  Cham- 
brai de  laquelle  j'ai  recueilli  un  plaisir  tout  particu- 
lier me  remettant  comme  devant  les  yeux  l'excellence 
de  la  vertu  de  feu  Monseigneur  et  Maître  :  laquelle 
ne  se  peut  assés  exalter.  Je  n'eusse  pas  cru  qu'il  eût 
voulut  incérer  le  nom  de  son  serviteur  en  cette  noble 
Épître  et  ailleurs  si  souvent  et  avec  tant  d'avantage 
comme  il  a  voulut  faire  c'est  un  effet  de  sa  courtoisie 
naturelle  et  d'une  amitié  singulière  en  mon  endroit. 
C'est  ce  qui  m'a  fait  changer  la  pensée  que  j'avois  eu 
de  lui  envoyer  la  notte  de  mon  origine,  car  ce  seroit 
une  imprudence  trop  grande  et  sotte  présomption  de 

étaient  fort  mal  vus  à  Rome,  où  les  Espagnols  profitaient  des 
embarras  de  la  Fronde  pour  tenir  le  haut  du  pavé.  Le  27  avril 
i65o,  les  Corses  de  la  garde  du  pape  avaient  attaqué  le  palais 
de  notre  ambassadeur. 


l65l]  CE    NICOLAS    POUSSIN.  419 

désirer  d'avange  que  ce  qu'il  en  dit  c'est  trop  mille 
fois.  Je  massure  que  vous  ny  lui  ne  trouvères  pas  ce 
changement  vicieux,  j'ai  aussi  cru  de  faire  mieux  de 
ne  pas  laisser  voir  le  jour  aux  avertissemens  que  je 
commencés  à  ourdir  sur  le  fait  de  la  peinture,  m'étant 
avisé  que  ce  ceroit  porter  de  l'eau  à  la  mer,  que  d'en- 
voyer à  Monsieur  De  Chambrai  quoi  que  ce  soit  qui 
touchât  une  matière  en  laquelle  il  est  trop  agat  Ce 
sera  si  je  vis  mon  entretien'. 

Par  l'ordinaire  prochain  je  tâcherai  à  vous  envoyer 
la  descriptions  des  effets  que  vous  désirés. 

Je  vous  remercie  de  vos  nouvelles,  celles  d'ici  ne 
vallent  rien.  Je  suis  à  jamais, 
Monsieur, 

Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 

Poussin 

185.  —  Poussin  a  Abraham  Bosse  ^  (i65i  ?). 
Abraham  Bosse,  à  propos  du   Traité  de  la  Pein- 

1.  «  Il  eut  toujours  en  l'esprit  de  compiler  un  livre  sur  la 
peinture,  notant  diverses  matières  et  souvenirs,  selon  qu'il 
lisait  ou  contemplait,  dans  l'intention  de  les  mettre  en  ordre, 
lorsque  l'âge  venu  l'empêcherait  de  se  servir  de  son  pinceau  :  1 
il  était  d'avis  qu'il  ne  convient  plus  travailler  à  un  vieux-''^ 
peintre,  l'esprit  lui  manquant  pour  cela,  ainsi  qu'il  s'est  vu 
chez  un  grand  nombre  »  (Bellori,  Le  Vite  de'  pittori,  trad. 
Rémond,  p.  87). 

2.  Cette  lettre  est  relative  au  «  Traité  de  la  peinture  de 
Léonard  de  Vinci,  donné  au  public,  et  traduit,  d'italien  en 
François,  par  R.  F.  S.  D.  C,  à  Paris,  de  l'imprimerie  de 
Jacques  Langlois,  etc.,  i65i.  »  En  dépit  de  la  dédicace  qui  lui 
était  adressée,  Poussin  était  loin  d'approuver  toutes  les  idées, 
parfois  un  peu  étroites,  de  Roland  Fréart  de  Chambray.  L'hu- 
meur tracassière  d'Abraham  Bosse,  graveur  illustre,  mais 
véritable  «  démon  de  la  dissension  »,  fut  sans  doute  ravie  de 


420  CORRESPONDANCE  [l65l 

tU7-e  de  Léonard  de  Vinci,  traduit  par  Roland  Fréart, 
sieur  de  Chambray,  s'exprime  ainsi  : 

«  J'avoue  qu'ayant  leu  dans  son  Épître,  que  dores- 
navant  ce  Livre  doit  estre  la  règle  de  VArt^  et  le  guide 
de  tous  les  vrais  Peintres^  et  de  plus,  que  Monsieur 
le  Poussin  avoit  fait  la  démonstration  lignéale  de 
tous  les  chapitres  qui  avoient  besoin  d'estre  éclaircis 
et  représente^par  des  Figures  ' ,  cela  me  surprit,  estant 
certain  que  pour  arriver  à  la  perfection  de  vray 
Peintre,  il  se  faut  servir  de  règles  toutes  contraires  à 
celles  de  ce  prétendu  L.  de  Vinci,  duquel  je  feray  voir 
qu'à  la  réserve  des  Figures  humaines  nues,  il  n'y  a 
rien  dedans  qui  vienne  de  Monsieur  le  Poussin. 

Mais  outre  toute  cette  certitude,  j'ay  voulu  pour 
cause,  comme  j'ay  dit,  luy  en  écrire  à  Rome,  lequel 
de  sa  grâce  m'a  fait  la  réponse  qui  suit. 

J'ay  eu  quelquefois  du  plaisir  et  ay  profité  des 
divers  jugemens  que  l'on  a  fait  de  moy  ainsi  à  la 
haste,  comme  ont  accoustumé  de  faire  nos  François, 
qui  en  cela  se  trompent  trop  souvent;  je  vous  suis 
redevable  d'en  avoir  jugé  favorablement.  Si  vous  me 
régalez  de  vos  derniers  ouvrages,  j'en  feray  le  mesme 
estime  que  des  autres  que  j'ay  de  vous,  que  je  tiens 
très-chers. 

Pour  ce  qui  concerne  le  Livre  de  Léonard  Vinci,  il 
est  vray  que  j'ay  dessiné  les  Figures  humaines  qui 
sont  en  celuy  que  tient  Monsieur  le  Chevalier  Du 
Puis;  mais  toutes  les  autres,  soit  géométrales  ou 
autrement,  sont  d'un  certain  de  Gli  Alberti,  celuy-là 

cette  réponse  peu  nuancée  de  Poussin,  et  Bosse  l'inséra  à  grand 
bruit  dans  son  Traité  des  practiques  géométrales  et  perspec- 
tives enseignées  dans  l'Académie  royale  de  la  peinture  et 
sculpture,  i665,  p.  128.  L'original  de  cette  lettre  est  perdu. 

I .  Les  passages  en  italiques  sont  conformes  au  texte  d'Abraham 
Bosse. 


l65l]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  421 

mesme  qui  a  tracé  les  Plantes^  qui  sont  au  Livre  de 
la  Rome  Sousterraine'^;  et  les  gaufes^  Païsages  qui 
sont  au  derrière  des  figurines  humaines  de  la  copie 
que  Monsieur  de  Chambray  a  fait  imprimer,  y  ont 
esté  ajonts  par  un  certain  Errard,  sans  que  j'en  aye 
rien  sceu. 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  en  ce  Livre  se  peut  écrire 
sur  une  fueille  de  papier  en  grosse  lettre;  et  ceux  qui 
croyent  que  j'approuve  tout  ce  qui  y  est  ne  me  con- 
noissent  pas;  moy  qui  professe  de  ne  donner  jamais 
le  lieu  de  franchise  aux  choses  de  ma  profession  que 
je  connois  estre  mal  faites  et  mal  dites. 

Au  demeurant,  il  n'est  pas  besoin  de  vous  écrire 
touchant  les  Leçons  que  vous  donnez  en  l'Académie, 
vous  estres  trop. bien  fondé. 

Et  encore  que  cette  seule  réponse  soit  suffisante 
pour  convaincre  nos  Envieux  médisans,  je  ne  laisse- 
ray  pas  pourtant  d'appuyer  le  dire  de  Monsieur  le 
Poussin  et  le  mien  par  les  remarques  qui  suivent,  en 
attendant  le  reste,  si  j'y  suis  encore  forcé,  ou  bien 
pour  mieux  et  brièvement  faire,  en  cotter  le  bon  par 
abrégé,  ainsi  qu'a  très  bien  dit  nostre  Illustre  ;  de  la 
communication  duquel  j'ay  esté  tellement  ravi,  que  je 
remercie  mes  Critiques  malins  et  peu  éclaire^  de  me 
l'avoir  procurée,  quoy  que  sans  y  penser. 

186.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f*''*  22<^') 

A  Monsieur  de  Chantelou,  à  Paris. 

[Il  parle  de  mon  frère  de  Chambre 

1.  Sans  doute  les  planches  ou  les  plans. 

2.  La /^owasoWeranea  de  Bosio,  publiée  en  i632parAldobran- 
dini. 

3.  De  l'italien  goffi,  grossiers,  maladroits. 


\ 


422  CORRESPONDANCE  [l65l 

dit  que  pendant  que  sa  teste  poura  conceuoir  quelque 
chose  de  bon,  que  ses  yeux  verront  clair  et  sa  main 
tremblante  opérer  ce  sera  p^  moy.] 

Le  24™«  Auril  i65i  à  Rome. 
Monsieur 

Jey  malheureusement  esgaré  la  dernière  que  vous 
me  fistes  l'honneur  de  m'escrire  du  mans.  l'espérance 
que  j'auois  de  la  recouurer  m'a  trompé  et  empesché 
en  mesme  temps  di  respondre  plus  tost  ayant  oublié 
ce  quelle  contenoit  en  détail  il  me  souuient  pourtant 
que  vous  me  témoignés  vostre  bienveillance  acoustu- 
mée  et  que  vous  me  procuriés  celle  de  Mf  de  Cham- 
bray.  De  plus  en  plus  touttes  ces  faneurs  surpasse 
mon  peu  de  mérite  d'autans  comme  il  y  a  de  la  terre 
au  ciel.  Je  le  cognois  fortbien.  C'est  pourquoy  l'obli- 
gation que  je  vous  ay  est  d'autans  plus  grande.  Ausi 
il  ne  faut  point  que  vous  doubtiés  que  je  ne  sois  tout 
vostre  et  ce  seroit  me  faire  tort  si  vous  ne  croyés  que 
cependans  que  ma  teste  pourra  conceuoir  quelque 
chose  que  mes  ieux  verront  clair  et  que  ma  main  tran- 
blante  pourra  opérer  je  ne  sois  tousioursprestà  vous 
seruir.  Je  vous  prie  de  n'en  point  doubter.  Je  dis  cecy 
pource  quil  me  semble  que  vous  m'escriuiés  que 
quand  je  serois  debaracé  vous  vouliés  que  je  vous 
fisse  quelque  chose  de  nouueau. 

Enfin  M^  vos  prophéties  sont  acomplies.  Je  prie 
dieu  que  ce  soit  pour  tousiours*.  Je  crains  le  retour. 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

I.  Allusion  à  l'exil  de  Mazarin.  Celui-ci  arriva  à  Bruhl,  chez 
rélecteur  de  Cologne,  le  11  avril  i65i. 


l65l]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  423 

Je  baise  trèshumblement 
les  mains  à  Messieurs 
vos  fraires. 

187.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  222.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  au  mans. 

[3^  décembre  i65i. 

Il  promet  de  mettre  la  main  à  la  Vierge  en  grand 

que  je  luy  demande.] 

à  Rome  le  3.  décembre.  i65i. 
Monsieur 

Je  suis  mortifié  par  les  deus  mots  que  vous  aués 
joint  au  bas  de  la  lettre  de  Monsieur  de  Chambray. 
C'est  me  dire  beaucoup  quand  vous  dittes  que  je  vous 
aye  en  mon  souuenir.  Certainement  je  ne  deuerois 
pas  seullement  auoir  en  ma  mémoire  ce  que  je  vous 
ay  promis  il  y  a  long-temps  mai  je  debuerois  l'auoir 
fait.  Je  ne  scai  si  vous  aués  repceu  la  dernière  que  je 
vous  ay  escritte  ou  si  vous  y  aués  obserué  ce  que  je 
vous  promettois  touchant  la  Vierge  en  grand  que 
vous  désirés  que  je  face.  Je  vous  le  répette  par  celle 
cy.  et  néanmoins  que  je  sois  extrêmement  engagé  je 
m'efforserei  de  donner  commencement  cet  hiuer .  C'est 
la  mémoire  que  j'aurei  du  seruice  que  je  vous  doibs 
rendre  qui  suis  de  tout  mon  cœur 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 

Monsieur  le  Cheualier  du  Puis 
vous  baise  les  mains. 


424  CORRESPONDANCE  [l65l 

188.  —  Poussin  a  Jacques  Stella. 
(Félibien,  Entretiens,  éd.  i685,  p.  408.) 

«  Dans  quelques-uns  de  ses  Tableaux  il  a  repré- 
senté des  temps  calmes  et  serains  ;  dans  d'autres  des 
pluyes,  des  vents,  et  des  orages,  comme  ceux  que 
vous  avez  veûs  autrefois  chez  le  sieur  Pointel.  Le 
Poussin  les  fit  en  i65i,  et  dans  le  mesme  temps  il 
écrivit  au  sieur  Stella, 

Qu'il  avoit  fait  pour  le  Cavalier  del  Pozzo,  un 
grand  païsage,  dans  lequel,  luy  dit-il,  j'ay  essayé  de 
représenter  une  tempeste  sur  terre,  imitant  le  mieux 
que  j'ay  pu  l'effet  d'un  vent  impétueux,  d'un  air  rem- 
pli d'obscurité,  de  pluye,  d'éclairs  et  de  foudres  qui 
tombent  en  plusieurs  endroits,  non  sans  y  faire  du 
désordre.  Toutes  les  figures  qu'on  y  voit  jouent  leur 
personnage  selon  le  temps  qu'il  fait  :  les  unes  fuyent 
au  travers  de  la  poussière,  et  suivent  le  vent  qui  les 
emporte;  d'autres  au  contraire  vont  contre  lèvent,  et 
marchent  avec  peine,  mettant  leurs  mains  devant 
leurs  yeux.  D'un  costé  un  Berger  court,  et  abandonne 
son  troupeau,  voyant  un  lion,  qui,  après  avoir  mis 
par  terre  certains  Bouviers  en  attaque  d'autres,  dont 
les  uns  se  défendent,  et  les  autres  piquent  leurs  bœufs, 
et  taschent  de  se  sauver.  Dans  ce  désordre  la  pous- 
sière s'élève  par  gros  tourbillons.  Un  chien  assez 
éloigné  aboyé,  et  se  hérisse  le  poil,  sans  oser  appro- 
cher. Sur  le  devant  du  Tableau  l'on  voit  Pyrame  mort 
et  étendu  par  terre,  et  auprès  de  luy  Tysbé  qui  s'aban- 
donne à  la  douleur.  » 


l652]  de  nicolas  poussin.  425 

189.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^^^'  224-) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 

Maistre  d^Hostel  ordinaire  du  Roy^  à  paris 

ou  au  Mans  ' . 

[10  nouembre  i652. 

Il  promet  de  mettre  la  main  à  la  Vierge  en  grand, 

mande  quil  croioit  que  la  guerre  ciuille  eust  amorti 

ma  curiosité.] 

Le  io"['«  Nouembre.  i652.  à  Rome. 
Monsieur 

Celle  qu'il  vous  a  pieu  m'escrire  du  3o™«  Septembre 
m'a  esté  rendue  un  peu  tard,  mais  ausi  tost  que  je 
l'ai  repsue.  jei  fait  recherche  de  ceque  vous  m'ordon- 
nes par  icelle.  Je  vous  enuoye  donc  une  douzeine  de 
paires  de  gant  de  Frangipane  lesquels  je  m'assure 
vous  plairont.  Je  vous  enuoie  ausi  six  pacquets  de 
cordes  de  leut  toutte  choisies  et  esprouuées  par  un 
bon  joueur  d'instruments  mon  ami.  Les  dittes  cordes 
sont  enfermées  en  une  petitte  boette  de  fer  blanc  sou- 
dée partout  et  sellée  de  mon  cachés.  Les  gants  sont 
forbien  enuelopés  et  sellés  comme  dessus.  Jei  consei- 
gné  le  tout  à  M^,  Giericot  demeurant  en  cette  ville 
lequel  l'enuoiera  à  son  Paire  à  Paris  qui  vous  le  fera 
tenir  où  vous  serés.  Vous  paierés  le  port  de  delà  sil 
vous  plaist  et  ordonnerés  que  je  sois  remboursé. 
Ci-dessous  vous  verres  la  dépense. 

Les  choses  que  vous  m'aués  ordonnées  pour  vostre 
seruice  ne  s'efacent  nullement  de  ma  mémoire  et  je 

I.  En  bas,  à  gauche  :  franc. 


426  CORRESPONDANCE  [l652 

VOUS  jure  que  j'aurois  à  tout  le  moins  cOmencé  la 
Vierge  que  je  vous  ay  promise.  Mais  les  Nouuelles 
que  nous  auons  trop  souuent  de  la  désolation  de 
nostre  pauure  France,  et  le  refroidissem*  uniuersel  de 
la  curiosité  des  belles  choses,  m'auoit  fait*  penser  que 
vous  auriés  soin  de  toutte  autre  chose  que  de  nou- 
uelle  peinture,  qui  en  aués  désià  assés.  Or  maintenant 
les  escuses  ne  me  seruiroint  de  rien  puis  que  je  vous 
vois  continuer  dens  vostre  premier  dessein,  et  quoy 
que  l'incommodité  que  jei  eue  cette  Anée  aie  mis 
mes  «  affaires  fort  en  derrière,  il  faut  que  je  trouue  le 
temps  de  vous  satisfaire.  C'est  (Monsieur)  ce  que  je 
vous  promets  de  faire  le  plus  tost  qui  me  sera  pos- 
sible —  Jei  recouuert  la  santé  comme  au  parauant 
dieu  me  la  veille  continuer  *.  en  cette  manière  je  serei 
tousiours  en  estât  de  vous  seruir  moy  qui  serei 
tousiours 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin 
Messieurs  vos  fraires  trouueront 
ici  mes  trèshumbles  baisemains. 

28.  escus.  pour  les  gants 

5.  escus  et  Jules.  4. 

pour  les  cordes  de  leut 

à  noeuf  Jules  le  pacquet 

Un  Jule  pour  la  boette. 

Le  tout  monte  à  trentetrois  escus  et  demi 

de  cette  monoye. 

i.fait,  en  marge. 


l653]  de  nicolas  poussin.  427 

190.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  226.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Maistre  d'Hostel  ordinaire  du  Roy. 

Rue  S^  Tomas  du  Louure^  A  Paris*. 

[16^  feburier  i653. 

Mande  quil  a  trouué  la  pensée  de  la  Vierge  en 
grand  que  je  luy  ay  demandée.  \ 

Ce  i6'^«  féurier  i653.  à  Rome. 
Monsieur 

Le  Jeune  homme  Architecte  que  vous  me  recom- 
mandés a  esté  le  porteur  de  la  vostre  du  3°?«  Januier. 
Si  je  suis  capable  de  le  seruir  je  le  ferei  de  tout  mon 
cœur  pour  l'amour  de  vous  et  de  Mo;;  Renart  qui 
véritablem.'  est  honneste  homme  et  amateur  des  belles 
choses  mais  qui  choisit  fort  mal  ceus  qui  voudroit 
qui  fissent  proffit  en  l'aquisition  d'icelles.  Si  celui  ci 
qui  recommande  réussit  à  faire  progrès  en  l'art  quil 
entreprent  d'exercer,  il  me  trompera. 

J'étois  en  paine  de  scauoir  si  les  gants  et  cordes  de 
leut  que  je  vous  ai  enuoiées  vous  auoint  esté  rendues 
mais  par  celle  vostre  vous  m'assures  d'auoir  repseu 
le  tout  bien  conditionné.  Je  croi  que  les  cordes  vous 
auront  semblé  un  peu  chères.  Car  je  les  paioi  trois 
teston^  le  pacquet  mais  toutes  choisies,  je  fus  con- 
seillé d'un  mien  ami  qui  me  seruit  en  cela  de  faire 
ainsi  pour  le  mieus.  ordinairement  le  pacquet  ne 

1.  A  gauche  de  l'adresse,  verticalement  :  iport  douii^e  sol:(. 

2.  Le  teston,  monnaie  d'argent  qui  valait  alors  près  de  vingt 
sous. 


428  CORRESPONDANCE  [l653 

couste  que  deus  testons  mais  il  ne  si  en  trouue  pas  le 
tiers  de  bonnes.  Ce  que  je  fait  pour  vous  je  le  faits 
auec  plus  de  soin  que  si  c'étoit  pour  moy  mesme.  Jei 
parlé  à  M^  Gericot  pour  scauoir  se  qui  prétendoit  de 
change  pour  cent,  il  n'en  veut  rien  rabatre  de  douze 
et  m'a  juré  que  l'on  lui  en  paioit  jusques  à  quatorze, 
il  i  a  enuiron  deus  mois  que  je  fis  venir  un  peu  d'ar- 
gent que  j'auois  à  Paris  lequel  me  fut  remis  à  douze 
pour  cent  et  n'en  pus  auoir  melieur  marché.  M^  Poin- 
tel  ne  peut  trouuer  personne  qui  me  le  vouleut 
remettre  à  dix  pour  cent.  Vous  pouués  voir  ce  quil 
importera  pour  me  faire  rembourcer  en  cette  ville  de 
vintetrois  escus  et  quatre  Jules  que  jei  dépensés  pour 
vous.  Se  sera  par  qui  et  qand  il  vous  plaira. 

Jei  trouué  la  pensée  de  la  Vierge  que  je  vous  ai  pro- 
mise, il  faut  maintenant  trouuer  le  temps  et  la  com- 
modité de  la  mettre  en  exécusion.  Je  manquerei  pas 
de  vous  escrire  quand  ji  mettrei  la  main.  Je  vous 
souhette  toutte  sorte  de  félicité  et  de  bonheur,  et  suis 

à  jamais 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

191.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  228.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Maistre  DHostel  ordinaire  du  Roy, 

Rue  S^  Tomas  du  Louure,  A  Paris*. 

[21^  auril  i653. 

I.  En  bas  et  à  droite  :  port  dix  sols. 


l653]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  429 

Quil  a  trouué  la  pensée  de  ma 
vierge  en  grand.] 

Ce  2i"«  auril  i653  à  Rome. 
Monsieur 

présentement  le  Sieur  Maurice  Giericot  m'a  paie 
vintetrois  escus  et  quatre  jules  que  vous  aués  paie  à 
son  père  à  Paris  pour  le  remboursement  de  «  ce  *  que 
j'auois  dépensé  pour  vous  ici  à  Rome.  Ce  n'a  pas  esté 
sans  contraste  d'autans  que  vous  ne  m'aués  pas  enuoié 
la  lettre  de  change  que  son  père  vous  a  donnée,  ausi 
par  les  quittances  première  et  seconde  que  je  lui  ai 
faittes  je  me  suis  obligé  ou  de  lui  rendre  la  ditte  lettre 
de  change  ou  l'argent  que  jei  repseu  de  luy.  c'est 
pourquoi  je  vous  suplie  de  m'oster  de  cette  obliga- 
tion et  vous  m'obligerés.  Pour  vostre  Vierge  la  pensée 
en  est  irouuée  et  j'espère  vous  la  commencer  cet 
automne  dieu  m'en  face  la  grâce.  Je  suis  si  pressé 
que  je  ne  peux  pas  vous  escrire  plus  au  long.  Cepen- 
dans  je  vous  supplie  de  me  continuer  vostre  bienueil- 
lance  et  suis  à  tousiours 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

192.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^*  229.) 

A  Monsieur  De  Chantelou^ 
Maistre  d^Hostel  ordinaire  du  Roy^  à  Paris. 

[//«  May  i653. 

Quil  va  trauailler  à  la  Vierge  en  grand. 


43o  CORRESPONDANCE  [l653 

Quil  a  fait  présent  des  Hures  de  mon  frère  de 
Chambre  à  M.  le  Cheualier  du  Puy  qui  les  tient 
comme  des  trésor  s. 1 

A  Rome  Ce  ii»^*  mai.  i653. 

Monsieur 

Je  n'ai  rien  de  nouueau  qui  m'oblige  à  vous  faire 
long  discours.  Je  vous  dirai  seullement  que  incluse 
en  vostre  dernière  je  repsus  la  lettre  de  change  un 
peu  tard  de  manière  que  cela  a  esté  cause  d'embroil- 
1er  un  peu  nos  affaires  car  j'auois  (manquant  la  ditte 
lettre)  fait  deus  quittances  au  Sieur  Gericot  une  pour 
son  père  et  une  pour  luy  et  il  faut  maintenant  faire 
reuenir  celle  que  a  son  père  pour  me  la  rendre,  mais 
tout  cela  n'est  pas  grand  mal. 

Pour  ce  qui  est  de  vostre  vierge  désormais  vous 
n'aurés  plus  occasion  de  vous  douloir  de  mes  remises 
de  temps  en  temps  ni  de  nulle  autre  occasion  qui 
vous  pourroit  déplaire  jà  dieu  ne  plaise.  J'espère  sur 
la  fin  de  cette  anée  la  commencer  et  la  finir  l'ané  qui 
vient  deuant  toutte  autre  chose,  la  pensée  en  estares- 
tée  qui  est  le  principal. 

Jai  fait  un  présent  (après  les  auoir  bien  goustés) 
des  Hures  desquels  M^"  de  Chambray  m'a  fauorisé,  à 
Mo^  le  cheuallier  du  Puis,  qui-les  tient  comme  autans 
de  trésors  et  les  montre  à  tous  les  galanshommes  qui 
le  vont  visiter.  Je  lei  ausi  fait  à  celle  fin  qui  soint  veus 
en  bon  lieu  et  que  le  non  et  la  réputation  de  Mes- 
sieurs les  Frears  de  Chantelou  s'étende  par  tout.  Je 
leur  baise  les  mains  et  à  vous  je  suis  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant  Seruiteur 

Le  Poussin 


1654]  de  nicolas  poussin.  43 1 

193.  —  Poussin  a  Hilaire  Pader*. 

Lettre  de  Monsievr  Le  Povssin^ 
Premier  peintre  dv  Roy,  av  sievr  Pader. 

Monsievr, 
Il  y  a  peu  de  iours  que  ie  receus  un  pacquet  que 
vous  m'auez  enuoyé  de  Monaco  2;  L'on  me  l'a  rendu 
tard,  d'autant  (comme  ie  pense)  que  procédant  en 
toutes  mes  opérations,  tout  doucement  et  à  l'aise,  ie 
suis  peu  connu  du  Maistre  des  Postes  :  après  en  avoir 
fait  l'ouuerture,  et  leu  les  vers  de  vôtre  Peinture  par- 
lante, ie  me  suis  trouué  vostre  obligé  en  diuerses 
façons;  La  première  à  vous  remercier  de  la  mémoire, 
que  vous  auez  eu  de  moy  en  diuers  temps,  et  lieux, 
d'où  il  vous  a  pieu  m'écrire  des  Lettres  qui  ne  m'ont 
pas  esté  rendues,  car  ie  n'aurois  pas  manqué  d'y  res- 
pondre  à  l'heure  mesme.  La  secondeest  de  l'honneur 
que  vous  m'auez  fait  d'insérer  mon  nom  dans  vostre 
ouurage  de  Poésie,  quoy  que  vous  m'eussiez  dauan- 
tage  obligé  d'en  parler  un  peu  plus  bassement^,  et 
selon  mon  peu  de  mérite  :  ie  le  reconnois  pour  un 

1.  Hilaire  Pader  (1607-14  août  1677),  peintre,  graveur  et  poète, 
né  à  Toulouse.  Reçu  académicien  le  6  décembre  lôSg.  La  lettre 
de  Poussin  se  trouve  à  la  page  62  de  l'ouvrage  :  La  peinture 
parlante,  dédiée  à  Messieurs  les  Peintres  de  l'Académie  royale 
de  Paris,  par  H.  P.  P.  P.  Tolosain,  1657  (Bibl.  nat.,  V.  io3i7). 

2.  Dans  le  même  ouvrage,  Pader  se  dit  «  Peintre  de  Leurs 
Altesses  de  [sic]  Maurice  de  Savoye  et  de  Monaco  ». 

3.  Dans  son  poème,  Pader  décrit,  en  268  vers,  «  divers 
exemples  tirés  des  œuvres  de  Mr.  Poussin  »  :  «  Des  Roys,  des 
Bergers,  des  enfans,  des  Vieillards,  des  Guerriers,  des  Pro- 
phètes, des  Amans,  des  Nymphes,  des  Bâchâtes,  des  Triôphes, 
des  Draperies,  des  Nudités,  des  Tableaux  de  Dévotion,  des 
Mystères  joyeux  ».  C'est  long  (p.  19  à  26),  vague  et  monotone. 


432  CORRESPONDANCE  [l654 

effet  de  la  bonne  volonté  que  vous  auez  pour  moy, 
dont  ie  vous  suis  infiniment  redeuable.  Il  ne  faut  pas 
que  vous  vous  incommodiés  pour  m'enuoyer  les 
autres  parties  de  vostre  Poésie,  l'on  iuge  bien  du 
Lyon  par  l'ongle. 

Je  n'ay  pas  encore  fait  voir  la  pièce  que  vous  m'auez 
euuoyée,  ie  la  reserue  pour  quelqu'un  qui  en  sçaura 
gouster  la  beauté;  Ce  n'est  pas  le  gibier  des  Peintres 
médiocres,  ce  seroit  semer  des  perles  deuant  les 
porcs,  que  de  leur  présenter  vostre  Liure  pour  le  lire. 
Au  demeurant  ie  suis  bien  marri  de  ne  vous  pou- 
uoir  enuoyer  réciproquement  quelque  chose  du  mien, 
cQme  vous  le  désirés,  l'on  n'a  rien  graué  de  mes 
V  ouurages^,  dont  ie  ne  suis  pas  beaucoup  fâché  : 
Regardés  cependant  si  ie  vous  puis  seruir  en  quelque 
autre  chose,  et  commandés  celuy  qui  est  de  tout  son 
cœur, 

Monsievr, 

Vostre  tres-humble  et  tres-affectionné 
serviteur, 

Le  Povssin. 
A  Rome  le  3o.  Januier  1654. 

«  Nostre  Apelle  François  »  et  son  «  illustre  Pinceau  »  y  sont 

loués  par  Pader  avec  une  banalité  pitoyable  : 

«  De  plus  ce  grand  ouurier  par  ces  rares  praticques 
N'eust  iamais  son  pareil,  quand  à  l'air  des  Antiques? 
Il  les  suit  de  si  près  que  ie  dis  et  maintiens 
Qu'il  ne  cède  à  pas  un  des  Peintres  Corinthiens; 
...  Et  ie  ne  feindray  pas  de  dire  à  haute  voix 
Que  tous  les  peintres  Grecs  sceurent  moins  qu'un  François, 
Oui  ie  croy  fermement  qu'il  sçait  tout  ce  qu'ils  sceurent, 
Et  qu'estant  ce  qu'il  est,  il  est  tout  ce  qu'ils  furent  »  (p.  25). 
Déjà,  en   1649,  Pader,  dans  l'Avertissement  sur  le  traité  des 

Proportions,  appelait  Poussin,  avec  plus  de  goût  :  «  L'honneur 

de  notre  France  ». 
1.  Voir  G.  Duplessis,  Les  graveurs  de  Nicolas  Poussin  {Revue 

universelle  des  arts,  i858). 


l655]  de  nicolas  poussin.  433 

194.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fo^'  23o.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Rue  S^  Tomas  du  louure,  à  Paris*. 

[y  ^  juin  i655. 

Il  menuoye  la  vierge  en  grand 

et  fait  un  discours  des  peintres 

et  sculpteur  antiques.] 

Le  27'ï»e  Juin  i655.  à  Rome. 
Monsieur 

il  y  a  huit  Jours  que  Je  fis  consigner  la  quaisse  en 
laquelle  est  le  tableau  de  la  vierge  que  je  vous  ai  fait 
au  Courrier  nommé  L'Epine.  Je  me  seruis  de  l'en- 
tremise du  Si^  Gericot  à  celle  fin  d'éuiter  la  dépense 
du  port  duquel  ils  me  demandoint  six  pistoles  vous 
pourrés  remercier  Marguin^  de  cette  extrauagance 
quand  vous  le  verres,  il  couste  seullement  quarante 
sol  pour  liure  pois  de  Lion,  auiourdhui  je  con- 
signe au  mesme  S;;  Gericot  sis  paquets  de  bonne 
Cordes  de  Lut.  Vous  ferés  dilligence  de  retirer  le 
tout  des  mains  du  Si;  Gericot  paire  auquel  vous 
paierés  la  dépense  que  son  fis  a  déboursé  pour  vous 
en  cette  ville"*  et  alieur.  C'est  à  scauoir  Le  port  de  la 
quaisse  de  Cordes  le  façon  du  Canon.  Jules  huit,  de 
la  quaisse  Jules  cinq  un  Jule  de  papier  et  trente 
nœuf  Jules  pour  les  Cordes.  Les^  gants  ne  se  sont 

1.  En  petits  caractères,  au-dessous  :  port  dou^e  sols. 

2.  Chantelou  écrit  à  tort  le  7  au  lieu  du  27. 

3.  Peut-être  Mauguin. 

4.  Mot  en  marge. 

5.  Ici,  un  astérisque  qui  renvoie  en  marge,  où  est  écrit  le 
mot  gants. 

191 l  28 


434  CORRESPONDANCE  [l655 

peu  trouués  bon.  et  il  faut  atendre  jusques  à  cet 
automne  ainsi  que  vous  aués  marqué  par  vostre  der- 
nière. 

Quand  vous  aurés  repseu  le  susdit  tableau  et  que 
vous  l'aurés  bien  considéré,  vous  me  ferés  l'honneur 
de  m'escrire  cimplement  à  la  bonne  ce  qui  vous  en 
semble.  Bellement  je  vous  prie  deuant  toutte  choses 
de  considérer  que  tout  n'est  pas  donné  à  un  homme 
seul,  et  quil  ne  faut  point  rechercher  en  mes  ouurages 
ce  qui  n'estoint  de  mon  talent.  Je  ne  doute  nullement 
que  les  sentences  de  ceus  qui  verront  cet  ouurage  ne 
soint  fort  différentes,  tous  genres  d'ouurages  si  comme 
ils  ont  leurs  auteurs  ils  ont  encore  leurs  amateurs, 
et  partant  l'on  ne  scait  si  art  aucune  ait  son  par- 
fet  ouurier.  non  sellement  pourceque  un  autre  en 
autre  chose  est  plus  éminent  mais  encore  pource- 
que une  forme  ne  plaist  pas  à  tous  partie  pour  la 
condition  du  temps,  ou  des  lieus  partie  pour  le  Juie- 
ment  et  propos  de  chacun.  Les  premiers  peintres 
fameus.  Les  œuure  desquel  en  vérité  deuoint  estre 
considérées  et  regardées  non  sellement  en  faueur  de 
l'antiquité,  l'on  dit  auoir  été  Polignote^  et  Aglophon 

I.  M.  Alexis  Pitou  a  bien  voulu  rechercher  le  texte  dont 
Poussin  s'inspire  dans  le  reste  de  la  lettre  :  Poussin  suit  ici  de 
très  près  Quintilien,  Institutio  oratoria,  XII,  10  (g§  3,  5,  6,  7,  8)  : 
^  «  Polygnotus  atque  Aglaophon,  quorum  simplex  color  tam 

sui  studiosos  adhuc  habet,  ut  illa  prope  rudia  ac  velut  futurae 
mox  artis  primordia  maximis,  qui  post  eos  exstiterunt,  aucto- 

ribus  praeferant nam  cura  Protogenes,  ratione  Pamphi- 

lus  ac  Melanthius,  facilitate  Antiphilus,  concipiendis  visioni- 
bus  (quas  çavxafffaî  vocant)  Theon  Samius,  ingenio  et  gratia, 
quam  ipse  in  se  maxime  jactat  Apelles  est  praestantissimus. 
...  Similis  in  statuis  differentia.  Nam  duriora  et  Tuscanicis 
proxima  Gallon  atque  Egesias,  jam  minus  rigida  Galamis, 
moUiora  adhuc  supradictis  Myron  fecit.  Diligentia  ac  décor  in 
Polycleto  supra  ceteros  ...  At  quae  Polycleto  defuerunt,  Phi- 
diae  atque  Alcameni  dantur.  » 


l655]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  435 

le  sinple  couleur  desquels  a  eu  tant  et  si  longtems 
des  Studieus  que  ces  rosses  et  quasi  principes  de  l'art 
furent  préférés  aus  grandissimes  auteurs  qui  leurs 
succédèrent  après,  ainsi  comme  je  croy  par  une 
propre  ambition  d'entendre,  la  peinture  florit  enuirô 
filippe  et  jusques  au  successeurs  d'Alexandre.  Mais 
auec  diuerse  vertu.  Protogène  auec  la  dilligence  et 
curiosité.  Panfile  et  Mélanthe  auec  la  raison.  Antifile 
auec  la  facillité.  Téon  Samien  au  conseuoir  les  fanta- 
sies.  Apelle  [est]  fut  trèspressant  auec  la  nature  et  la 
grâce  de  laquelle  il  se  vantoit  tant.  Semblable  difé- 
rëse  se  trouuoit  es  Statues,  parceque  Galon  et  Egé- 
sias  les  firent  et  plus  dures  et  plus  aprochantes  des 
Toscanes,  et  Calamide  les  fit  moins  rigides,  et  plus 
molles  des  susdits  Miron.  En  Policlète  se  trouue  la 
dilligence  et  la  beauté  par  dessus  les  autres,  et  néan- 
moins que  la  pluspar  lui  atribuast  la  palme  néan- 
moins aucuns  pour  lui  oter  quelque  chose  pensèrent 
que  la  granité  lui  manquoit,  et  si  comme  il  donna  à 
la  forme  humaine  une  beauté  surnaturelle,  ainsi  il  ne 
peut  ariuer  à  représenter  l'autorité  des  dieus.  il  n'osa 
mesme  entreprendre  de  représenter  les  vieillars.  Mais 
les  choses  qui  manquèrent  à  Policlète  s'atribuèrent  à 
Fidias  et  à  Alamène^  La  mesme  chose  se  rencontre 
en  cens  qui  ont  été  de  réputatiS  depuis  trois  cens  cin- 
quante ans.  entre  lesquels  à  qui  l'examinera  bien  trou- 
uera  que  jei  encore  ma  par. 
Je  suplie  Madame  de  Monmor^  de  ne  se  mettre 

1.  Lapsus  pour  Alcamène. 

2.  Françoise  Mariette,  née  au  Mans  le  24  décembre  161 1, 
mariée  à  René  Le  Roy,  receveur  des  tailles  à  Château-du-Loir, 
puis  à  Jacques-Nicolas  Chevalier,  sieur  de  Montmort,  conseil- 
ler et  maître  d'hôtel  ordinaire  du  roi,  capitaine  et  gouverneur 
de  la  ville  et  château  du  Loir,  et  enfin  à  M.  de  Chantelou,  le 


436  CORRESPONDANCE  [l655 

point  en  peine  de  m'escrire  ni  de  m'enuoier  des  arres 
quel  aie  sellement  patience.  Car  jei  quatre  tableaus  à 
finir  deuant  que  de  mettre  la  main  à  la  besongne 
pour  elle,  néanmoins  je  ruminerei  sur  les  dus  ma- 
tières que  elle  m'a  proposées. 

Jei  oublié  à  vous  dire  que  la  nostre  dame  que  je 
vous  ei  enuoiée  n'est  vernie  qu'auec  du  blanc  d'œuf. 
Vous  la  pouués  faire  vernir  auec  d'autre  vernix  qui  la 
rendra  plus  fraiche. 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Le  Poussin 

Je  baise  très  humblem' 
les  mains  à  Madame 
de  monmor  et  à  messieurs 
vos  fraires. 

195.  —  Poussin  a  Chantelou'. 

(Ms.  12347,  fo'-  232.) 

[2g  aoust  i655. 

Il  descrit  la  vierge  en  grand  qu'a  eue  M.  PointeP^ 
me  l'offre  pour  M^  de   Chantelou  au  lieu  de  celle 
quelle  luy  demande. 
Est  bien  aise  que  la  mienne  mayt  satisfait.] 

Le  29'pe  Aust.  i655.  à  Rome. 
Monsieur 
Je  ne  répéterei  point  par  celle  si  ce  que  je  vous  escri- 

20  mars  i656  (à  Saint-Germain-l'Auxerrois).  Elle  mourut  avant 
le  21  septembre  1690. 

1.  Pas  de  suscription;  la  feuille  qui  la  portait  manque. 

2.  Louis  Fouquet  écrivait  au  surintendant,  le  2  août  i655  : 
«  11  y  a  ici  un  curieux  de  mes  amis  et  de  ceux  de  Becherels, 
nommé  Pointel,  qui,  en  partant,  il  y  a  un  an  et  demi,  prit 
mil  escus  à  M.  le  duc  de  Créquy  pour  luy  achepter  à  Rome 
des  tableaux; ...  »  Ce  détail  explique  que  Poussin  parle,  dans 
le  cours  de  la  lettre,  d'une  «  personne  grande  »  :  il  veut  dési- 


l655]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  437 

uis  il  i  a  huit  jours  ^  Je  ne  vous  selerei  pas  pourtant 
la  joeie  que  jei  de  ceque  par  toutte  les  deus  vostres 
vous  me  témoignés  que  la  Vierge  que  je  vous  ei  faitte 
ne  vous  déplaist  pas. 

Vous  aués  fait  ce  qu'il  faloit  touchent  la  dépense 
des  bust  que  vous  désirés.  Incontinent  que  les  cha- 
leurs seront  passées  jen  ferei  recherche.  Jei  fait 
enuers  M;;  Fouquet^  ce  que  vous  m'aués  ordonné. 

Vous  me  férés  scauoir  si  vous  voulés  que  l'on  se 
serue  de  l'ocasion  du  retour  des  Marchands  de 
St  Maslô  pour  vous  porter  le  bust  de  question. 

Or  pour  ce  qui  touche  la  Vierge  en  grand  que 
Madame  de  Montmort  voudroit  que  je  lui  fisse  au 
lieu  d'une  petite  il  me  semble  quelle  n'a  pas  empiré 
de  Conseil  Les  choses  représentées  au  Naturel  rem- 
plissent dauantage  la  vue.  Elle  a  *  auec  moy  trouué 
la  melieure  rencontre  du  Monde.  Car  j'en  ei  une  fort 
auancée  que  je  fesois  pour  une  persOne  grande  qui 
est  manquée  et  de  la  quelle  je  peus  disposer.  La  toille 
est  enuiron  la  grandeur  de  la  vostre  un  peu  plus 
haute,  il  i  a  quatre  figures  du  naturel  bien  disposées, 
finies  et  dépeintes  avec  goust  et  de  bon  relief.  Je  vous 
l'aurois  enuoiée  au  lieu  de  la  vostre  si  j'en  euse  peu 
disposer  alors,  en  somme  Madame  de  Montmort  ne 

gner  non  Pointel,  mais  le  duc  de  Créquy.  —  Nous  rappelons 
que  ces  lettres  de  Louis  Fouquet  sont  citées  dans  BonnafFé, 
Le  surintendant  Fouquet. 

1.  Lettre  perdue. 

2.  L'abbé  Louis  Fouquet,  conseiller  au  Parlement  (plus  tard 
évêque  d'Agde,  mort  en   1703),  venait  d'être  envoyé  à  Rome 

par  son  frère  le  surintendant.  «  En  i655  et  i656,  il  faisait  orner  y^ 
ses  châteaux  de  Saint-Mandé,  Belle-Assise  et  Vaux  et  il  profi-  ^ 
tait  de  la  présence  d'un  de  ses  frères  à  Rome  pour  acheter 
force  tableaux,  statues  et  meubles  de  prix.  Comme  ce  frère 
n'y  entendait  rien,  c'était  Poussin  qui  avait  la  charge  de  faire 
les  achats  »  (lettre  inédite  de  M.  de  Lespinois  à  Ph.  de  Chen- 
nevières,  6  septembre  1860). 


438  CORRESPONDANCE  [l655 

peut  pas  estre  mieus  seruie  de  moy.  La  Vierge  est 
assise  sur  une  cherre  tenant  en  son  giron  le  petit  Jésus, 
il  i  a  deuant  elle  un  St  Jean  assés  grandet  qui  est  en 
action  de  prier  quil  donnent  leur  bénédiction  aus 
regardans.  il  i  a  derrière  eus  un  St  Josef  tout  debout 
qui  les  regarde,  derrière  il  i  a  un  rideau  une  colomne 
et  un  peu  de  fonds.  J'atendrei  réponse  la  dessus  et 
vous  suis  de  tous  mon  coeur 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur  Le  Poussin. 
Je  penserei  à  vostre  Sî  Paul 
auec  un  peu  de  temps. 

196.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  2331.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Rue  S^  Tomas  du  Louure,  à  Paris^. 

{i5  nouembre  i655. 

Quil  est  arriué  de  l'empeschement  à  l'enuoy  de  la 
vierge  en  grand  quil  auoit  offert  pour  M^  de  Chante- 
lou.] 

Ce  15""^  nouembre.  i655.  à  Rome. 
Monsieur 

Je  nei  peu  jusques  à  présent  rien  faire  pour  vous 
touchant  les  busts.  les  empeschements  sont  grands  et 
je  vous  les  direi  quand  il  sera  temps.  Je  veus  sauoir 
seullemî  de  vous  si  en  cas  que  [vous]  je  n'en  puisse 
auoir  d'antiques,  vous  voudriés  que  je  vous  fisse  faire 
un  douzeine  de  belles  testes  auec  un  peu  de  bust 

1.  Cette  lettre  est  écrite  d'une  encre  très  pâle. 

2.  Au-dessous  de  l'adresse,  en  petits  caractères  :port  dix  sols. 


l655]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  489 

tout  d'une  pièce  elles  neserointpas  moins  belles  que 
ces  vieilles  testes  noires  et  touttes  rapiécées  et  vous  les 
auriés  à  bon  marché. 

pour  ce  qui  concerne  la  Vierge  grande  de  laquelle  je 
pensois  pouuoir  acommoder  madame  de  Montmort. 
il  i  est  ariué  de  l'empeschement  et  je  n'en  peus  dis- 
poser ainsi  comme  je  croiois.  J'atendrei  à  la  seruir 
de  la  Vierge  en  égipte  selon  la  première  pensée 
qu'elle  en  a  eue.  Jei  fait  apareiller  la  toille  et  étudie 
alentour  de  l'inuention  et  disposition. 

Je  vous  enuoie  une  douzeine  de  paire  de  gants  à  la 
frangipane  et  des  meilleurs.  Je  les  ei  consignés  à 
M^  Gericot  qui  vous  les  fera  tenir  et  vous  lui  rendrés 
la  valeur  de  six  pistoles  d'espagne  qu'il  a  déboursées 
pour  cet  effet. 

Je  ne  la  ferei  pas  plus  longue  pour  cette  fois  vous 

supliant  de  croire  quil  ni  a  personne  qui  vous  soit 

plus  que  moi 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Le  Poussin 

Je*  vous  suplie  de  vous  souuenir  de  ce  dont  je 

vous   ay  suplié   touchant   l'afaire   qui  est  entre  les 

mains  de  M^  le  Surintendant  Fouquet. 

197.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  2342.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Rue  S^  Tomas  du  Louure^  à  Paris. 

[20  décemb  i655. 

Dit  que  M.  le  Caualier  du  Puy  sest  excusé  de  p 

1.  Cette  phrase,  en  marge,  verticalement. 

2.  L'écriture  devient  plus  tremblée,  plus  archaïque  d'aspect. 


440  CORRESPONDANCE  [l655 

coppier  ses  Sacrements  sur  se  quil  ne  cognoist  point 
de  copiste  que  c'est  que  la  comparaison  des  miens  que 
je  luy  offre  diminueroit  le  pris  des  siens. 

Mande  que  la  vierge  en  grand  quHl  mauoit  offerte 
nest plus  sienne.] 

A  Rome  ce  20*".'  décembre.  i655.  — 
Monsieur 
deuant  tout  autre  chose  Je  vous  remercie  très  affec- 
tueusement de  la  bonne  volonté  que  vous  aués  pour 
moy  et  que  vous  aués  assez  de  bonté  pour  vous  vou- 
loir emploier  enuers  M^  le  Surintendans  Fouquet  pour 
l'afaire  que  vous  scaués  bien,  mais  que  cela  ne  nuise 
nullement  à  vos  interrés  qui  sont  en  ce  cas  entière- 
ment séparés  des  miens,  il  n'est  besoin  que  de  vostre 
tesmoignage  et  dire  que  jei  raison.  Car  vous  scaués 
que  je  nei  rien  touché  de  l'année  quarante  trois 
laquelle  j'emploiey  toutte  pour  les  desseins  de  la  gal- 
lerie  et  outre  cela  Je  nei  rien  eu  de  la  maison  que  le 
Roy  me  donna  en  vie  et  que  d'autres  en  Jouissent  que* 
moy. 

Jei  été  saluer  Mo^  le  cheuallier  du  Puis  de  vostre 
par  lequel  a  eu  grande  Joie  d'entendre  de  vos  nou- 
uelles.  Je  vous  assure  qu'il  honnore  beaucoup  vostre 
mérite,  et  vous  rend  mille  baisemains.  Je  luy  ei  fait 
voir  ce  que  vous  m'aués  escrit  touchant  les  coppies 
de  ses  sacremens...  la  réponse  a  été  assés  froide  car 
il  s'escuse  sur  ce  qu'il  ne  cognoist  personne  qui  les 
pust  bien  imiter  et  que  mesme  il  n'auoit  pas  de  lieu 
commode  pour  les  faire  copier,  en  un  mot  il  n'en  a 
eu  Jamais  enuie  et  Je  scais  à  quelle  personnes  il  a 
refusé  la  mesme  chose,  d'un  costé  celuy  seroit  de 
l'aduentage  d'auoirla  coppie  des  vostres  tant  pource- 
que  il  sont  plus  grands  le  double  que  les  siens  que 

I.  Que  rectifiant  pour,  écrit  d'abord. 


l655]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  44I 

pourceque  les  compositions  sont  plus  riches  et 
ont  plus  du  grand  sans  paragon  Mais  peut  estre 
creindroit  il  que  la  comparesson  ne  diminuas  le  prix 
des  siens,  desquels  véritablement  il  tient  compte,  en 
effet  mes  ouurage  ont  eu  cette  bonne  fortune  d'estre 
tenues  chaires^  de  ceus  qui  les  scauent  gouster 
comme  il  faut.  Je  nei  peu  encore  vous  seruir  en  ce 
qui  concerne  les  bust  que  vous  désirés  auoir.  Je  ne 
pourrei  mesme  y  atendre  cependans  que  M""  Fouquet 
est  ici.  Les  causes  vous  seront  écrittes  un  jour  mais  il 
faut  du  papier  et  du  loisir. 

Pour  la  Vierge  dont  je  vous  auois  parlé  elle  n'est 
plus  mienne  comme  je  croiois. 

Je  vous  ey  enuoié  des  gants  de  la  façon  de  Julio 
Béni  qui  sont  tenus  les  melieurs.  et  si  les  cordes  de 
leut  n'ont  point  réussi  ce  n'est  point  ma  faute  je  fais 
tousiours  le  mieus  que  je  peus 

et  croies  que  en  tout  ce  qui  touche  vos  satisfactions 
je  mi  emploierei  de  touttes  mes  forces  qui  suis 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Le  poussin  — 

Je  fais  humble  réuérence 

à  Moi^^  et  Madame  de  Montmort. 

198.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fo^'  -^6-) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Rue  S^  Tomas  du  Louure,  d  Paris'^. 

[26  décemb  i655. 

1.  Poussin  a  «crit  très  lisiblement  :  chaires  (pour  chers)  et 
non  clairs. 

2.  M""  de  Montmort  était  veuve  ;  Poussin  a  oublié  d'écrire, 
après  3/0'  :  votre  frère. 

3.  Au-dessous  de  l'adresse,  en  petits  caractères  :  franc. 


442  CORRESPONDANCE  [l655 

tesmoigne  estre  fasché  que  M.  le  Chlier  du  Puy 
refuge  leschange  des  coppies  de  nos  Sacrements . 

Il  trauaille  à  la  composition  de  la  Vierge  en  Egypte. 

Et  songera  à  la  conuertion  de  S^  Paul.] 

Le  26'y^  décembre.  i655.  à  Rome. 

Monsieur 

La  vostre  du  26.  nouembre  me  fut  rendue  si  tard 
que  je  ne  pus  y  répondre  par  l'ordinaire  passé  il  falut 
mesmement  que  je  prince  la  commodité  de  Mo^  Fou- 
quet  pour  luy  la  communiquer,  il  auoit  receu  sous 
la  mesme  datte  de  la  vostre,  lettre  de  Monsieur  le 
Surintendans  son  fraire  par  lesquelles  il  luy  fesoit 
scauoir  l'état  où  étoit  mon  affaire  conformément  à  ce 
qu'il  vous  a  pieu  m'en  escrire.  Vous  l'aués  mise  en 
bon  chemin,  et  tous  les  bons  commencements  pro- 
mettant une  bonne  fin  j'espère  que  tout  ira  bien. 
Mor  Fouquet  qui  est  en  cette  ville  me  promet  de  si 
porter  en  homme  genereus.  Je  m'assure  que  vous  vous 
y  emploierés  comme  patron  et  ami.  Jei  besoin  en  ce 
cas  là  de  vostre  soin  et  solicitati5  et  de  quelque  fois 
faire  souuenir.  Mo^  le  procureur  général*  de  mon 
affaire.  Car  il  *  pourroit  oublier  une  si  petite  chose 
entre  de  si  grandes  où  il  est  touiours  occupé  ;  Je  vous 
suplie  de  tout  mon  coeur  de  le  faire. 

I.  Nicolas  Fouquet  fut  procureur  général  de  i65o  à  1661.  A 
la  même  date,  Louis  Fouquet  écrivait  à  son  frère,  le  27  déc. 
i655  :  «  ...  M.  Poussin  m'a  prié  de  vous  faire  souvenir  de  son 
affaire.  C'est  un  homme  d'un  mérite  tout  à  fait  extraordinaire. 
Il  vous  fera  faire  des  Termes  admirables;  ce  seront  des  sta- 
tues qui  vaudront  celles  de  l'antiquité.  »  Sur  ces  Termes,  voir 
Ph.  de  Chennevières,  La  peinture  française,  p.  238.  —  Le 
28  décembre  i655,  Fouquet  obtiendra  de  Louis  XIV  la  confir- 
mation du  brevet  décerné  par  Louis  XIII  à  Poussin  et  le  paie- 
ment des  «  gages  et  provisions  omis  ». 


l655]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  443 

Jei  remercié  Mc^de  Mauroy  du  bon  office  quil  ma 
rendu  en  ce  rencontre.  Je  le  seruirei  en  ce  qu'il 
désire  de  moy  que  jei  dilaié  par  nécessité  et  non 
oublié. 

Jei  grand  regret  de  ce  que  Mo^  le  Cheualier  du  Puis 
prend  des  excuses  maigres  pour  vous  nier  ce  que 
vous  désirés  de  luy  auec  tant  d'auantages.  c'est  une 
Ingratitude  Italiane.  mais  vous  vous  en  pouués  bien 
passer. 

Pour  ce  qui  concerne  les  autres  choses  que  vous 
m'aués  commandé  je  ferei  tout  mon  possible  à  ce  que 
vous  soies  serui  il  ni  a  que  la  longueur  du  temps  que 
je  crains  qui  ne  vous  dure  trop.  Mais  il  est  nécessaire 
d'atendre.  il  m'est  impossible  de  faire  autrem^  Vous 
sériés  maintenant  fidellem^  serui  si  la  chose  dépen- 
doit  de  moy  et  de  mes  soins. 

Je  trauaille  autour  de  la  pensée  et  distribution  de  la 
Vierge  en  Egipte  de  Madame  de  Montmort  à  qui  je 
baise  très  humblement  les  mains. 

Je  rumine  souuent  en  mes  heures  d'élexion  à  la 
ConuertiO  de  S*  Paul. 

Je  serei  trompé  si  pouilli^  fait  quelque  chose  de 
bon  autour  de  vostre  Vierge  car  il  n'entent  pas  le 
clair  et  l'obscur,  il  est  ausi  resis  et  taillant  en  ce  quil 
fait  et  sans  garbe.  Je  me  recommande  mille  fois  à 
vos  bonnes  grâces,  qui  suis 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Le  Poussin 

I.  Deux  frères  graveurs,  d'Abbeville  :  François  de  Poilly 
(1623-1693),  l'aîné,  est  plus  connu  que  le  cadet,  Nicolas  de 
Poilly  (1626-1690)  (voir  Duplessis,  Histoire  de  la  gravure  en 
France,  p.  143,  249,  258). 


444  CORRESPONDANCE  [lÔSy 

Je  baise  trèshumblem'  les 
mains  à  Messieurs  vos 
fraires  de  qui  je  suis  trèshumble 
Seruiteur. 

199.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  2381.) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 

Cons^^  du  Roy  et  maistre  ordinaire  de  son  hostel, 

Rue  S^  Thomas  du  Louure,  à  Paris^.] 

[24  décembre  i65j^. 

Il  tire  une  lettre  de  change  sur  le  tableau  quil  pro- 
met me  faire  de  la  conuertion  de  S^  Paul. 

Il  mande  qu'on  dit  que  le  signe  chante  plus  douce- 
ment lors  quil  est  voisin  de  sa  mort  quil  taschera  à 
Jk      son  imitation  défaire  de  mieux  en  mieux. 

Il  mande  que  M.  le  chevalier  du  Puy  est  mort  et 
quil  va  trauailler po^  luy  faire  une  sépulture''. 
Le  24'î'«  décembre.  lôSy,  à  Rome. 
Monsieur 
Jei    repceu   celle   quil   vous   a  plu    m'escrire   du 
iS'î'^  nouembre  et  voiant  par  icelle  que  vous  vous 

1.  On  remarquera  que  nous  n'avons  de  Poussin  aucune 
lettre  de  i656.  Cependant,  voici  au  moins  la  trace  d'une  : 
Louis  Fouquet  écrit  au  surintendant,  le  29  février  i656  : 
«  ...  M.  Poussin  vous  escrit;  si  vous  le  vouliez  honorer  d'un 
petit  mot  de  réponse?...  » 

2.  Au-dessous  de  l'adresse,  en  petits  caractères  :  Port  dubt 
10'. 

3.  A  côté  de  la  date  :  M.  Poussin  pour  6'  Lxxbtt.  Ce  der- 
nier mot  est  très  douteux. 

4.  Cette  dernière  phrase  :  //  mande...  sépulture,  est  d'une 
autre  écriture  et  d'une  autre  encre  que  les  précédentes,  écrites 
par  Chantelou.  Elle  semble  de  la  même  main  que  la  mention 
ci-dessus. 


lÔSy]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  445 

contenues  que  l'anée  où  nous  alons  entrer  Je  misse  la 
main  à  la  Conuersion  de  S'  Paul  que  il  i  a  longtemps 
que  vous  désirés  que  je  vous  représente  en  un  tableau 
du  quel  vous  [me]  remettes  la  mesure  à  ce  qui  me  sem- 
blerale  meillieur.  Je  n'ai  point  vouleu  perdre  detemps. 
d'autant  que  je  me  suis  proposé  de  le  finir  cette 
Anée  et  pour  cet  effet  et  en  conformité  de  ce  que 
vous  m'aués  escrit  jei  tiré  sur  vous  la  somme  de  cin- 
quate  pistoles  d'italie  avec  le  change  à  i5-pour  cent 
que  vous  paierés  sil  vous  plaist  comme  il  est  porté 
par  la  lettre  de  change  que  je  vous  enuoye  première 
et  seconde  aux  sieurs  petit  desquels  jei  repceu  laditte 
somme  —  Le  change  est  grand  je  suis  content  de 
vous  en  décharger  de  la  moitié  mais  nous  acommo- 
derons  cela  à  la  fin  du  Paiement. 

L'on  dit  que  le  Cigne  chante  plus  doucem^  lors 
quil  est  voisin  de  sa  mort.  Je  tascherei  à  son  imita- 
sion  de  faire  mieux  que  jamais  et  ce  peut  estre  der- 
nier service  que  je  vous  rendrei. 

Jei  regret  que  présentemnet  je  ne  peus  vous  enuoier 
vostre  Vierge  Egiptienne.  et  tout*  incontinent  que  les 
passages  seront  libres  je  ne  manquerei  pas  de  la  con- 
signer à  M^  Gerico  comme  vous  me  l'aués  ordonné 
pour  vous  l'enuoier.  il  y  a  longtemps  quil  est  tout 
prest.  Le  bon  homme  M^  Pointel  qui  c'est  parti 
vous  retourner  voir  vous  en  assurera.  Je  croy  quil  est 
maintenant  à  pHtolon  où  il  fera  quelque  peu  de  qua- 
ranteine.  Je  ne  scei  pourquoy  car  il  y  a  longtemps 
que  cette  ville  dieu  merci  est  fort  saine  et  tout  le 
monde  si  porte  forbien. 

NostrebonamiM^  leCheuallierdu  Puis^ est  décédé 

1,  Plutôt  que  ti-ès. 

2.  Cassiano  del  Pozzo  était  mort  à  Rome,  le  22  octobre  1657, 
et  avait  été  enterré  dans  l'église  de  la  Minerve. 


446  CORRESPONDANCE  [l658 

et  nous  trauaillions  à  sa  sépulture.  M^  son  fraire  vous 
baise  les  mains,  et  moyje  vous  souhette  et  à  Madame 
semblement  les  bonne  festes  et  le  bon  commence- 
ment de  l'anée  qui  suis  à  jamais 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Le  Poussin 
Je  salue  M^s  vos  fraires 
de  qui  je  suis  trèshumble 
Seruiteur. 

200.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  f^'-  240 '•) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
Cons^^  du  Roy,  et  maistre  ordinaire  de  son  Hostel. 
rue  S^  Tomas  du  Louure,  à  Paris^.  ^ 

[i5  mars  i658. 

Approuue  le  Jugement  que  je  fais  de  ses  derniers 
ouurages  au  regard  des  premiers. 

A  trouué  la  pensée  de  la  conuertion  de  S^  Paul. 

Quil  enuerra  la  Vierge  en  Egypte  quil  a  faictte 
quand  le  commerce  sera  restahly 

mort  du  Caualier  du  Puy.] 

Le  i5«>e  mars  i658.  à  Rome. 
Monsieur 

après  auoir  repceu  la  vostre  fauorable  du  3  febf 
je  vous  viens  remercier  de  la  pontualité  que  vous 
aués  usée  à  acquitter  la  somme  que  j'auois  tirée  sur 
vous  de  cinquante  pistoles  de  cette  monnoie. 


1.  L'écriture  de  la  lettre  est  grosse. 

2.  Au-dessous  de  l'adresse,  en  petits  caractères  :  franc. 


l658]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  447 

Je  ne  vous  direi  rien  sur  l'opinion  [d]  que  vous 
auez  eue  de  mes  premiers  et  derniers  ouurages  vous 
aués  le  Jugement  trop  clair  pour  vous  tromper.  Si  la 
main^  me  vouloit  obéir  J'aurois  quelque  occasion  de 
dire  ce  que  Temistocles  dit  en  soupirant  sur  la  fin  de 
sa  vie,  que  l'homme  finit  et  s'en  va  quand  il  est  plus 
capable  ou  quil  est  prest  à  bien  faire  —  Je  ne  pers 
pas  courage  pour  cela  car  ce  pendant  que  la  teste  se 
portera  bien  (quoy  que  la  semante  soit  débile)  elle  luy 
fera  tousiours  obseruer^  les  melieures  et  plus  exel- 
lentes  parties  de  ce  quelle  fait  profession. 

Jei  aresté  la  disposition  de  la  Conuersion  de  St  paul 
et  la  dépendrei  en  temps  d'élection. 

Incontinent  que  le  commerce  sera  restitué  je  vous 
enuoierei  vostre  vierge  en  Egipte  comme  tant  de  fois 
je  vous  ai  promis. 

Jei  témoigné  le  déplaisir  que  vous  auiés  eu  de  la 
mort  du  Cheuallier  du  Puis  à  M";  son  fraire  qui  en  a 
pleuré  de  tendresse  il  a  succédé  à  l'ordre  de  Cheual- 
lier cela  estant  afecté  à  leur  maison^  il  vous  remercie 
et  vous  baise  un  million  de  fois  les  mains  et  moyqui 
serei  tant  que  je  viurei 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur  Le  Poussin. 
Je  remercie  très  humbleml 

1.  Louis  Fouquet  au  surintendant,  2  août  i655  :  «  Quoy 
qu'on  dise  que  sa  main  tremblante  ne  rend  plus  ses  ouvrages 
si  beaux,  c'est  néanmoins  une  médisance,  et  il  travaille  mieux 
que  jamais  il  n'a  fait,  et  plus  juste.  » 

2.  En  marge  :  observer. 

3.  «  Carlo-Antonio  del  Pozzo,  archevêque  de  Pise,  institua 
une  commanderie  riche  et  noble  de  l'ordre  de  chevalerie  de 
saint  Etienne,  réservée  à  sa  famille...  »  (Ughelli,  Italia  Sacra 
t.  III,  p.  591,  1644-1662). 


448  CORRESPONDANCE  [l658 

Madame  de  son  souuenir 
et  luy  suis  trèsdeuot 
et  humble  Seruiteur. 
Et  lui  baise  humblem' 
les  mains. 

201.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  242.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Cons^  du  Roy  et  Mais^^  ordinaire  de  Son  Hostel, 

Rue  S^  Thomas  du  Louure^  à  Paris  * . 

[25^  nouembre  i658. 

Explication  du  tableau  de  la  Vierge  en  Egipte.] 
Le  25.  nouembre  i658  à  Rome. 
Monsieur 

Les  diuerses  incommodités  que  jei  et  qui  se  vont 
multiplia  auec  l'aage  m'enpesche  de  vous  escrire  plus 
souuent  que  je  ne  faits.  Je  vous  ai  promis  de  vous 
déclarer  les  pareogues  qui  sont  au  fond  du  dernier 
tableau  que  je  vous  ai  fait^.  Voici  ceque  c'est. 

Une  procession  de  prebtres  testes  rases  couron- 
nées de  verdure  vestus  à  leur  mode  auec  tabourins 
fiustes  trompettes  et  esperuier  sur  des  bâtons.  Ceus 
qui  sont  dessous  le  porche  portent  le  coffre  nommé 
Soro  Apin^.  ou  estoint  enfermés  les  reliques  et  osse- 
mens  de  Serapin  leur  dieu  au  temple  du  quel  ils 
s'acheminent.  Le  demourant  qui  parest  derrière  cette 

1.  Au-dessous  :  franc. 

2.  La  Fuite  en  Egypte  (n"  86  du  Catalogue  de  Smith),  actuel- 
lement à  la  Dulwich  Gallery. 

3.  Il  semble  bien  que  Poussin  a  d'abord  écrit  Apin,  Serapin, 
Ibin,  et  qu'ensuite,  on  a  corrigé  en  Apis,  Serapis. 


l658]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  449 

famé  vestue  de  jaune  n'est  autre  que  une  fabrique 
faitte  pour  la  retraitte  de  l'oiseau  Ibïn*  qui  est  là 
représenté,  et  cette  tour  qui  a  le  tois  concaue  auec  se 
grand  vase  pour  recueillir  la  rossée  tout  cela  nest 
point  fait  aisi  pour  me  Testre  imaginé  mais  le  tout  est 
tiré  de  ce  fameus  temble  de  la  fortune  de  palestrine^ 
le  paué  duquel  estoit  fait  de  fine  Mosaïque  et  en  ice- 
lui  dépainte  au  vrai^  l'istoire  naturelle  et  *  morale 
d'Egipte  et  d'Etiopie  et  de  bonne  main.  Jei  mis  en 
ce  tableau  toutes  ces  choses  là  pour  délecter  par  la 
nouueauté  et  variété  et  pour  montrer  que  la  Vierge 
qui  est  là  représentée  est  en  Egipte. 

Je  faits  une  nouuelle  composion  pour  la  Chutte  de 
S'.  Paul  m'étant  venu,  un'  autre  pensée  que  la  pre- 
mière. Je  vous  demande  du  temps  pour  finir  cette 
ouurage  qui  sera  de  grande  fatigue  pour  moy.  Je 
n'écris  point  à  Madame  pour  la  difficulté  de  ma  main 
tremblante''.  Je  lui  demande  pardon  et  luy  baise  les 
mains  comme  je  faits  semblablement  à  vous  de  qui 

je  serei  jusque  à  la  fin 

Monsieur 

Vostre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur  Poussin 
Je  baise  les  mains 

à  messieurs  vos  fraires 

1.  Le  mot  Ibin  n'est  pas  corrigé. 

2.  Palestrina,  qu'il  n'est  pas  étonnant  que  Poussin  connaisse, 
car  c'était  une  principauté  des  Barberini.  Leur  palais,  bâti  sur 
les  ruines  de  l'ancien  temple  de  la  Fortune,  renfermait  cette 
célèbre  mosaïque  (voir  D.  Santé  Pieralisi,  Osservaiioni  sul 
musaico  di  Palestrina^  Roma,  i858)  découverte  en  i638.  —  Cas- 
siano  del  Pozzo  s'était  intéressé  à  cette  mosaïque  (voir  son 
Memoriale,  p.  178),  et  c'est  sans  doute  lui  qui  l'avait  signalée 
à  Poussin. 

3.  Au  vrai,  en  marge,  et  indiqué  par  un  astérisque.  — 

4.  L'écriture  de  la  lettre  est  empâtée  et  vraiment  incertaine. 

191 I  29 


■X 


45o  CORRESPONDANCE  [1660 

202.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  ^ol.  244.) 

A  Monsieur  de  Chantelou,  Consul  du  Roy 
et  Maistre  ordinaire  de  son  hostel^  PajHs. 

[2  aoust  1660. 

Cette  lettre  est  après  maladie  de  i65g  II  se  plain 

de  ses  infirmités  et  de  son  tremblement  dit  quil  n'a 

aucun  jour  sans  douleur^  quil  arriue  de  luy  ce  quil 

plaira  à  Dieu  quil  me  tiendra  compte  de  5o  pistolles.] 

A  Rome  le  2'^^  aust  1660  — 

Monsieur 

Je  ne  me  suis  point  donné  l'honneur  de  vous 
escrire  depuis  longtemps  m'étant  imaginé  que  depuis 
vostre  guarison  vous  estiés  retourné  en  Court  pour 
exercer  la  charge  que  l'on  vous  auoit  donnée  deuant 
vostre  maladie  de  seruir  la  Roine  de  france  en  ses 
nopces\  et  quil  y  eust  dificulté  de  vous  faire  tenir 
mes  lettres.  Maintenant  je  croi  que  vous  serés  de 
retour  à  Paris  je  souhette  que  se  soit  en  bonne  santé. 

Je  vous  escris  la  présente  pour  vous  faire  scauoir 
Testât  de  la  mienne.  Je  ne  passe  aucun  jour  sans  dou- 
leur, et  le  tremblement  de  mes  membres  augmente 
comme  les  ans.  L'eccès  de  la  chaleur  de  la  saison 
présente  me  bat  en  ruine,  et  partant  jei  esté  contraint 
d'abandonner  tout  labeur,  et  de  mettre  les  couleurs 
et  les  Pinceaus  à  part.  Si  je  vis  cet  automne  j'espère 
les  reprendre  particulièrement  pour  vous  qui  aués  eu 
la  bonté  de  tant  patienter,  et  ariue  ce  qu'il  voudra 
de  ma  personne  Je  vous  tiendrai  bon  conte  des  cin- 

I.  Marie-Thérèse  épousa  Louis  XIV  le  9  juin  1660. 


1662]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  4$  I 

quantes  pistoles  que  jei  à  vous  Je  vous  suplie  de  me 
continuer  les  grâces  et  faueurs  que  vous  m'aués 
départies  jusques  à  présent.  Je  debuerois  escrire  à 
Madame  la  difficulté  de  ma  main  m'en  enpesche  et  je 
lui  demande  trèshumblement  excuse.  Je  baise  les 
mains  à  Messieurs  vos  fraires  et  je  vous  suis  plus  que 
personne  du  Monde 

Monsieur 
Vostre^  trèshumble  et  trèsobéissant 
Seruiteur 

Le  Poussin 

203.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol-  247-) 

A  Monsieur  de  Chantelou, 
maistre  d'ostel  ordinaire  du  Roy,  Paris^. 

[2  auril  1662. 

Donne  aduis  quau  tableau  de  la  Samaritaine  il  ne 
manque  à  acheuer  quune  teste  de  Crist.] 

à  Rome  le  2™*  april  1662. 
Monsieur 

Je  vous  aurois  enuoié  par  cet  ordinaire  l'ouurage 
que  je  vous  doibs  faire  il  y  a  si  long-temps.  U  n  facheus 
Rume  a  retardé  mon  dessain  pour  quelque  Jours.  En 
un  seul  Jour  je  finisois  une  teste  de  Crist  qui  est  la 
seulle  chose  demeurée  inparfaitte.  Incontinent  que 
l'incommodité  me  donnera  un  peu  de  relâche  je  fini- 
rei  le  dit  ouurage  et  vous  l'enuoierei  par  la  melieure 

1.  Cette  fin,  verticalement  et  en  marge. 

2.  Au  bas  de  l'adresse,  à  gauche,  en  petits  caractères  :  Ceri- 
sier, l'ami  de  Poussin,  par  qui  cette  lettre  devait  être  envoye'e 
à  Chantelou.  Et  dans  le  coin,  le  mot  :  vérifier. 


452  CORRESPONDANCE  [1662 

voie  quil  me  sera  possible  de  trouuer.  Je  vous  escri- 
rei  à  lors  plus  au  long.  Vous  serés  content  si!  vous 
plaist  de  ses  deus  lignes  pour  cette  fois,  qui  suis  de 
toutte  mon  affection 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  obéissant 
Seruiteur 
Le  Poussin'. 

204.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fol.  248.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 
Cons'^  et  maistre  dhostel  ordinaire  du  Roy. 

[20  nouembre  1662. 

Parle  du  tableau  de  la  Samaritaine  et  dit  que  cest 
le  dernier  ouurage  qt  fera  touchant  à  sa  fin  du  bout 
du  doit.] 

à  Rome  1662.  Le  20™«  nouembre. 
Monsieur 

après  vous  auoir  escrit  continuellem*  depuis  le 
mois  de  mai  passé  sans  pouuoir  auoir  un  mot  de 
réponse  je  viens  vous  suplier  trèshumblement  de  me 
faire  scauoir  de  vos  nouuelles.  Je  suis  assuré  que 
vous  aués  reçu  le  dernier  ouurage  que  je  vous  ai  fait 
et  que  je  ferei  désormais.  Je  scais  bien  que  vous 
n'aués  pas  grand  suiet  de  vous  en  satisfaire,  mais 

I.  Dans  la  copie  de  l'Institut,  on  lit  en  marge  de  cette  lettre, 
au  crayon  :  «  Il  paroît  être  question  icy  de  la  Samaritaine  que 
félibien  dit  avoir  été  faite  pour  M"  de  Chantelou.  tableau  que 
j'ai  vu  chez  legrand  avec  cette  Etiq.  derrière  :  La  Samaritaine 
peinte  en  1662  par  le  Poussin  pour  M'  de  Chantelou.  »  Nous 
présumons  que  cette  note  est  de  Dufourny. 


l663]  DE   NICOLAS   POUSSIN.  453 

après  y  auoir  emploie  toutte  mes  forces  et  ne  pou- 
uant  plus  au  moins  considérés  la  bonne  volonté  que 
jei  tousiours  eue  de  vous  bien  seruir.  et  souuenés 
vous  des  signes  d'amitié  que  jei  en  plusieurs  occasions 
repcue  de  vostre  bonté  et  sans  interrest.  J'espère  que 
vous  me  les  continuerés  jusques  à  ma  fin  où  je  touche 
du  bout  de  mon  doid.  Je  ne  peus  plus.  Mais  je  serei 
tousiours 

Monsieur 
Vostre  trèshumble 
Seruiteur 

Le  Poussin 
Je  baise  les  mains  à  Madame  et  à  Messieurs  vos 
fraires  de  qui  je  suis  Seruiteur  et  trèsobligé'. 

205.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  25o.) 

A  Monsieur  de  Châtelou^ 

Cons^''  du  Roy  et  maistre  ordinaire  de  son  hostel, 

Paris  ^. 

{4^feh^^  i663. 

Il  me  remercie  de  lestime  que  jay  faictte  du  der- 
nier tableau  quil  ma  fait  qui  est  celuy  de  la  Sama- 
ritaine.] 

A  Rome  Le  4'n«  feburier  i663. 
Monsieur 
trois  de  vos  lettres  que  jei  reçues  sous  le  pli  de 
monsieur  Serisier  nostre  bon  ami  m'ont  donné  une 
seconde  vie.  J'auois  raison  de  douter  que  vous  nusiés 

1.  Phrase  écrite  en  marge  et  verticalement. 

2.  Lettre  d'une  écriture  très  alourdie.  Elle  présente  même 
des  pâtés  d'encre. 


A 


454  CORRESPONDANCE  [l663 

consu  quelque  indignation  contre  moy  pour  auoir 
abusé  de  vostre  longue  patiense  et  puis  vous  auoir  à 
la  fin  enuoié  une  chose  indigne  d'estre  regardée  de 
vous.  Vous  aués  aplani  tous  mes  doubles  par  vostre 
cordialité  et  douceur  ordinaires.  Je  vous  en  viens 
remercier  par  ces  lignes  par  lesquelles  il  m'est  impos- 
sible de  vous  témoigner  le  resentiment  que  j'en  ai,  Je 
vous  suplie  moy  indigne  de  tant  de  grâces  que  je 
resois  de  vous  de  me  les  continuer  jusques  au  bout 
m'estant  lunique  remède^  contre  les  disgrâces  qui 
m'enuironnët  et  de  celles  que  j'atens  auec  la  malice 
du  temps  qui  court  et  à  venir. 

Ce  me  sera  combles  d'obligations  si  vous  m'enuoiés 
le  liure  de  Mo""  de  Chambray  touchant  l'art  de  la 
•\    peinture^,  mais  il  faut  dire^  par  quelle  voie  je  le  dois 
recepuoir  et  je  vous  demeurerei  obligé  à  jamais 

Monsieur 
Vostre  trèshumble  Seruiteur 
Le  Poussin 
Je  reuère  Madame 
et  baise  humblement 
les  mains  à  Messieurs 
vos  vertueus  fraires. 

1.  En  marge  :  remède. 

2.  «  Idée  de  la  perfection  de  la  Peinture  demonstrée  par  les 
principes  de  l'Art  et  par  des  exemples  conformes  aux  observa- 
tions que  Pline  et  Quintilien  ont  faites  sur  les  plus  célèbres 
tableaux  des  anciens  Peintres,  mis  en  paralelle  à  quelques 
ouvrages  de  nos  meilleurs  Peintres  modernes,  Léonard  de 
Vinci,  Raphaël,  Jules  Romain  et  le  Poussin,  par  Roland 
Freart,  sieur  de  Chambray.  Au  Mans,  de  l'imprimerie  de 
Jacques  Ysambart,  marchand  libraire  et  imprimeur,  demeu- 
rant au  bas  du  Pont-Neuf,  à  l'enseigne  du  Saint-Esprit. 
MDCLXII.  Avec  privilège  du  roy  »  (Bibl.  nat.,  V.  10292). 

3.  En  marge  :  dire. 


l663]  de  nicolas  poussin.  455 

206.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  25i.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Cons''  du  Roy  et  Maistre  ordinaire  de  son  hostel^ 

à  paris. 

[Premier  Auril  1 663. 

Remerciement  sur  la  permission  de  mettre    les 

armes  du  Roy  sur  sa  porte  que  je  luy  auois  fait 

auoir.] 

A  rome  premier  Auril  i663. 

quand  je  mesure  les  obligations  que  je  vous  doibs 
et'  les  grâces  infinies  que  jei  resues  de  vous  je  ni 
trouue  aucune  correspondanse  ni  proportion  ce  qui 
m'a  fait  craindre  de  vous  auoir  donné  occasion  de 
dégoust. 

Jei  esté  deliuré  de  mon  doute  par  plusieurs  de  vos 
lettres  tant  par  les  antérieures  comme  par  vostre  der- 
nière qui  me  témoignent  assés  la  continuation  de 
vostre  amitié  et  cordialité  naturelle  exempte  d'inter- 
rest.  Je  sens  transporté  de  contentement  de  ses  bonnes 
nouuelles.  Une  chose  me  fasche  seullem'  et  me  dimi- 
nue une  partie  de  ma  joye  qui  est  la  peine  que  vous 
aués  prinse  d'emploier  la  faueur  de  M^  Colbert  que 
vous  deués  réseruer  pour  les  occasions  urgentes,  à  la 
réquisition  de  mon  fou  de  beaufraire  qui  s'imaginant 
que  aiant  dessus  sa  porte  les  armories  du  Roy  il 
seroit  à  *  couuert  de  tout  dangier  pasé  quil  ariue  du 
désordre  en  cette  ville  *  par  nostre  nation 2,  sans  que 

1.  Et  surchargeant  auec. 

2.  C'est  un  écho  de  la  célèbre  affaire  de  la  garde  corse 
(agression  du  20  août  1660).  Le  conflit  ne  fut  accommodé  que 
le  12  février  1664,  par  le  traité  de  Pise  (voir  Hanotaux,  Instr. 
aux  ambassadeurs  à  Rome,  p.  149). 


456  CORRESPONDANCE  [1664 

jamais  il  m'en  aie  communiqué  une  seulle  parolle 
estât  sa  ^  coutume*  de  faire  toutte  chose  téméraire- 
ment et  sans  conseil^.  Il  m'a  confessé  d'auoir  escrit 
de  cette  sauuegarde  comme  pour  luy  à  un  sien  amy 
le  Sieur  Vinot.  Je  ne  scai  comment  cela  est  aie  jusques 
à  vous  j'en  suis  inocent.  Je  vous  suplie  d'excuser 
l'ignoranse  de  se  pauure  garson  insensé  de  la  peur 
que  lui  et  beaup  d'autres  ont  des  armes  francoises 
que  si  elles  paroisoint  ici  prest  on  trouueroit  ici  plu- 
sieurs morts  sans  blessures.  Je  vous  remercie  auec 
toute  deuotion  et  vous  demande  encore  la  durée  de 
vostre  amitié  et  vos  faueurs  qui  serei  à  jamais 
Monsieur 

Vostre  trèshumble 

Seruiteur 
Le  Poussin 

207.  —  Poussin^    a    l'abbé    Nicaise^. 
(Bibl.  nat.,  ms.  nouv.  acq.  fr.  28,  fol.  77.) 

Le  iS""*  feurier,  1664.  à  Rome. 
Monsieur 

Jei  tardé  jusques  à  présent  à  répondre  à  la  vostre 

1.  En  marge  :  sa  coutume. 

2.  Gaspard  Dughet,  dit  le  Guaspre.  Son  caractère  emporté 
l'empêcha  de  rester  auprès  du  duc  délia  Cornia  et  de  Fran- 
cesco  Ariti  qui  l'avaient  attiré  près  d'eux  à  la  demande  de 
Pierre  de  Cortone  (voir  Ch.  Blanc,  Hist.  des  peintres,  p.  3). 

3.  Lettre  publiée,  avec  son  fac-similé,  dans  le  Discours  sur 
Nicolas  Poussin,  de  Raoul  Rochette,  1843,  avec  mention  que 
«  l'original  existe  au  département  des  manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi  ».  Ch.  Blanc,  dans  VHistoire  des  peintres 
(fascicule  sur  Poussin),  reproduit  également  en  fac-similé 
quelques  lignes  de  cette  lettre. 

4.  «  M.  l'abbé  Nicaise  [1623-1701],  chanoine  de  la  Sainte-Cha- 
pelle de  Dijon,  assez  connu  par  son  mérite,  et  les  connais- 
sances qu'il  a  dans  les  belles-lettres,  estant  alors  à  Rome,  et 
ami  particulier  du  Poussin  »,  lui  composa  son  épitaphe  (Féli- 
bien,  Entretiens,  p.  3i3). 


1664]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  457 

du  dernier  Januier  à  cause  d'un  grand  Catare  qui 
mest  tombé  sur  la  poetrine  qui  mincommode  fort.  Je 
me  suis  efforsé  de  vous  faire  ses  deus  lignes  pour  ne 
pas  tenir  plus  longtemps  en  doutte. 

il  me  deplaist  beaucoup  que  je  ne  peus  satisfaire 
vostre  curiosité  parce  que  outre  que  je  ne  peus  sou- 
frir  l'incommodité  de  se  faire  portraire  c'est  que  nous 
nauons  ici  entre  les  Italiens  ni  étrangiers  persSne 
qui  aie  la  pratique  de  faire  resembler  en  peinture  et 
je  conseille  '  plustost  de  faire  coppier  l'un  de  cens  qui 
sont  à  Paris  qui  ne  me  resemble  pas  mal  et  sont  de 
ma  main  propre  lors  que  je  men  seruois  encore  pas- 
sablement^.  Lun  est  chés  Mo""  de  Chantelou  Maistre 
dostel  ordinaire  du  Roy  à  la  Rue  S*  Thomas  du 
Louure.  Lautre  chés  Mo"^  Serisier  tout  vis  à  vis  la 
porte  S*  Mederic  Rue  S'  martin  tous  les  deus  sont 
hommes  facilles  et  courtois  qui  ne  vous  refuseront 
pas  cela,  il  se  trouuera  à  paris  plusieurs  jeunes 
hommes  qui  copient  assés  bien,  Voilà  tout  ce  que  je 
vous  peus  dire  sur  ce  suiet  et  me  deplaist  de  vous 
estre  inutile  et  plain  de  bonne  volonté,  et  serei  jusque 
à  ma  tin 

Monsieur 

Vostre  trèshumbie  et  afectionné  Seruiteur 

Le  Poussin 

Mo*^  Nicaise^. 


1.  Les  mots  «  je  conseille  »  sont  très  lisibles.  Raoul  Rochette 
a  lu,  à  tort  :  «  je  souscris  ». 

2.  Le  fameux  Déluge  du  Louvre  (n"  451)  est  pourtant  de  cette    -^ 
année  1664. 

3.  Dufourny  (mort  en  1818)  signale,  à  la  Bibliothèque  royale, 
trois  lettres  de  Poussin  à  l'abbé  Nicaise.  Déjà,  la  Biographie 
Michaud  n'en  mentionne  plus  que  deux.  Enfin,  aujourd'hui  il 
n'en  reste  qu'une  (voir  Lalanne  et  Bordier,  Dict.  des  pièces 
volées,  p.  210). 


458  correspondance  [1664 

208.  —  Poussin  a  Chantelou. 

(Ms.  12347,  fol.  253.) 

A  Monsieur  de  Chantelou^ 

Cons^''  du  Roy  et  maistre  ordinaire  de  son  hostel, 

à  Paris. 

[16  nouembre  1664. 

M.  Poussin  me  recommande  ses  héritiers  à  qui  il 
laisse  jc'  escus^  .1 

à  Rome,  Le  lô^.  nouembre  1664. 
Morfsieur 

Je  vous  prie  de  ne  pas  vous  étonner  sil  i  a  tant  de 
temps  que  je  ne  me  suis  pas  donné  l'honneur  de  vous 
faire  scauoir  de  mes  nouuelles,  quand  vous  en  scau- 
rés  l'occasion  vous  ne  m'escuserés  pas  sellement  mais 
vous  aurés  compatis  de  mes  misères,  il  y  a  noeuf 
mois  que  jei  tenu  ma  bonne  famé  au  lit  malade  d'une 
tousse  de  fiebure  étique,  qui  après  mille  remèdes  inu- 

1.  Et  Chantelou  écrit  en  haut  de  la  lettre  ces  trois  mots  qui 
marquent  l'inquiétude  de  l'ami  :  tremblement  de  main  (Ph. 
de  Chennevières,  La  peinture  française,  p.  290).  —  Sur  la  façon 
d'écrire  10,000,  cf.  Louis  XIII  à  Richelieu  :  «  La  dernière  recrue 
des  X  homes  de  la  cavalerie  »  (M.  Topin,  Louis  XIII  et  Riche- 
lieu, p.  192). 

2.  M.  Advielle  {Recherches  sur  Poussin,  p.  11 3)  croit  qu'il 
faut  lire  :  26  nouembre,  puisqu'il  a  testé  le  25.  Cependant 
Poussin  a  bien  écrit  :  16  et  non  26.  La  date  répétée  par  Chan- 
telou est  cachée  à  moitié  par  une  bande  de  papier  :  on  ne 
voit  que  le  deuxième  chiffre  de  la  date,  6.  —  Il  est  vraisem- 
blable qu'à  la  date  du  16  novembre  1664,  c'est-à-dire  quand 
il  écrivait  à  Chantelou,  Poussin  avait  seulement  écrit  un 
testament  succinct,  qu'il  se  décida,  peu  de  jours  après, 
à  rédiger  avec  le  concours  du  notaire  J.-B.  Rondini  et  dans 
toutes  les  formes  légales.  Ce  testament,  ainsi  rédigé  le  25  no- 
vembre 1664  (et  dont  le  texte  n'est  pas  connu),  fut  annulé  par 
le  testament  définitif  du  21  septembre  i665,  dont  la  traduction 
est  publiée  plus  loin  (voir  Ph.  de  Chennevières,  La  Peinture 
française,  p.  292). 


1664]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  ^    459 

tiles  l'aiant  consommée  jusques  aus  os  et  m'auoir 
estraordinairement  inquiété  est  morte  \  quand  j'auois 
plus  besoin  de  son  secours  m'aiant  laissé  chargé 
d'anées  paralitique^  plain  d'infirmités  de  touttes 
sortes  étranger,  et  sans  amis  (car  en  cette  Ville  il  ne 
s'en  trouue  point).  Voilà  l'état  où  je  me  trouue.  Vous 
pouués  vous  imaginer  le  demeurant,  l'om  me  presche 
la  patiense  qui  est  le  remède  à  tous  maus,  laquelle  je 
prens  comme  une  médecine  qui  ne  couste  guère  mais 
ausi  qui  ne  guarit  de  rien. 

Me  voiant  en  cet  état  qui  ne  peut  durer  jei  voulu 
me  disposer  au  départ,  jei  fait  pour  cet  effet  un  peu 
de  testament  par  lequel  je  laisse  plus  de  dix  mille 
escus^  de  cette  monnoie  à  mes  panures  parens  habi- 
tans  à  Andely,  qui  sont  gens  grassiers,  et  ignorant 
lesquels  ayant  après  ma  mort  à  recepuoir  cette 
somme,  auront  grand  besoin  du  secours,  et  aide  de 
quelque  personne  fidelle  et  charitable.  Je  vous  viens 
suplier  en  cette  nécessité  de  leur  prêter  le  main  et^ 
les  conseiller,  et  prendre  leur  protexion  afin  qu'ils 
ne  soint  trompés  ou  volés  ils  vous  en  viendront  hum- 
blement requrir,  je  m'assure  sur  l'expériense  que  jei 
de  vostre  bonté  que  vous  le  ferés  volontiers  comme 
vous  aués  fait  de  vostre  panure  Poussin  en  l'espase 

1.  «  Acte  de  décès  de  Anne-Marie,  fille  du  sieur  Jacques 
d'Ughet,  romaine,  âgée  de  52  ans,  femme  du  sieur  Nicolas 
Poussin.  »  Registres  de  la  paroisse  de  San-Lorenzo  in  Lucina, 
16  octobre  1664. 

2.  «  Ses  indispositions,  avec  le  temps,  s'accrurent  et  l'épui- 
sèrent  tant  que  dans  les  dernières  années  il  sortait  à  grand'-     ^ 
peine   de   sa  maison...   »  (Bellori,  Le   Vite   de'  pittori,   trad. 
Rémond,  p.  35). 

3.  «  ...  des  biens  qu'il  avait  acquis,  il  laissa  quinze  mille 
écus,  qui  paraissent  bien  médiocre  somme  après  tant  de  tra-     >* 
vaux  »  (Bellori,  Le  Vite  de'  pittori,  etc.,  trad.  Rémond,  p.  36). 

4.  En  marge  :  le  main  et. 


460  CORRESPONDANCE  [1664 

de  vintcinq  ans.  Jei  si  grande  dificulté  a  escrire  pour 
le  grand  tremblement  de  ma  main  que  je  n'écris  point 
présentement  à  Monsieur  de  Chambray  que  je  prie 
de  tout  mon  cœur  me  pardonner,  il  me  faut  huit 
jours  pour  escrire  une  méchante  lettre  à  peu  à  peu 
deus  ou  trois  lignes  à  la  fois  et  le  morceau  '  à  la 
bouche  hors  de  cette  heure  là  qui  dure  fort  peu  (mais 
qui  m'ofense  l'estomac  débile  il  m'est  impossible  de 
former  une  lettre  qui  se  puisse  lire  Je  l'honore 
comme  il  le  mérite  et  comme  celuy  à  qui  je  me  sens 
infiniment  obligé.  Voies  je  vous  suplie  en  quoy  je 
vous  peus  seruir  en  cette  ville  et  commandés  moy  qui 
suis  de  toutte  mon  ame 
Monsieur 
Votre  trèshumble  et  trèsobéissant 

Seruiteur 
Le  Poussin. 

209.  —  Poussin  a  Félibien. 
{Entretiens,  p.  46.) 

«  Le  Poussin  se  trouvant  dans  l'impuissance  d'exé- 
cuter de  la  manière  qu'il  faisoit  auparavant  toutes 
les  riches  pensées  que  son  imagination  ne  laissoit  pas 
de  lui  fournir,  ne  pensoit  plus  qu'à  la  mort.  Il  me 
souvient  que  lui  ayant  écrit  vers  ce  temps-là,  il  me 
fit  réponse  au  mois  de  Janvier  i665.  Voici  sa  lettre. 

Je  n'ai  pu  répondre  plutôt  à  celle  que  Mr.  le  Prieur 
de  Saint  Clémentine  vôtre  frère  me  rendit  quelques 
jours  après  son  arrivée  en  cette  ville,  mes  infirmités 
ordinaires  s'étant  accrues  par  un  très-fâcheux  rhume, 

i.  A  est  écrit  deux  fois. 
.  2.  Jacques  Félibien,  né  à  Chartres  en  i636,  mort  curé  de 
Vendôme  le  23  novembre  1716. 


l665]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  461 

qui  me  dure,  et  m'afflige  beaucoup.  Je  vous  dois 
maintenant  remercier  de  vôtre  souvenir,  et  tout 
ensemble  du  plaisir  que  vous  m'avez  fait  de  n'avoir 
point  réveillé  le  premier  désir  qui  étoit  né  en  Mr.  le 
Prince  d'avoir  de  mes  ouvrages.  Il  étoit  trop  tard 
pour  être  bien  servi.  Je  suis  devenu  trop  infirme,  et 
la  paralysie  m'empêche  d'opérer.  Aussi  il  y  a  quelque 
temps  que  j'ai  abandonné  les  pinceaux,  ne  pensant 
plus  qu'à  me  préparer  à  la  mort.  J'y  touche  du  corps, 
c'est  fait  de  moi. 

Nous  avons  N.  qui  écrit  sur  les  œuvres  des  Peintres 
modernes,  et  de  leurs  vies.  Son  stile  est  ampoulé, 
sans  sel,  et  sans  doctrine.  Il  touche  l'art  de  la  Pein- 
ture comme  celui  qui  n'en  a  ni  théorie,  ni  pratique. 
Plusieurs  qui  ont  osé  y  mettre  la  main  ont  été  récom- 
pensez de  moquerie,  comme  ils  ont  mérité,  etc. 

210.  —  Poussin  a  M.  de  Chambray^ 
(Ms.  12347,  fol.  255.) 

[/  mars  i665. 

Cette  lettre  est  escripte  à  mon  frère  de  Chambré 

sur  son  Hure  de  la  peinture  quil  a  leu.  Il  lui  en  mande 

son  sentiment  Et  les  parties  de  peinture  quonpourroit 

traitter^.] 

i«  mars  i665.  A  Rome. 
Monsieur 

Il  faut  à  la  fin  tascher  à  se  réueiller  après  un  si  long 

silence  il  faut  se  faire  entendre  pendant'  que  le  pous 

1.  L'original  de  cette  lettre  est  perdu.  Le  ms.  12347  ^'^"^  Pos- 
sède qu'une  copie  remise  à  M.  de  Ghantelou,  et  peut-être  de 
la  main  même  de  son  frère  M.  de  Chambray,  à  qui  Poussin 
l'a  écrite  (fol.  255). 

2.  Ce  sommaire  est,  dans  le  ms.  12347,  de  la  main  même 
de  M.  de  Ghantelou. 

3.  Cette  copie  paraît  être  littérale.  La  copie  a  été  corrigée, 


462  CORRESPONDANCE  [l665 

nous  bat  encore  un  peu.  J'ay  eu  tout  loisir  de  Lire  et 
examiner  vostre  liure  de  la  parfaitte  Idée  de  la  Pein- 
ture qui  a  seruy  d'une  douce  pasture  à  mon  âme 
affligée,  et  me  suis  resjouy  de  ce  que  vous  estes  le 
premier  des  François  qui  auez  ouuert  les  yeux  à  ceux 
qui  ne  voyoint  que  par  ceux  d'autruy  *  se  laissant  abu- 
ser d'une  fausse  opinion  commune.  Or  vous  venez 
d'échauffer  et  amolir  une  matière  rigide  et  difficile  à 
manier  De  sorte  que  désormais  II  se  pourra  trouuer 
quelqun  qui  dessous  vostre  guide  nous  pourra  don- 
ner quelque  chose  du  sien  au  bénéfice  de  la  Peinture. 

Après  auoir  considéré  la  Division  que  faict  le  Sei- 
gneur Franc,  Junius^  des  Parties  de  ce  bel  art  Jay 
osé  mettre  icy  brièuement  ce  que  j'en  ay  apris. 

Il  est  nécessaire  premièrement  de  scauoir  ce  que 
c'est  que  cette  sorte  d'Imitation  et  la  Définir. 
Définition 

C'est  une  Imitation  faicte  auec  lignes  et  couleurs 
en  quelque  superficie  de  tout  ce  qui  se  voit  dessoubs 
le  Soleil,  sa  fin  est  la  Délectation. 

Principes  que  Tout  homme  capable  de 
Raison  peut  aprendre. 

Il  ne  se  donne  point  de  visible  sans  Lumière. 

Il  ne  se  donne  point  de  visible  sans  moyen  trans- 
parant. 

sans  doute  aussitôt  après  qu'elle  a  été  écrite  et  de  la  main  de 
Chambray  ou  de  Chantelou.  —  Ici,  d'abord  cependant,  corrigé 
en  pendant. 

1.  Avant  ceux  d'autruy,  on  avait  d'abord  écrit  :  !eurs  aéra- 
teurs (?). 

2.  François  Junius,  De  Pictura  Veterum  libri  très,  Amster- 
dam, 1637  :  «  C'est  un  ouvrage  d'une  prodigieuse  érudition, 
qui  fut  lu  et  loué  par  tous  les  grands  artistes  du  xvii*  siècle...  » 
(Ph.  de  Chennevières,  Peintres  provinciaux,  t.  IV,  p.  119). 


l665]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  403 

Il  ne  se  Donne  point  de  visible  sans  Terme 
Il  ne  se  donne  point  de  visible  sans  Couleur 
Il  ne  se  donne  point  de  visible  sans  Distance 
Il  ne  se  donne  point  de  visible  sans  Instrument. 
Ce  qui  suit  ne  s'aprent  point 
Ce  sons  parties  du  Peintre 
Mais  premièrem^  de  la  Matière 
Elle  doit  estre  prise  noble,  qui  n'aye  receu  aucunne 
qualité  de  l'ouurier,  Pour  donner  lieu  au  Peintre  de 
monstrer  son  esprit  et  Industrie.  Il  la  faut  prendre 
Capable  de  receuoir  la  plus  excellente  forme,  Il  faut 
commencer  par  la  Disposition,  Puis  par  l'Ornement, 
le  Décoré,  la  beauté,  la  grâce,  la  viuacité,  le  Cos- 
tume, la  Vraysemblance  et  le  Jugement  partout.  Ces 
dernières  parties  sont  du  Peintre  et  ne  se  peuuent 
aprendre.  Cest  le  Rameau  d'or  de  Virgile  '  que  nul  ne 
peut  trouuer  ny  ceuillir  sil  n'est  conduit  par  la  Fata- 
lité. Ces  neuf  Parties  contiennent  plusieurs  belles 
choses  dignes  d'estre  escrittes  de  bonnes  et  scauantes 
mains  mais  je  vous  prie  de  considérer  ce  petit  échan- 
tillon et  m'en  dire  vostre  sentiment  sans  aucunne 
cérémonie.  Je  scay  fort  bien  que  non  seulement  vous 
scaués  moucher  la  Lampe  mais  encore  y  verser  de 
bonne  huile.  Je  dirois  plus  mais  quand  Je  m'échauffe 
maintenant  le  deuant  de  la  Teste  par  quelque  forte 
attention  je  m'en  trouue  mal.  Au  surplus  jay  tous- 
jours  honte  de  me  voir  colloque  auec  des  hommes  le 
mérite  et  la  valeur^  des  quels  est  au  dessus  de  moy    -^ 
plus  que  l'Etoille  de  Saturne  n'est  au  dessus  de  nostre 
Teste.  C'est  un  effet  de  vostre  amitié  qui  vous  faict 

1.  Virgile,  Enéide,  VI,  146. 

2.  Valeur  surchargeant  vertu,  rayé. 


464  CORRESPONDANCE  [l665 

me  voir  plus  grand  de  beaucoup  que  je  ne  suis,  je 
vous  en  suis  redeuable  à  Tousjours  et  suis 
Monsieur 
Vostre  trèshumble 

et  trèsobéyss*  Seruiteur 
Le  Poussin 
Je  baise  très  humblement  les  mains 
à  Monsieur  de  Chantelou  vostre  aine. 

211.  —  Poussin  a  Chantelou. 
(Ms.  12347,  fo'-  257 1.) 

A  Monsieur  de  C hante lo^ 

Cons^  du  Roy  et  Maistre  ordinaire  de  son  hostel^ 

Rue  S^  Thomas  du  Louure,  A  Paris^. 

[28^  Mars  i665. 

Respond  à  lassurance  que  je  luy  ay  donnée  de  ser- 
uir  son  héritier  à  sa  prière.  Il  se  plaint  de  ce  quil 
lest  allé  trouuer  à  Rome^.] 
Monsieur 

Le  Contentement  que  Jei  repceu  par  la  vostre  der- 

1.  Cette  lettre  n'est  pas  la  dernière  échangée  entre  Chante- 
lou et  Poussin.  En  tout  cas,  Chantelou  note,  le  18  août  i665, 
dans  son  Journal  du  Cavalier  Bernin  en  France  :  «  J'ai  prié 
le  signor  Mathie  de  mettre  dans  le  paquet  du  Cavalier  une 
lettre  que  j'écrivais  à  M.  Poussin;  ce  qu'il  a  fait  »  (éd.  Lalanne, 
p.  104). 

2.  Cette  adresse  est  écrite  d'une  main  particulièrement 
tremblée. 

3.  «  M.  de  Chennevières,  insuffisamment  renseigné  sur  la 
famille  Le  Tellier,  a  cru  que  Jean  Le  Tellier  était  l'auteur  de 
l'équipée  qui  avait  tant  indisposé  le  Poussin;  c'est  qu'il  igno- 
rait que  ce  jeune  homme  n'avait  que  seize  ans  en  i665  :  ce 
n'est  donc  pas  lui  qui  a  pu  aller  à  Rome.  Mais  Jean  avait  un 
frère  aîné,  Mathias,  né  en  1644,  par  conséquent  âgé  de  vingt 
et  un  ans  en  i665;  c'est  lui  probablement  qui  est  allé  sollici- 
ter Poussin  à  Rome,  et  ce  qui  semble  l'établir,  c'est  que  son 


l665]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  465 

nière  du  Château  du  Loir  ne  se  peut  esprimer,  mais 
se  contentement  a  trop  peu  duré  aiant  esté  trauersé 
par  l'impertinense  de  se  misérable  étourdi  nepueu^ 
pour  le  subiet  duquel  je  vous  ai  importuné,  et  prié 
de  protéger  après  mon  trépas.  Se  que  vostre  bonté 
m'a  bien  voulu  acorder,  et  promettre,  Je  vous  suplie 
de  rechef  de  vous  en  souuenir  quand  il  sera  temps. 
Se  misérable  rustique  sans  cerueau,  et  ignorant  M'est 
venu  troubler  le  repos  ou  je  viuois  de  sorte  que  je 
n'ai  peu  vous  venir  remercier  plus  tost  me  trouuant 
quasi  hors  de  moi  mesme  pour  le  déplaisir  que  jei 
repsu  de  sa  part.  Je   vous  viens   demander   escuse 
d'auoir  tant  tardé  à  confesser  que  vous  estes  seluy  à 
qui  Je  suis  le  plus  obligé  et  redeuable  qui  estes  mon 
refuge,  et  à  qui  je  serai  tant  que  je  viurai 
Monsieur 
Vostre  trèshumble  et  trèsobligé 
Seruiteur  Le  Poussin 
le  28  mars  i665- 
à  Rome 


oncle  le  déshérita  [et  ne  le  nomma  même  pas]  quand  il  dicta 
son  testament  le  21  septembre  i665  »  (V.  Advielle,  Recherches 
sur  Poussin,  p.  i2i,  d'après  le  Bull,  de  l'Hist.  de  Normandie, 
1875-1880,  p.  i5i).  Voir  le  tableau  généalogique  plus  loin,  p.  472. 

1.  «  Au  printemps  de  i665,  vint  à  Rome  un  sien  neveu,  amené,       îr* 
autant  qu'il  le  laissa  paraître,  par  le  désir  avide  d'être  l'héri- 
tier de  ce  que  son  oncle  avait  acquis,  et  qui  se  conduisit  de 
taçon  si  indiscrète  et  impertinente  que  celui-ci,  n'en  recevant 

que  peu  de  satisfaction,  le  renvoya  aux  Andelys  en  septembre 
de  la  même  année  »  (Passeri,  Le  Vite  de'  pittori,  1772). 

2.  «  Dans  ce  même  mois  [sept.  i665]  lui  survindrent  quelques 
attaques  de  fièvre,  causée  sans  doute  par  l'indiscrétion  de  ce       . 
sien  neveu,  lesquelles,  le  travaillant  beaucoup,  lui  suscitèrent 

un  flux  d'urine  fréquente  et  sanguinolente  qui  lui  dura  l'es- 
pace de  vingt  jours.  Le  sang  s'arrêta,  mais  ce  fut  pour  faire 
place  à  un  perpétuel  relâchement  des  reins,  de  sorte  qu'il  uri- 
nait continuellement  sans  rétention,  et  cela  dura  nombre  de 

1911  3o 


466  CORRESPONDANCE  [l665 

Je  baise  trèshumbleiri' 
les  mains  à  madame 
deChamelou^ 

212. — Testament  du  21  septembre  i665^. 
(Ms.  12347,  fol.  262  et  suiv.3.) 

[Au  ms.  12847,  fo^'  266  v°,  Chantelou  a  écrit  :] 

Coppie  du  testament  de 
l'Illustre  et  fameux  peintre 

jours.  Peu  après  s'ouvrit  sous  son  bras  gauche  une  aposthème 
qui  vint  à  crever  et  le  purgea  grandement.  A  la  fin,  exténué 
par  tant  de  souffrances,  et  tout  son  mal  se  tournant  à  l'état  de 
malignité,  le  19  novembre  i665,  juste  comme  midi  sonnait,  il 
rendit  l'âme  à  son  créateur  après  s'être  conforté  de  tous  les 
sacrements  de  l'Eglise  comme  parfait  chrétien  et  catholique  » 
(Passeri,  op.  cit.,  trad.  Ph.  de  Chennevières). 

1.  Dans  le  ms.  12847  manque  une  lettre  de  Jean  Dughet,  du 
27  octobre  i665  :  «  Après  que  M.  de  Chantelou  eût  appris  par 
une  Lettre  du  Sieur  Jean  du  Ghet  (du  27  octobre  i665),  l'extré- 
mité où  il  étoit,  on  eût  bientôt  la  nouvelle  de  sa  mort  arrivée 
le  19  novembre  i665  »  (Félibien,  p.  5o).  —  La  perte  de  cette 
lettre  est  d'autant  plus  regrettable  qu'elle  devait  renseigner  sur 
les  derniers  mois  de  Poussin  (voir  son  acte  mortuaire  dans 
Archives  de  l'Art  français,  t.  I,  p.  142). 

2.  La  copie  italienne  du  ms.  12847  (comme  sans  doute  l'ori- 
ginal de  Rome)  présente  beaucoup  de  majuscules,  et  selon 
l'usage  pour  les  actes  notariés,  elle  ne  va  pas  à  la  ligne,  pour 
ne  pas  laisser  de  blancs.  C'est  pour  plus  de  clarté  que  nous 
avons  séparé  ce  texte  fort  long  en  alinéas. 

3.  L  Nous  possédons  cinq  textes  authentiques  du  testament 
du  21  septembre  i665  : 

A.  L'original  lui-même,  en  italien,  qui  est  resté  à  Rome  et 
se  trouve  encore  dans  l'étude  du  notaire  Antonio  Bini  (94,  via 
Frattina,  puis  46,  via  Campo-Marzio). 

B.  La  copie  de  cet  original,  en  italien  comme  lui,  que  Jean 
Dughet  envoya  à  Chantelou  (ms.  12847,  fol.  262,  268,  264,  265 
et  haut  du  recto  266). 


l665]  DE    NICOLAS    POUSSIN.  467 

Nicolas  Poussin  mort  le 
ig^  novembre  i665 

Requiescat  in  pace  * . 
Au  nom  de  Dieu,  amen.  Par  le  présent  moyen 

C.  Une  seconde  copie  de  l'original  italien,  que  Ph.  de  Chen- 
nevières  se  fit  délivrer  le  10  septembre  1873  par  le  notaire  Bini 
et  qui  est  restée  inédite  dans  son  dossier  sur  Poussin. 

D.  Une  première  traduction  française,  presque  mot  à  mot, 
mais  d'un  français  souvent  peu  clair  (ms.  12347,  fol.  267,  268, 
269,  270). 

E.  Une  seconde  traduction  française,  d'un  français  plus  cor- 
rect (ms.  12347,  fol.  271,  272,  273,  274,  275  et  dernier  du  ms.). 
—  Ces  deux  traductions  D  et  E  accompagnaient  la  copie  B 
quand  celle-ci  fut  envoyée  à  Chantelou. 

II.  En  ce  qui  concerne  la  publication  : 

1°  Le  texte  italien  du  testament  du  21  septembre  i665  (texte  A) 
a  été  publié  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
Normandie,  1875-1880,  p.  181  et  suiv.,  d'après  une  copie  prise 
par  M.  de  Grouchy  et  adressée  de  Rome  par  lui  à  M.  Ch.  de 
Beaurepaire  qui  l'avait  déposée  aux  archives  de  la  Seine-Infé- 
rieure. Ce  texte  italien  n'est  pas  suivi  d'une  traduction  fran- 
çaise. 

2"  M.  Ph.  de  Chennevières,  dans  V Essai  sur  la  peinture  fran- 
çaise, a  publié  de  longs  fragments  d'après  les  textes  D  et  E 
(ms.  12347). 

3"  M.  Advielle  [Recherches,  etc.,  p.  i55)  a  publié  une  traduc- 
tion française  (due  au  baron  Lumbroso)  du  testament  original 
italien,  A. 

III.  Pour  la  présente  publication,  le  texte  italien  ne  nous  a 
pas  paru  indispensable,  puisqu'il  est  facile  de  le  trouver  dans 
le  Bull,  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Normandie,  1875-1880,  p.  i5i. 
Notre  traduction  française  ne  pouvait  être  la  reproduction  lit- 
térale d'un  des  textes  D  et  E,  fautifs  en  bien  des  détails.  Nous 
donnons  une  traduction  débarrassée  de  ces  négligences. 

I.  Au  fol.  261  du  ms.  12347,  la  même  main  qui  a  copié  le  tes- 
tament (et  qui  ne  semble  pas  celle  de  Chantelou)  a  écrit  :  «  Nico- 
las Poussin,  peintres  des  plus  illustres  après  l'antiquité,  nasquit 
au  bourg  d'Andely,  province  de  Normandie,  le  ...  du  mois  de 
juin  de  l'an  i5g4,  d'une  famille  noble  et  peu  accomodée,  est 
mort  à  Rome  le  ig  nouembre  166 5.  »  On  sait  ce  qu'il  faut 
penser  de  la  «  noblesse  »  de  Poussin,  affirmée  sans  preuves 
par  Bellori,  Le  Vite  de'  pittori. 


468  CORRESPONDANCE  [l665 

public,  qu'il  soit  connu  de  tous,  que  l'an  i665  de  la 
Nativité  de  N.  S.  J.  C,  la  troisième  année  de  l'in- 
diction  et  le  21  septembre,  l'onzième  année  du  Pon- 
tificat du  Très  Saint-Père  en  Christ  Alexandre  VII, 
pape  par  la  divine  providence; 

devant  moi,  notaire,  a  comparu  le  très  illustre 
Seigi;  Nicolo  Pussjrn^  (fils  du  Seig'^  Giovanni,  du 
Bourg  d'Andely,  diocèse  de  Rouen),  bien  connu  de 
moi,  par  la  grâce  de  Dieu  sain  d'esprit  et  des  autres 
sens,  quoique  malade,  infirme  de  corps,  couché  au  lit^, 
et  voulant  pourvoir  à  ses  intérêts,  afin  qu'après  sa 
mort  il  n'y  ait  à  naître  aucun  procès,  entre  sa  posté- 
rité et  successeurs,  sur  les  biens  accordés  par  la 
Divine  Majesté,  il  a  délibéré,  de  plein  gré  et  de  la 
meilleure  manière,  qu'il  peut  et  doit  faire  son  pré- 
sent testament  nuncupatif  et  non  écrit  de  sa  main^. 

Et  premièrement,  il  déclare  qu'ayant  fait  un  autre 
testament  par  mes  actes  sous  le  25'^'"«  novembre  1664, 
par  le  présent  il  révoque  et  annulle  tant  celui-là, 
comme  quelque  autre  qui  puisse  être,  testament, 
codicille,  et  autre  disposition  retrouvable  en  quelque 
manière,  temps  et  lieu,  et  par  les  actes  de  quelque 

1.  Nous  avons  laissé  tous  les  noms  propres  sous  la  forme 
italienne  de  la  copie  B,  la  moins  fautive.  Ces  actes  et  ces 
copies  sont  peu  soucieux  d'une  rigoureuse  exactitude.  Par 
exemple,  en  i665,  les  Dughet  habitaient  Rome  depuis  au  moins 
quarante  ans;  cependant,  ils  sont  appelés  Douquei  dans  le 
texte  B,  Bouquet  dans  le  texte  C.  Le  nom  du  testateur  lui- 
même  est  fort  estropié,  bien  qu'il  fût  alors  fort  connu  :  Pus- 
syn  (texte  B),  Pouss'yn  (texte  C);  —  de  même  Retrou  devient 
Retrosi  dans  la  traduction  Lumbroso,  Rebrosi  dans  le  texte  C. 

2.  «  Sa  fin  s'approchant,  il  fut  tenu  au  lit  par  un  gros  abcès, 
avec  inflammation  des  viscères...  »  (Bellori,  Le  Vite  de'  pittori, 
trad.  Rémond,  p.  35). 

3.  Voir  le  testament  du  3o  avril  1643,  p.  194,  note  i. 


l665]  DE    NICOLAS   POUSSIN.  469 

notaire  qu'il  puisse  être,  en  faveur  de  qui  que  ce  soit, 
et  toutes  les  clauses  dérogatoires,  que  ceux-ci  peuvent 
contenir,  desquelles  ne  s'en  ressouvenant  pas,  il 
déclare  qu'il  ferait  spéciale  mention,  parce  qu'il  veut 
qu'on  entende  seulement  son  présent  testament,  de 
la  meilleure  manière. 

Commençant  donc  par  l'âme,  comme  plus  noble 
et  plus  digne  que  le  corps,  il  la  recommande  à  Dieu  -f 
Tout-Puissant,  à  la  Très  Glorieuse  Mère  Marie  tou- 
jours Vierge,  aux  glorieux  Saints  Pierre  et  Paul,  au 
S'  Ange  Gardien,  et  à  toute  la  Cour  Céleste,  lesquels 
il  prie,  en  toute  affection  de  cœur,  et  profonde  humi- 
lité, de  vouloir  intercéder  la  divine  Miséricorde  de 
Dieu  Béni  pour  le  salut  de  son  Ame. 

Et  veut  et  dispose  qu'après  sa  mort,  son  corps  soit 
vêtu  avec  un  de  ses  habits,  et  ainsi  vêtu,  sans  pompe 
aucune,  porté  à  l'Église  Paroissiale  %  et  que  là  il  soit 
exposé  avec  quatre  torches  allumées,  et  qu'après  on  ^ 
lui  donne  la  sépulture  dans  la  dite  église  paroissialle, 
à  laquelle  il  laisse  tout  ce  qu'on  lui  devra  raisonna- 
blement, et  pas  autre  chose;  et  pour  le  repos  de  son 
âme  il  ordonne  que  son  corps  étant  comme  ci-dessus 
exposé,  on  fasse  célébrer  une  grand'messe  chantée, 
dans  la  même  Église  Paroissiale,  et  pendant  qu'on 
la  célébrera,  on  allume  quatre  cierges  à  l'autel,  et  en 
cas  d'empêchement  dans  le  jour,  que  son  corps  sera 
comme  ci-dessus  exposé,  on  fasse  célébrer  la  dite 
grand'messe  dans  le  jour  suivant  où  il  n'y  aura  pas 
d'empêchement. 


I.  San-Lorenzo  in  Lucina,  une  église  secondaire  de  Rome,  à 
l'ouest  du  Corso. 


470  CORI^PSPONDANCE  [l665 

Et  par  raison  de  legs,  et  de  toute  autre  meilleure 
manière,  il  laisse  au  Sf"  Ludovico  Douquei  son  beau- 
frère,  pour  une  seule  fois,  800  écus  de  monnaie 
romaine,  de  dix  pauls  par  écus,  à  se  faire  payer  aus- 
sitôt après  sa  mort,  par  son  héritier  vivant  ci-dessous 
désigné. 

Item,  il  laisse  à  la  dame  Giovanna  Douquei^ 
femme  de  Bastiano  Cherahitto^  sa  belle -sœur, 
1,000  écus,  monnaie  de  Rome,  à  payer  comme  ci- 
dessus. 

En  outre,  il  laisse  à  Barbara  Cherabitto,  fille  dudit 
Bastiano^  et  nièce  de  la  dame  Anna  Maria  Douquei, 
sa  femme,  dix  billets  de  crédit^  du  Mont  Restor, 
troisième  émission,  déclarant  vouloi